Chirurgie bariatrique et alcool

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Martin Buysschaert Publié dans la revue de : Juillet 2024 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

L’obésité reste en 2024 un problème dominant de santé publique.

Article complet :

L’obésité reste en 2024 un problème dominant de santé publique. Par sa fréquence d’abord :15.7 et 17.0% des adultes respectivement en Belgique et en France sont obèses ! Pire… Les projections épidémiologiques de la fédération mondiale de l’obésité (World Obesity Federation) indique encore à l’avenir une augmentation importante de cette pathologie dont la prévalence est estimée à 33% en 2035. En d’autres termes, c’est le constat d’une croissance annuelle moyenne (2020-2035) de l’ordre de 1.8%. Par sa gravité ensuite, eu égard aux multiples complications, en particulier métabolique et cardiovasculaire, que J.P. Thissen décrivait en 2023 dans un numéro de l’Ama Contacts (1).

L’approche thérapeutique de l’obésité, par-delà la démarche hygiéno-diététique est aujourd’hui tantôt médicale, tantôt chirurgicale. De nouvelles classes de médicaments ont récemment démontré leur grande efficacité. C’est le cas des agonistes des récepteurs GLP-1 (pour glucagon-like peptide-1) (dulaglutide, semaglutide, orforgliprone) du tirzépatide, un double agoniste [GLP-1-GIP] (pour Glucose-dependent Insulinotropic Peptide) et, plus récemment, du retatrutide un triple agoniste des récepteurs GLP-1, GIP et glucagon (2-5).

L’autre approche thérapeutique de l’obésité est chirurgicale. Elle a fait l’objet en 2018 dans Louvain Medical d’une revue exhaustive par Navez et Thissen comme modalité à part entière du traitement de l’obésité. Y sont discutés en détail les indications et contre-indications ainsi que les avantages et les éventuelles complications de cette chirurgie (6).

Le but de cet article est de rappeler, qu’à côté des écueils conventionnels de la chirurgie bariatrique, une modification du métabolisme de l’alcool et un risque de dépendance à l’alcool ont été documentés dans la littérature médicale.

Métabolisme

L’une des conséquences de la chirurgie de l’obésité, en particulier après bypass gastrique en-Y selon Roux est une déviation du métabolisme de l’alcool. C’est ce que rapporte entre autres Woodard et al. dès 2011 en analysant la concentration de l’alcool dans l’air expiré avant et après bypass. Le pic BAC (pour breath alcohol concentration) est significativement plus précoce et plus élevé en période postopératoire (3 et 6 mois) qu’avant l’intervention chirurgicale. L’espace-temps pour un retour à la « sobriété » est quant à lui prolongé (T0 : 49’ ; T3 mois : 61’ ; T6 mois : 88’) (7). Une autre étude plus récente a comparé l’alcoolémie chez les sujets opérés ou non d’un bypass gastrique après consommation d’une quantité d’alcool de 0.5 g/kg de masse maigre. Le pic d’alcoolémie chez les patients contrôle était observé 35 mn après l’ingestion et s’élevait à 0.6/00. Chez les malades opérés, il était observé déjà après 15 mn et s’élevait à 1.1./00 avec, comme conséquence « clinique », une sensation rapide d’ivresse déjà après consommation modérée (8). Ces viciations métaboliques n’ont pas été constatées pour d’autres techniques chirurgicales que le bypass comme la gastrectomie en manchon (sleeve gastrectomy) (9). Cet effet « alcool » après bypass pourrait s’expliquer par un passage accéléré du bolus alimentaire au jéjunum ainsi qu’une réduction, en cas de bypass, de la quantité d’alcool déshydrogénase gastrique disponible influençant ainsi une première étape de son métabolisme (10, 11).

