Traiter l’hyperuricémie en 2021 : pourquoi, chez qui, comment ?
Hélène Georgery, Michel Jadoul, Arnaud Devresse
Introduction
La goutte est une complication très fréquente de l’insuffisance rénale chronique, l’acide urique étant éliminé par le rein. Si l’hyperuricémie a causé une ou des crises de goutte, outre des mesures hygiéno-diététiques (réduction des apports en purine, fructose et alcool, associées à la pratique d’une activité physique), un traitement médicamenteux hypo-uricémiant est généralement nécessaire afin de faire diminuer l’uricémie aux seuils recommandés par L’EULAR (European Ligue Against Rheumatism), à savoir 6 mg/dL, et même 5 mg/dL en cas de tophi goutteux. Les traitements hypo-uricémiants comprennent essentiellement les inhibiteurs de la xanthine oxydase, les uricosuriques étant inefficaces chez l’insuffisant rénal.
L’allopurinol, un inhibiteur de la xanthine oxydase, est le traitement de 1ère ligne de l’hyperuricémie chez les patients souffrant de goutte. Le fébuxostat est un autre inhibiteur plus puissant et sélectif de la xanthine oxydase, à élimination principalement hépatique. Il est remboursé en Belgique en cas d’effet indésirable, de contre-indication ou d’effet insuffisant de l’allopurinol.
Sécurité cardiovasculaire du fébuxostat
La supériorité du fébuxostat sur l’allopurinol pour réduire l’hyperuricémie a été démontrée par plusieurs études (1-2). Cela a mené la Food and Drugs Administration (FDA) et l’European Medicines Agency (EMA) à approuver ce médicament en 2009. Cependant, l’étude CARES (3), publiée dans le New England Journal of Medicine en 2017, a créé un choc dans la communauté médicale. Si cette étude multicentrique prospective, conduite chez 6190 patients souffrant de goutte et de maladie cardiovasculaire, a montré la non-infériorité du fébuxostat par rapport à l’allopurinol concernant le critère principal composite (mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal, accident vasculaire cérébral (AVC) non fatal et revascularisation coronaire pour angor instable), la mortalité cardiovasculaire et globale (deux critères secondaires) étaient significativement augmentées dans le groupe fébuxostat par rapport au groupe allopurinol (4.3 % vs 3.2 %, p=0.03 et 7.8 % vs 6.4%, p=0.04).
L’étude FAST (4) publiée dans le Lancet en 2020 a apporté des éléments nouveaux. Il s’agit également d’une étude multicentrique prospective randomisée. Tout comme l’étude CARES, elle supporte la non-infériorité du fébuxostat par rapport à l’allopurinol pour le critère principal composite (hospitalisation pour infarctus du myocarde non fatal ou syndrome coronarien aigu avec biomarqueurs positifs, AVC non fatal et mortalité cardiovasculaire) mais également pour six critères secondaires, c’est-à-dire les éléments pris séparément de l’outcome primaire, la mortalité globale, l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque et l’hospitalisation pour angor instable.
Ces deux études ont un certain nombre de différences dans leur design (Tableau 1). Notons en particulier les taux faibles de drop-out et d’arrêt prématuré du fébuxostat dans l’étude FAST comparativement à l’étude CARES), rendant ses conclusions très robustes. Cela permet raisonnablement de rassurer la communauté médicale quant à la sécurité cardio-vasculaire du fébuxostat. Néanmoins, l’étude FAST ayant inclus assez peu de patients avec maladie cardio-vasculaire sévère (contrairement à CARES, Tableau 1), la sécurité de ce médicament dans cette sous-population spécifique n’est pas encore clairement démontrée.
Intérêt du traiter une hyperuricémie asymptomatique ?
L’intérêt éventuel de traiter une hyperuricémie asymptomatique afin de réduire la vitesse de progression de l’insuffisance rénale chronique a de très longue date animé les débats entre experts, sans beaucoup d’assise scientifique. Deux essais de grande ampleur publiés dans le New England Journal of Medicine en 2020 (5,6) ont permis d’enfin clore le débat.
L’étude PERLS (5), menée aux Etats-Unis, Canada et Danemark, n’a pas montré de bénéfice de l’allopurinol par rapport au placebo sur le ralentissement du déclin de la fonction rénale ou la diminution de l’albuminurie chez 530 patients diabétiques de type 1 souffrant de néphropathie diabétique avec une insuffisance rénale chronique légère à modérée. Ces résultats sont donc négatifs malgré un design robuste, une population à haut risque de progression, une puissance suffisante et une haute adhérence au traitement avec une réduction de l’uricémie de 36% dans le groupe allopurinol par rapport au groupe placebo.
L’étude CKD-FIX (6) a quant à elle inclus 363 patients souffrant d’insuffisance rénale chronique de stade III et IV en Australie et en Nouvelle-Zélande et n’a, elle non plus, pas montré d’effet de l’allopurinol sur le ralentissement du déclin de la fonction rénale au bout de 104 semaines, malgré une réduction de l’uricémie de 35%.
