La santé pour la vie… c’est possible et souhaitable ! Ou comment le concept de santé positive peut ouvrir de nouvelles perspectives

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Jean Hermesse Publié dans la revue de : Janvier 2024 Rubrique(s) : Durabilité et Soins de Santé: Quels Défis pour le Futur
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Résumé de l'article :

Trois grands défis ont un impact majeur sur la santé : les grandes inégalités de santé, la reconnaissance insuffisante des déterminants socio-économiques de la santé et le vieillissement de la population. Malgré ces constats bien connus, nos institutions restent centrées sur des soins curatifs basés sur une définition négative de la santé (absence de maladie). Le concept de santé positive définit la santé comme étant la capacité à s’adapter et à prendre le contrôle face aux défis sociaux, physiques et émotionnels de la vie. Décliné en six dimensions (fonctions physiques, bien-être mental, sens de la vie, qualité de vie, participation sociale et fonctionnement quotidien), il offre une alternative permettant une vision globale sur la santé. Ce concept rassembleur favorise la mobilisation de tous les acteurs (écoles, communes, urbanistes, services sociaux, associations, professionnels de soins…) dans des projets concrets, dont certains ont déjà fait leurs preuves. Quelques exemples sont décrits.

Mots-clés 

Santé positive, vieillissement, inégalités sociales, défis, vision globale

Article complet :

Introduction

Comment expliquer que face aux grands défis de santé, bien connus et documentés, on arrive à si peu de mobilisation, de réorientation des politiques ? Que la solution semble toujours dans plus de moyens, plus d’investissement pour les soins de santé finissant par médicaliser les problèmes sociaux sans aborder ou toucher les causes premières ?

En prenant comme guide, phare, une autre définition de la santé, la santé positive, on pourrait réunir et intégrer les acteurs de la santé, du secteur social, de l’urbanisme, de la culture, du logement, de l’enseignement… autour d’un même concept, d’une même vision de la santé. Tous en fait sont concernés. Cela permettrait d’entraîner plus de coopération et d’innovation face aux grands défis de santé sans nécessiter plus de moyens.

Dans cet article, je rappelle d’abord brièvement les grands défis de santé et le rôle des soins de santé. Ensuite le concept de la santé positive est présenté. Enfin je donne quelques exemples comment ce concept utilisé comme fil conducteur peut changer un projet immobilier, la pratique médicale, le développement d’un hôpital ou d’une ville.

Les grands défis de santé

Les défis de santé sont nombreux mais certains défis et enjeux ont un impact majeur et sont en fait connus depuis longtemps. Je retiens trois grands défis : les grandes inégalités de santé, la reconnaissance insuffisante des déterminants socio-économiques et le tsunami du vieillissement de la population.

Les grandes inégalités sociales de santé sont abondamment documentées dans le monde et en Belgique (voir par exemple OECD 2019, Renard et al., 2021). L’espérance de vie, l’espérance de vie en bonne santé, l’incapacité de travail, la santé mentale, les maladies chroniques, tous ces indicateurs sont corrélés au niveau d’éducation ou au niveau de revenu. Entre les communes d’Anderlues et de Sint Martin Latem (près de Gand) l’écart d’espérance de vie féminine est de 8 ans. À 25 ans la différence d’espérance de vie en bonne santé entre les femmes avec un faible niveau d’instruction et un niveau élevé est de plus de 30 ans. La surmortalité entre les personnes appartenant au décile de revenu le plus faible et le décile le plus élevé est de 84%, soit presque deux fois plus de « chances » de mourir dans l’année ! Les catégories socio-économiques les plus démunies utilisent nettement moins les soins préventifs, dépistage du cancer du sein, soins bucco-dentaires préventifs avant 18 ans (alors que ces soins sont gratuits). Ces inégalités de santé ne vont pas disparaître ou se réduire en investissant plus dans les soins de santé.

