Bénéfices, risques et indications des anti-inflammatoires COX-2 sélectifs revisités : focus sur le Célécoxib

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Cédric Hermans Publié dans la revue de : Mai 2017 Rubrique(s) : Actualité thérapeutique
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Résumé de l'article :

Compte tenu de leurs propriétés anti-inflammatoires et antalgiques induites par l’inhibition de la cyclooxygénase, les AINS font partie des médicaments les plus largement prescrits. Afin d’améliorer la tolérance digestive, des AINS ciblant sélectivement la cyclo-oxygénase 2 ou inhibiteurs COX-2 sélectifs (COXIBS) ont été développés. Ces molécules, malgré leurs bénéfices digestifs, sont toutefois tombées en disgrâce suite à la documentation d’une augmentation des accidents cardiovasculaires associés à l’utilisation de Rofécoxib. Plusieurs publications récentes détaillées dans cet article démontrent toutefois que parmi les COXIBS, le Célécoxib utilisé à faibles doses présente un profil de sécurité cardiovasculaire favorable associé à une excellente tolérante digestive, suggérant que la place de cette molécule doit être réévaluée. Cet article se propose de faire le point sur les avantages et les modalités et précautions d’utilisation du Célécoxib.

Mots-clés

AINS, COXIBS, risque cardiovasculaire, hémorragie gastro-intestinale, Célécoxib.

Article complet :

INTRODUCTION

Les anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS) représentent l’une des classes de médicaments les plus utilisées dans le monde. Ils sont couramment prescrits et consommés comme antalgiques et/ou antipyrétiques et leur emploi est parfois banalisé. Aux États-Unis, 5% de toutes les visites médicales sont liées à la prescription d’AINS. Ces derniers rendent compte de 2 à 5% de toutes les ordonnances dans le monde. Les effets secondaires des AINS représentent un réel enjeu de santé publique puisqu’on estime que 100000 hospitalisations et 16000 décès leurs sont associés chaque année aux USA.

En raison de leur propriétés anti-inflammatoires et analgésiques, les AINS sont indiqués dans le traitement de multiples affections parmi lesquelles la polyarthrite rhumatoïde, l’arthrose, la fièvre rhumatismale, les thromboses, la péricardite, la maladie de Kawasaki, la goutte, la spondylarthrite ankylosante, la dysménorrhée, le canal artériel persistant, l’arthrite juvénile, l’arthrite psoriasique, le syndrome de Reiter, le lupus érythémateux systémique. Les AINS sont également couramment utilisés pour le contrôlé des douleurs musculaires et squelettiques ainsi que les maux de tête.

Comme tenu de du développement et de la validation de nouvelles thérapies ciblées de nombreuses maladies inflammatoires, il n’est pas exclu que la consommation des AINS diminuera dans le courant des prochaines années.

Les AINS exercent leurs effets en inhibant la cyclooxygénase (COX). Cet enzyme assure la première étape de la conversion de l’acide arachidonique en diverses prostaglandines. Deux isoformes principales de l’enzyme COX ont été identifiées : COX-1 et COX-2. COX-1 est constitutivement exprimé dans de nombreux tissus et contribue physiologiquement au maintien de la fonction rénale, à la protection de la muqueuse gastrique, et est impliquée dans la régulation de l’agrégation plaquettaire. La synthèse de COX-2 est induite par des cytokines et des facteurs de croissance pro-inflammatoires.

Les AINS sont classés en deux groupes, les AINS non sélectifs (NSAID-ns) et les inhibiteurs sélectifs de COX-2 ou COXIBS. Les AINS sont associés à un risque accru d’effets secondaires gastro-intestinaux (ulcère, gastrite, ...), conséquence de l’interférence avec la synthèse de prostaglandines protectrices pour la muqueuse gastrique. Les COXIBS qui inhibent sélectivement COX-2 ont été développés pour réduire les effets indésirables gastro-intestinaux des AINS-ns.