En résumé
L’étude FAST a montré que comparés à un groupe de patients traités par allopurinol, les patients traités par fébuxostat avaient une survie cardiovasculaire et globale similaires, permettant de rassurer quant à la sécurité de ce traitement. Par ailleurs, les études CKD-FIX et PERLS ont clairement montré l’inefficacité du traitement de l’hyperuricémie asymptomatique en vue de réduire la vitesse de progression de l’insuffisance rénale chronique.
Références
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- Becker MA, Schumacher HR, Espinoza LR, Wells AF, MacDonald P, Lloyd E et al. The urate-lowering efficacy and safety of febuxostat in the treatment of the hyperuricemia of gout: the CONFIRMS trial. Arthritis Res Ther. 2010;12(2):R63.
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- Badve SV, Pascoe EM, Tiku A, Boudville N, Brown FG, Cass A et al. Effects of Allopurinol on the Progression of Chronic Kidney Disease. N Engl J Med. 2020 Jun 25;382(26):2504-2513.
Les inhibiteurs SGLT2 pour le traitement des maladies rénales chroniques : un effet majeur, au-delà du diabète !
Fabie Oguz, Nathalie Demoulin, Michel Jadoul, Johann Morelle
Introduction
Les maladies rénales chroniques représentent un problème de santé publique majeur. Ces maladies affectent 800 millions de personnes dans le monde (10% de la population mondiale) et sont responsables d’un excès de mortalité et d’une augmentation des événements cardiovasculaires, indépendamment des facteurs de risque dits traditionnels. Elles comportent également un risque de progression vers l’insuffisance rénale dite terminale, qui impose le recours à la dialyse ou la transplantation rénale.
Actuellement, le traitement freinateur des maladies rénales chroniques repose sur le contrôle strict de la pression artérielle, la réduction de la protéinurie, un contrôle glycémique adéquat, une réduction des apports alimentaires en sel, et la prise en charge adéquate des facteurs de risques cardiovasculaires. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) et les antagonistes des récepteurs à l’angiotensine 2 (ARA2 ou sartans), développés dans les années 1990s, ont démontré leur capacité de réduire de 20 à 30% le risque de progression de l’insuffisance rénale, en particulier chez les patients diabétiques, avec protéinurie pathologique ou en cas d’hypertension artérielle. D
es essais cliniques randomisés récents ont montré que les inhibiteurs du co-transporteur sodium/glucose de type 2 (iSGLT2, ou gliflozines), une nouvelle classe d’antidiabétiques oraux, réduisent de manière substantielle le risque cardiovasculaire et le déclin fonctionnel rénal. L’effet néphroprotecteur des gliflozines, initialement observé chez des personnes diabétiques, s’étend également aux individus souffrant de maladie rénale en l’absence de diabète. Dans un avenir proche, il est hautement probable que les iSGLT2 changeront la prise en charge et amélioreront significativement le pronostic des personnes souffrant de maladie rénale chronique, avec ou sans diabète.
Inhibiteurs SGLT2 et bénéfices cardiovasculaires
Les iSGLT2 agissent au niveau du tube proximal du rein en inhibant l’absorption de sodium et de glucose. Cette inhibition entraine une glucosurie qui améliore de façon modeste le profil glycémique, mais également une élimination urinaire accrue de sodium et une perte pondérale.
Les études EMPA-REG OUTCOME, CANVAS et DECLARE-TIMI 58 ont démontré que les iSGLT2 réduisent significativement le risque d’événements cardiovasculaires et de décès chez les patients diabétiques de type 2 avec macroangiopathie avérée ou un haut risque cardiovasculaire (1). Ces études ont également suggéré un bénéfice sur les critères d’évaluation secondaires rénaux, avec une réduction du risque de progression vers la macroalbuminurie, de doublement de la créatinine, et de besoin de suppléance rénale.
Inhibiteurs SGLT2 et néphroprotection
Au vu de ces résultats encourageants, deux essais cliniques randomisés contrôlés, en double aveugle et multicentriques, ont spécifiquement étudié le bénéfice néphroprotecteur des iSGLT2 (Tableau).
L’étude CREDENCE a testé l’effet protecteur de la canagliflozine versus placebo chez 4401 individus avec un diabète de type 2 et une maladie rénale chronique (débit de filtration glomérulaire estimé [DFGe] 30-90 ml/min et rapport albuminurie/créatininurie [UACR] 300-5000 mg/g), déjà traités par IECA ou ARA2. Le critère d’évaluation principal était un composite d’insuffisance rénale terminale, de doublement de la créatinine sérique et de décès de cause rénale ou cardiovasculaire. L’étude a été interrompue après un suivi médian de 2.6 ans, en raison d’une réduction très significative (-30%) du risque relatif pour ce critère composite (2). Une analyse post hoc de CREDENCE a montré que ce bénéfice néphroprotecteur est préservé dans le sous-groupe d’individus avec une maladie rénale chronique sévère (DFGe <30 ml/min) au moment de la randomisation (3).