Les déterminants socio-économiques ont bien plus d’impact sur la santé. Ces déterminants sont associés aux comportements individuels et collectifs, aux conditions de vie et aux environnements. Ils sont insuffisamment reconnus, éducation, alimentation, cohésion sociale, emploi, logement, sécurité routière, milieu… La mal bouffe, le manque d’exercice physique, la solitude, les logements insalubres, les changements climatiques rendent malades. Dans le top 10 des groupes thérapeutiques des médicaments, 8 sont liés à nos modes de vie. De nombreuses études ont démontré que les soins de santé ne contribuent au progrès de la santé qu’entre 10 et 20%. La non-reconnaissance des déterminants sociaux aboutit à la médicalisation des problèmes sociaux.

Le vieillissement de la population va s’accélérer. Les soins de santé et la santé sont étroitement liés à l’âge et à l’intégration sociale des aînés surtout après 85 ans. Ce qui est sûr, c’est que leur nombre va exploser dans les années qui viennent. Le baby-boom après la seconde guerre mondiale devient un papy-boom. En l’an 2000 nous comptions 186.000 personnes de plus de 85 ans, en 2030 (85 ans après la fin de la seconde guerre mondiale) nous serons 368.000 et en 2050 plus de 716.000 ! Dans le même temps la population active n’augmentera pratiquement pas… La formule classique des soins résidentiels en maisons de repos datant des années 80 (et aujourd’hui à charge des Communauté et Régions) deviendra insoutenable.

Pour une autre vision de la santé, la santé positive

Nous avons tous appris dans nos cours la définition de la santé de l’OMS datant de 1948 : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie et d’infirmité ». Chacun d’entre nous a sans doute vécu des moments de complet bien-être mais certainement pas de manière permanente et en tout cas avec l’âge de moins en moins fréquemment. La santé ainsi définie n’est pas facile à atteindre et les perspectives ne sont pas réjouissantes. Cette définition est plutôt négative. La population qui n’est pas en bonne santé – et par conséquent le champ d’intervention des soins de santé – est donc très large

Atteinte d’une maladie chronique, Machteld Huber, médecin généraliste aux Pays-Bas, a mis en question la pertinence de cette définition. Elle s’était adaptée à sa maladie et se sentait bien mais était qualifiée « pas en bonne santé ». Elle a réalisé un doctorat sur la définition de la santé en interrogeant près de 2000 personnes, simples citoyens, patients, experts, infirmières, médecins, décideurs politiques… et a proposé une autre définition, celle de la santé positive : « La santé positive est la capacité à s’adapter et à prendre le contrôle face aux défis sociaux, physiques et émotionnels de la vie ». Ce concept a fait la une de la revue BMJ du 30 juillet 2011 (Huber et al., 2011). Mme Machteld Huber a été plébiscitée aux Pays-Bas comme la personne la plus influente en santé publique en 2015.

Le concept de la santé positive se décline en six dimensions : les fonctions physiques, le bien-être mental, le sens de la vie, la qualité de la vie, la participation sociale et le fonctionnement quotidien. L’approche classique et médicale de la santé se concentre plus sur les dimensions physiques et mentales. En ajoutant les dimensions spirituelles et la participation sociale l’approche de la santé devient plus holistique. Le patient est au centre. En ouvrant la santé à ses autres dimensions on donne au patient aussi un certain pouvoir d’action et de contrôle. Il se trouve en codécision. De plus la compréhension du concept est très accessible grâce à une expression très visuelle sous la forme d’une toile d’araignée avec six axes (les six dimensions). Toute personne peut se situer sur chaque axe en répondant à 7 questions spécifiques à chaque axe (42 questions au total). En reliant les valeurs ainsi obtenues sur chaque axe on obtient une surface présentant des points plus forts et plus faibles.

