La prise en charge du pied diabétique : de la nécessité d'une équipe pluridisciplinaire

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Laura Orioli, Bernard Vandeleene Publié dans la revue de : Mars 2017 Rubrique(s) : Diabétologie
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Résumé de l'article :

L'ulcère du pied complique l'évolution du diabète dans 20% des cas. La neuropathie en est la cause première tandis que l'infection et l'artérite influencent profondément la prise en charge et le pronostic. Son évaluation doit être systématique à l'aide de la classification PEDIS. L’évaluation et la prise en charge de l'ulcère du pied nécessitent une équipe médicale mais également paramédicale pluridisciplinaire et inter-métiers. Un dialogue entre les lignes de soins et le respect de leurs rôles respectifs est également crucial. Ainsi, l'infection profonde et étendue, le pied de Charcot et l'artérite sévère requièrent une prise en charge dans un centre de référence.

Mots-clés

Diabète, pied diabétique, ulcère, ostéomyélite, pied de Charcot

Article complet :

INTRODUCTION : LES CHIFFRES-CLÉS

Selon l'OMS, le nombre de personnes diabétiques au niveau mondial est passé de 108 à 422 millions au cours des 30 dernières années (1). En Belgique, ce nombre est passé d'environ 300.000 à plus de 500.000 individus entre 2001 et 2011 (2). Les projections pour 2030 sont de plus d’un million (3).
Si les décès directement liés au diabète sont rares (2), ses complications micro- et macro-vasculaires constituent une cause majeure de morbi-mortalité. Parmi celles-ci, la neuropathie et l'artérite des membres inférieurs sont deux éléments cardinaux du pied diabétique ; leur prévalence respective est estimée à 40% dans la population diabétique et 50% en cas d’ulcère (4).
Celui-ci complique l’évolution d’un diabète dans 20% des cas (4). Il est à l’origine de 70% des amputations du membre inférieur. L'infection et l'artérite influencent profondément sa prise en charge ainsi que son pronostic.
Aux Cliniques universitaires Saint-Luc (CUSL), l'activité "pied diabétique" représente environ 250 séjours et plus de 1000 consultations par an. Il s'agit d'une activité en croissance notamment par l'augmentation du nombre de patients à risque mais également en raison des domaines d'expertise développés récemment.
Enfin, il est utile de rappeler que la majorité des problèmes de pied peuvent être prévenus par un dépistage et des soins adéquats qui impliquent le patient, son entourage et les soignants.

UNE PHYSIOPATHOLOGIE COMPLEXE

La neuropathie est la cause première de l'ulcère du pied (4). L'atteinte sensitive altère le tact, la proprioception et la pallesthésie ainsi que la perception nociceptive et thermique. Le pied perd sa sensation de protection ce qui l'expose soit à des micro-traumatismes répétés (ex. lésions de friction liées au chaussage inadapté), soit à des traumatismes plus sévères passant inaperçus en raison de leur caractère indolore.
L'atteinte motrice modifie la forme et la biomécanique du pied par une atrophie de ses muscles intrinsèques. Les orteils se déforment (en griffe ou en marteau) et les têtes métatarsiennes se subluxent créant des points d'hyperpression pathologiques.
Enfin, l'atteinte autonome diminue la sécrétion sudoripare; la peau est asséchée et à risque de fissures et de crevasses.
Ces mécanismes, parfois associés à une moindre mobilité articulaire (cheiroarthropathie diabétique), concourent à l'apparition de zones d'hyperkératose (cals) et de maux perforants plantaires.
L'angiopathie est également une composante cardinale de la physiopathologie, en particulier lorsqu'elle se complique d'ischémie. Elle est à la fois macro- (artérite des membres inférieurs) et micro-vasculaire.
Les artères de petit calibre (artères digitales) sont inaccessibles aux procédures endovasculaires et chirurgicales. En cas d'infection, elles peuvent s'occlure en raison d'une thrombose septique ou d'une hyperpression locale liée à un abcès.
L'ouverture de shunts artério-veineux secondaire à la neuropathie autonome participe également à l'ischémie du pied ; de manière trompeuse, le pied reste chaud et normocoloré.
Contrairement à la neuropathie, l'ischémie est moins souvent une cause primaire d'ulcère qu'un facteur aggravant et d'entretien d'un ulcère qui ne cicatrise pas. Enfin, toute rupture de la barrière cutanée expose au risque de surinfection. L'infection du pied diabétique, même profonde, peut être pauci-symptomatique en raison de la neuropathie et de l’angiopathie. Elle constitue toutefois une urgence diagnostique et thérapeutique.

PIED À RISQUE : MIEUX VAUT PRÉVENIR QUE GUÉRIR

Tout patient diabétique n'aura pas de problème de pied. Il doit par contre savoir s’il a des pieds à risque. La durée d'évolution ainsi que le déséquilibre glycémique chronique augmentent la probabilité de présenter un pied à risque et ce, peu importe le type de diabète et l'âge du patient. Toutefois, tout patient présentant un diabète de type 2 peut raisonnablement être considéré "à risque"; la durée d'évolution de ce dernier étant souvent difficile à établir.

Le pied à risque est d'abord et avant tout un pied neuropathique dont les mécanismes de défense sont absents. La neuropathie étant le plus souvent asymptomatique, elle doit être recherchée activement par l'anamnèse et l'examen au monofilament. D'autres facteurs de risque d’ulcère doivent être recherchés comme les déformations, l'artérite, le pied de Charcot ainsi que les antécédents d'ulcère et/ou d'amputation.

Le dépistage et l’examen régulier du pied à risque sont essentiels. Ils impliquent le patient, son entourage et les soignants.

En l’absence de facteur de risque, un examen annuel en consultation de médecine générale ou de diabétologie est indiqué.

L'éducation du patient et/ou de son entourage familial ou de soins est également important. L'examen des pieds doit être journalier, les soins de podologie réguliers. Les comportements à risque (marcher pied nus, chaussures inadéquates) sont à éviter.

LA CLASSIFICATION PEDIS : UN OUTIL D'ÉVALUATION SYSTÉMATIQUE

Il existe plusieurs classifications des ulcères du pied. Celles-ci ont pour but d’améliorer l’évaluation diagnostique et d'orienter précisément la prise en charge. Elles facilitent également la communication entre soignants.

Nous recommandons l'utilisation de la classification PEDIS, élaborée par l’IWGDF (International Working Group on the Diabetic Foot) et publiée en 2003 (4).

Elle est par ailleurs utilisée depuis 2006 dans le programme d’enregistrement IPQED (Initiative pour la Promotion de la Qualité et de l’Epidémiologie du Diabète sucré).

Cette classification repose sur 5 paramètres importants dans l’apparition et le traitement d’un ulcère du pied diabétique : la vascularisation (P - Perfusion), l'étendue (E - Extent), la profondeur (D - Depth), l'infection (I- Infection) et la sensibilité (S- Sensation).

P pour Perfusion

L'artérite des membres inférieurs est plus fréquente, plus précoce et d'évolution plus rapide chez le patient diabétique. Elle est classiquement multi-segmentaire et distale, caractéristiques qui associées à une médiacalcinose parfois sévères, peuvent limiter les gestes de revascularisation endovasculaire ou chirurgicale. L’ischémie entrave la cicatrisation d'un ulcère mais également d'une amputation. L'évaluation et la prise en charge des lésions artéritiques est donc cruciale avant tout geste chirurgical hors situation d'urgence.

La présence d’un pouls pédieux et tibial postérieur signe l’absence d’artérite significative (P1 selon PEDIS). En revanche, la gangrène est la manifestation d’une ischémie critique (P3 selon PEDIS). Lorsque les pouls ne sont pas palpés ou difficilement palpables (œdème), le doppler artériel reste l’examen de débrouillage. Son résultat et le bilan ultérieur éventuel doivent être discutés avec le radiologue du secteur vasculaire. L’imagerie de l’artérite des membres inférieurs est discutée par F. Hammer.

D comme Depth

La profondeur de l’ulcère doit être systématiquement évaluée par la clinique et la radiologie. Elle est distincte de l’infection. La mise à nu du derme (D1), de structures profondes (D2) ou de l'os (D3) définissent les degrés de sévérité. La recherche d’un contact osseux à l’aide d’un stylet (« probe to bone ») est un élément important ; il pose de fait le diagnostic d’ostéite.

Les règles de prescription des examens de radiologie sont discutées par B. Vande Berg.

I comme infection

En présence d'un ulcère, les signes classiques d'infection doivent être recherchés parmi lesquels la rougeur, le gonflement et l'oedème (I2-I3). Une plaie qui change d'aspect, d'odeur ou qui "coule" est suspecte de surinfection.

Ces symptômes peuvent être masqués par l'ischémie ainsi que la neuropathie.

Le caractère indolore d’un ulcère n’est jamais rassurant. L'infection du pied diabétique peut se manifester indirectement par le déséquilibre brutal du diabète. Elle peut également s'accompagner de signes systémiques (I4).

La réalisation d'un prélèvement profond et de bonne qualité est indispensable pour orienter le traitement antibiotique. Un ulcère et/ou une ostéite en l'absence de signes inflammatoires (I1) ne demandent pas d'emblée l'instauration d'une antibiothérapie. Ces aspects particuliers sont développés par J.C Yombi.

Les infections du pied diabétique sont souvent polymicrobiennes, en particulier en cas de plaie chronique et d’infection profonde. Le dialogue entre microbiologiste et clinicien est nécessaire à l’identification des germes pathogènes. Ces aspects sont développés par H. Rodriguez-Villalobos.

TRAITEMENTS

Les aspects thérapeutiques médicaux et chirurgicaux du pied diabétique sont développés par J.C. Yombi et D. Putineanu, respectivement.

LE PIED DE CHARCOT : UN DIAGNOSTIC MÉCONNU ?

Le pied de Charcot est une arthropathie évolutive et destructrice du pied secondaire à la neuropathie. Contrairement à cette dernière, le pied de Charcot est rare (<1% de la population diabétique); il est cependant probablement sous-diagnostiqué.
Les facteurs déclenchants ainsi que sa physiopathologie restent mal établis.
La classification de Sanders est une classification basée sur la ou les articulations atteintes. Le plus souvent, il s'agit d'une atteinte du médio ou de l’avant-pied. Les anomalies radiographiques classiques sont les (sub)luxations, la fragmentation et la dislocation ostéo-articulaires.

Le pied de Charcot dans sa phase aiguë est inflammatoire (rouge, gonflé et parfois douloureux malgré la neuropathie). Le diagnostic différentiel se pose avec la cellulite, l’arthrite septique, la crise de goutte ou la thrombose veineuse profonde. Un diagnostic rapide est crucial puisque seule la mise en décharge complète du pied permet d'éviter l'apparition de déformations irréversibles et sévères.

Le pied de Charcot peut également se présenter comme une fracture atypique (ex. enfoncement du pilon tibial). Son diagnostic est basé sur la clinique, les radiographies standards en charge et l'imagerie par résonnance magnétique. Ces aspects sont discutés par B. Vande Berg.

Le pied de Charcot chronique présente des déformations plus ou moins sévères qui l'exposent au risque d'ulcère. La prévention des troubles trophiques par le port de chaussures orthopédiques s'avère indispensable.
Le traitement chirurgical est indiqué en cas d’ulcère persistant malgré une décharge et des soins locaux adaptés, en cas de complication septique ou d'instabilité. Ces aspects sont également développés par D. Putineanu.

DE LA NÉCESSITÉ D'UNE ÉQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE

Les mécanismes d'apparition ainsi que les conséquences de l'ulcère du pied sont complexes, multiples et parfois sévères. L’ensemble des aspects diagnostiques et thérapeutiques ne peuvent être assurés par une seule spécialité.

En conséquence, une équipe médicale et paramédicale multidisciplinaire et inter-métiers s'avère nécessaire afin de minimiser les conséquences de l'ulcère, voire d'en assurer la guérison. Elle assume également un rôle de prévention.

