QUAND LA RÉSISTANCE FAIT DES RAVAGES

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M. Germanidis, Ph. Machiels, J. Janssens, P. Gohy Publié dans la revue de : Novembre 2015 Rubrique(s) : Médecine Interne Générale
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Résumé de l'article :

Nous rapportons le cas d’un patient rapatrié d’Italie pour prise en charge d’une fracture du col fémoral gauche et surinfection bronchique. Le bilan mettra en évidence un klebsiella pneumoniae multi-résistant présentant une résistance de type carbapénémase KPC. Malheureusement le patient décède rapidement. Les carbapénémases sont des béta-lactamases à large spectre qui se répandent de manière rapide au sein des entérobactéries depuis quelques années. Nous revoyons les différents types de résistance aux carbapénemes et leur mode de transmission.

Article complet :

Introduction

Les carbapénémases représentent une menace de plus en plus importante pour l’écologie bactérienne de nos hôpitaux. Il s’agit d’une famille de « super-enzymes » appartenant à la classe des béta-lactamases. Les béta-lactamases sont des enzymes procurant aux bactéries une résistance aux antibiotiques de type béta-lactames qui ciblent la synthèse de la paroi bactérienne. Leur dispersion au sein des entérobactéries est rapide.

Observation

Patient de 78 ans ayant fait une chute accidentelle dans sa salle de bain en Italie. Hospitalisation sur place, mise en évidence d’une fracture du col fémoral gauche. La famille refuse la prise en charge sur place et demande son transfert dans notre hôpital. Dans l’intervalle le patient développe une surinfection bronchique et aurait été placé sous antibiotiques. À son arrivée en Belgique au jour huit, il est pris en charge dans le service de pneumologie, nous n’avons aucune information sur les traitements reçus en Italie. Dans ses antécédents, nous retenons une bronchopneumopathie chronique obstructive post tabagique de stade 3 selon GOLD, une hypertrophie bénigne de la prostate et une ostéoporose cortico-induite. Un avis orthopédique contre-indique la prise en charge opératoire de la fracture du col fémoral en raison du délai par rapport à la chute et de l’état général du patient.

À son admission, l’anamnèse révèle une anorexie liée à des douleurs buccales, une asthénie importante et un encombrement bronchique majeur sans dyspnée au repos. Pas de pic fébrile objectivé. Le reste de l’anamnèse systématique est sans particularité. La tension artérielle est à 125/70 mmHg, la fréquence cardiaque est à 98 battements par minute, la température est à 36.8°C et la saturation en oxygène est à 94% sous 2 litres d’oxygène aux lunettes simples. L’examen clinique est marqué par la cachexie et l’état de déshydratation sévère ainsi que par des hématomes et des flap cutanés multiples sur une peau cortisonée. L’examen buccal montre une mucite de grade 4 avec des zones de nécrose. L’auscultation cardio-pulmonaire ne montre que des râles bronchiques grossiers bilatéraux. La biologie d’admission montre un syndrome inflammatoire (7 mg/dl de CRP) associé à une neutrophilie sans hyperleucocytose (9700 GB/mm³ dont 8800 neutrophiles), une hypoprotéinémie (protéines totales à 52 g/L et une albuminémie à 32 g/l) ainsi que de nombreuses carences vitaminiques (acide folique, vitamine B12, 25(OH) vitamines D). La radiographie du thorax de face montre une surcharge bronchique mais pas de foyer systématisé. Les premières expectorations montreront un Klebsiella Pneumoniae multi-résistant (antibiogramme – figure 1). Haute suspicion de carbapénémase, la souche est envoyée au laboratoire de référence pour confirmation. Des mesures de précautions d’hygiène (contact plus gouttelettes) sont débutées de même qu’une triple antibiothérapie par tigecycline, amikacine et aérosols de colistine. Une réalimentation progressive par une alimentation parentérale est introduite et la prise en charge par kinésithérapie respiratoire est poursuivie. Le laboratoire de référence confirmera une carbapénémase de type KPC. L’évolution clinique sera légèrement favorable au point de vue respiratoire mais avec la persistance d’une anorexie complète et d’une asthénie importante. Une dégradation clinique subaigue survient trois semaines après son admission avec mise en évidence dans les expectorations d’un Klebsiella Pneumoniae devenu résistant à tous les antibiotiques testés (évolution bactériologique - figure 2). Explication du pronostic sombre à monsieur et sa famille et instauration de soins de confort. Le patient décèdera 48 heures plus tard.

L’évolution péjorative sur le plan pulmonaire nous confortera dans la confirmation qu’il s’agissait bien d’une surinfection pulmonaire à Klebsiella Pneumoniae de type KPC et non une simple colonisation des voies aériennes.

Discussion

Ce cas montre un patient fragile qui décède d’une infection respiratoire à germe multirésistant, la discussion qui suit vous propose une revue des mécanismes de multirésistances et plus particulièrement sur les carbapénémases, leur spécificités et leur pathogénicité (portage, colonisation, infection)

Mécanismes de résistances des bêta-lactamases

Les beta-lactames sont une vaste classe d’antibiotiques qui ciblent la synthèse de la paroi bactérienne. Le premier né de cette famille est la pénicilline et les dérivés les plus récents sont les carbapénèmes (méropénème, imipénème, doripénème).

Définition de béta-lactamase

Enzyme qui clive ou modifie les beta-lactames pour les rendre inactives.

Historique de l’émergence des résistances

Les béta-lactamases évoluent parallèlement au développement de nouvelles molécules.

L’évolution a été marquée par l’augmentation des résistances au niveau de germes rarement atteints (Exemple : Staphylococus Aureus), l’apparition de résistances au sein de germes épargnés jusqu’à lors (Exemple : Haemophilus Influenzae, neisseria gonorrhoeae) ou encore l’apparition de nouvelles enzymes toujours plus virulentes (Exemple : béta-lactamases à spectre étendu, AmpC enzyme médiée par un plasmide et bien sur les carbapénémases).

Les carbapénémases trouvent leur origine dans des bactéries du sol. Cette première enzyme mise en évidence cible l’imipénem.

En pathologie humaine, les carbapénémases sont particulièrement inquiétantes au sein des entérobactéries. En 2007 seules quelques souches étaient isolées en Belgique pour atteindre plus de 50 souches différentes en 2011. Actuellement, plusieurs épidémies importantes sont recensées dans les hôpitaux. Ces épidémies sont surtout rencontrées dans des unités de soins à risque telles que les soins intensifs par exemple, lors de longues antibiothérapies ou encore de longues durées de séjour.

Germes ciblés

Les principaux germes concernés par les carbépénémases sont le Klebsiella Pneumoniae qui est de loin le plus fréquent, l’Enterobacter cloacae, l’Echerischia Coli. D’autres germes sont également ciblés tels que le Morganella Morganii, Providencia Rettgeri, Citrobacter Freundii, Klebsiella Oxytoca, Serratia Marescens.

Mécanismes de résistance

Au fil du temps, les bactéries ont développés toute une batterie de mécanismes de résistance.

Les mécanismes les mieux compris sont l’inactivation de la molécule qui rend l’antibiotique inefficace, la modification de la cible de l’antibiotique qui empêche la reconnaissance entre l’antibiotique et sa cible, la multiplication de la cible qui empêche l’antibiotique de bloquer toutes ses cibles et qui est donc dépassé, l’imperméabilité membranaire qui empêche l’entrée de la molécule via une perte de porine par exemple ou qui expulse l’antibiotique via une pompe à efflux, le by-pass métabolique qui synthétise une enzyme permettant de contourner la voie ciblée par l’antibiotique.

Tous ces mécanismes sont en perpétuelle évolution et sont transmis de bactérie en bactérie par deux grands mécanismes. Le premier est la transmission via un chromosome bactérien de génération en génération et le second mode de transmission est le recours au plasmide. Un plasmide est un segment d’ADN extra chromosomial le plus souvent circulaire capable de se transférer d’une bactérie à l’autre.

Classification des carbapénémases

Elles sont divisées en quatre classes selon leurs caractéristiques et de leur mode de transmission.

Carbapénémases de classe A:

Elles se caractérisent par un résidu sérine et par une transmission plasmidique.

Le représentant de cette classe le plus souvent rencontré est la KPC (klebsiella pneumoniae carbapénémase), elle a été découverte en 1996 aux USA et se retrouve parmi les entérobactéries et le Pseudomonas Aeruginosa entre autre. La distribution géographique actuelle est vaste, on les retrouve surtout aux Etats-Unis et en Israël mais également en Amérique du sud, en France, au Royaume Uni, en Grèce et en Extrême Orient. En Belgique, la KPC est surtout concentrée en province de Liège.

Carbapénémases de classe B:

Elles se caractérisent par une métalloenzyme et par une transmission chromosomique. Elles sont plus rares et retrouvées parmi les bacilles à gram négatifs. Les deux enzymes les plus connues sont la VIM (verona integron-encoded metallo-bêta-lactamase) découverte en Italie en 2001 et l’IMP découverte au Japon en 1993. Elles sont toutes deux retrouvées parmi les entérobactéries, le Pseudomonas Aeruginosa et l’Acinetobacter. En Belgique elles sont rares mais surtout retrouvées en provinces de Liège et du Hainaut.

Carbapénémases de classe C:

Elles se caractérisent par un résidu sérine et une transmission chromosomique le plus souvent mais une forme plasmidique se rencontre parmi les Klebsiella et les Salmonella.

Carbapénémases de classe D:

Elles se caractérisent par un résidu sérine à transmission plasmidique.

Son représentant le plus fréquent est l’OXA qui via la substitution d’un acide aminé est capable d’hydrolyser l’oxacilline mais dont l’activité est assez faible. Les Acinetobacter et le Pseudomonas Aeruginosa ont recourt à ces enzymes. Elle concerne surtout des patients âgés, colonisés, surtout dans les services de gériatrie.

Dépistage

Il s’agit d’identifier les patients à risque de développer ce type d’infection afin de les dépister le plus rapidement possible. Les facteurs de risques principaux sont un séjour aux soins intensifs, une pathologie très sévère, les voies d’accès de type voie centrale, ligne artérielle, sonde vésicale, une gastrostomie, une ventilation assistée, hémodialyse, une chirurgie abdominale dans l’urgence, une colonisation digestive ou encore une antibiothérapie préalable. Les patients transférés d’un pays à risques doivent également être dépistés (bassin méditerranéen, Afrique du nord, moyen orient).

La méthode de dépistage recommandée est le frottis rectal ou le prélèvement de bactériologie en fonction de la suspicion clinique : urines, prélèvement respiratoire, frottis de plaie, hémocultures, cathéters etc.

L’attention doit être attirée par un test de diffusion ayant un diamètre d’inhibition pour le méropénème ou l’imipénème inférieur à vingt-deux millimètres ou une concentration minimale inhibitrice supérieure à deux microgrammes par millilitre pour les carbapénèmes. Dans ces cas l’échantillon doit être envoyé dans un centre de référence pour confirmation par un test phénotypique.

Traitement

Le traitement de ces infections reste à ce jour extrêmement délicat.

Selon le germe impliqué, les recommandations diffèrent.

L’association d’un béta-lactame avec une quinolone ou un aminoglycoside semble être un bon choix dans le cas d’un Pseudomonas Aeruginosa. Les carbapénèmes par voie intraveineuse lente (Perfusion en 3h) en association à une tétracycline  (minocycline, doxycycline, azithromycine). Le recours à la tygécycline ou à une polymyxine telle que la colistine est utile contre les entérobactéries, le Pseudomonas (résistance fréquente à la tigecycline) ou l’Acinetobacter Baumannii mais la néphrotoxicité de ces molécules doit être prise en compte. L’utilisation de colistine peut aussi s’utiliser par voie d’aérosol dans les cas de sepsis pulmonaire, la toxicité étant moindre (rénale et neurologique) et la déposition plus importantes que par voie intraveineuse.

Prévention

La pierre angulaire de la prévention reste les mesures d’hygiène. Par mesure de précaution, tout patient porteur doit être isolé (précautions de contact pour tous et précautions gouttelettes pour les atteintes respiratoires) et les mesures d’hygiène des mains doit être appliquées à tous, en permanence.

Le recours à l’antibiothérapie doit se faire de manière réfléchie, si possible en collaboration avec le groupe de gestion des antibiotiques de l’institution. Si le recours à un spectre large se justifie en empirique, le spectre doit être réduit selon l’antibiogramme dès que possible.

Il est également important de réfléchir chaque jour à l’indication des différentes voies d’entrées (voie centrale, sonde urinaire, ligne artérielle, stomie, cathéter de dialyse etc.) afin de s’en défaire dès que la situation clinique le permet.

Au plus la durée d’hospitalisation est réduite au moins le risque infectieux sera important.

Conclusion

En conclusion, il faut reconnaitre que les carbapénémases restent une menace microbiologique sérieuse et qu’il est impotant de les connaitre pour pouvoir les dépister.

Les patients à risque doivent être considérés comme porteurs et isolés jusqu’à obtention de frottis négatif. L’hygiène des mains reste la pierre angulaire des mesures de prévention. Le recours aux antibiotiques doit être réfléchi et adapté à l’antibiogramme au plus vite.

Il ne faut pas oublier que toutes les résistances aux carbapénèmes ne sont pas des carbapénémases et que toutes les carbapénémases ne doivent pas être traitées (les OXA-S peuvent être colonisant).

Pratique

Face à tout patient septique, il faut s’interroger sur sa provenance, ses facteurs de risques et procéder au dépistage par frottis rectal ou bactériologie ciblé sur la clinique de tout patient suspect. Après prélèvements, isoler le patient et prendre les mesures de précaution de contact pour tous et gouttelettes pour les atteintes respiratoires. Si nécessité d’une antibiothérapie immédiate, opter pour une poly antibiothérapie associant un carbapénème à un aminoside (amikacine, gentamycine) ou une polymyxine (colistine, tigécycline). Réduire le spectre dès que l’antibiogramme est disponible pour diminuer la pression antibiotique. Réduire au minimum le recours aux corps étrangers source de colonisation (voie centrale, sonde urinaire, ligne artérielle et autres)

Correspondance

Dr. Philippe Machiels
Clinique Notre-Dame de Grâce
Département de médecine interne
Chaussée de Nivelles, 212
6041 Gosselies

Philippe.Machiels@cndg.be

Affiliations

* Département de Médecine Interne, Clinique Notre-Dame-de-Grâce, Gosselies

Références
 

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Ouvrir dans Pubmed

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