UNE COLLECTION LIQUIDIENNE D’ORIGINE PANCRÉATIQUE MIMANT UNE ORCHI-ÉPIDIDYMITE : UN CAS PARTICULIER ET UNE REVUE DE LITTÉRATURE

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A. Devaux, B. De Vroey, D. Verset Publié dans la revue de : Novembre 2015 Rubrique(s) : Cas cliniques
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Résumé de l'article :

L’extension de collection de fluides pancréatiques au niveau scrotal est une complication rare de la pancréatite aigüe. Etant peu connue, cette complication peut mener à des erreurs diagnostiques et des interventions chirurgicales délétères.

Un homme de 48 ans, éthylo-tabagique, ayant déjà fait deux épisodes de pancréatite aigüe, s’est présenté avec une tuméfaction douloureuse du scrotum droit. Après avoir exclu une torsion testiculaire par échographie-doppler, une antibiothérapie a été débutée pour une probable orchi-épididymite. Au vu de plainte de douleurs épigastriques persistantes, un CT abdominal de contrôle a été réalisé, mettant en évidence une aggravation de la pancréatite aigüe d’un stade Balthazar C vers un stade Balthazar E associée à des collections liquidiennes s’étendant jusqu’au niveau des deux canaux inguinaux. Dès lors, le diagnostic de collection liquidienne au niveau scrotal, d’origine pancréatique, complication précoce et de localisation rare d’une pancréatite aigüe, a été posé.

 

 

 

 

Article complet :

Introduction

L’extension de collections liquidiennes d’origine pancréatique au niveau scrotal est une complication rare d’une pancréatite aigüe (1-6). Cette situation particulière peut mener à des erreurs diagnostiques et des interventions chirurgicales inutiles. Aucun consensus quant à la prise en charge n’a été établi jusqu’à présent.

Rapport du cas

Un homme de 48 ans, éthylo-tabagique, ayant déjà été hospitalisé à deux reprises de notre service de Gastroentérologie pour des épisodes de pancréatite aiguë, est admis, de manière élective, deux semaines après le dernier épisode, pour la réalisation d’une écho-endoscopie afin d’investiguer deux lésions pancréatiques suspectes.

À l’admission, le patient se plaint d’un gonflement très douloureux au niveau du testicule droit. Il souffre également de douleurs épigastriques persistantes, associées à une inappétence et à une satiété précoce. Il n’y a pas de notion de fièvre ni de frisson. Il n’a pas de nausée ni de vomissement. Le patient dit ne plus avoir consommé d’alcool depuis sa dernière hospitalisation. Le patient signale une tendance à la constipation.

Comme antécédents pertinents, sont à retenir, un diabète de type 2 non insulino-requérant et une oesophagite peptique traitée par Oméprazole 40 mg par jour. Par ailleurs, il prend également du Valium 10 mg trois fois par jour et du Befact Forte deux fois par jour.

À l’examen clinique, les paramètres vitaux sont normaux. Le patient est apyrétique, normocoloré et normohydraté. L’auscultation cardio-pulmonaire est sans particularité. L’abdomen est souple, dépressible mais douloureux à la palpation épigastrique, en hypochondre droit et en fosse iliaque droite, sans défense ni rebond. Le transit est présent mais faible. L’examen des organes génitaux révèle un gonflement associé à une rougeur et une induration du testicule droit avec une douleur intense à la palpation. Le reste de l’examen clinique est normal.

À la biologie, on note une hyperleucocytose neutrophile (les globules blancs sont à 11 500/mm3 pour une normale entre 4500-11 000/mm3 et les neutrophiles sont à 9260/ mm3 pour une normale entre 1510-7070/mm3), un syndrome inflammatoire avec une CRP à 51,5 mg/L (N : <10mg/L), une bilirubine totale normale, des GGT à 82 U/L (11-50 U/L), des lipases à 100U/L (N : <60U/L), un hypokaliémie à 2,0 mmol/L (N : 3,3-5,1 mmol/L). Le PSA n’est pas majoré. Le reste de la prise de sang est dans les limites de la normale. L’examen microscopique des urines est négatif.

Face à ce tableau testiculaire, une échographie-doppler scrotale est immédiatement réalisée, permettant d’exclure une torsion testiculaire et mettant en évidence une hydrocèle. Sur avis urologique, un diagnostic de probable orchi-épididymite est posé et une antibiothérapie est débutée. Suite à la persistance des plaintes digestives du patient, un CT abdominal de contrôle est réalisé (Figure 1), mettant en évidence une progression de la pancréatite, passant d’un stade Balthazar C préalable, à un stade Balthazar E avec apparition de collections liquidiennes dans la cavité des épiploons ainsi que dans les deux canaux inguinaux, compliquée secondairement d’hydrocèle. Dès lors, le diagnostic de collection liquidienne, complication précoce d’une pancréatite aigüe, s’étendant au niveau scrotal, est retenu, excluant celui d’une orchi-épididymite simple. Devant le caractère exceptionnel de ce tableau, l’antibiothérapie est poursuivie par mesure de sécurité, associée à un traitement conservateur de pancréatite aigüe (diète liquide dans un premier temps, hyperhydratation intra-veineuse et antalgie). L’évolution clinique et biologique du patient étant rapidement satisfaisante, celui-ci a pu quitter le service 3 jours plus tard. L’examen par écho-endoscopie a été reporté vu le contexte aigu.

 

 

 

Discussion et conclusions

L’accumulation de fluides pancréatiques au niveau du scrotum est une manifestation rare d’une pancréatite aigüe (1-6). Seulement 23 cas sont relatés dans la littérature anglo-saxonne et francophone. Quatre parmi ceux-ci sont des pseudo-kystes (7-10) et deux des abcès (11, 12). Le premier cas de collection liquidienne d’origine pancréatique au niveau scrotal est décrit en 1979 (13). Parmi ceux-ci, uniquement deux cas compliqués de nécrose testiculaire sont rapportés (14,15). À la lecture de ces différents « case report », les informations pertinentes suivantes peuvent être retenues :

1. De nombreux auteurs insistent sur le risque important d’erreur diagnostique au départ avec pour conséquence une possible intervention chirurgicale inutile, ceci d’autant plus que la symptomatologie abdominale n’est pas toujours associée (3, 8, 16). Dans le cas présent, la présentation clinique mime, une torsion testiculaire ou une orchi-épididymite, voire une hernie incarcérée ou une tumeur testiculaire. Dans cinq cas, une chirurgie, non nécessaire a posteriori, a été réalisée (1,3, 6, 16, 17). Face à l’association d’une atteinte scrotale et une pancréatite il faut également penser à l’origine virale, en particulier d’origine ourléienne. Il convient également d’exclure la pancréatite auto-immune à IgG4, un cas d’inflammation testiculaire ayant été décrit dans ce contexte (18).

2. La chronologie des symptômes testiculaires et abdominaux, ainsi que le délai entre les deux, est fort variable. En effet, parfois les symptômes testiculaires apparaissent avant voire en dehors des plaintes abdominales. Les plaintes abdominales et testiculaires peuvent être concomitantes ou apparaître plusieurs semaines après le diagnostic de pancréatite (comme dans ce cas).

3. Le CT scan abdominal s’est avéré être l’examen complémentaire de choix pour confirmer le diagnostic et surtout objectiver le lien entre « l’hydrocèle pancréatique » et la pancréatite (7, 19, 20, 21). Il est aussi important de rappeler que face à une suspicion de torsion testiculaire, une échographie-doppler scrotale doit être réalisée afin d’exclure raisonnablement ce diagnostic et de mettre en évidence d’autres problèmes associés telle une hydrocèle. La plupart des auteurs ont également réalisé une ponction du liquide scrotal, ayant comme caractéristique, un taux élevé d’amylase et de lipase (1, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 19, 22).

4. Concernant la prise en charge de cette complication scrotale, aucun consensus n’est établi.

5. Cependant, dans le consensus d’Atlanta de 2012 (23) concernant la pancréatite aigüe compliquée de collections liquidiennes, une antibiothérapie de principe n’est pas recommandée sauf si il existe une suspicion d’infection de ces collections.

6. Dans ce contexte, une ponction diagnostique avec vidange de la collection peut guider la thérapeutique, comme cela est réalisé pour d’autres collections d’origine pancréatique dans d’autres régions anatomiques. Cinq autres auteurs ont débuté une antibiothérapie dont les deux cas d’abcès avérés au niveau inguino-scrotal d’origine pancréatique (3, 9, 12, 16, 20). Beaucoup d’entre eux ont drainé le liquide. Un seul cas de décès est relevé parmi tous les cas rapportés (1), mais dans un contexte de défaillance multi-systémique et de choc dès l’admission.

7. La complication décrite est, selon la Classification d’Atlanta révisée de 2012 (23), une collection de fluide péripancréatique, complication précoce de la pancréatite aigue. Cependant, sa localisation scrotale est rare. Elle est à différencier d’une autre complication précoce qui est la collection nécrotique aigue. Cette différenciation est possible grâce à l’imagerie par échographie-doppler et le scanner abdominal. Dans le premier cas, cela permet de décrire la collection comme étant homogène, sans paroi bien définie et confinée au sein de fascias normaux. Dans le second cas, la collection est décrite comme étant hétérogène et sans paroi bien définie.

La voie anatomique empruntée par les fluides pancréatiques serait l’extension de l’espace para-rénal antérieur vers les tissus extra-péritonéaux du pelvis et notamment le scrotum. Plus simplement, les fluides suivent les insertions du péritoine, en se rappelant qu’une des tuniques testiculaires est une invagination du péritoine (20).

Une autre complication rare survenant lors d’une pancréatite aigüe est l’extension de fluides infiltrant le plan sous-cutané, jusqu’au scrotum. Ces infiltrations sont mieux connues sous le nom de signe de Grey-Turner quand elles se situent au niveau des flancs, et de signe de Cullen quand elles se situent au niveau de l’ombilic. Dans ce cas-ci, les fluides suivent les insertions profondes de la membrane superficielle du fascia sous-cutané (24).

En pratique, il y a lieu de retenir que face à un gonflement douloureux au niveau scrotal dans un contexte de pancréatite, il est important de connaître et reconnaître cette entité particulière, étant une complication précoce mais de localisation rare, et surtout d’en faire la distinction avec l’autre complication précoce de la pancréatite aigüe qu’est la collection nécrotique.

Il est également important de faire le diagnostic différentiel et d’exclure l’urgence urologique qu’est la torsion testiculaire mais aussi l’orchi-épididymite, en réalisant une échographie-doppler.

Le scanner abdomino-pelvien et l’échographie-doppler testiculaire sont les deux examens à réaliser dans cette situation afin d’éviter un maximum une prise en charge erronée pouvant mener à des interventions chirurgicales délétères.

Correspondance

Dr. Alix Devaux
MACCS Médecine Interne UCL
Rue de la Pierrère 13, 1435 Hévillers
0474/23.22.58
alix.devaux@student.uclouvain.be

Affiliations

(1) Service de Gastro-entérologie, Hôpital de Jolimont, Haine-St-Paul.

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