L’étude DAPA-CKD a étudié le bénéfice rénal de la dapagliflozine chez 4304 individus avec une maladie rénale chronique (DFGe 25-75 ml/min/1.73m2 et UACR 200-5000 mg/g) (4). Il est important de souligner que 33% des participants de DAPA-CKD ne présentaient pas de diabète, 15% avaient un DFGe <30 ml/min, et 98% recevaient un IECA ou un ARA2. Le critère de jugement principal était un composite associant une perte de DFGe de >50%, la progression vers l’insuffisance rénale terminale et un décès de cause rénale ou cardiovasculaire. Comparativement au groupe placebo, les patients ayant reçu la dapagliflozine ont présenté une réduction de 39% du risque d’atteindre ce critère composite, un bénéfice indépendant de la sévérité de l’insuffisance rénale. Concernant les critères d’évaluation secondaires, la prise de dapagliflozine était associée à une meilleure préservation de la fonction rénale (perte de DFGe >50%, -44%) ; à une réduction du besoin de suppléance rénale (-34%) ; et à un effet bénéfique cardiovasculaire dans cette population à haut risque (hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou décès de cause cardiovasculaire, -29%, et décès de toute cause, -31%). La tolérance de la dapagliflozine était excellente, avec une survenue d’effets secondaires comparable au groupe placebo.
Au final, DAPA-CKD est la première étude à démontrer l’effet néphroprotecteur d’un iSGLT2 à tous les stades de la maladie rénale chronique indépendamment du statut diabétique du patient. Cette classe de médicament représente donc une opportunité thérapeutique pour ralentir la progression des maladies rénales chroniques, non seulement la néphropathie diabétique mais également d’autres maladies rénales protéinuriques.
Les mécanismes par lesquels les gliflozines confèrent cette néphroprotection sont vraisemblablement multiples, notamment via une réduction de l’hypertension intra-glomérulaire (résultant d’une activation du feed-back tubuloglomérulaire) et un switch dans le métabolisme énergétique des cellules rénales.
En pratique clinique
Quatre molécules de cette classe sont disponibles en Belgique : l’empagliflozine (Jardiance® 10 et 25 mg, Boehringer Ingelheim), la canagliflozine (Invokana® 100 et 300 mg, Mundipharma), la dapagliflozine (Forxiga® 5 et 10 mg, AstraZeneca), et l’ertugliflozine (Steglatro® 5 et 15 mg, MSD).
Actuellement, les iSGLT2 sont remboursés chez les personnes avec diabète de type 2 et un DFGe >60 ml/min, et leur poursuite est autorisée tant que le DFGe est >45 ml/min. Sur base des études citées précédemment, les recommandations internationales préconisent l’initiation d’un iSGLT2 en première ligne, en combinaison avec la metformine, chez tous les patients diabétiques de type 2 qui présentent une maladie rénale chronique , avec un DFGe ≥30 ml/min, et la poursuite de ces molécules jusqu’à la mise en dialyse (5). Les critères de remboursement de ces médicaments seront amenés à être revus pour permettre leur utilisation chez les patients avec un stade modéré (DFGe 30-59 ml/min) voire sévère (certainement 25-30 ml/min) de maladie rénale chronique, y compris en l’absence de diabète.
Le profil de tolérance de ces molécules est très bon, et les principaux effets secondaires incluent un risque accru d’infections urinaires/génitales mycotiques; d’hypovolémie qui justifie la réduction des diurétiques à l’initiation ; et d’acidocétose diabétique euglycémique. Cette dernière complication survient volontiers en cas d’hypoglycémie, de déshydratation, d’infection concomitante ou chez les patients éthyliques. En raison des effets sur l’hémodynamique glomérulaire, une diminution modérée du DFGe (et donc une augmentation du taux de créatinine) à l’initiation du traitement est classiquement observée, comme pour les IECA et les ARA2. L’effet néphroprotecteur au long cours est net malgré ce déclin initial, par ailleurs réversible. Comme dans les différentes études, les iSGLT2 doivent être prescrits en plus d’un IECA ou d’un ARA2, en l’absence de contre-indication.
En conclusion
Outre leur impact sur l’homéostasie glucidique et les événements cardiovasculaires, les iSGLT2 ralentissent le déclin de la fonction rénale et la progression vers le besoin de dialyse ou d’une greffe de rein. Ces effets néphroprotecteurs viennent s’ajouter à ceux des IECA/ARA2 et sont observés non seulement chez les individus souffrant d’un diabète de type 2 mais également, comme l’a montré l’étude DAPA-CKD, chez les personnes avec une maladie rénale sans diabète associé. Cette nouvelle classe thérapeutique va à coup sûr révolutionner la prise en charge et le devenir des personnes avec une maladie rénale chronique, indépendamment de la présence d’un diabète.
Réferences
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Affiliations
- Service de Néphrologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles
- Institut de Recherche Expérimentale et Clinique, UCLouvain, B-1200 Bruxelles
x, y : contribution égale à la rédaction de cette synthèse µ
Correspondance
Pr. Michel Jadoul
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Néphrologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles