Lymphome B diffus à grandes cellules, place du traitement par CAR-T cells
Le lymphome B diffus à grandes cellules (DLBCL) est le lymphome le plus fréquent, représentant environ un tiers de tous les cas de lymphomes dans le monde. Le traitement de première ligne du DLBCL consiste en une chimiothérapie CHOP (cyclophosphamide, vincristine, doxorubicine, et prednisone) associée au Rituximab (R-CHOP) (1), et permet d’obtenir une rémission durable dans environ 2 tiers des cas, avec une survie évaluée à 75% à 6 ans (2). Cependant, 10-15% des patients ont une maladie réfractaire primaire, et 20-35% vont rechuter. Le traitement de seconde intention est généralement décevant, il ne permet d’obtenir une réponse que dans 40 à 60% des cas, à la suite de laquelle 50% des patients seront éligibles à un traitement d’intensification suivi d’une greffe autologue de cellules souches. De ces patients greffés, 30 à 40% seront en survie sans progression à 3 ans (3,4). Concernant les patients non éligibles à la transplantation, la survie est estimée à 23% à 2 ans (5). Ces données sont illustrées dans la figure 1.
Ces dernières années, la prise en charge des patients souffrant de lymphome B diffus à grandes cellules en rechute/réfractaires (R/R) a été révolutionnée par l’arrivée de traitements innovants tels que les CAR-T cells (chimeric antigen receptor engineered T cell), les anticorps bi-spécifiques (BiTE) ou autres immunothérapies (anti-CD79a, anti-EZH2 ou immunomodulateurs).
La thérapie par CAR-T cells consiste en une immunothérapie anti-cancéreuse autologue qui permet aux lymphocytes T du patient d’être modifiés et programmés pour éliminer les cellules tumorales exprimant à leur surface le CD19, un antigène pan-B. Ce résultat est obtenu suite à l’addition d’un transgène codant pour le CAR, par exemple à l’aide d’un lentivirus. Cette stratégie requiert plusieurs étapes comprenant une collecte autologue des lymphocytes T (Etape 1 : leucaphérèse), une transfection puis une expansion des CAR-T cells (Etapes 2 et 3), et enfin une infusion des cellules (Etape 4) au patient, faisant suite à une chimiothérapie de leucodéplétion permettant d’obtenir des conditions optimales pour l’expansion des CAR-T cells. Ce procédé est résumé dans la figure 2.
En se basant sur les résultats prometteurs de deux grandes études prospectives , ZUMA-1 (8) et JULIET (9), la FDA (Food and Drug Administration, USA) a approuvé l’axi-cel (Yescarta) et le tisa-cel (Kymriah) pour certains lymphomes B diffus à grandes cellules réfractaires ou en rechute après au moins 2 lignes thérapeutiques, en octobre 2017 et en mai 2018 respectivement. Ces traitements ont également été approuvés par l’EMA (agence européenne du médicament) quelques mois plus tard. Le tisa-cel (Kymriah) est remboursé en Belgique depuis juin 2019, l’axi-cel (Yescarta) le sera également dans les mois à venir. Un 3e CAR-T cell, le liso-cel, vient d’être approuvé par FDA sur base des résultats de l’étude TRANSCAND (10).
Concernant le tisa-cel, l’étude JULIET a montré un taux de réponse globale (ORR) de 52%, et un taux de réponse complète (CR) de 40% chez des patients en rechute de DLBCL après minimum 2 lignes de traitements. Si on s’intéresse à la population en intention de traiter (ITT), soit tous les patients inclus, prenant en considération les patients qui n’ont pas pu être réinfusés, l’ORR était de 33.9% avec 24.2% de CR et 9.7% de réponse partielle (PR). Les résultats de survie globale (OS) et de survie sans progression (PFS) sont repris dans la figure 3. Les études ZUMA-1 et TRANSCAND ont également montré des résultats extrêmement prometteurs, sans précédent dans cette population de patients au pronostic très sombre.
À noter que les CAR-T anti-CD19 ont également été approuvés dans certains cas de leucémies lymphoblastiques aigues.
Récemment, de nombreuses données de vie réelle viennent confirmer ces résultats spectaculaires, notamment l’analyse du CIBMTR avec le tisa-cel, repris dans la figure 4. Actuellement, il n’y a pas d’étude randomisée comparant les CAR-T cells au traitement standard de 3e ligne dans le lymphome B diffus à grandes cellules. Cependant, une analyse rétrospective de comparaison indirecte a montré un taux de réponse complète 8 fois supérieur avec les stratégies par CAR-T cells (6).
La figure numéro 5 illustre les données de suivi à 24 et 36 mois de l’étude JULIET avec le tisa-cel, montrant que 60% des patients ayant répondu après 3 mois conservent leur réponse à long terme (13).
