Comorbidités de la dermatite atopique

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Marie Baeck, Axel De Greef Publié dans la revue de : Mai 2023 Rubrique(s) : Dermatologie
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Résumé de l'article :

La dermatite atopique (DA) est une dermatose inflammatoire chronique et prurigineuse qui peut avoir un impact considérable sur la qualité de vie des patients et de leurs familles. Outre les signes et symptômes cutanés, de plus en plus d'éléments suggèrent que la DA est de nature systémique. Il est essentiel de chercher des explications à la fréquence plus élevée des troubles cardiovasculaires, métaboliques, neuro-psychiatriques ou encore auto-immuns, qui sont observés chez les patients atteints de DA. Certaines maladies peuvent coexister avec la DA en raison de la coïncidence d’exposition à des facteurs environnementaux similaires. Mais on suggère aussi que la DA exerce un effet synergique avec l'inflammation présente dans d'autres organes et systèmes, comme c'est le cas dans d'autres maladies inflammatoires à médiation immunitaire. Par ailleurs, ces comorbidités pourraient aussi être directement liées à la physiopathologie de la DA, par le biais de mécanismes génétiques et immunologiques communs. Ces comorbidités sont fréquemment méconnues ou sous-évaluées. Il est donc fondamental d’informer les cliniciens sur l’existence de celles-ci. Le traitement et la prise en charge de la DA auront donc un impact non seulement sur les lésions cutanées, mais aussi sur la prévention du développement des diverses comorbidités. Chez certains patients, il convient d'encourager une approche multidisciplinaire, dans laquelle la charge globale de la DA et ses comorbidités (atopiques et non atopiques) sont évaluées et prises en charge.

Mots-clés 

Dermatite atopique, atopie, comorbidités, fardeau, épidémiologie

Article complet :

Introduction

La dermatite atopique (DA) ou eczéma atopique est une dermatite prurigineuse d’évolution chronique et récurrente, avec une distribution typique des lésions en fonction de l’âge, et une étiologie multifactorielle (1).

La DA est la maladie inflammatoire de la peau la plus courante, avec une prévalence globale de 10 à 20 % dans l’enfance et de 2 à 8 % à l’âge adulte (2). Dans la plupart des cas, la DA se manifeste avant l’âge de cinq ans (3) ; une DA persistante à l’adolescence et/ou à l’âge adulte peut affecter environ 50 % des patients diagnostiqués avec cette maladie durant l’enfance (4). L’apparition de la maladie au cours des six premiers mois de vie semble être associée à une maladie plus sévère. On estime par ailleurs que 20 à 30% des patients atteints de DA souffrent d’une forme modérée à sévère de la maladie (2, 5).

La physiopathologie de la DA est complexe, impliquant une forte prédisposition génétique et une barrière épidermique altérée, associée à une hyperréactivité inflammatoire de la peau à différents facteurs environnementaux. Bien que les mécanismes immunologiques à médiation T-helper(Th) 2 soient dominants, de multiples voies immunitaires sont impliquées dans la genèse de cette maladie. On note en effet un déséquilibre de l’immunité au niveau des cytokines produites par les Th2, telles que l’interleukine (IL) 4 et IL-13, mais les cytokines Th1, Th22 et, dans une moindre mesure, Th17 peuvent, en fonction de la phase et de la durée de la maladie, de l’âge des patients et de leur origine ethnique, également jouer un rôle important (6).

L’examen clinique et l’interrogatoire sont à la base du diagnostic de la DA. L’anamnèse doit prendre en considération l’histoire de la maladie et son évolution (chronique ou avec des poussées et rémissions) ainsi que les antécédents personnels et familiaux d’atopie. L’examen clinique doit permettre d’évaluer l’aspect et la topographie des lésions avec notamment la distribution des lésions eczémateuses en fonction de l’âge : en effet, les nourrissons présentent souvent des lésions qui touchent typiquement le visage et le tronc ; dans l’enfance, l’eczéma touche surtout les zones de flexion ; enfin, les adolescents et les adultes ont généralement un eczéma diffus ou des lésions localisées touchant typiquement les mains, les paupières et les zones de flexion. Le prurit et l’association à une peau sèche chronique sont également caractéristiques.