Dépendance

Un risque accru de dépendance à l’alcool après chirurgie bariatrique avait déjà été observé par Svensson et al. dès 2013 dans la Swedish Obese subjects (SOS) study en particulier après bypass gastrique. Versus un groupe contrôle « non opérés », le risque de consommation excessive d’alcool était multiplié chez ces sujets par un facteur 3 à 5 (en fonction des critères utilisés) (12). Ces données renforcent celles de King et al. en 2012 qui démontraient cependant que ce risque ne devenait excessif qu’à partir de la 2e année postopératoire (9.6% d’AUD [alcohol use disorder] vs. 7.6% en préopératoire, p= 0.01) (13). Plus récemment, Ibrahim et al. confirment ce risque d’AUD à 2 ans chez les patients après bypass (T0 : 7.6% ; T1an : 6.3% ; T2ans : 11.9%) ou après gastrectomie en manchon (T0 : 10.1% ; T1an : 9.0% ; T2ans : 14.4%) (14). À plus long terme Maciejewski et al. dans une cohorte de 2608 vétérans américains observent chez des sujets sans antécédents d’AUD (sur base de questionnaire) une augmentation de la consommation d’alcool 3 à 8 ans après la chirurgie . Plus précisément, après bypass, 9.2 vs 4.4% dans un groupe contrôle non chirurgical et, après sleeve, 7.9 vs. 4.5% (15).

Le risque parait le plus élevé chez les patients jeunes, de sexe masculin, fumeur, ayant déjà une consommation d’alcool (ou de stupéfiants) avant l’intervention et dont l’ancrage social est fragile (16). A contrario, Ibrahim mentionnait comme facteur prédisposant un haut niveau éducationnel associé à un revenu familial élevé (14).

L’origine de cette « néodépendance » est sans doute plurielle comme rapporté par Ferrario et al. qui évoquent entre autres une impossibilité, après chirurgie, de compensation par hyperphagie des émotions négatives et, des lors, un transfert subséquent vers d’autres sources, comme l’alcool qui peut être consommé plus aisément que la nourriture. D’autres mécanismes neurobiologiques, comme une stimulation de la dopamine par l’alcool et/ou une palette de modifications neurohormonales, pourraient également être impliqués (11).

En conclusion, l’intégration par l’équipe transdisciplinaire du métabolisme de l’alcool et du risque potentiel de dépendance à l’alcool lors de l’indication et au cours du suivi de chirurgie bariatrique est donc tout à fait logique. Elle fait partie d’un parcours de soins adapté et d’une prise en charge adéquate pour limiter l’effet secondaire de cette thérapeutique.

