Introduction
La spondylodiscite est une infection rare chez l’enfant. Nous rapportons le cas d’une adolescente de 16 ans ayant présenté une spondylodiscite à Streptococcus pyogenes développée à la suite d’une angine, probablement dans le décours d’une grippe saisonnière.
L’intérêt de cet article repose sur la rareté de ce diagnostic chez le jeune adulte, ainsi que la rareté du streptocoque de groupe A (GAS) comme agent causal de spondylodiscite infectieuse chez l’adolescent.
Nous rappelons par ailleurs la nécessité de l’élargissement de la vaccination contre la grippe pour les travailleurs dans toutes les collectivités, y compris les crèches.
Cas clinique
Une patiente de 16 ans, en bonne santé et sans antécédent médical particulier, se présente dans le service d’urgences pour lombalgies et pyrexie évoluant depuis plus d’une semaine. Une semaine auparavant, la patiente s’était rendue dans un autre service d’urgence avec ces mêmes plaintes, ainsi qu’une douleur pharyngée et, vu le contexte épidémique de grippe saisonnière, le diagnostic de grippe saisonnière avait été retenu, et un traitement symptomatique à base d’antalgiques et antipyrétiques par voie orale avait été administré. La patiente ne mentionne à son admission aucune notion de contage, ni de voyage récent, ni de vaccination anti-influenza.
À l’admission, l’examen clinique est rendu difficile par la douleur lombaire intense, estimée à 10/10 sur une échelle visuelle de la douleur, présente au moindre effort et diminuant significativement l’amplitude des mouvements de la patiente. Le repos calme la douleur, pas de résurgence nocturne. Le reste de l’examen clinique est sans particularités. La prise de sang montre une leucocytose normale (10200 B, 58% de neutrophiles), une CRP élevée (174,9 mg/L) et des enzymes hépatiques légèrement altérées (GOT 50 U/L-norme 7-31-, GPT 97 U/L-norme 7-31-, LDH 321 U/L-norme 125-250-, Gamma GT 115 U/L-norme 5-36). Différentes sérologies sont demandées (hépatite A, B et C, HIV, Eptein Barr Virus (EBV), Cytomégalovirus (CMV) et excluront une infection aigüe à ces virus ; deux paires d’hémocultures sont prélevées. Un scanner thoraco-abdominal avec injection de contraste est réalisé, excluant un foyer thoraco-abdominal et montrant une discopathie au niveau lombaire L2-L3 avec collapsus discal, pathologique à cet âge (Figure 1). La patiente bénéficie alors d’un traitement antalgique intra-veineux.
Le lendemain de son admission, les douleurs lombaires devenues intolérables, majorées la nuit, (VAS 10/10) conduisent à réaliser en urgence une imagerie par résonance magnétique (IRM) de colonne lombaire qui montre au niveau L2-L3 un collapsus important du disque prédominant antérieurement, associé à des géodes sous-chondrales, un aspect en hyposignal T1, hypersignal T2, T2 STIR des berges L2 et L3 et une prise de contraste significative des berges prédominant antérieurement ; ainsi qu’une très discrète prise de contraste également des tissus mous périphériques sans épidurite (Figure 2). Le diagnostic radiologique de spondylodiscite infectieuse L2-L3, sans épidurite est posé.
Les hémocultures réalisées à l’admission se révèlent positives pour un Streptococcus pyogenes multi-sensible et le diagnostic de spondylodiscite L2-L3 à Streptococcus pyogenes, probablement à point de départ d’une amygdalite est posé. Une antibiothérapie par voie intra-veineuse à base d’amoxicilline 2g 4x/jour est initiée. Au troisième jour de l’antibiothérapie, les douleurs lombaires régressent fortement et la patiente commence à retrouver une mobilité normale. La patiente recevra au total 6 semaines d’antibiothérapie avec un relai oral après 14 jours d’administration intraveineuse. La patiente est revue en consultation d’orthopédie 3 semaines après sa sortie de l’hôpital, elle ne présente plus aucun symptôme, la douleur lombaire a disparu. Une IRM de contrôle, 3 mois après la fin de l’hospitalisation, permet de confirmer la guérison (disparition de tous les phénomènes inflammatoires locaux).
Finalement, un scanner après 6 mois montrera l’absence d’image évolutive en comparaison de l’examen initial.
Après un interrogatoire plus poussé, la patiente nous apprend qu’elle effectuait un stage dans une crèche avant le début des symptômes et que plusieurs cas de scarlatine, dont l’agent causal est également le Streptococcus pyogenes, se sont déclarés dans cette même crèche durant son hospitalisation.
Discussion
Généralités et présentation clinique
La spondylodiscite infectieuse est une infection simultanée d’un disque intervertébral et des corps vertébraux adjacents. Chez l’enfant, il s’agit d’une affection rare dont l’incidence est estimée à 0.3/100 000 cas chez l’enfant de moins de 20 ans (1) et biphasique, affectant les tout petits de moins de 6 mois et les adolescents (2,3). La spondylodiscite infectieuse est plus fréquente chez le jeune enfant pour des raisons anatomiques, le disque intervertébral étant richement vascularisé contrairement à l’adulte (1,3–5).
La symptomatologie chez l’enfant est aspécifique, incluant douleurs lombaires, fièvre, perte de poids, irritabilité et refus de marche. Cependant, le symptôme le plus fréquemment rencontré à l’admission reste la douleur lombaire (1).