Plusieurs études ont mis en lumière une incidence accrue d’infarctus du myocarde, d’accidents thrombo-emboliques, d’insuffisance cardiaque et d’AVC parmi les patients traités par les (COXIBS) (1). Ces publications et leur impact médiatique ont conduit à une perte de confiance du corps médical dans les COXIBS dont l’utilisation a été délaissée.

L’objectif du présent article est de réévaluer, à la lumière des dernières publications, les données récentes concernant les risques cardiovasculaires des AINS et des COXIBS, d’explorer si les risques cardiovasculaires du Rofécoxib sont applicables aux autres AINS COX-2 sélectifs. Il s’agit également de réévaluer la réelle place des COXIBS par rapport aux AINS-ns ainsi que les conditions optimales de leur utilisation. Cet article se focalise sur le Célécoxib qui a suscité de nombreuses publications récentes pertinentes.

MODE D’ACTION DES AINS REVISITÉ

Cette famille de médicaments, qui inclut des médications telles que le Naproxène, l’Ibuprofène, le Diclofénac ou le Rofécoxib, inhibe la cyclo-oxygénase (COX), un enzyme clé impliqué dans la production de prostaglandines. Les prostaglandines, présentes dans tout l’organisme, sont impliquées dans un très grand nombre de fonctions dont la genèse de la douleur et des syndromes inflammatoires ainsi que le contrôle de la température corporelle. Les prostaglandines exercent également des effets bénéfiques tels que la protection de la muqueuse gastrique, la perfusion rénale et contribuent à l’hémostase par la stimulation de l’agrégation des plaquettes sanguines.

Le précurseur des prostaglandines, l’acide arachidonique, présent sous forme estérifiée dans les membranes cellulaires, est mobilisé sous l’effet de nombreux stimuli par la phospholipase A2 et oxydé par la cyclo-oxgénase en endoperoxides (PGG2) et par la suite transformé en PGH2 (Figure 1). Ce dernier est isomérisé ou transformé en divers prostanoïdes en fonction de la distribution cellulaire et tissulaire des enzymes spécifiques de synthèse.

Deux isofomes de la cyclo-oxygénase (COX-1 et COX-2) contribuent à la formation des prostaglandines. La COX-1 est présente dans les plaquettes (TXA2), l’estomac (PGE2), l’endothélium (PGI2) et d’autres tissus tels que le système nerveux. La COX-2 est présente dans les cellules inflammatoires (PGE2), le rein (PGI2) et d’autres tissus, notamment vasculaires, après induction.
Les deux isoformes sont inhibés par les AINS qui diffèrent toutefois dans leur sélectivité plus ou moins importante vis-à-vis d’un des deux isoformes, ce qui rend compte de leur profil pharmacologique spécifique. Les conséquences d’une inhibition de COX-1 par les AINS sont la toxicité gastrique et l’effet antithrombotique. L’effet antalgique et anti-inflammatoire sont la conséquence recherchée de l’inhibition de COX-2. Les conséquences délétères de l’inhibition sélective de COX-2 sont l’élévation de la tension artérielle, la rétention hydrosodée et une tendance prothrombotique (2).

L’inhibition de l’agrégation plaquettaire par les AINS est obtenue si l’inhibition de la synthèse de TXA2 est supérieure à 95 %, un effet obtenu par la prise d’aspirine. La PGI2, synthétisée surtout par la COX-2 a un effet opposé à celui du TXA2, à savoir un effet antiagrégant plaquettaire et vasodilatateur. Sa synthèse est d’ailleurs majorée lors du développement de l’athérosclérose, un processus au cours duquel où elle joue un rôle favorable et protecteur. L’inhibition de COX-2, surtout lorsqu’elle est causée par des AINS COX-2 sélectifs, entraîne une réduction significative de la production de PGI2, ce qui contribue à un état prothrombotique. L’inhibition de COX-2 entraîne par ailleurs une élévation de la tension artérielle, favorise la progression de l’athérosclérose et contribue à déstabiliser les plaques d’athérome, autant d’effets qui semblent expliquer les complications cardiovasculaires observées chez les patients sous AINS, d’autant plus s’il s’agit d’agents sélectifs de COX-2.

Comme tous les AINS inhibent la COX-1 et la COX-2 à des degrés divers, c’est de la balance COX-1/COX-2 que semble dépendre le rapport des bénéfices et des risques lié à leur utilisation. En effet une inhibition préférentielle de COX-1 se fait au détriment de la protection gastrique (risque accru d’ulcère, de gastrite) et de la fonction plaquettaire (risque accru d’hémorragie) alors qu’une inhibition plus sélective de COX-2 se fait au prix d’un risque cardio-vasculaire accru (maintien d’une fonction plaquettaire, altération de la perfusion rénale, risque accru d’hypertension artérielle).

La mise en évidence d’une augmentation de la fréquence des infarctus du myocarde chez les patients recevant du Rofécoxib a conduit au retrait de cette médication du marché en 2004. L’exploration de ce même risque avec les autres dérivés a montré que tous les AINS augmentaient peu ou beaucoup le risque d’infarctus (20 et 60% d’augmentation ; risque relatif de 1.2 à 1.6), à l’exception toutefois du Naproxène et du Célécoxib.

Il est désormais bien établi que ce risque cardiovasculaire associé aux AINS est proportionnel au degré d’inhibition de la COX-2. Le risque est également augmenté avec la dose et la durée du traitement, de telle sorte qu’à faible dose et pour des durées courtes de traitement (<30 jours) le risque n’est pas supérieur au risque dans une population similaire ne prenant pas d’AINS. Ce risque cardiovasculaire est d’autant plus important qu’il s’agit de patients âgés et présentant des antécédents ou des facteurs de risques cardiovasculaires.

Le degré d’inhibition de COX-1 et de COX-2 détermine le risque cardiovasculaire des AINS. L’aspirine administrée à faible dose réduit le risque cardiovasculaire en inhibant spécifiquement et à raison de plus de 95 % la synthèse de TXA2. Le Naproxène réduit significativement à la fois la production de PGI2 mais aussi celle de TXA2 à plus de 95 %, ce qui lui confère un profil de risque cardiovasculaire moindre que les COXIBS. Ces derniers en inhibant la COX-2 et à raison de plus de 90 % la synthèse de PGI2 tout en ayant quasi pas d’effet sur la synthèse de TXA2 (inhibition de la synthèse de moins de 10 %) présentent le risque d’être associés à un risque cardiovasculaire accru. Les risques cardiovasculaires liés à l’utilisation des AINS ont fait l’objet de plusieurs publications et réunions de consensus (3).

AINS : TOXICITÉ DIGESTIVE HAUTE ET BASSE

Environ 1 à 2% des utilisateurs d’AINS développent une complication gastro-intestinale grave durant leur traitement. Le risque relatif de complications gastro-intestinales supérieures parmi les utilisateurs d’AINS dépend de la présence de différents facteurs de risque, parmi lesquels l’âge avancé (> 65 ans), des antécédents d’ulcère peptique compliqué, et la prise concomitante d’aspirine ou d’anticoagulant, ainsi que du type et de la dose d’AINS (Figure 2).

Des données épidémiologiques récentes démontrent parmi les patients traités par AINS une tendance à la réduction des hospitalisations liées aux complications au niveau du tube digestif supérieur mais une augmentation significative des complications touchant le tractus gastrointestinal inférieur (4). Ceci s’explique par le fait que les AINS augmentent le risque de saignement et de perforation au niveau du tube digestif inférieur dans une mesure similaire à celle observée dans la partie supérieure du tractus gastro-intestinal. A ce propos, il est important de souligner que, par rapport aux AINS-ns non sélectifs, les COXIBS causent moins de toxicité digestive non seulement au niveau du tractus digestif supérieur mais aussi inférieur. Une revue récente de la littérature concernant les effets gastro-intestinaux des AINS mettait en lumière les données pertinentes suivantes (5):
• La présence de symptômes gastro-intestinaux du tractus supérieur (dyspepsie et reflux) n’est pas prédictive de l’apparition de complications digestives sous AINS.
• Le risque relatif de développer des complications gastro-intestinales graves est trois fois plus élevé parmi les utilisateurs d’AINS que parmi les non-utilisateurs. L’identification des facteurs de risque est importante afin d’établir le risque réel des patients qui utilisent des AINS.
• Les facteurs de risque les plus importants sont des antécédents d’ulcère peptique, un âge plus avancé et utilisation concomitante d’aspirine à faible dose.
• Avant de prescrire les AINS, l’évaluation conjointe des facteurs de risque cardiovasculaires et gastro-intestinaux est obligatoire.
• Dans la population à risque de complication digestive, le risque de complications gastro-intestinales est plus faible pour les inhibiteurs sélectifs COX-2 que pour les AINS-ns non sélectifs.
• Au cours de la dernière décennie, les hospitalisations liées aux complications GI supérieures ont diminué parmi les patients traités par AINS, alors que le nombre de complications au niveau tube digestif inférieur a augmenté
• Les données actuelles suggèrent que les AINS augmentent le risque de saignement digestif supérieur et inférieur dans la même proportion.
• Les inhibiteurs sélectifs de COX-2 sont aussi efficaces que les AINS classiques pour soulager l’inflammation.
• L’utilisation d’un inhibiteur sélectif COX-2 tel que le Célécoxib semble être associée à moins de lésions du tube digestif inférieur et moins de complications de l’ensemble du tube digestif comparativement aux AINS-ns non sélectifs utilisés seuls ou associés à l’oméprazole.
• Le taux de mortalité associée aux saignements d’ulcères peptiques déclaré varie de 5 à 12% dans les pays développés.
• La plupart des décès liés au saignement d’un ulcère peptique ne sont pas des séquelles directes de l’ulcère hémorragique. La mortalité est surtout liée au statut cardiopulmonaire, à la présence d'une défaillance multi-organique ou d’une néoplasie sous-jacente.

MÉTA-ANALYSE DES EFFETS CARDIOVASCULAIRES DES AINS : L’IMPACT DE L’INHIBITION DE COX-2 REMISE EN QUESTION

Une méta-analyse récente a réévalué les risques cardiovasculaires de 8 AINS les plus utilisés qu’il s’agisse d’AINS-ns ou de COXIBS (6). Cette méta-analyse a inclus les études randomisées, des essais contrôlés et des études de cohortes prospectives. Les paramètres primaires étudiés comprenaient tout infarctus du myocarde (IM), tout accident vasculaire cérébral, décès par CV et une combinaison des trois. Vingt-six études ont été identifiées et analysées. Les analyses ont comparé les divers AINS au placébo et aux diverses catégories d’agents étudiés (AINS-ns, COXIBS avec et sans inclusion du Rofécoxib). L’incidence d’infarctus du myocarde est augmentée par le Rofécoxib dans toutes les catégories de comparaison. L’incidence d’infarctus du myocarde est plus faible pour le Célécoxib et le Naproxène par rapport aux COXIBS. L’incidence d’accident vasculaire cérébral est majorée pour le Rofécoxib dans les comparaisons avec tous les AINS et autres COXIBS. L’incidence de l’AVC est réduite chez les patients traités par Célécoxib par rapport à tous les AINS, aux AINS-ns et aux COXIBs. Le critère d’évaluation composite est également majoré pour le Rofécoxib par rapport à tous les AINS, au placebo et à d’autres COXIBs alors que l’incidence de ce même critère composite est diminuée pour le Célécoxib dans toutes les comparaisons avec les AINS et les COXIBS. Lorsque le Rofécoxib est retiré du groupe COXIBS, aucune différence n’est mise en évidence, suggérant que le Rofécoxib fausse les données. Cette méta-analyse suggère que seul le Rofécoxib est néfaste d’un point de vue cardiovasculaire et que les résultats obtenus avec cette molécule biaisent les données obtenues avec les COXIBS. Cette étude suggère également que la sélectivité COX-2 n’est pas associée à un risque vasculaire accru et que les résultats obtenus avec le Rofécoxib sont probablement liés aux propriétés physicochimiques de cette molécule et pas à son effet anti-COX-2.

TOLÉRANCE ET SÉCURITÉ CARDIOVASCULAIRES DU CÉLÉCOXIB VERSUS NAPROXÈNE ET IBUPROFÈNE REVISITÉES DANS L’ÉTUDE PRÉCISION

L’étude PRECISION (Prospective Randomized Evaluation of Celecoxib Integrated Safety Versus Ibuprofen or Naproxen) publiée dans le New England Journal of Medicine en Novembre 2016 menée parmi près de 24000 patients arthrosiques à évaluer la sécurité cardiovasculaire et tolérance du Célécoxib par rapport à d’autres AINS (7). L’étude comportait deux comparaisons : Célécoxib versus Naproxène et Célécoxib versus Ibuprofène. Cette étude a été menée chez 24.081 patients atteints d’arthrose (90%) ou de polyarthrite rhumatoïde, devant être traités par AINS durant au moins 6 mois, et randomisés pour recevoir du Célécoxib (2x100 mg/j), de l’Ibuprofène (3x600 mg/j) ou du Naproxène (2x375 mg/j) – à quoi s’ajoutait dans les trois groupes un protecteur gastrique : l’esoméprazole (20-40 mg/j).

L’objectif était de montrer la non-infériorité du COXIB par rapport aux deux autres AINS sur un critère composite associant les décès cardiovasculaires, les infarctus du myocarde non fatals et les AVC non fatals. Les évènements gastro-intestinaux et rénaux étaient considérés comme des critères secondaires. Les patients étaient âgés de 63 ans en moyenne, et l’effectif comportait 64% de femmes. Parmi les patients de l’étude, 23% avaient déjà été victimes d’un évènement cardiovasculaire (prévention secondaire). Par ailleurs, 46% ont signalé un usage préalable d’aspirine. La durée moyenne de traitement a été de 20 mois, et la durée de suivi, de 34 mois. Durant l’essai, 68,8% des patients ont cessé de prendre le traitement étudié, et 27,4% des patients ont été perdus de vue.

En intention de traiter, un évènement du critère primaire a été reconnu chez 188 patients du groupe Célécoxib (2,3%), 201 patients du groupe Naproxène (2,5%) et 218 patients du groupe Ibuprofène (2,7%). Le risque relatif d’évènement du critère primaire pour le Célécoxib vs. Naproxène est de 0,93 (IC95%[0,76-1,13]), et de 0,85 pour le Célécoxib vs. Ibuprofène ([0,70-1,04]). En per-protocole, les évènements CV ont concerné 134 (1,7%), 144 (1,8%) et 155 patients (1,9%) dans les trois groupes. Le risque relatif d’évènement du critère primaire pour le Célécoxib vs. Naproxène est de 0,90 ([0,71-1,15]), et de 0,81 pour le Célécoxib vs. Ibuprofène ([0,65-1,02]) (Le p de non infériorité est <0,001 pour les deux comparaisons). En intention de traiter ou en per-protocole, les comparaisons du COXIB avec l’un ou l’autre AINS non sélectif, font ressortir la non infériorité du premier (tous les p<0,001). Le seuil de non infériorité a été modifié en cours d’étude.

S’agissant des critères secondaires, le risque d’évènements GI était significativement plus faible avec le Célécoxib qu’avec le Naproxène (p=0,01) et l’Ibuprofène (p=0,002). Il s’agit d’un résultat attendu pour un inhibiteur sélectif comme le Célécoxib, qui, en principe, n’inhibe pas la COX1 dans l’estomac et réduit donc les effets gastro-intestinaux par rapport aux AINS-ns non sélectifs. Par ailleurs, le risque rénal était plus faible avec le Célécoxib qu’avec l’Ibuprofène, et équivalent à celui du Naproxène. Enfin, aucune interaction n’a été caractérisée entre effets des différents AINS et prise d’aspirine, résultat que l’on peut qualifier de surprenant, puisque l’aspirine, qui inhibe la COX1, avantage en principe l’anti-COX2 sélectif. Il faut cependant indiquer que la prise d’aspirine n’a pas été suivie en cours d’étude, et encore moins les doses. Seule la prise d’aspirine déclarée avant l’étude a été prise en compte.