Références

  1. Thissen JP. Interview. Ama Contacts 125. 2023; mai:293.
  2. Wilding JPH, Batterham RL, Calanna S, Davies M, Van Gaal LF, Lingvay I, McGowan BM, Rosenstock J, Tran MTD, Wadden TA, Wharton S, Yokote K, Zeuthen N, Kushner RF; STEP 1 Study Group. Once-Weekly Semaglutide in Adults with Overweight or Obesity. N Engl J Med. 2021 Mar 18;384(11):989-1002. doi: 10.1056/NEJMoa2032183.
  3. Jastreboff AM, Aronne LJ, Ahmad NN, Wharton S, Connery L, Alves B, Kiyosue A, Zhang S, Liu B, Bunck MC, Stefanski A; SURMOUNT-1 Investigators. Tirzepatide Once Weekly for the Treatment of Obesity. N Engl J Med. 2022 Jul 21;387(3):205-216. doi: 10.1056/NEJMoa2206038.
  4. Wharton S, Blevins T, Connery L, Rosenstock J, Raha S, Liu R, Ma X, Mather KJ, Haupt A, Robins D, Pratt E, Kazda C, Konig M; GZGI Investigators. Daily Oral GLP-1 Receptor Agonist Orforglipron for Adults with Obesity. N Engl J Med. 2023 Sep 7;389(10):877-888. doi: 10.1056/NEJMoa2302392.
  5. Jastreboff AM, Kaplan LM, Frías JP, Wu Q, Du Y, Gurbuz S, Coskun T, Haupt A, Milicevic Z, Hartman ML; Retatrutide Phase 2 Obesity Trial Investigators. Triple-Hormone-Receptor Agonist Retatrutide for Obesity - A Phase 2 Trial. N Engl J Med. 2023 Aug 10;389(6):514-526. doi: 10.1056/NEJMoa2301972.
  6. Thissen JP, Navez B. Chirurgie bariatrique : le suivi en médecine générale. Louvain Med.2018 ; 137 (5) :250-254.
  7. Woodard GA, Downey J, Hernandez-Boussard T, Morton JM. Impaired alcohol metabolism after gastric bypass surgery: a case-crossover trial. J Am Coll Surg. 2011 Feb;212(2):209-14. doi: 10.1016/j.jamcollsurg.2010.09.020.
  8. Pepino MY, Okunade AL, Eagon JC, Bartholow BD, Bucholz K, Klein S.Effect of Roux-en-Y Gastric Bypass Surgery: Converting 2 Alcoholic Drinks to 4. JAMA Surg. 2015 Nov;150(11):1096-8. doi: 10.1001/jamasurg.2015.1884.
  9. Changchien EM, Woodard GA, Hernandez-Boussard T, Morton JM. Normal alcohol metabolism after gastric banding and sleeve gastrectomy: a case-cross-over trial. J Am Coll Surg. 2012 Oct;215(4):475-9. doi: 10.1016/j.jamcollsurg.2012.06.008.
  10. Spadola CE, Wagner EF, Dillon FR, Trepka MJ, De La Cruz-Munoz N, Messiah SE. Alcohol and Drug Use Among Postoperative Bariatric Patients: A Systematic Review of the Emerging Research and Its Implications. Alcohol Clin Exp Res. 2015 Sep;39(9):1582-601. doi: 10.1111/acer.12805.
  11. Ferrario, C., et al. Chirurgie bariatrique et risque accru de dépendance à l’alcool. Rev Med Suisse, Vol. 12, no. 511, 2016, pp. 602–605.
  12. Svensson PA, Anveden Å, Romeo S, Peltonen M, Ahlin S, Burza MA, Carlsson B, Jacobson P, Lindroos AK, Lönroth H, Maglio C, Näslund I, Sjöholm K, Wedel H, Söderpalm B, Sjöström L, Carlsson LM. Alcohol consumption and alcohol problems after bariatric surgery in the Swedish obese subjects study. Obesity (Silver Spring). 2013 Dec;21(12):2444-51. doi: 10.1002/oby.20397.
  13. King WC, Chen JY, Mitchell JE, Kalarchian MA, Steffen KJ, Engel SG, Courcoulas AP, Pories WJ, Yanovski SZ. Prevalence of alcohol use disorders before and after bariatric surgery. JAMA. 2012 Jun 20;307(23):2516-25. doi: 10.1001/jama.2012.6147.
  14. Ibrahim N, Alameddine M, Brennan J, Sessine M, Holliday C, Ghaferi AA. New onset alcohol use disorder following bariatric surgery. Surg Endosc. 2019 Aug;33(8):2521-2530. doi: 10.1007/s00464-018-6545-x.
  15. Maciejewski ML, Smith VA, Berkowitz TSZ, Arterburn DE, Mitchell JE, Olsen MK, Liu CF, Livingston EH, Funk LM, Adeyemo A, Bradley KA. Association of Bariatric Surgical Procedures With Changes in Unhealthy Alcohol Use Among US Veterans. JAMA Netw Open. 2020 Dec 1;3(12):e2028117. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2020.28117.
  16. Ivezaj V, Benoit SC, Davis J, Engel S, Lloret-Linares C, Mitchell JE, Pepino MY, Rogers AM, Steffen K, Sogg S. Changes in Alcohol Use after Metabolic and Bariatric Surgery: Predictors and Mechanisms. Curr Psychiatry Rep. 2019 Aug 13;21(9):85. doi: 10.1007/s11920-019-1070-8.