V. Gilliaux,1 A. Hanson,1 I. Dagneaux,² Q. Gilliaux,1 S. Haeck,1 J. Hammer,1 A. Hanot,1 M. Holderbeke1
Monsieur C., âgé de 54 ans, est atteint du syndrome de Down et vit en maison de repos et de soins. La communication avec lui est assez réduite. Depuis quelques jours, il présente un encombrement bronchique important ainsi qu’une nette dégradation de l’état général avec apathie. Il a, par ailleurs, présenté récemment un épisode de rectorragies. Il arrive aux urgences, seul, envoyé par son médecin traitant, pour suspicion clinique d’une pneumonie basale gauche et pour bilan d’altération de l’état général. Sur base de l’examen clinique et des examens complémentaires, on conclut à une pneumonie sans germe identifié avec insuffisance respiratoire aiguë. Il présente, par ailleurs, un globe urinaire récidivant justifiant la mise en place d’une sonde à demeure.
Monsieur C. n’a pour famille qu’une soeur résidant en France. Ne pouvant s’occuper de son frère, elle a demandé sa mise sous tutelle ; un avocat a signé une autorisation d’examen et/ou traitement chirurgical et médical il y a un an (réalisée pour une hospitalisation précédente). L’autorisation consiste à « permettre au médecin qui traite Monsieur C. d’appliquer sur ce dernier les actes médicaux et chirurgicaux nécessaires à l’établissement de son diagnostic et/ou de son traitement ».
La communication limitée rend la prise en charge compliquée. Le médecin n’arrive pas à faire comprendre à Monsieur C. les bénéfices et les risques des différents examens et traitements proposés. Le patient ne peut donc pas faire de choix consenti, libre et éclairé.
Durant cette hospitalisation, s’est posée la question d’une colonoscopie dans le but de diagnostiquer un éventuel cancer colique, évoqué à partir des épisodes de douleurs abdominales et de rectorragies. Ce type de décision est habituellement pris en tenant compte de l’âge du patient, or, la trisomie 21 s’associe à une diminution de l’espérance de vie (moyenne : 60 ans) : doit-on considérer ce patient comme étant en fin de vie et adopter une attitude diagnostique et thérapeutique similaire à celle adoptée pour un patient sans handicap de 85 ans avec le même tableau clinique ?
Comment faciliter la communication avec un patient atteint d’un déficit cognitif, comme dans le cadre d’une trisomie 21 ? Comment l’impliquer au maximum dans les décisions qui le concernent ?
Quel est le rôle du médecin vis à vis d’un patient sous tutelle ? Quelle place a encore la famille ?
Dans quelle mesure le handicap du patient, et l’espérance de vie conséquente, doit-il être pris en compte dans la prise en charge médicale ?
L’étude de Parikh et Goyel (1) montre qu’il y a une hétérogénéité au sein de la population trisomique en termes de Quotient Intellectuel (QI) : ce dernier peut se situer au-delà de 70, qui est le seuil de « normalité », ou dans la majorité des cas en dessous de 50, ce qui équivaut à un retard mental significatif (Figure 1). Notons que la trisomie 21 est la première cause de retard mental dans la population générale.
D’autre part, on observe souvent dans cette population vers l’âge de 40 ans un déclin des fonctions cognitives et chez certains une démence d’Alzheimer. La prévalence de celle-ci augmente avec l’âge et est de 50 à 70% à l’âge de 60 ans (2) alors que dans une population non trisomique, elle apparait beaucoup plus tard (environ 1% à l’âge de 60 ans et 20% à l’âge de 85 ans (3)).
Dans notre situation, nous comprenons que le patient ait été placé sous tutelle (cf. le paragraphe « approche juridique »), comme la plupart des patients trisomiques. Son retard mental et la probable diminution de ses fonctions cognitives entrainent une réduction importante de sa capacité de décision.
Une étude américaine (4) répertorie les causes de mortalité dans une population atteinte du syndrome de Down (Figure 2). Les premières causes dans la tranche d’âge comprise entre 50 et 59 ans sont la pneumonie et les autres infections respiratoires. Par contre, il y a environ 25 fois moins de morts par cancer chez les trisomiques par rapport à la population générale du même âge. En particulier, on observe un ratio très faible de mortalité par cancer du côlon par rapport à la population générale. Les néoplasies les plus fréquemment rencontrées après les leucémies chez les patients trisomiques sont les cancers testiculaires, hépatiques et gastriques. (5)
Enfin, la courbe de survie des patients atteints de trisomie 21 a été étudiée par Glasson et al. (6). L’espérance de vie moyenne à la naissance est légèrement inférieure à 60 ans. La courbe de survie commence à chuter vers l’âge de 50-55 ans, l’espérance de vie résiduelle moyenne devenant alors inférieure à 15 ans.
L’espérance de vie résiduelle de notre patient âgé de 54 ans est donc estimée à 10 ans : nous le considèrerons comme un patient âgé de plus de 75 ans, par analogie à la population générale. Etant donné cette estimation, la néoplasie colique si elle est présente, ne sera probablement pas la cause de sa mort.
À propos de la colonoscopie, il importe de distinguer les situations de dépistage et de diagnostic. Dans notre situation, le patient est symptomatique, nous sommes donc dans une démarche diagnostique. Les recommandations de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG) (7) concernent la colonoscopie de dépistage uniquement, injustifiée chez un patient âgé de plus de 75 ans, dans la population générale. Elles ne peuvent donc être appliquées à notre patient.
En l’absence de recommandations claires quant à la mise au point diagnostique d’une suspicion de cancer colorectal chez un patient âgé de plus de 75 ans, la rencontre du Pr. B. Boland* (gériatre aux Cliniques universitaires Saint-Luc, Belgique) nous aide à prendre une décision : l’état général de notre patient et la récurrence des symptômes sont ici des éléments déterminants quant au bénéfice d’une colonoscopie. Sachant que la pneumonie est une des causes majeures de mortalité chez ce type de patient, une prise en charge optimale à ce niveau est prioritaire avant toute autre mise au point. Ensuite, si son état général le permet, une mise au point sera effectuée selon la récurrence ou non des symptômes suggestifs d’une atteinte colique. En cas d’altération persistante de l’état général, on envisagera les soins palliatifs. Cette séquence peut être résumée sous forme d’un arbre décisionnel (Figure 3).
Notre patient trisomique présente les symptômes évocateurs d’une néoplasie colique. La mise au point de ce diagnostic nécessiterait une colonoscopie, complétée par une biopsie.
Quels éléments peuvent nous aider à prendre une décision dans cette situation ?
Parmi les quatre grands principes de la bioéthique définis par Beauchamps et Childress (8) les concepts de justice et d’autonomie sont interpellants dans la situation analysée.
Dans un souci de justice, il conviendrait d’assurer la même prise en charge pour notre patient trisomique que pour n’importe quel patient. Mais est-ce la meilleure solution ? Quelle est la décision qui présente le plus d’avantages pour Monsieur C. ? Ce patient étant déjà très dépendant, l’intervention diagnostique ne causera-t-elle pas plus de désagréments ? Notre décision, en tant que professionnel de la santé, doit-elle privilégier une prise en charge maximale (dans une optique de bienfaisance) ou une abstention diagnostique et thérapeutique (dans une optique de non malfaisance) ? Son âge étant assez avancé, cela vaut-il la peine d’entamer des traitements invasifs ? Cela a-t-il du sens ?
L’espérance de vie des patients trisomiques ne cesse d’augmenter, conduisant à l’émergence de nouvelles comorbidités telles que les cancers et les maladies chroniques. Ces nouvelles problématiques amènent avec elles de nouveaux questionnements éthiques qui mériteraient un approfondissement. Beaucoup de médecins admettent en effet réaliser moins de dépistage chez leurs patients handicapés mentaux (9), ce qui retarde le diagnostic déjà rendu compliqué par le manque d’expression des symptômes chez ces patients. Doit-on, dès lors, inclure ces patients dans les protocoles habituels de dépistage afin d’éviter cette disparité ?
Notre patient présente un retard mental et ne peut prendre une décision en toute connaissance de cause. Comment peut-on dès lors assurer le respect de son autonomie ? La mise sous tutelle ne règle pas vraiment cette question et elle en soulève une autre: peut-on être sûr que le responsable légal agisse vraiment pour le bien du patient ? De plus, le patient peut être exclu des décisions si un tiers les prend pour lui. Dans notre situation, ne s’agirait-il pas d’élargir ce concept d’autonomie ? De ne plus seulement parler de consentement éclairé mais de faire en sorte que le patient ait une place la plus active possible dans sa prise en charge : demander l’assistance de psychologues et/ou d’éducateurs pour faciliter la compréhension, assurer la présence d’une personne de confiance, utiliser des pictogrammes, des vidéos (10) ? Nous touchons là à une question éthique essentielle qui mérite que l’on s’y arrête : l’autonomie telle que la définissent Beauchamp et Childress n’est-elle pas à remettre en question face à un patient tel que Mr C? Prendre soin d’une personne présentant un déficit intellectuel, de surcroît en fin de vie, implique de s’interroger sur la place que nous lui accordons dans la décision et/ou la discussion, en tenant compte de sa vulnérabilité. Plusieurs auteurs se sont intéressés au problème éthique du respect de l’autonomie chez les personnes handicapées mentales, et ont enrichi notre réflexion éthique à propos de la situation de Mr C1.
Comment considérer une personne trisomique adulte comme autonome ?
En quelques décennies, la personne handicapée mentale est passée du statut d’ « objet » à celui de sujet dont les droits fondamentaux doivent être reconnus (11). La considération sociétale de la personne handicapée mentale a évolué parallèlement à la remise en question de la conception de normalité en termes d’intellect et de comportement humain. Il n’y a pas de normalité absolue, car cette dernière correspond à des exigences sociétales particulières, liées à des temps et des lieux particuliers.
À cette absence de frontière nette entre personnes handicapées mentales et personnes dites « normales », s’ajoute l’hétérogénéité de la population dite « handicapée ». Même au sein de la population atteinte du syndrome de Down, force est de constater que la sévérité du handicap mental varie fortement d’un individu à l’autre. Certains semblent même proches de l’indépendance dans la vie quotidienne (nous pensons à l’acteur belge Pascal Duquenne).
Ainsi persiste en nos sociétés un malaise bien présent quant au caractère indéfinissable du concept de « personne handicapée mentale ». L’autonomie d’une personne trisomique devrait dès lors être considérée au cas par cas. On peut lui donner la parole, la rendre sujet, responsable à sa mesure.
Assimiler les personnes trisomiques adultes à des enfants est une attitude couramment observée. Peu de chercheurs leur donnent la parole. Peu d’intervenants leur donnent un statut de sujet adulte, écouté et reconnu. Pourtant, prêter une oreille attentive aux dires de la personne handicapée mentale, voilà bien une attitude des plus humaines, qui lui confère déjà une certaine autonomie. Simone Korff-Sausse (12) défend le postulat selon lequel « tout sujet humain, aussi démuni soit-il, porte une responsabilité éthique ontologique » (p.84). En effet, d’après elle, la personne handicapée mentale est responsable, de par son existence même (ontologiquement), d’une responsabilité anthropologique : par le choc émotionnel que suscite sa vulnérabilité, sa faiblesse, la faille qu’elle constitue à l’égard de l’intégrité humaine, elle est, bien malgré elle, au centre de questionnements éthiques. Simone Korff-Sausse affirme qu’en donnant la parole au sujet handicapé, on lui permet d’accéder au statut de sujet pensant, car on lui permet d’accéder (potentiellement2) à la connaissance. Le désir de la connaissance régit notre appareil psychique tout autant que le principe de plaisir-déplaisir selon Bion3 : il se trouve ainsi humanisé. Dénier à la personne handicapée mentale tout point de vue éthique, sans la laisser prendre part à la discussion4, c’est la réduire au rang d’ignorant bienheureux, c’est lui refuser sans appel le statut d’humain.
Pour beaucoup, la difficulté de communication avec la personne handicapée mentale, illustrée par notre situation, est un obstacle à la considération de cette personne comme autonome. La pauvreté de la communication verbale, et des indices non-verbaux habituellement inscrits dans une interaction complexifient la relation soignant-soigné (13). Le soignant se trouve parfois face à des signes atypiques, qui lui échappent (13). Ceci limite sa capacité à créer une relation de confiance avec son patient et l’amène à se poser la question de la conscience de soi chez son patient, de sa conscience d’autrui et du monde. D’où l’incertitude quant à son degré d’autonomie.
Selon C. Pelluchon (14), le respect de l’autonomie et de la dignité humaine ne peut être conditionné aux seules capacités intellectuelles de l’individu (mémoire, raisonnement, langage). Car cela reviendrait à « appréhender l’autre par ce qui lui manque » (p.168), ce qui empêche de concevoir l’ « identité du malade au présent » (p.168), de voir ce qu’il exprime aujourd’hui, ici et maintenant, avec ses propres moyens de communication. D’ailleurs, comme le souligne C. Pelluchon, l’autonomie n’a pas toujours été définie par la « capacité à effectuer des choix rationnels ». Aujourd’hui, elle a perdu la dimension universelle que lui avait attribuée Kant5, elle est devenue « l’indépendance et l’obéissance à ses désirs dans ce qu’ils ont de plus particulier » (p.170). Cette vision de l’autonomie renforce chez l’individu l’illusion de la maîtrise, et rend d’autant plus insupportable ce qui est imprévisible, incontrôlable, tel que la maladie, le vieillissement, ou encore le handicap.
C. Pelluchon propose de sortir de l’éthique de l’autonomie pour s’ouvrir à une « éthique de la vulnérabilité ». L’enjeu serait, selon elle, de promouvoir un autre humanisme, où la dignité ne s’acquiert pas mais est donnée, ou rendue par l’autre. C. Pelluchon explique que la rencontre avec l’autre, faible et vulnérable, requiert l’acceptation de sa propre vulnérabilité, de son impuissance, le renoncement à la dictature du soi autonome et tout-puissant. Il s’agit de témoigner de l’humanité de l’autre dans un sentiment de responsabilité vis-à-vis d’une personne dépendante, et d’éviter d’être dominé par la peur et le refus de passivité que pourrait nous inspirer un être dont l’anormalité blesse notre idée de l’intégrité humaine.
Plus concrètement, comment faciliter la communication entre le soignant et son patient trisomique, dans une volonté de le rendre plus autonome ? Deux pistes principales sont à envisager.
Faute de pouvoir user des techniques de communication habituelles telles que la parole, ou le langage non-verbal conventionnel, une première piste consiste à s’adapter en tant que soignant à « l’être-au-monde énigmatique » (13, p.14) du patient. D’après P. de Bontridder, cet outil de palliation corporelle débute par l’observation du malade, dans le but d’identifier ses réactions corporelles, ses désignations gestuelles, mimiques, oralisations, vocalisations, etc. « Ce mode de communication est très riche, permet une expression émotionnelle facile et directe, et procède de la communication non-verbale naturelle et spontanée du jeune enfant », affirme l’auteur (p.17). Evidemment, cette démarche, au-delà d’exiger une certaine tolérance à l’inconnu et l’abandon de l’illusion de la maîtrise dont nous parlions plus haut, nécessite temps et stabilité spatio-temporelle, ce qui est rarement acquis en milieu hospitalier.
La seconde piste est moins ardue : il s’agit de consulter les équipes éducatives qui s’occupent quotidiennement du patient, et qui sont détentrices de la compétence et de l’habitude professionnelle à décrypter la valeur intentionnelle des manifestations communicatives du patient. Il arrive qu’il y ait une « personne de référence » qui puisse remplir ce rôle d’ « interprète » du patient.
Notre situation clinique pose question quant au respect des droits du patient et aux recommandations légales en matière de responsabilité. Qui est responsable légalement de ce patient, et qui est autorisé à prendre les décisions d’ordre médical à sa place ? La loi relative aux droits du patient est-elle adaptée aux personnes atteintes de la trisomie 21 ?
Pour éclairer notre réflexion, nous avons rencontré le Professeur Marc Van Overstraeten*, juriste à l’UCL. Nous ne disposons malheureusement pas des données relatives au statut juridique exact de Mr C, nous envisageons donc plusieurs possibilités parmi les systèmes de protection des personnes incapables prévus par la loi (avant le 1er septembre 2014, où est intervenu un changement de loi – cf. infra). La première hypothèse est celle du régime de l’interdiction, dans lequel la personne est placée sous tutelle pour “état d’imbécillité ou de démence”. Ce régime prive la personne de toute capacité d’action (16, p.5). La seconde hypothèse correspond au régime de la minorité prolongée, statut de protection juridique des personnes atteintes d’affections congénitales les rendant incapables. Dans ces deux types de régime, un tuteur est désigné par le juge de paix. La troisième hypothèse est celle de l’administration provisoire des biens, où un administrateur est désigné pour gérer le patrimoine de la personne incapable. Si l’avocat est effectivement le tuteur de Mr C (première ou deuxième hypothèse), c’est à lui que revient le droit d’exercer ses droits au niveau médical, d’après l’article 13 (chapitre 4) de la loi du 22 août 2002 (17). Si par contre l’avocat est l’administrateur des biens de Mr C, il n’est pas en droit de prendre des décisions d’ordre médical pour ce dernier.
La loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient est applicable pour Mr C, s’il est inscrit dans un régime juridique de protection de la personne incapable. Quelle que soit la personne responsable légalement de ce patient, elle est tenue d’exercer les droits du patient à sa place, et donc son droit à l’information et au consentement libre et éclairé. L’autorisation signée par l’avocat, donnant les pleins pouvoirs au médecin est illégale, quand bien même l’avocat serait le tuteur de Mr C. En effet, on peut qualifier ce document de « consentement non éclairé », car l’avocat n’avait, au moment où il l’a écrit, pas connaissance des informations médicales relatives à l’état de santé de notre patient, et des actes spécifiques pour lesquels son consentement libre et éclairé en tant que tuteur éventuel aurait été requis. Ce document ne peut être accepté par un médecin.
Dans le cadre de la loi entrée en vigueur le 1er septembre 2014, un patient tel que celui dont nous avons évoqué la situation devrait bénéficier d’une protection judiciaire, où « le juge de paix met en place un accompagnement individualisé de la personne protégée. Il désigne à cet effet un administrateur pour assister ou représenter cette personne » (16, p.6). Il s’agira de déterminer quels actes peut poser la personne, de lui assurer assistance ou représentation pour les actes qu’elle ne peut réaliser. En effet, « le juge de paix doit déterminer explicitement pour quels actes importants la personne protégée est incapable » (16, p.18) ; cette dernière « conserve toute sa capacité dans les matières pour lesquelles le juge n’a rien précisé » (16, p.18). Il est à noter que dans notre situation, les trois régimes évoqués (administration provisoire, minorité prolongée et interdiction) restent d’application puisque le statut de Mr C a été instauré avant l’apparition de la nouvelle loi. Néanmoins, une adaptation du régime pourrait être appliquée en accord avec cette dernière (16, p.30).
L’histoire de Mr C, patient trisomique, met en lumière les questions éthiques qui surgissent lorsqu’il s’agit de prendre en charge une personne vulnérable.
L’approche juridique nous a éclairés quant aux moyens de le protéger et de lui permettre d’exercer ses droits, avec l’aide de son représentant légal. L’approche scientifique nous a appris dans quelle mesure le handicap de notre patient avait un impact dans sa prise en charge : le fait de savoir que l’espérance de vie résiduelle d’un patient trisomique âgé de 54 ans est d’environ 10 ans permet d’assimiler notre patient à une personne non handicapée âgée de plus de 75 ans, ce qui oriente notre raisonnement clinique, nos démarches diagnostiques et thérapeutiques. L’approche éthique nous a enjoints à élargir le principe d’autonomie chez la personne vulnérable : faire l’effort d’écouter cette personne en s’adaptant à son mode de communication permet de lui reconnaître une certaine autonomie, celle d’un sujet, basée davantage sur son humanité que sur sa capacité à faire des choix.
Ainsi éclairés par ces différentes approches et notre réflexion en groupe, nous avons imaginé un scénario possible pour une prise en charge éthiquement acceptable de Mr C. Ce scénario est résumé dans un arbre décisionnel (Figure 3).
Face à ce patient trisomique âgé, admis aux urgences pour une pneumonie avec altération de l’état général et présentant des rectorragies légères (les hémorroïdes ayant été exclu par l’examen proctologique), nous proposons d’attendre quelques jours afin de confirmer la chronicité de ces rectorragies, et de permettre au patient de guérir de sa pneumonie avant toute autre mise au point. Comme nous l’a dit le Pr. B. Boland* lors de notre rencontre, « se donner le temps de réfléchir, c’est une bonne réponse en éthique ».
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1 Etudiants en médecine, Université catholique de Louvain
2 Médecin généraliste et doctorante en Philosophie, animatrice d’un séminaire de formation à l’éthique en Faculté de médecine, Université catholique de Louvain
* Les personnes interrogées l'ont été dans le cadre strict d'un avis personnel relatif à cette situation spécifique