Même si cette étude a fait l’objet de critiques méthodologiques dans un éditorial récent (8), il n’en reste pas moins qu’elle démontre la bonne tolérance du Célécoxib. L’étude PRECISION fournit en effet des preuves valides sur le fait que le risque cardiovasculaire associé à des doses moyennes de Célécoxib à 200 mg/jour est plutôt inférieur au Naproxène, la référence AINS actuelle en termes de risque cardiovasculaire. Tous ces résultats sont atteints sans interaction significative avec les doses d’aspirine, ce qui démontre par ailleurs, que l’Ibuprofène ne démontre aucune capacité anti-agrégante dans cette très large étude. Ceci ne signe certainement pas un « chèque en blanc » pour le Célécoxib puisque des effets toxiques cardiovasculaires avaient été observés avec les doses journalières de 400 mg et surtout de 800 mg. Les évènements digestifs sont peu fréquents dans les 3 groupes en raison de la prise associée d’inhibiteurs de la pompe à proton, mais ils sont encore plus bas dans le groupe Célécoxib (même si c’est surtout la perte en fer qui tire les résultats).

La réduction des effets rénovasculaires (insuffisance rénale et HTA) sous Célécoxib est également patente, mais il n’y a pas de différence entre les 3 AINS concernant les insuffisances cardiaque congestives. Au plan rénal, il y a également une amélioration versus Ibuprofène dans cette population âgée en moyenne de 63 ans avec nombreux facteurs de risque d’athérosclérose (différence non significative versus Naproxène). De même le taux d’hospitalisation pour hypertension artérielle est inférieur dans le groupe Célécoxib versus Ibuprofène (p=0.04), mais non significativement différent du Naproxène. Ces bénéfices sont obtenus avec une légère supériorité du Naproxène sur la douleur qui n’atteint cependant pas une différence telle qu’elle est cliniquement définie.

NAPROXÈNE OU CÉLÉCOXIB CHEZ LES PATIENTS CUMULANT UN RISQUE ÉLEVÉ D’ACCIDENTS VASCULAIRES ET DE COMPLICATIONS DIGESTIVES ? LES CONCLUSIONS DE L’ÉTUDE CONCERN

L’utilisation concomitante d’aspirine et d’un AINS majore le risque d’hémorragie digestive haute. Les recommandations actuelles concernant la prescription d’un AINS pour les patients cumulant un risque d’accident cardiovasculaire et de complications gastro-intestinales sont contradictoires. L’étude CONCERN publiée en avril 2017 dans le Lancet nous apporte un nouvel éclairage (9). Cet essai clinique randomisé, en double aveugle, a inclus des patients cumulant une ostéoarthrite justifiant la prise d’un AINS, des antécédents thrombotiques cardiaques justifiant la prise d’aspirine et des antécédents d’hémorragie digestive. Après guérison de l’ulcère et éradication de l’Hélicobacter Pylori lorsque sa présence avait été démontrée, les patients ont été randomisés entre la prise de Célécoxib 100 mg deux fois par jour en association avec de l’esoméprazole 20 mg une fois par jour ou le Naproxène 500 mg deux fois par jour associée à l’esoméprazole 20 mg une fois par jour pendant 18 mois. Tous les patients étaient sous 80 mg d’aspirine par jour. Le critère d’évaluation principal était la survenue d’une récidive d’hémorragie digestive supérieure endéans les 18 mois. Entre mai 2005 et novembre 2012, 514 patients ont été inclus et 257 randomisés dans chaque groupe. Une hémorragie digestive supérieure est survenue parmi 14 patients dans le groupe Célécoxib (neuf ulcères gastriques et cinq ulcères duodénaux) et 31 patients dans le groupe Naproxène (25 ulcères gastriques, trois ulcères duodénaux, un ulcère gastrique et ulcère duodénal associés et deux érosions saignantes). L’incidence cumulée de récidive d’hémorragie au cours des 18 mois de l’étude était de 5,6% dans le groupe du Célécoxib et 12,3% dans le groupe Naproxène. Aucun décès lié au traitement n’a été enregistré durant l’étude.