Cette grille ainsi remplie permet d’ouvrir le dialogue avec les acteurs de la santé et d’envisager des actions spécifiques en lien avec la dimension plus faible et pas nécessairement des soins médicaux. La visualisation de la surface délimitée par la jonction des points sur chaque axe permet à la personne d’évaluer et comprendre sa santé positive. Elle permet aussi de mesurer les changements après quelques mois en remplissant à nouveau la grille. C’est un puissant stimulant visuel.

Si quelqu’un souffre de solitude (un des « maux » de société qui rend malade) plutôt que de prescrire un anti-dépresseur, il faudrait chercher dans son quartier les lieux, activités de socialisation, bibliothèques, chorales, clubs de marche, blabla café, potager partagé… Plus de cohésion sociale dans les quartiers va donc permettre de renforcer sa capacité sur la dimension des relations sociales.

En élargissant la définition de la santé au-delà des dimensions physiques et mentales on ouvre des perspectives d’épanouissement dans d’autres dimensions. Cette définition offre des perspectives pour une personne âgée, un malade chronique ou une personne handicapée car si elle s’est adaptée à sa situation, elle peut se sentir bien. La santé n’est plus considérée comme un objectif, mais comme un moyen pour une vie de qualité. Enfin les capacités individuelles d’adaptation peuvent être renforcées par des services, des actions, un environnement, une société qui facilitent, renforcent la capacité d’adaptation individuelle. Concrètement, par exemple, si les trottoirs, les pistes cyclables sont confortables et sécurisés nous aurons envie de les utiliser, de bouger plus (activité physique) naturellement et donc renforcer nos fonctions physiques.

Cette approche plus holistique semble donner des résultats. Dans certaines zones du monde, dites zones « bleues », les gens vivent plus longtemps en bonne santé. Cinq zones bleues ont été identifiées (voir bluezones.com et Buettner & Skemp, 2016). On y retrouve cinq caractéristiques communes : une activité physique naturelle, un but (des projets) dans la vie à tout âge, une alimentation semivégétarienne et saine, une vie communautaire (famille, amis, fêtes…) et un repos suffisant (8 à 10 heures). Ce ne sont donc ni le niveau de richesse des habitants de la zone ou l’étendue de l’offre médicale qui expliquent la bonne santé dans ces zones bleues.

 

Initiatives, projets, pratiques inspirés par le concept de santé positive

Le concept de santé positive met la personne au centre, en fait un coacteur, vise la santé globale, active l’environnement proche et considère la santé non comme un objectif mais comme un moyen pour une vie de qualité. Ce concept peut donc inspirer le développement de politiques innovantes, d’initiatives ou de projets dans différents domaines. Ils peuvent tous participer au développement de la santé positive. Voici quatre exemples concrets.

Le projet d’habitat Vivagora à Walhain (https://vivagora.be/) est un projet d’habitat intergénérationnel actif. Face au vieillissement de la population nous devrons innover dans l’habitat et l’aménagement du territoire de manière à créer plus de solidarité de proximité. Sur le site d’un ancien Carmel à Walhain, les mutualités chrétiennes ont proposé d’imaginer un habitat inspiré du concept de la santé positive. Treize bureaux d’architecture ont concouru et à présent le permis de bâtir a été déposé. L’habitat comprendra une cinquantaine de logements PMR intergénérationnels (jeunes familles, célibataires, personnes âgées…), des initiatives de logements pour personnes handicapées, des espaces communautaires (ateliers, cuisine, salle de réunion ou de fête, des places publiques de rencontre…), un potager partagé, des véhicules partagés, de nouvelles voies pour les piétons et cyclistes… L’ensemble a été conçu de manière à permettre de renforcer les capacités d’adaptation sur les six dimensions et faire émerger la santé communautaire. Le défi est de développer le vivre ensemble (la cohésion sociale) pour faire émerger les potentiels d’un quartier, les partager et ainsi offrir de nouvelles perspectives de qualité de vie pour tous et renforcer les capacités individuelles et sociales face aux défis (mobilité, climat, vieillissement, environnement, biodiversité) et crises (énergie, épidémie, anxiété…).

Utrecht, une ville en santé par et pour tout le monde, c’est le slogan choisi par la ville (https://omgevingsvisie.utrecht.nl/thematisch-beleid/gezondheid/). La santé positive est le fil conducteur pour orienter les développements de la ville : développer et répartir des logements accessibles dans toute la ville,– soutenir et encourager la mobilité douce, prévoir de la verdure et nature dans tous les quartiers, organiser les soins avec tous les acteurs, écoles, soignants, assistants sociaux, associations…, impliquer tous les citoyens, « faire ensemble ».

Un hôpital centré sur la santé positive, c’est le choix de l’hôpital Jeroen Bosch aux Pays-Bas depuis 2016 et le choix récemment pris par le Grand Hôpital de Charleroi (GHDC, https://www.ghdc.be/missions-visions-et-valeurs). Cela implique une vision plus large de la santé et une plus grande attention sur ce qui est important pour les patients. L’hôpital est un des éléments qui représentent la santé et les maladies. Il faut travailler avec tout le réseau du patient, la première ligne, son quartier, les associations, les écoles. Il s’agit d’expérimenter et travailler avec tous les acteurs, ensemble, avec une même vision, sans apriori, ni hiérarchie.

Dans la pratique quotidienne en médecine générale, Le docteur Thomas Orban (ancien président de la SSMG) intègre le concept de la santé positive dans sa pratique quotidienne depuis plus de quatre ans et les résultats sont très positifs. Son témoignage est enthousiaste. Son expérience a amené des changements dans l’organisation de son cabinet. Vu le temps de parole, les échanges nécessaires autour des six dimensions, des psychologues de première ligne ont rejoint son cabinet. Des groupes de parole ont été créés. Une offre d’activité physique adaptée a été imaginée et une diététicienne a rejoint le cabinet. Le concept de la santé positive est un moyen pour ouvrir le dialogue sur plusieurs aspects de la vie qui importent au patient, un moyen pour moins médicaliser, un moyen pour parler le même langage avec tous les acteurs des soins et en dehors des soins (facilitant ainsi l’intégration des soins), un moyen pour donner plus d’autonomie et de contrôle au patient.

Conclusion

Le concept de santé positive offre une vision globale sur la santé. C’est un concept rassembleur et concret. Les résultats sont mesurables et encourageants pour les patients. Les acteurs dans différents domaines, écoles, communes, urbanistes, services sociaux, associations peuvent être mobilisés ensemble de manière transversale avec le monde des soins. Ce n’est pas une question de moyens, ni de complexité, il s’agit d’orienter autrement les politiques en partant d’une vision partagée de la santé. Pour faire face aux grands défis des inégalités, des déterminants sociaux et du vieillissement nous avons besoin d’une approche innovante porteuse de qualité de vie pour tous. Le concept de santé positive peut y participer. La santé pour la vie c’est-à-dire au service de la vie et jusqu’à la fin de la vie n’est pas une utopie, c’est possible.

Correspondance

M. Jean Hermesse
Ancien Secrétaire Général des Mutualités Chrétiennes
hermessejean@gmail.com

Références

  1. Buettner D, Skemp S. Blue Zones: Lessons From the World’s Longest Lived. Am J Lifestyle Med. 2016 Jul 7;10(5):318-321.
  2. Huber M, Knottnerus JA, Green L, van der Horst H, Jadad AR, Kromhout D, et al. How should we define health? BMJ. 2011 Jul 26;343:d4163.
  3. OECD (2019), Health for Everyone?: Social Inequalities in Health and Health Systems, OECD Health Policy Studies, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/3c8385d0-en.
  4. Renard F, Scohy A, De Pauw R, Jurčević J, Devleesschauwer B. Health status report 2021 – L’état de santé en Belgique. Bruxelles, Belgique: Sciensano. Numéro de dépôt: D/2022/14.440/07. Disponible en ligne: https://www.belgiqueenbonnesante.be/fr/etat-de-sante.