Étiologie
La mise en évidence de l’agent causal, n’est que rarement positive chez l’enfant. Elle se fait essentiellement par hémocultures (1), les biopsies étant moins fréquemment réalisées. A titre d’exemple, dans une étude prospective (6) réalisée en 2012 en France, sur six enfants présentant une spondylodiscite avérée, la biopsie n’a été réalisée que chez un seul enfant et s’est révélée négative. Cependant, la recherche du pathogène demeure très importante, notamment pour l’adaptation du spectre de l’antibiothérapie. Comme démontré dans le Tableau 1, lorsqu’elles sont positives, les cultures permettent, dans la majorité des cas, la mise en évidence du Staphylococcus aureus (1,2,4–6). Les autres agents fréquemment isolés sont le Staphylococcus à coagulase-négatif, le Streptococcus α-hémolytique, le Streptococcus pneumoniae et les bacilles gram négatif comme l’Escherichia coli et le Salmonella spp (4). À ce jour, nous n’avons pas retrouvé d’article mettant en évidence le Streptococcus pyogenes comme agent causal de spondylodiscite infectieuse.
Depuis décembre 2016, on note une augmentation du nombre d’infections à Streptocoque pyogène du groupe A (GAS) en Belgique (7). Des cas de choc toxique streptococcique, de fasciite nécrosante, de méningite et de septicémie ont notamment été rapportés, dont 11 cas mortels. À notre connaissance, il n’existe, à ce jour, pas de cas décrit de spondylodiscite à Streptococcus pyogenes.
Les super-infections désignent les infections bactériennes au décours et compliquant une infection virale. Dans notre cas, nous faisons l’hypothèse que la patiente, travaillant dans une crèche (où des cas de scarlatine avaient été recensés) ait pu présenter une grippe saisonnière qui aurait favorisé la survenue de la pharyngite et ensuite de la spondylodiscite à GAS. Une étude menée sur des militaires américains montre que les sujets vaccinés contre la grippe seraient moins susceptibles de présenter une infection bactérienne à GAS que ceux n’ayant pas bénéficié de la vaccination (10) Notre patiente n’entre pas dans les critères belges de remboursement de la vaccination contre la grippe. Cependant, le fait d’exercer un métier au contact d’enfant la place, selon nous, dans une situation à risque. A titre d’exemple, en Suisse, la vaccination contre la grippe est conseillée au personnel des crèches, en contact avec des nourrissons de moins de 6 mois.
Examens complémentaires
L’examen radiologique de choix pour le diagnostic de la spondylodiscite est l’IRM, très sensible et spécifique (3–6,8,9). La localisation préférentielle de l’atteinte se situe au niveau de la colonne lombaire (1–6,9). Les localisations au niveau de la colonne dorsale sont un peu moins fréquentes, au niveau de la colonne cervicale plus rares.
Les atteintes rachidiennes liées la tuberculose trouvent quant à elles le plus souvent leur siège au niveau de la charnière thoraco-lombaire.
Traitement et suivi
La spondylodiscite chez l’enfant est parfois considérée comme spontanément résolutive, mais il est néanmoins recommandé de la traiter par antibiotiques dirigés initialement contre le Staphylococcus aureus et de débuter la thérapie préférentiellement par la voie intra-veineuse. La durée de l’antibiothérapie n’est pas clairement définie mais une durée minimale de 4 à 6 semaines est habituelle (2,5). L’immobilisation de la colonne par corset est également un des traitements principaux, permettant de réduire les douleurs (5)
En l’absence de signe de gravité, le traitement sera toujours médicamenteux (antibiothérapie).
Par contre, en cas de signes de gravité, si des symptômes neurologiques apparaissent (compression radiculaire ou médullaire), une chirurgie sera également nécessaire, éventuellement en urgence.
Secondairement, en cas de destruction importante des corps vertébraux avec mise en péril de la statique rachidienne, une chirurgie de stabilisation sera recommandée.
Le suivi de la spondylodiscite est clinique (diminution des douleurs et du syndrome inflammatoire biologique) et éventuellement radiologique avec une radiographie standard. Un suivi radiologique par IRM peut être réalisé dans les quelques mois suivant le début de l’affection afin d’exclure une complication, entrainant des troubles de la statique (5).
Conclusion
La spondylodiscite infectieuse chez l’enfant est une affection rare, d’origine hématogène. L’agent causal n’est pas toujours retrouvé et généralement mis en évidence par les hémocultures.
Le traitement de cette infection reste à priori médicamenteux (antibiothérapie ciblée).
La rareté d’une infection à Streptococcus pyogène comme agent causal d’une super-infection dans le décours d’une grippe saisonnière, nous rappelle la nécessité de l’élargissement de la vaccination contre la grippe pour les travailleurs dans toutes les collectivités, crèches y compris.
Affiliations
1. Médecin généraliste, lunelli.lara@gmail.com
2. CHU Ambroise Paré, Maladies Infectieuses, camelia.rossi@hap.be
3. CHU Ambroise Paré, Rhumatologie, nathalie.demeulenaere@hap.be, marc.leon@hap.be
4. CHU Ambroise Paré, Orthopédie-traumatologie, xavier.collard@hap.be
Correspondance
Dr. Xavier Collard
Médecin Chef de Service Orthopédie-traumatologie
CHU Ambroise Paré
Boulevard JF Kennedy 2
B-7000 MONS
xavier.collard@hap.be
Références
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