Un problème majeur inhérent aux traitements par CAR-T cells provient de leurs toxicités associées à l’expansion rapide des CAR-T, un syndrome de lyse tumorale, un syndrome de relargage cytokinique, et des toxicités neurologiques. Le syndrome de relargage cytokinique (CRS) survient généralement rapidement après l’infusion des CAR-T cells, et peut parfois nécessiter une surveillance aux soins intensifs. Ce syndrome d’origine immunitaire peut généralement être rapidement contrôlé par l’infusion d’anticorps anti-Il6 ou de corticoïdes. Il existe d’autres effets secondaires tels que l’aplasie profonde des cellules B normales menant à une hypogammaglobulinémie, un risque d’infections et des toxicités hématologiques pouvant parfois se prolonger durant des mois. La majorité de ces toxicités est toutefois réversible.
Il existe actuellement peu de données concernant les échecs de traitements par CAR-T cells. On estime que la perte du CD19 intervient dans 20 à 40% des rechutes (11). D’autres facteurs ont également été décrits, tels que la masse tumorale, le score pronostique (IPI), le taux de CRP ou encore le taux de LDH (14). Une récente publication du groupe français du LYSA (Lymphoma Study Association, France), a analysé de façon rétrospective les données de 67 patients traités par tisa-cel et 49 par axi-cel entre juin 2018 et janvier 2020. Ils ont montré qu’un des facteurs prédictifs d’échec des CAR-T cells était un volume métabolique tumoral (TMTV) élevé avant l’infusion (> 80mL), comme cela avait été montré dans d’autres cohortes (15). Il n’y a toutefois pas de cut-off de volume métabolique défini actuellement.
Un an d’expérience avec les CAR-T cells en Belgique
En dehors d’un accès via des protocole d’études, le Kymriah (tisa-cel) est remboursé en Belgique depuis juin 2019, et le Yescarta (axi-cel) y a connu un programme compassionnel. Actuellement, les 4 centres de référence sont l’UZ Gent, L’UZ Leuven, l’UCLouvain Saint-Luc et le CHU Liège. L’expérience de ces centres après un an de traitements par CAR-T cells a fait l’objet d’une conférence organisée par la firme Novartis le 14 octobre 2020.
Fin 2020, 74 patients avaient été discutés en vue d’un traitement par CAR-T dans le cadre d’un lymphome B diffus à grandes cellules en rechute ou réfractaire. Ont été considérés comme éligibles 40 de ces patients, 26 pour Kymriah et 14 pour Yescarta. Deux patients n’ont pas été infusés (l’un pour échec de production avec progression, et l’autre pour progression).
Une étude rétrospective est en cours pour l’analyse des données d’efficacité et de toxicité. Ce projet fera l’objet de communications futures.
En ce qui concerne le Cliniques universitaires Saint-Luc, les principaux challenges de cette première année ont été la gestion de l’éligibilité des patients, la place du traitement de bridging, la gestion des toxicités immédiates et retardées, mais aussi l’impact de la crise COVID19 sur cette activité.
Éligibilité des patients
Tout patient souffrant d’un DLBCL en rechute ou réfractaire n’est pas forcément un bon candidat pour ces traitements. Tout d’abord, nous sommes sujets aux conditions de remboursement du médicament par l’INAMI qui autorise actuellement ce traitement dans les cas de DLBCL NOS, lié à une inflammation chronique ou HHV8+, pour des patients âgés de 18 ans ou plus, réfractaires ou en rechute après minimum 2 lignes de traitements, avec un indice de performance ECOG à 0 ou 1. D’autres critères ont été établis par les communautés d’experts à travers le monde, se basant notamment la fonction rénale, pulmonaire, cardiaque (FejVG >50%), l’absence d’infection active, ou encore l’absence d’infiltration neuroméningée. Par ailleurs, la présence d’une maladie très rapidement progressive, avec une forte masse tumorale n’est probablement pas favorable pour ce type de traitement dont la production nécessite un certain délai.