Le traitement topique (émollients, dermocorticoïdes et/ou immunomodulateurs topiques) représente le traitement de première ligne de la DA, à la fois dans les phases aigues et en entretien. Chez certains patients ne répondant pas aux traitements standards, il est nécessaire de considérer le rôle des micro-organismes tels que le Malassezia, ou encore le Staphylococcus aureus, dont le rôle dans l’aggravation de la DA est maintenant bien documenté (7). Lorsque la maladie devient sévère, le passage à un traitement systémique par des agents immunosuppresseurs systémiques et/ou des médicaments biologiques doit être envisagé (8).

Les patients atteints de DA souffrent généralement de plusieurs comorbidités : en dehors des comorbidités allergiques (asthme, rhinite et conjonctivite allergique, oesophagite à éosinophiles, polypose naso-sinusienne), de nombreuses comorbidités non allergiques sont décrites, suggérant la nature systémique de cette maladie. On note en effet une plus grande prévalence de certaines maladies cardiovasculaires et métaboliques, de maladies neuropsychiatriques (trouble déficitaire de l’attention avec hyperréactivité (TDAH), dépression), ou de maladies auto-immunes (pelade ou alopecia areata (AA), vitiligo, maladies rhumatoïdes). Ces associations sont plus marquées lorsque la maladie est plus sévère ou active sur une plus longue période. La corrélation entre la DA et les comorbidités est très probablement bidirectionnelle et multifactorielle (9, 10). Certaines comorbidités peuvent être liées à divers facteurs de confusion, tels que la détérioration de la qualité de vie, le prurit chronique, les troubles du sommeil et/ou les aspects psychologiques de la DA qui pourraient favoriser un mode de vie sédentaire et des assuétudes comme le tabagisme, qui à leur tour, augmente le risque de morbidité et de mortalité. D’autres comorbidités peuvent avoir leurs propres mécanismes physiopathologiques causés par la DA ou partagés avec elle (10). Par ailleurs, l’inflammation chronique avec différenciation vers une réponse immunitaire de type 2, mais aussi l’utilisation à long terme d’immunosuppresseurs systémiques pourraient être des facteurs de risque pour le développement de certaines maladies telles les maladies cardiovasculaires, les infections virales ou la conjonctivite. À l’inverse, certains traitements systémiques de la DA modérée à sévère peuvent améliorer non seulement les signes et les symptômes de la DA, mais aussi les comorbidités atopiques/allergiques et auto-immunes. Par exemple, le dupilumab peut améliorer l’asthme associé à la DA, tandis que le méthotrexate et le baricitinib peuvent avoir un impact favorable sur la polyarthrite rhumatoïde ou l’AA. Les comorbidités de la DA peuvent donc également influencer le choix du traitement. Cela ouvre la discussion sur les phénotypes de la DA et la recherche de biomarqueurs permettant notamment la sélection du traitement le plus approprié, mais aussi d’expliquer l’augmentation possible de la co-occurrence de certaines maladies dans des populations particulières de patients atteintes de DA (11).

Comorbidités allergiques

Rhinite allergique, asthme et allergie alimentaire

De récentes méta-analyses ont fourni des informations détaillées sur le chevauchement entre la DA et les affections atopiques. Chez les patients atteints de DA, la prévalence globale de la rhinite allergique, de l’asthme ou des deux, est respectivement de 40,5 %, 25,7 % et 14,2 % (12, 13). Chez les adultes atteints de la DA, 24,1 % présentent une allergie alimentaire, et des proportions encore plus élevées ont été observées chez les enfants (14).

Les patients atteints de DA et ayant une prédisposition génétique à produire des IgE à la suite d’une exposition à des allergènes peuvent développer une séquence typique de DA, de rhinite allergique, d’asthme et d’allergie alimentaire à certains âges (la «marche atopique») (15). Plusieurs études ont indiqué que le risque d’évolution vers la «marche atopique» est inversement associé à l’âge d’apparition de la DA (16). La question de savoir s’il existe une relation de cause à effet entre la DA et le développement ultérieur d’une allergie respiratoire est toujours débattue. L’hypothèse avancée est que la sensibilisation épicutanée aux allergènes peut se produire au début de la vie chez les enfants atteints de DA en raison d’une barrière cutanée altérée, augmentant ainsi le risque d’autres formes de maladies allergiques au cours de l’enfance (17). Plusieurs essais sont en cours pour évaluer si l’amélioration de la barrière cutanée par l’application quotidienne d’émollients pendant les premiers mois de la vie, qui a permis de réduire de moitié l’incidence de la DA chez les nourrissons, réduit également le risque de sensibilisation allergique précoce et, par conséquent, l’incidence de l’allergie respiratoire plus tard dans la vie.

Les patients atteints de DA présentent également un risque accru d’urticaire/anaphylaxie d’origine alimentaire (18). L’exposition environnementale aux allergènes alimentaires par le biais d’une barrière cutanée déficiente est, comme pour les allergies respiratoires, une voie plausible de sensibilisation et d’allergie alimentaire secondaire (19, 20). Cependant, bien que le taux de sensibilisation alimentaire soit élevé chez les nourrissons et les jeunes enfants, allant d’environ 30 à 60 % selon la population et le test de diagnostic, le taux réel d’allergie alimentaire confirmée est beaucoup plus faible (15). Par conséquent, les IgE sériques ne doivent pas être utilisés de manière systématique et en dépistage d’une allergie alimentaire en l’absence de réactions cliniques à l’ingestion d’un certain aliment.

Oesophagite à éosinophiles et polypose naso-sinusienne

On sait actuellement peu de choses sur le chevauchement entre la DA et d’autres affections caractérisées par une inflammation de type Th2, comme l’œsophagite à éosinophiles ou la polypose naso-sinusienne. Ces affections sont toutefois plus fréquentes chez les patients atteints de DA (13).

Comorbidités cardiovasculaires et métaboliques

Obésité et syndrome métabolique

Les patients atteints de DA, y compris les enfants, peuvent souffrir de nombreuses comorbidités métaboliques, notamment syndrome métabolique, surpoids, obésité, dyslipidémie et hypertension artérielle, dont la prévalence est démontrée comme étant plus élevée chez les patients atteints de DA que chez les patients sains (21).

Les patients atteints de DA modérée à sévère semblent plus susceptibles d’avoir un indice de masse corporelle (IMC) élevé. Malgré certaines données contradictoires, la plupart des études montrent une corrélation significative entre la DA et l’obésité. Ceci est toutefois essentiellement observé dans les populations de patients asiatiques et nord-américaines et moins en Europe (9, 14, 22). D’autre part, la DA semble associée à un risque accru d’hypertension artérielle, après prise en compte de l’âge, du sexe et des antécédents familiaux d’hypertension (21).

L’association entre la DA et les comorbidités métaboliques est multifactorielle. Une hypothèse est que le tissu adipeux hypertrophique produit des adipokines solubles impliquées dans l’inflammation et l’immunité, qui stimulent la production de cytokines pro-inflammatoires, responsables d’un état inflammatoire chronique de bas grade et d’une plus grande prédisposition aux réactions d’hypersensibilité. En particulier dans la population pédiatrique atteinte de DA, ces troubles métaboliques sont généralement sous-estimés. Par conséquent, les comorbidités métaboliques doivent être soigneusement évaluées et traitées chez les enfants atteints de DA, afin de minimiser le risque à long terme d’événements cardiovasculaires (23).

Il est bien établi qu’une activité physique régulière contribue à la prévention primaire et secondaire d’un certain nombre de maladies chroniques, notamment l’obésité, la dépression et les maladies cardiovasculaires (9, 24). La DA chez l’adulte est associée à une diminution de l’activité physique en général (25, 26). Les causes en sont multiples : les lésions d’eczéma peuvent être douloureuses lors des mobilisations et en particulier l’atteinte des paumes des mains et plantes des pieds peut gêner la pratique de certaines activités sportives ; l’élévation de la température de la peau induite par l’activité physique et la transpiration sont également des facteurs déclencheurs connus de poussées. En outre, les troubles du sommeil et la dépression, plus fréquents chez les patients atteints de DA peuvent rendre plus difficile le maintien d’une routine d’exercice régulière (25-27). De même la crainte du regard des autres peut contribuer à la réduction des activités sportives.

Pathologies cardiovasculaires

Les patients atteints de DA et, en particulier, ceux souffrant d’une maladie sévère présentent également une plus grande susceptibilité à développer une maladie cardiovasculaire, y compris infarctus du myocarde, angor instable, insuffisance cardiaque, et fibrillation auriculaire ceci en tenant compte de facteurs de confusion connus comme l’IMC, le tabagisme, l’hypertension, l’hyperlipidémie ou le diabète (21). Il est difficile de confirmer si c’est la DA en tant que telle ou les traitements de la DA qui confèrent ce risque accru de maladie cardiovasculaire. Quoi qu’il en soit, chez les adultes présentant une DA sévère, la recherche des facteurs de risque connus de maladies cardiovasculaires et le dépistage de ces affections est recommandé.

Comorbidités neuropsychiatriques

L’impact de la DA sur la santé mentale peut être considérable. Un certain nombre de troubles et de symptômes neuro-psychiatriques (le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), les difficultés d’apprentissage, la dépression, les troubles anxieux et les idées suicidaires) sont plus fréquents chez les adultes et les enfants atteints de DA que dans la population générale (14). Le risque de dépression et d’anxiété est notamment multiplié par 2, et le risque d’idées suicidaires par 4 chez ces patients (28). L’association aux troubles psychiatriques peut être influencée par la sévérité de la maladie et d’autres facteurs qui affectent négativement la qualité de vie, tels que la perte de sommeil, le prurit invalidant et la gêne sociale.

Dépression et troubles anxieux

Plusieurs études de cohorte et méta-analyses ont mis en évidence une association entre la DA et les troubles anxieux, la dépression et les idées suicidaires aussi bien chez les adultes que chez les enfants (14, 28, 29). Une analyse des données issues d’une enquête portant sur la santé de plus de 90 000 enfants aux États-Unis a révélé que parmi les enfants atteints de DA, la prévalence de la dépression et des troubles anxieux était significativement plus élevée que chez leurs pairs sans DA et cette association était directement corrélée à la sévérité de la maladie (30). Inversement, différents traitements topiques, systémiques oraux ou biologiques de la DA sont associés à une amélioration des symptômes dépressifs. Ceci suggère également que les symptômes dépressifs survenant dans la DA peuvent être directement liés à la sévérité de la maladie et donc réversible en cas d’amélioration de celle-ci. Un potentiel lien causal d’origine génétique entre DA et dépression n’est toutefois pas exclu (14). Par ailleurs, la prévalence de la dépression est également plus élevée chez les parents d’enfants atteints de DA.

Les cliniciens qui traitent la DA doivent donc être particulièrement attentifs à ces comorbidités psychiatriques, en particulier chez les patients atteints d’une maladie grave. Ceci souligne également la nécessité d’une approche multidisciplinaire dans la prise en charge de la DA qui inclut un soutien psychologique.

Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité

Les résultats d’une revue systématique de 2010 suggèrent une association entre la DA et le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) chez les enfants comme chez les adultes (31). Les mécanismes qui sous-tendent l’association entre TDAH et la DA sont inconnus. Les troubles du sommeil secondaires au prurit nocturne, les niveaux élevés de stress psychologique et les effets des cytokines pro-inflammatoires sur le développement du cerveau sont les principales hypothèses pour expliquer cette association.

Personnalité de type D

La personnalité de type D se caractérise par une inhibition sociale et une affectivité négative. La personnalité de type D semble plus fréquemment associée à des pathologies dermatologiques comme l’’acné, l’hidradénite suppurée, le psoriasis, le mélanome, l’urticaire chronique spontanée, le prurigo, et la DA (32). La personnalité de type D s’est avérée associée à une moins bonne qualité de vie et à des taux plus élevés de comorbidités psychologiques chez les patients atteints de ces maladies cutanées. Le dépistage de la personnalité de type D chez les patients atteints de DA pourrait être bénéfique pour identifier les patients qui sont plus vulnérables sur le plan psychologique.

Comorbidités auto-immunes

Pelade (alopecia areata)

Les patients atteints de DA présentent un risque accru de présenter une pelade ou AA (33). L’AA semble par ailleurs plus sévère chez les patients atteints de DA et a fortiori en présence de mutations des gènes de la filaggrine (14, 34). La fréquence accrue de mutations filaggrine chez les patients AA ayant des antécédents de DA suggère un lien génétique (34). En outre, l’AA implique une réponse immunitaire de type Th1, mais aussi Th2 (35). L’inflammation de type 2, et en particulier l’IL-13, pourrait donc contribuer au développement de l’AA chez les patients présentant une DA (31). L’usage de traitements biologiques inhibant la réponse Th2 ou des inhibiteurs Janus-Kinase (JAKi) dans les deux pathologies soutient l’hypothèse de mécanismes immunologiques communs. L’administration de dupilumab (un anticorps anti-IL-4 et IL-13, les principales cytokines Th2 impliquées dans la DA) à des patients atteints simultanément d’AA et de DA a toutefois montré des effets contradictoires, repousses chez certains et apparition de nouvelles plaques de pelade chez d’autres (36). Le baricitinib, un inhibiteur des Janus-Kinase (JAKi) 1 et 2 qui est enregistré en Europe pour le traitement de la DA modérée à sévère, s’est quant à lui montré efficace dans la prise en charge de l’AA et est actuellement également enregistré en Europe et aux États-Unis pour l’AA sévère chez l’adulte. En inhibant les signaux en aval de l’interféron, de l’IL-4 et de l’IL-13, le baricitinib améliore donc simultanément l’AA et la DA et est un traitement très prometteur de l’AA (37).

Vitiligo

La DA est également associée à une prévalence plus élevée du vitiligo (38). Le vitiligo est une pathologie auto-immune caractérisée par la destruction des mélanocytes et la dépigmentation de la peau, principalement en raison de leur susceptibilité accrue au stress oxydatif et de l’activation subséquente de l’immunité innée et de l’immunité adaptative. Les mécanismes à l’origine de cette association sont encore peu déterminés mais l’état pro-inflammatoire de la DA, peut prédisposer à la destruction des mélanocytes, et le grattage des lésions prurigineuses de la DA peut provoquer un effet Koebner dans le vitiligo (39).

Maladies rhumatoïdes et autres pathologies auto-immunes

Selon une métanalyse comparant 13 études, les patients atteints de DA ont un risque significativement plus élevé d’incidence de polyarthrite rhumatoïde (PR) (40). Des résultats similaires ont été observés pour plusieurs autres maladies rhumatoïdes, notamment la spondylarthrite ankylosante, le lupus érythémateux disséminé et le syndrome de Sjögren (38). La DA et la PR partagent une immunopathogénie commune dans laquelle les cytokines produites par les cellules Th1 (dont le TNFα) et Th17 jouent un rôle important. L’association à d’autres maladies auto-immunes comme l’urticaire chronique, la maladie cœliaque, les maladies inflammatoires de l’intestin (IBD) semble également plus fréquentes (14). L’association entre le diabète de type 1 et la DA n’est pas claire, mais semble même être par contre une association négative (9, 14).

Autres comorbidités

Anémie

Selon une enquête nationale sur la santé menée aux Etats-Unis, les enfants ayant des antécédents de DA ont un risque deux fois plus élevé d’anémie, en particulier d’anémie microcytaire (41). On ne sait toutefois pas si l’anémie observée chez les enfants atteints de DA est liée à une inflammation chronique ou bien à une malnutrition secondaire à des restrictions alimentaires chez ces patients soupçonnés d’allergies alimentaires.

Ichthyose vulgaire

Les variantes de perte de fonction dans le gène de la filaggrine, responsable de l’ichthyose vulgaire, confèrent un risque accru de développer une DA et sont associées à un eczéma précoce, modéré à sévère et persistant (42).

Inversement, on estime qu’environ 10 à 30 % des patients atteints de DA présentent également une ichtyose vulgaire (43). D’un point de vue phénotypique, ces patients présentent généralement aussi, outre une importante sécheresse cutanée, une hyperlinéarité palmaire et une kératose pilaire.

Maladies oculaires

Les comorbidités oculaires survenant chez les patients atteints de DA comprennent la conjonctivite chronique, la cataracte sous-capsulaire antérieure, et le kératocône (14). Ces pathologies oculaires font d’ailleurs partie des critères mineurs de diagnostic de la maladie édités par Hanafin et Rajka, soulignant que la maladie oculaire fait partie intégrante du syndrome de la DA (44). La prévalence de la conjonctivite est estimée à 31,7 % chez les patients atteints de DA, les sous-types les plus courants étant la conjonctivite allergique, tandis que la kératoconjonctivite allergique et la kératoconjonctivite vernale sont beaucoup moins fréquentes (45). Certaines comorbidités oculaires peuvent indirectement aggraver la DA sous-jacente, comme le prurit oculaire dû à une conjonctivite allergique entraînant un frottement chronique autour des yeux et une eczématisation secondaire. Par ailleurs, La forte prévalence des effets indésirables oculaires, y compris la conjonctivite et la blépharite, secondaires aux traitements systémiques par inhibiteurs de l’IL-13 et de l’IL-4, a suscité un regain d’attention pour les comorbidités oculaires de la DA (14).

Comorbidités infectieuses

La DA entraîne une altération de l’immunité cellulaire et le risque d’infection virale de la peau est donc accru. En conséquence, la DA est plus fréquemment associée à des infections à herpès simplex, au zona, aux verrues et aux molluscum contagiosum (46). Le risque d’infections par coronavirus pourrait également être légèrement accru chez les patients atteints de DA (47, 48). Ces patients ont par ailleurs un risque 20 fois plus élevé d’être colonisés par Staphylococcus aureus, avec une association dépendante de la gravité de la maladie (49). L’infection à Staphylocoque résistant à la méthicilline est également positivement associée (46). Ces observations se traduisent essentiellement par une augmentation des infections cutanées telles que l’érysipèle et l’impétigo, mais dans de rares cas, cela peut également conduire à des infections osseuses, des septicémies, des encéphalites et des endocardites (46).

Pathologies oncologiques

L’association possible entre la DA et certains cancers suscite un intérêt constant.

Le risque de cancer de la peau semble plus élevé chez les patients atteints de DA. Ceci pourrait être expliqué par des niveaux plus faibles de filaggrine et du produit de dégradation qu’est l’acide urocanique, un photorécepteur important (11). L’utilisation de la photothérapie et de la cyclosporine peut également être une autre explication à cette association. Enfin, on ne peut exclure un biais de surveillance, c’est-à-dire le fait que les patients atteints de la DA soignés par des dermatologues sont plus susceptibles d’être diagnostiqués avec des tumeurs malignes de la peau que les individus qui ne sont pas vus par des dermatologues.

Par ailleurs, une revue systématique a montré un risque légèrement accru de lymphome chez les patients atteints de DA (50). Inversement, le risque de de développer d’autres cancer d’organes solides comme le système nerveux central ou le pancréas semble diminué ou non influencé par la DA (51).

Le profil de sécurité à long terme de l’utilisation des JAKi dans la DA reste étudié de très près. En particulier concernant le risque de malignité (principalement lymphomes, cancer du poumon et cancer cutanés non mélanocytaires), des études à plus long terme sont attendues. C’est également la raison pour laquelle récemment le PRAC/EMA (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee/European Medicines Agency) a émis, en novembre 2022, de nouvelles recommandations/précautions dans la prescription des JAKi. Elle inclut notamment d’éviter la prescription des JAKi, sauf si aucune autre alternative n’est disponible, notamment chez les patients avec des facteurs de risque de malignité (par exemple, malignité actuelle ou antécédents de malignité).

Biomarqueurs associes au développement de comorbidités dans la DA

Au cours des dernières décennies, plusieurs biomarqueurs associés à la DA ont été proposés. Par exemple, le TARC (thymus activation-regulated chemokine) a été identifiée comme un biomarqueur de la sévérité de la DA et le CCL22 (C-C motif chemokine 22) un biomarqueur de la réponse au traitement. Cependant, il n’existe pas encore de biomarqueurs approuvés pour une utilisation clinique dans la DA (52).

Des biomarqueurs associés au développement de comorbidités chez les patients atteints de DA ont été signalés, mais n’ont pas encore fait l’objet d’une étude systématique. Par exemple, des taux élevés d’IgE ainsi que des mutations de perte de fonction de la filaggrine semblent associés au développement d’une allergie alimentaire chez les patients atteints de DA (52).

Conclusion

La DA est associée à de multiples comorbidités : allergiques, cardiovasculaires, métaboliques, neuro-psychiatriques, et auto-immunes. En particulier, les comorbidités non-allergiques sont souvent méconnues des cliniciens et donc sous-diagnostiquées.

Il est essentiel de déterminer dans quelle mesure cette coexistence est liée à l’exposition à des facteurs de risque communs, à des dysrégulations génétiques et/ou immunitaires ou encore aux traitements de la DA. L’analyse des mécanismes immunologiques sous-tendant la DA et ces maladies apparentées est importante pour mieux comprendre ces associations. L’inflammation chronique associée à la DA semble jouer un rôle majeur dans le développement de diverses comorbidités. L’analyse des facteurs de prédisposition en fonction des différents phénotypes, de même que la recherche de biomarqueurs qui pourraient être utilisés pour évaluer la probabilité de comorbidités dans différentes populations permettraient une prévention plus précoce et un suivi plus adapté de ces patients.

Affiliations

Service de Dermatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, Université catholique de Louvain (UCLouvain), 1200 Bruxelles, Belgique

Correspondance

Pr. Marie Baeck MD., PhD.
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Dermatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles, Belgique.
marie.baeck@saintluc.uclouvain.be

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