Allocution du Professeur Nicolas Tajeddine, Doyen de la Faculté de médecine et médecine dentaire

Précédent
Nicolas Tajeddine Publié dans la revue de : Octobre 2024 Rubrique(s) : Ama Contacts
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

Chères nouvelles Diplômées et Chers nouveaux Diplômés,
Chères Consœurs et Chers Confrères,

Aujourd’hui, vous pouvez être fiers de ce que vous avez accompli. Après des années de travail et de sacrifices, vous voici arrivés au terme de vos études : vous êtes désormais médecins. C’est une lourde responsabilité que vous vous êtes engagés à assumer, mais aussi une opportunité unique de servir la société par votre savoir, vos compétences et votre passion. Votre formation vous a permis d’entrevoir l’extraordinaire richesse de votre métier, situé au carrefour des sciences exactes et des sciences humaines.

Article complet :

Chères nouvelles Diplômées et Chers nouveaux Diplômés,
Chères Consœurs et Chers Confrères,

Aujourd’hui, vous pouvez être fiers de ce que vous avez accompli. Après des années de travail et de sacrifices, vous voici arrivés au terme de vos études : vous êtes désormais médecins. C’est une lourde responsabilité que vous vous êtes engagés à assumer, mais aussi une opportunité unique de servir la société par votre savoir, vos compétences et votre passion. Votre formation vous a permis d’entrevoir l’extraordinaire richesse de votre métier, situé au carrefour des sciences exactes et des sciences humaines.

Permettez-moi d’abord d’exprimer ma gratitude la plus profonde à l’ensemble de vos professeurs qui ont su vous guider et vous transmettre les connaissances et les compétences indispensables à la pratique médicale. L’impénétrable thermodynamique de la pompe à sodium, la mystérieuse arrière-cavité des épiploons, l’énigmatique purpura thrombopénique immun : que d’heures passées à tenter de comprendre et apprendre toutes ces matières ! Vous avez pourtant su répondre aux exigences de vos professeurs, et c’est grâce à leur travail que vous voilà dignes d’être médecins. Mes remerciements vont également au personnel scientifique et administratif de la faculté qui n’a pas ménagé ses efforts pour vous soutenir dans les moments difficiles et assurer que votre parcours académique soit le plus fluide possible.

Je tiens également à remercier vos parents et vos familles. Vous nous avez confié, chers parents, chères familles, ce que vous aviez de plus précieux, et je veux vous assurer que nous avons honoré cette confiance avec passion, rigueur et bienveillance. Aujourd’hui, vous pouvez être fiers de ce que vos enfants ont accompli. Votre soutien, vos encouragements et votre présence ont été des piliers essentiels pour leur réussite.

Je souhaite adresser des remerciements tout particuliers à une personne qui a marqué notre faculté par son engagement. Durant cinq années, elle a été votre doyenne, notre doyenne. Malgré un contexte difficile, marqué notamment par la saga des numéros INAMI et la crise sanitaire, elle a su lancer de grands projets et œuvrer pour le développement de notre faculté avec dévouement et détermination. Je vous invite, chers collègues, chers diplômés, à vous joindre à moi pour remercier chaleureusement, par des applaudissements nourris, notre doyenne honoraire, la Professeure Françoise Smets.

En cette occasion solennelle, je voudrais évoquer un moment personnel qui, je l’espère, saura vous inspirer autant qu’il l’a fait pour moi. C’était le 29 juin 2002, lors de ma propre cérémonie de promotion. Le professeur Marcel Crochet, alors recteur, avait partagé un extrait d’un petit livre intitulé Lettres du Gange, dans lequel Siddhartha, écrivain, journaliste et leader social indien, rapporte une courte histoire qu’il avait lue alors qu’il était à l’université : Une fourmi toute jeune, en quête du sens de la vie, remarqua au loin un attroupement. Elle se dépêcha vers le lieu de l’événement pour mieux voir ce qui se passait. Devant elle, elle vit une petite montagne de fourmis entassées les unes sur les autres, et d’autres fourmis qui se précipitaient en masse pour se joindre à la mêlée. Au milieu de cette bousculade, on entendait un seul refrain, sans cesse répété : « Il faut arriver au sommet ! » La jeune fourmi se jeta à corps perdu dans cette frénésie, jouant des coudes avec les autres pour arriver la première au sommet. La compétition dura plusieurs heures, au cours desquelles plusieurs fourmis furent écrasées et blessées. À la fin, l’une des fourmis, poussée par l’élan des autres, atterrit au sommet. Ce qu’elle vit la laissa ébahie. « Il n’y a rien, au sommet ! s’exclama-t-elle. Il n’y a absolument rien, tout en haut. »

Dans une société qui valorise encore trop souvent la compétition, il peut être tentant de se laisser emporter dans une quête effrénée de perfection et de reconnaissance. Pourtant, tout comme dans l’histoire de la fourmi, cette course peut s’avérer vaine. Il est donc important de vous poser la vraie question : quel est le but de cette quête et, surtout, quel en est le prix ? La satisfaction que vous espérez pourrait ne pas se trouver là où vous l’attendez, car le véritable épanouissement réside dans la relation humaine que vous construirez avec vos patients, et non dans une lutte pour atteindre un sommet illusoire. La richesse de votre métier n’est pas tant dans le but à atteindre que dans le chemin que vous parcourez. Le rôle du médecin est d’accompagner sur ce chemin celles et ceux qui ont besoin de lui, en gardant toujours à l’esprit que, derrière chaque patient, il y a une personne avec son histoire, ses craintes et ses espoirs.

La compétition, quant à elle, peut vous détourner de l’essentiel : l’écoute, l’empathie, le respect. En cherchant constamment à atteindre la perfection ou la reconnaissance, vous risquez d’oublier ce qui est fondamental : le bien-être de vos patients et votre propre bien-être.La compétition peut mener à l’épuisement, à la frustration et même à l’isolement. La médecine n’est pas une course individuelle, mais un travail d’équipe, fondé sur la collaboration et le partage des connaissances.

Je vous encourage par contre à poursuivre l’excellence, à cultiver en vous cette volonté d’apprendre et de progresser continuellement. Mais l’excellence n’est pas synonyme de compétition. Il n’y a ni sommet à gravir, ni ligne d’arrivée à franchir, et il n’est jamais nécessaire d’écraser les autres pour y parvenir. L’excellence réside dans l’engagement constant à faire de son mieux, tout en reconnaissant que, parce que nous sommes humains, la perfection restera toujours un idéal inatteignable.

Dans votre métier de médecin, vous devrez également faire preuve d’une profonde humilité. L’humilité est d’abord indispensable pour cultiver le doute, qui est au cœur de la pratique médicale fondée sur la pensée critique. Comme l’écrit Jean d’Ormesson dans son livre Presque rien sur presque tout : « C’est quand il doute que l’homme est vraiment homme. » Et plus loin d’ajouter : « Plus que la certitude à tête de bœuf, le doute est porteur d’avenir. » La médecine n’est pas une science figée, elle est en perpétuelle évolution. Avoir l’humilité de douter, de remettre en question ce que l’on croit savoir, est une qualité essentielle pour un médecin. Le doute ne doit pas être perçu comme une faiblesse, mais comme un moteur d’amélioration. C’est par le doute que nous progressons, que nous affinons nos diagnostics, que nous remettons en question les certitudes et que nous innovons.

Vous devrez aussi être humbles face à la maladie. Vous connaissez le vieil adage : « La médecine peut gagner des batailles mais elle finit toujours par perdre la guerre. » Vous aurez souvent à accepter le cruel sort réservé à vos patients par l’adversité. Il vous faudra alors, en toute humilité, accepter que le combat est perdu. Dans ces moments, le plus grand service que vous pourrez rendre à votre patient et à sa famille sera de les accompagner, en veillant à ce que votre patient puisse vivre ses derniers instants avec dignité, et conformément à ses souhaits.

L’humilité enfin vous protégera du piège de l’épuisement professionnel qui guette celles et ceux qui ne visent que la perfection. Accepter de ne pas être capable de tout faire et de ne pas tout savoir est une marque de sagesse. C’est aussi le seul moyen de durer dans cette profession exigeante. Prenez soin de vous, car c’est en prenant soin de votre propre bien-être que vous serez capables de prendre soin des autres.

Chers nouveaux docteurs, je vous félicite pour ce que vous avez accompli jusqu’à présent. Vous entrez dans une profession où l’excellence est nécessaire, mais où l’humilité est essentielle. Vous pouvez être fiers de votre parcours, mais n’oubliez jamais que soigner celui qui souffre est avant tout un privilège. Ce privilège ne découle pas de votre position ou de vos titres, mais bien de vos compétences et de vos valeurs humaines.

Je vous remercie.