Pour la prise en charge initiale et la bonne orientation du patient, sont concernés les médecins généralistes, les diabétologues, les urgentistes et plus largement, tout médecin consulté en premier lieu pour un problème de pied chez un patient diabétique.

Pour le diagnostic, ces médecins ont recours aux radiologues des secteurs osseux et vasculaires, aux microbiologistes ainsi qu'aux infectiologues.

Pour les aspects thérapeutiques, interviennent les chirurgiens vasculaires, les radiologues interventionnels, les chirurgiens orthopédistes, les infectiologues et les médecins de médecine physique et revalidation.

Les aspects péri-opératoires ainsi que la gestion de l'antalgie sont du ressors des équipes d'anesthésiologie tandis que les complications aiguës demandent l'interventions des réanimateurs.

Cette équipe intègre également les infirmières d'éducation et de soins hospitaliers ainsi que les différents para-médicaux (podologues, chausseurs orthopédistes, diététiciens, psychologues et assistants sociaux).

DIALOGUE ENTRE LES LIGNES DE SOINS

La prise en charge de l'ulcère du pied nécessite également un dialogue et une collaboration entre les différentes lignes de soins ainsi qu’une clarification de leurs rôles respectifs.

La première ligne

Les intervenants de base sont le médecin généraliste et les équipes de soins à domicile. Dans le cadre de la mise en place des « trajets de soins », ces intervenants peuvent s’appuyer sur l’aide des structures de « réseau médical local ». Les rôles de la première ligne sont le dépistage et la prise en charge de base du diabète, des facteurs de risque associés et des complications secondaires.

Concernant le pied diabétique, la première ligne veille à mettre en place l'éducation du patient et de son entourage. Elle assure également le suivi post-hospitalier.

La seconde ligne

Les intervenants de base au niveau hospitalier sont les diabétologues et les équipes pluridisciplinaires d’éducation du patient dans les centres dits de convention. Ils assurent la prise en charge spécialisée du diabète et ses complications. La seconde ligne est également nécessaire pour assurer la continuité des soins ambulatoires ou hospitaliers.

Quand orienter le patient de la première vers la seconde ligne ?

Les raisons de référer en seconde ligne sont reprises en détail dans le tableau 1. Le médecin généraliste sera attentif à tout ulcère de pied chez un patient diabétique. Il s'agit souvent d'un piège diagnostique, en raison du caractère pauci-symptomatique. Tout ulcère doit être réévalué dans les 48 heures. Une évolution défavorable justifie des examens complémentaires ou un envoi vers la seconde ligne.

Quand orienter le patient de la seconde ligne à un centre de référence ?

Les raisons motivant l'envoi d'un patient vers un centre de référence sont justifiées par les domaines d’expertise développés récemment aux CUSL (tableau 2 et 3).

       

LA PRISE EN CHARGE DU PIED DIABÉTIQUE, EN PRATIQUE AUX CUSL

L'équipe de première ligne est « online 24h / 24h – 365j / 365 » via la centrale de Saint Luc (02/764.11.11) ou le secrétariat du service d'endocrinologie et nutrition (02/764.54.75 ou endocrinologie-saintluc@uclouvain.be).

L'activité s'organise sous la forme d'une consultation pluridisciplinaire du pied diabétique et d’une unité d’hospitalisation médico-chirurgicale.

Affiliations

Service d'endocrinologie et de nutrition - Cliniques universitaires Sant-Luc, 1200 Bruxelles

Correspondance

Dr. Laura Orioli
Service d’endocrinologie et nutrition
Cliniques universitaires Saint-Luc
Avenue Hippocrate 10, 1200 Bruxelles
laura.orioli@uclouvain.be

Références

  1. Rapport mondial sur le diabète - OMS - Avril 2016

  2. Rapport Belgique sur le diabète - OMS - 2016

  3. Rapport sur l'épidémiologie du diabète - Alliance Nationale des Mutualités Chrétiennes - 2012

  4. Van Acker K, Vandeleene B, Vermassen F, Leemrijse T. Prise en charge du pied diabétique dans un centre spécialisé. 2008 - Albe De Coker