Observation
Une femme de 51 ans était référée dans le service de dermatologie pour avis et bilan d’un œdème isolé (sans atteinte laryngée, ni urticaire associée) du bas du visage (lèvres, cou et joues) qui avait débuté environ 6 mois auparavant. Au départ fluctuant et plus important le matin au réveil, il était ensuite devenu constant à la lèvre supérieure. Par ailleurs, la patiente signalait également le gonflement concomitant d’une masse sous cutanée à son avant-bras droit. Les variations de volume de cette masse suivaient curieusement le rythme des poussées du visage.
Son traitement habituel comprenait de la lévothyroxine, du pantoprazole, du bisoprolol, de la simvastatine et une pilule contraceptive oestroprogestative. La patiente ne prenait, par ailleurs pas d’inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, ni d’antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II. Elle était vendeuse dans un magasin de textiles. Un premier bilan en allergologie permettait de mettre en évidence un prick test cutané légèrement positif pour le latex, le reste du bilan allergologique était négatif (IgE, Radio Allergo Sorbent Test ou RAST des pneumallergènes et extraits alimentaires). Un traitement antihistaminique à hautes doses lui avait été administré depuis une semaine, ainsi qu’une corticothérapie par méthylprednisolone 32 mg à doses dégressives. Ce traitement améliorait la symptomatologie mais une récidive rapide de celle-ci s’observait à l’arrêt des corticoïdes, les antihistaminiques seuls étaient inefficaces. D’autre part, elle avait subi plusieurs opérations chirurgicales dans les mois précédant la symptomatologie. D’abord, récemment en orthopédie pour une fracture du genou avec mise en place d’un matériel d’ostéosynthèse ôté par la suite. Elle avait également bénéficié 6 mois plus tôt d’un remplacement de ses prothèses mammaires siliconées suite à une chute, avec rupture complète de la prothèse du côté gauche, et microfissures à droite. À la suite de ces interventions un traitement par tramadol et ibuprofène avait été entrepris pendant trois à quatre semaines. Un premier bilan sanguin était réalisé et ne mettait en évidence qu’un syndrome inflammatoire (CRP à 58 mg/L) et une augmentation légère des fractions 3 et 4 du complément. Un bilan d’angioedème héréditaire était effectué avec recherche de C1q et C1 inhibiteur et s’était avéré normal. Un traitement à base d’acide tranexamique (Exacyl®) combiné au danazol (Danatrol®) était également tenté sans résultat probant.
En un premier temps, le rôle potentiel d’un angiœdème en lien avec son allergie au latex était suspecté mais l’éviction du latex et la poursuite du traitement antihistaminique n’avaient pas permis d’amélioration significative. Il était donc décidé d’effectuer une exérèse du nodule sous cutané de l’avant-bras droit en chirurgie plastique. L’analyse histopathologique de ce nodule permettait de mettre en évidence une réaction inflammatoire chronique granulomateuse autour de nombreuses petites vésicules optiquement vides évoquant une réaction sur corps étranger. Une sarcoïdose avait alors été évoquée dont le bilan s’était avéré négatif. Dans le même temps une biopsie de la lèvre supérieure avait été réalisée avec suspicion de macrochéilite granulomateuse de Miescher (en lien avec une possible sarcoïdose). L’analyse histopathologique de cette deuxième biopsie confirmait une réaction granulomateuse histiocytaire sur des vacuoles optiquement vides compatibles avec du silicone (Figure 1).
Suite à cette deuxième biopsie, une anamnèse complémentaire avait permis de découvrir que la patiente avait subi des injections de produits de comblement siliconés plus de 15 ans auparavant au sein de la lèvre supérieure. Le produit avait été testé préalablement dans son avant-bras droit avant de le lui injecter dans la lèvre supérieure.
Il a donc été conclu à une réaction de type granulome contre corps étranger sur produits de comblement siliconés de survenue tardive (15 ans environ après l’injection de ceux-ci). Vu la survenue rapide (une semaine) de cette réaction après la rupture de la prothèse mammaire, il est probable que cette dernière ait joué un rôle déclencheur. Du point de vue thérapeutique, une exérèse chirurgicale du matériel siliconé à la lèvre supérieure était irréalisable vu la diffusion de celui-ci. La patiente était donc traitée par méthotrexate 12,5mg/semaine (avec acide folique 4mg à 48 heures de la prise) combiné en un premier temps à des injections locales d’acétonide de triamcinolone 10mg à raison d’une injection par mois. Ces injections locales étaient interrompues après 6 mois avec bon contrôle du gonflement tout en poursuivant uniquement le traitement par méthotrexate 12,5mg par semaine. Actuellement, il existe toujours une stabilisation clinique avec un recul de 13 mois.