Cette étude démontre que parmi les patients cumulant un risque élevé d’événements cardiovasculaires et gastro-intestinaux nécessitant la prise concomitante d’aspirine et d’un AINS, le Célécoxib associé à un inhibiteur de la pompe à protons semble devoir être privilégié pour réduire le risque de récidive d’hémorragie gastro-intestinale supérieure. Le Naproxène, malgré sa sécurité cardiovasculaire, semble devoir être évité (9).

QUEL AINS PRESCRIRE EN FONCTION DES RISQUES DIGESTIFS ET CARDIOVASCULAIRES ?

Les études épidémiologiques ont démontré que la présence de comorbidités augmente le risque à la fois de complications gastro-intestinales et cardio-vasculaires liée à la prise d’AINS. Des antécédents d’hémorragie digestive (récente ou ancienne) exposent les utilisateurs d’AINS à un risque élevé de récidive hémorragique, raison pour laquelle les AINS doivent être dans la mesure du possible évités. Toutefois, s’ils sont indispensables, ils peuvent être prescrits après éradication de l’Hélicobacter Pylori chez les patients infectés.

Le Célécoxib associé à un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) représente la meilleure option thérapeutique. Même s’il n’existe pas de recommandations actuellement pour les patients ayant des antécédents d’hémorragie digestive basse, la meilleure tolérance du Célécoxib tant au niveau du tube digestif inférieur que supérieur suggère que cette association (Célécoxib + IPP) représente la meilleure stratégie pour la prévention des complications hémorragiques tant hautes que basses chez les patients à risque.

Le risque de complication cardio-vasculaire liée à la prise d’un AINS est le plus important dans le décours immédiat d’un infarctus du myocarde même s’il diminue avec le temps. Même si les AINS sont contre-indiqués chez les patients à risque d’accident cardio-vasculaire, de nombreux d’entre eux sont traités par AINS pour une période relativement brève, même si un traitement relativement bref par AINS semble être associé à un risque accru de décès ou de récidive d’infarctus du myocarde chez les patients avec antécédent cardiaque. Il est toutefois important de signaler qu’aucune augmentation du risque cardio-vasculaire n’a été observée parmi les patients traités par Célécoxib dans une cohorte canadienne de patients âgés de 66 ans ou plus qui avaient survécu après une hospitalisation pour un infarctus du myocarde (10).

Sur base de ces données, même pour les patients avec un risque cardio-vasculaire élevé, le Célécoxib apparaît comme étant l’AINS le moins nocif d’autant plus que les patients sont simultanément traités par une petite dose d’aspirine. Considérant le rapport coût/bénéfice des divers COXIBS disponibles et des AINS-ns, le Célécoxib à une dose faible (200 mg 1 x/j) semble représenter la meilleure option pour le patient cumulant un risque élevé de complications digestives et cardio-vasculaires si ces patients doivent être traités par anti-inflammatoire et s’ils bénéficient d’une prévention anti-thrombotique par une petite dose d’aspirine.

La figure 3 propose un algorithme pour l’usage prolongé d’AINS en considérant le risque individuel tant cardio-vasculaire que digestif (5).

1. Pour les patients à risque faible tant digestif que cardio-vasculaire, tout AINS-ns peut être considéré comme acceptable.

2. Pour les patients à faible risque digestif et risque cardio-vasculaire élevé, le Naproxène semble devoir être préféré compte tenu de son faible risque cardio-vasculaire par comparaison aux autres AINS-ns et aux COXIBS. Considérant les évidences actuelles, une petite dose de Célécoxib (200 mg) est également une option acceptable. Cependant, chez les patients qui doivent être traités par une petite dose d’aspirine, le Naproxène pourrait interférer avec l’activité anti-agrégante de cet antiplaquettaire. Cette interaction est d’autant plus évidente lorsque que l’AINS-ns est administré avant la prise d’aspirine. Les inhibiteurs sélectifs de Cox-2 en tant que classe semblent devoir dès lors être recommandés comme agent anti-inflammatoire. II s’agit d’ailleurs d’une recommandation faite par la Société Cardio-Vasculaire Canadienne (11). Une petite dose de Célécoxib est l’agent préféré compte tenu de son meilleur profil tant cardio-vasculaire que digestif.

3. Chez les patients présentant un risque élevé d’hémorragie digestive, un dépistage et une éradication de l’Hélicobacter Pylori doivent être envisagés mais cela demeurera insuffisant sans protection gastrique. Parmi ces patients, si le risque cardio-vasculaire est faible, un COXIB ou un AINS-ns associé à un IPP semble apporter la même protection pour le tube digestif supérieur. Cependant, sur base des dernières évidences, le Célécoxib seul réduira les lésions muqueuses tout le long du tube digestif (inférieur et supérieur). Cet agent devra être associé à un IPP chez les patients à risque élevé d’hémorragie digestive haute.

4. Lorsque les patients cumulent un risque élevé d’hémorragie digestive et d’accident cardio-vasculaire, la stratégie optimale est d’éviter si possible tout traitement par AINS. Si un tel traitement est considéré comme étant nécessaire voire indispensable, l’approche thérapeutique dépendra des co-médications. Si le patient est traité par un antiplaquettaire, soit le Naproxène soit une petite dose de Célécoxib peut être envisagée mais doit être associée à un inhibiteur de la pompe à protons. Cette dernière approche thérapeutique semble être la plus appropriée chez les patients bénéficiant de petites doses d’aspirine.

L’algorithme proposé ci-dessus doit être appliqué individuellement en tenant compte de la présence d’éventuelles co-morbidités et de la prise d’autres traitements. Le choix du traitement doit évidemment également prendre en compte le coût du traitement par AINS, la prise concomitante d’aspirine ou d’un IPP, et les coûts pour le système de santé des accidents hémorragiques ou cardio-vasculaires liés à la prise d’AINS.

CONCLUSIONS

Les données résumées dans cet article principalement issues des deux études récentes PRECISION et CONCERN, réévaluent la sécurité des COXIBS et du Célécoxib en particulier. Le Célécoxib peut être prescrit en toute sécurité à un grand nombre de patients et s’avère certainement équivalent sinon parfois supérieur au Naproxène. Sa bonne tolérance digestive à la fois au niveau du tube digestif supérieur et inférieur, l’absence d’association à un risque accru d’accidents cardiovasculaires, la possibilité de l’associer sans risque à une petite dose d’aspirine, constituent autant d’atouts par rapports aux AINS-ns. S’y ajoute un prix compétitif tel que celui proposé par la Société Apotex (Celecoxib Apotex 100 co à 200 mg à 23,38 euros, soit 0,23 euro/jour).

Correspondance

Pr. Cedric HERMANS, MD, FRCP (Lon, Edin), PhD

Cliniques universitaires Saint-Luc

Service d’Hématologie

Avenue Hippocrate 10

B-1200 Bruxelles

Références

1 Burnier M. The safety of rofecoxib. Expert Opin Drug Saf 2005;4:491-499.

2 Ritter JM, Harding I, Warren JB. Precaution, cyclooxygenase inhibition, and cardiovascular risk. Trends Pharmacol Sci 2009;30:503-508.

3 Antman EM, Bennett JS, Daugherty A, Furberg C, Roberts H, Taubert KA. Use of nonsteroidal antiinflammatory drugs: an update for clinicians: a scientific statement from the American Heart Association. Circulation 2007;115:1634-1642.

4 Sostres C, Gargallo CJ, Lanas A. Nonsteroidal anti-inflammatory drugs and upper and lower gastrointestinal mucosal damage. Arthritis Res Ther 2013;15 Suppl 3:S3.

5 Scarpignato C, Lanas A, Blandizzi C, Lems WF, Hermann M, Hunt RH. Safe prescribing of non-steroidal anti-inflammatory drugs in patients with osteoarthritis--an expert consensus addressing benefits as well as gastrointestinal and cardiovascular risks. BMC Med 2015;13:55.

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