Quel sens donner à sa vie ?
C’est la question que se posent les adolescents et les jeunes adultes. Dans le contexte actuel de crise écologique et économique, de post-pandémie et de retour de la guerre en Europe, les réponses qu’ils reçoivent méritent d’être décrites et analysées. Enseignant à la faculté de Médecine de l’UCL, neuropsychiatre et psychanalyste principalement attaché aux troubles de l’adolescence, Philippe van Meerbeeck a conquis des générations d’étudiants par son enthousiasme à décrypter le pouvoir des mots dans les processus de guérison. Démarche novatrice, non-évidente au départ dans une faculté de médecine, mais dont il s’est acquitté avec un brio reconnu par tous. Drôle, érudit, resté un peu adolescent lui-même dans l’allure et le discours, farfadet conteur quand le récit l’exige, il charmait les auditoires avec une conviction intacte. Il écrit maintenant, et on croit l’entendre, un livre de transmission proposant à « ses » adolescents - par-delà les inquiétudes actuelles – un autre sens à la vie revisitant les valeurs évangéliques à partir de leurs expériences sentimentales, amicales et amoureuses. Ou comment croire encore à la rencontre de l’autre, s’écartant des algorithmes, redécouvrant que l’amour est plus fort que la désespérance.
La grande incertitude de l’Anthropocène
Peut-on continuer à perdre sa vie à la gagner, quelle alternative à la loi darwinienne du plus fort, du plus riche, du plus informé, du plus performant ? Citant Christian de Duve (Génétique du péché originel : le poids du passé sur l’avenir de la vie) tout en élargissant sa réflexion par sa propre expérience clinique, l’auteur suggère que la loi du plus fort vit une mutation essentielle. Surgit dans la sélection naturelle un point où l’humanité n’est plus l’esclave de son évolution, mais en devient l’acteur. Cette évolution remarquable produit des humains dotés de moyens intellectuels capables de comprendre la nature, et eux-mêmes, leur donnant le pouvoir de changer les choses avec un sentiment nouveau de responsabilité morale des effets de leurs actes sur toute l’humanité et sur la planète (l’Anthropocène). La Covid a accéléré le processus nous inondant d’une quantité inimaginable de données, d’images, d’idées, de promesses et de menaces. Les nouvelles technologies ont entraîné une profonde rupture transgénérationnelle avec comme conséquence une grande difficulté de transmission. Personne ne sait exactement à quoi vont ressembler la famille, l’école, le marché du travail, la santé publique ni non plus quelles religions, quelles structures politiques et économiques domineront le monde en 2050.
L’ado, un enfant qui ne se veut pas adulte
Les adolescents grandissent dans cette mutation anthropologique pleine d’inconnues, doublée par une révolution technologique sans précédent, leur imposant le pouvoir de robots dotés d’intelligence artificielle simulant le dialogue humain, tout en risquant de les soumettre à une nouvelle servitude. Orfèvre dans la description des facteurs de mutation de notre époque, au point de nous saouler parfois par une débauche d’informations et de réflexions que lui inspirent ses nombreuses lectures, Philippe van Meerbeeck se risque au terme de son ouvrage à proposer des pistes d’espérance pour redonner sens à une génération qu’on étiquèterait trop vite de perdue. Ouvertures audacieuses et insolites dans une société centrée sur la recherche de l’épanouissement matériel et individuel, n’excluant pas un retour au spirituel ou aux valeurs évangéliques, réinventées pour les adapter aux inquiétudes d’une génération qui n’en a souvent jamais entendu parler.
Ouvrage foisonnant, aux allures parfois de feu d’artifice, qu’on referme en se demandant avec un sourire quel est le sujet qui n’aurait pas été approché par ce professeur brillant et apprécié, qui exerce la curiosité intellectuelle comme d’autres font de la prose. À la fois Pic de la Mirandole, Wikipedia et Archives du journal Le Monde pour notre plus grand bonheur. Mais dont les réflexions ont le mérite d’ouvrir des brèches dans nos certitudes et des pistes d’avenir dans nos inquiétudes.
L’auteur
Professeur ordinaire émérite à la Faculté de médecine de l’UCL, docteur en médecine, fonde en 1979 le Département pour Adolescents et jeunes Adultes du Centre Chapelle aux-Champs à Woluwe (Bruxelles) ainsi que le Centre thérapeutique pour Adolescents des cliniques universitaires Saint-Luc en 1993. Il a écrit de nombreux essais dont Mais qu’est-ce que tu as dans la tête, l’adolescent et la soif d’idéal (2015), Les jeunes dans l’apocalypse, pour quelles idées mourir aujourd’hui (2017).