Discussion
Les silicones sont des composés inorganiques formés d’une chaîne silicium-oxygène sur laquelle se fixent des groupes organiques. En faisant varier les chaînes, leurs liaisons et les groupes fixés, on obtient une grande variété de matériaux dont la consistance varie du liquide au plastique dur en passant par la gomme ou le gel. La description de « siliconome » ou granulome sur silicone est parfaitement décrite dans la littérature bien que son mécanisme physiopathologique exact ne soit pas encore complètement élucidé (1). De multiples observations démontrent qu’une réaction de type granulome à corps étranger peut se manifester plusieurs mois à plusieurs années après l’injection (2). La figure 2 représente un exemple de ce type de réaction. La figure 3 correspond à une chéilite granulomateuse de Miescher dont l’image clinique est similaire à celle de notre patiente. Ces réactions ont d’abord été décrites sur les sites d’injection. Ensuite, il a été démontré que les silicones peuvent migrer à distance via le système lymphatique (3-5) notamment suite à l’implantation de prothèses mammaires (4). Le silicone a longtemps été considéré comme chimiquement inerte, n’entraînant aucune réponse immunologique. Cependant il a été rapporté des réactions inflammatoires granulomateuses liées à des implants mammaires notamment (4) ainsi que de rares cas d’hypersensibilité allergique à des composants en silicone de stimulateurs cardiaques, d’implants cochléaire et de neurostimulateurs médullaires (6-9). Le silicone pourrait en effet être dégradé en silice, connue comme agent irritant et potentiellement allergisant (10)
Cependant, à notre connaissance, aucun de ces cas ne décrit la survenue rapide (1 semaine) de granulomes sur des anciens sites d’injection de produits de comblement siliconés après libération massive de silicone suite à une rupture de prothèse mammaire. Un seul cas récemment rapporté par Chen et al. (11), signale l’apparition d’une granulomatose disséminée avec nodules faciaux, périorbitaires et corporels, apparue 5 ans après la mise en place de prothèses mammaires en silicone. Le bilan par IRM a mis en évidence des prothèses grossièrement intactes mais présentant une rupture intracapsulaire occulte. La patiente avait également une histoire d’injection faciale à visée cosmétique sans que le produit ne soit clairement identifié. Elle avait bénéficié d’un traitement immunosuppresseur systémique par méthotrexate en combinaison avec la doxycycline, ainsi que d’une ablation de ses implants mammaires. Une autre publication décrit l’apparition de granulomes au visage 7 ans après des injections de silicone à visée esthétique et de façon simultanée dans le genou et le coude, 20 ans après un accident de la route sur résidus de silice (quartz) (10). Les auteurs mettent en avant l’hypothèse physiopathologique d’une hypersensibilité retardée.
Notre patiente a été traitée avec succès par du méthotrexate. Deux autres publications démontrent l’efficacité du méthotrexate dans le traitement de réactions granulomateuses sur comblement siliconés au visage (11, 12). La première option thérapeutique reste l’utilisation de corticoïdes injectables in situ. D’autres produits ont également été utilisés en intra lésionnel comme la bléomycine et le 5-fluorouracile. La doxycycline (100 mg deux fois par jour) et la minocycline (100 mg par jour) ont également été utilisées pour leur effet anti-inflammatoire. D’autres molécules à effet anti-inflammatoire comme l’étanercept, l’imiquimod et le tacrolimus ont permis de traiter avec succès des maladies granulomateuses et pourraient également représenter une option thérapeutique pour certains patients. D’autres traitements ont été signalés, incluant l’utilisation de corticoïdes oraux, allopurinol, colchicine, isotrétinoïne, cyclosporine (11,12). L’exérèse chirurgicale du matériel exogène est recommandée lorsque celle-ci est possible.
La physiopathologie de la réaction granulomateuse sur silicone est débattue. Certains auteurs, proposent une immunogénicité propre avec une réponse spécifique d’antigène du silicone (13), alors que d’autres parlent d’une modulation de la réponse immunitaire par un rôle adjuvant et pro-inflammatoire. Certains auteurs rapportent aussi le rôle de divers facteurs déclencheurs tels des traumatismes locaux, des infections ou des vaccins. Une prédisposition génétique particulière pourrait également favoriser ce type de réaction (14). D’autres cas sont également décrits suite à des injections de silicones contaminés ou contenant des additifs (13). Dans notre cas, la question d’un rôle immunogène direct (antigénique) du silicone paraît le plus vraisemblable vu l’apparition rapide de la symptomatologie suite à la libération massive de silicone. Une réaction sur additifs ou contaminant semble peu plausible vu l’origine différente des deux sources de silicone.
Ce cas clinique pose la question d’une possible sensibilisation antigénique primaire au silicone via les injections à la bouche et au bras et d’une réaction immunitaire secondaire déclenchée des années plus tard par la rupture de la prothèse mammaire. Cela ouvre les portes d’une recherche plus approfondie pour comprendre les mécanismes faisant intervenir la mémoire immunologique dans les réactions granulomateuses sur corps étrangers non protéiques. Enfin, l’intérêt de l’utilisation du méthotrexate dans cette indication semble bien réel.
Recommandations pratiques
En cas de réaction granulomateuse sous-cutanée du visage il est important d’orienter l’anamnèse sur des injections à visée esthétique pouvant dater de plusieurs années au préalable.
Il est nécessaire d’informer les patientes désirant bénéficier de prothèse mammaire du risque de réaction immunitaire liée à la libération de silicone lors de rupture accidentelle ou lors de microfissures liées à la perte progressive de l’étanchéité de la prothèse (situation plus courante).
Le méthotrexate peut être proposé dans la prise en charge de réactions granulomateuses sur injections de silicone.
Les produits injectables dermiques à base de silicone devraient être proscrits.
Affiliations
A. Dermatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc UCLouvain, B-1200 Bruxelles.
B. Dermatologie, CHU UCL-Namur, site Godinne, B-5530 Yvoir.
C. Médecine interne, CHU UCL-Namur, Site Godinne, B-5530 Yvoir
D. Dermatologie, Clinique Saint-Jean, Boulevard du Jardin Botanique 32, 1000 Bruxelles.
Correspondance
Dr Hugues Fierens
Clinique Saint Jean
Dermatologie
Boulevard du Jardin Botanique 32
B-1000 Bruxelles.
Hugues.fierens@gmail.com
Conflit d’intérêt : aucun.
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