Place du traitement d’attente
La production des CAR-T cells par les firmes pharmaceutiques dure en moyenne 30 jours, mais celle-ci n’est pas garantie, et peut échouer pour diverses raisons. Un traitement d’attente entre la leucaphérèse et le traitement de leucodéplétion est souvent proposé, il s’agit de la phase de bridging. Le choix de ce traitement était généralement soumis à la discrétion du médecin en charge du patient dans les études cliniques, et il n’y a pas de consensus (corticoïdes, chimiothérapies, immunothérapies, traitements immunomodulateurs, etc.). Ce traitement d’attente fait souvent l’objet d’une discussion au cas par cas par l’équipe d’hématologues en charge du patient. Afin de garantir les meilleures conditions pour la production des CAR-T cells et pour leur expansion, un délai doit être respecté avant la leucaphérèse et avant le traitement de leucodéplétion (16). Conformément à ce qui a été expliqué précédemment, l’importance de la masse tumorale au moment de l’infusion des CAR-T semble avoir un impact important sur l’efficacité du traitement. Une forte masse tumorale, mais également un contexte infectieux, un manque de places d’hospitalisations sont des situations pouvant nécessiter la prolongation de cette période dédiée au traitement de bridging, en sachant que le lymphome peut ne pas y répondre.
Gestion des toxicités
Le traitement par CAR-T cells s’associe à de nombreuses toxicités pouvant survenir à court, moyen ou long terme. Chaque traitement CAR-T possède un profil de toxicité différent, expliqué notamment par des mécanismes différents de co-stimulation. Les potentiels effets secondaires immédiats nous incitent actuellement à hospitaliser les patients minimum deux semaines après l’infusion des CAR-T cells. Dans certains pays, les patients sont gérés dans des hôtels particuliers proches de l’hôpital. Par ailleurs, la gestion des toxicités durant la phase aigüe (CRS, lyse tumorale, toxicité neurologique ou autres) requiert une collaboration rigoureuse entre les équipes d’hématologie, des soins intensifs, de neurologie mais également de la salle d’urgence. Aux Cliniques universitaire Saint-Luc, aucun patient n’a dû être transféré aux soins intensifs pour un effet secondaire sévère. Un patient a été infusé dans l’unité des soins intensifs car à haut risque de lyse tumorale. Nous ne retenons aucun décès ou hospitalisation prolongée dans ce contexte. La gradation de ces effets secondaires est également très importante et doit faire l’objet d’un consensus clair afin d’en optimaliser la prise en charge. Nous utilisons la gradation de l’ASTCT (American Society for Transplantation and Cellular Therapy) pour le CRS (17), reprise dans le tableau 1, et avons rédigé un protocole spécifique de surveillance et de prise en charge se basant sur les données retrouvées dans la littérature. À noter que celles-ci n’ont pas montré d’infériorité en terme de PFS et d’OS chez les patients pris en charge par l’agent anti-Il6 disponible, le tocilizumab, et/ou les corticoïdes après l’infusion des CAR-T cells.
Impact de la crise COVID19
Indépendamment de ce qui concerne la fragilité des patients souffrant de lymphomes et multitraités face à l’infection par SARS-COv-2, la crise COVID19 a impacté notre programme CAR-T cells cette année. Les patients dans le programme des CAR-T cells doivent pouvoir bénéficier d’une surveillance intensive en cas de toxicité grave. Or, de nombreuses places en unités intensives ont été occupées durant de longs mois par les patients atteints de formes sévères de COVID19. Il n’y a pas eu de consensus international sur ce point, et les centres ont appliqué différentes mesures dans le monde. En ce qui nous concerne, nous avions un patient en attente de traitement par Kymriah durant la première vague de pandémie. Compte tenu de la situation sanitaire, nous avons préféré différer l’infusion des CAR-T cells en prolongeant le traitement de bridging (lenalidomide dans son cas). Cela n’aura pas eu d’impact pour ce patient qui n’a pas connu de toxicité importante du traitement et qui est actuellement en rémission complète à 6 mois de l’infusion. Par ailleurs, en règle générale, la vaccination est préconisée, idéalement 3 mois après la fin du traitement et pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un vaccin vivant (18).
Conclusions
L’émergence des traitements par CAR-T cells a révolutionné la prise en charge de nos patients souffrant de lymphomes DLBCL en rechute et/ou réfractaires. Ces thérapies innovantes offrent de nouvelles perspectives dans ces pathologies au pronostic très sombre, mais également de nombreux challenges pour les médecins et équipes soignantes. Beaucoup de questions sont encore en suspens, comme la place de l’allogreffe en consolidation, les traitements de rattrapage ou encore la possibilité d’administrer une 2e dose de CAR-T cells chez les patients non répondeurs. L’année 2020 fut une année très riche sur ce point en Belgique grâce au remboursement par les autorités. Ces traitements prendront certainement de plus en plus de place dans les années à venir, que ce soit dans le lymphome B diffus à grandes cellules ou d’autres maladies hématologiques telles que le myélome multiple, ou le lymphome du manteau. Une collaboration entre les différentes équipes de soins, mais également entre les centres référents est primordiale.
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Affiliations
Département d’hématologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles
Correspondance
Dr. Sarah Bailly
Cliniques universitaires Saint-Luc
Département d’Hématologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles