Introduction
La pyomyosite est une infection bactérienne aiguë d’un ou plusieurs muscles striés, pouvant mener à la formation d’abcès. On attribue la description clinique de cette entité au chirurgien japonais Scriba en 1885, celle-ci étant décrite comme une affection des pays tropicaux (1).
Sa prévalence et son incidence exactes demeurent inconnues à cause du manque de données épidémiologiques. Dans certains pays d’Afrique, cette affection concerne 1 à 4% de toutes les admissions à l’hôpital (2).
Dans une revue sur 10 ans, le diagnostic de pyomyosite a été posé à une ou deux reprises sur 4000 admissions par an aux Etats-Unis (3).
Le SA est l’agent causal le plus fréquent des pyomyosites (90% des infections en milieu tropical et 60 à 70% des cas aux Etats-Unis) (4), bien que d’autres agents infectieux (autres bactéries, virus, champignons, parasites) peuvent parfois être incriminés.
On observe plus fréquemment une pyomyosite chez le garçon avec un sex ratio de 1.5:1 (2, 3) et il n’y a pas de tranche d’âge particulièrement concernée à l’hôpital.
Habituellement, un seul muscle est atteint, mais une atteinte musculaire multiple survient dans 10 à 20% des cas (4).
Bien que classiquement associée aux climats tropicaux, la pyomyosite a également été décrite dans les régions tempérées. On observe même récemment une augmentation des cas décrits dans les régions tempérées parmi la population pédiatrique (5). Pannaraj et al ont associé cette augmentation à l’émergence d’infections ostéo-articulaires et des tissus mous à SA résistants à la méthicilline (SARM) (6), sans que les causes de cette augmentation ne soient connues.
La présentation clinique de la pyomyosite est généralement insidieuse et peu spécifique. L’objectif d’un diagnostic précoce est la mise en place d’un traitement antibiotique rapide, permettant la prévention de l’apparition d’un abcès ou d’un sepsis.
Vignette clinique
Un nourrisson de 12 mois résidant habituellement en Guyane Française s’est présenté dans un service d’urgences pédiatriques pour fièvre et ballonnement abdominal.
Il présentait de la fièvre depuis 4 jours accompagnée de vomissements, avec apparition de selles liquides et de gonflement abdominal depuis le jour-même. À son arrivée, on constatait également une altération hémodynamique et un sepsis: une tachycardie, une tension artérielle dans les normes pour l’âge, un temps de recoloration cutané de 4 secondes aux membres inférieurs, des pouls faiblement palpés et une altération légère de la conscience.
À l’examen clinique, son abdomen était gonflé et tendu, mais dépressible, sans péristaltisme audible. Une diminution d’entrée d’air à la base gauche était également remarquée.
La biologie sanguine montrait une leucocytose à 10320/µL et une C-reactive protein (CRP) à 332 mg/L (norme : < 5 mg/L).
La radiographie du thorax révélait une pneumonie basale gauche avec un épanchement pleural.
Une échographie abdominale et un CT-abdominal mettaient en évidence une dilatation intestinale diffuse, ainsi qu’une large infiltration inflammatoire au niveau rétropéritonéal et péri-rénal à gauche, sans collection liquidienne.
Un diagnostic initial de sepsis avec iléus digestif était posé et le patient était transféré dans l’unité de Soins Intensifs Pédiatriques, après intubation et remplissage vasculaire.
Des compléments de biologie sanguine étaient réalisés et montraient une insuffisance rénale aiguë et une rhabdomyolyse avec une créatine kinase à 11368 UI/L (norme: 20- 200 UI/L).
Une antibiothérapie empirique était débutée avec de la Ceftriaxone et du Metronidazole. Un drain pleural était mis en place au niveau de la base gauche. La peau au niveau du flanc gauche était devenue marbrée et indurée (Figure 1A) et la pression intra-abdominale était majorée, justifiant une laparotomie exploratrice durant laquelle de nombreux prélèvements bactériologiques étaient réalisés, ainsi qu’une appendicectomie. Mais l’ascite était claire, il n’y avait pas d’étiologie intra-abdominale à l’infection. Une échographie de paroi mettait en évidence une cellulite. Deux jours après, l’échographie et le CT-abdominal montraient une myosite avec infiltration liquidienne de toute la paroi abdominale à gauche. Au vu de cela, une fasciotomie de toute la zone concernée était réalisée (Figure 1B). D’autres prélèvements bactériologiques étaient réalisés en peropératoire.
Rapidement, tous les prélèvements (liquide pleural, liquide péritonéal, frottis/biopsies peropératoires et frottis de dépistage) ont poussé en culture pure pour SASM avec une PCR PVL positive. Par contre, les hémocultures sont restées négatives. L’antibiothérapie était alors changée en Oxacilline et Clindamycine.
L’échographie cardiaque transthoracique ne révélait pas de végétation au niveau des valves cardiaques.
Une imagerie par résonance magnétique (IRM) réalisée 20 jours après admission, révélait également une collection périrénale, une sténose urétérale gauche et confirmait l’inflammation étendue de toute la paroi abdominale gauche (du muscle grand dorsal jusqu’aux muscles psoas et iliaques) (Figure2).
L’évolution vers la nécrose tissulaire et l’atteinte rénale ont nécessité la mise en place d’une sonde JJ et trois nouvelles interventions chirurgicales sur la paroi incluant l’utilisation d’un VAC, suivies d’une greffe cutanée abdominale. Il a également bénéficié d’une jéjunostomie dans un contexte de fistulisation digestive.
Notons que le patient est resté fébrile durant tout son séjour en réanimation pédiatrique.
Au total, ce patient est resté 25 jours dans l’unité de réanimation pédiatrique et 76 jours supplémentaires dans l’unité de gastro-entérologie pédiatrique. L’ensemble des diagnostics retenus fut une pyomyosite à SA avec sepsis et compliquée d’une rhabdomyolyse, d’une pneumonie avec empyème, d’une péritonite, d’une cellulite étendue, d’une fasciste nécrosante, d’une fistulisation digestive et d’un abcès péri-rénal.
L’évolution a finalement été favorable, ne laissant pour séquelles qu’une hypertension artérielle et une protéinurie secondaire. Il a reçu au total 8 semaines d’antibiothérapie intraveineuse.
Malgré son séjour hospitalier prolongé, il a retrouvé une activité fonctionnelle excellente. Au cours de la prise en charge, un bilan immunitaire exhaustif incluant une étude de la fonction des neutrophiles n’a pas montré d’anomalie.
Discussion
La physiopathologie des pyomyosites est encore incomplètement comprise. La plupart des auteurs s’accordent sur la présence initiale d’une bactériémie transitoire associée à un traumatisme musculaire, généralement mineur et qui peut facilement passer inaperçu lors de l’anamnèse. L’absence de cette notion de traumatisme rend le développement de la pyomyosite peu probable vu la capacité de résistance intrinsèque du muscle sain à l’infection. En plus de l’atteinte musculaire traumatique, d’autres facteurs de risque ont pu être mis en évidence (1) comme les blessures de sur-utilisation chez les jeunes athlètes, les lésions cutanées (dermatite atopique, varicelle,…), l’utilisation de drogues intraveineuses, l’immunosuppression (virus de l’immunodéficience humaine, déficit du complément, aplasie médullaire, chimiothérapie,…), mais on peut aussi observer une pyomyosite chez un sujet sans élément prédisposant. Dans notre cas, aucune notion de traumatisme ou de trouble de l’immunité n’était rapportée à l’anamnèse.
Les symptômes peuvent être déroutants et mimer d’autres pathologies. C’est typiquement le cas des pyomyosites du muscle psoas qui miment une appendicite aiguë.
L’évolution de la pyomyosite se déroule en trois étapes successives (4, 7).
La première étape ou « phase invasive » est subaiguë et dure 1 à 3 semaines. On peut observer un gonflement localisé, avec une induration, des douleurs et une fièvre inconstante. Durant cette phase, la bactérie infecte le muscle, mais il est encore trop tôt pour qu’une collection s’y développe, raison pour laquelle le diagnostic est souvent manqué initialement.
Durant la seconde étape ou phase suppurative, le gonflement, l’induration et la fièvre s’accentuent. C’est habituellement l’étape durant laquelle le diagnostic est posé. À ce moment-là, l’imagerie permet de démontrer la présence d’un abcès et l’obtention de liquide purulent est possible.
Si l’infection reste non-diagnostiquée et non-traitée, s’en suit la troisième phase qui est celle du sepsis, voire du choc septique. Les douleurs et la fièvre deviennent intenses et l’on observe des signes cliniques de sepsis. Étant donné la profondeur de l’atteinte initiale, le diagnostic chez notre patient n’a pu être fait qu’au stade de sepsis.
Vu cette évolution clinique insidieuse et non-spécifique, le diagnostic différentiel de la pyomyosite inclut un certain nombre de pathologies (4): l’ostéomyélite, l’arthrite septique, la thrombose veineuse ou l’atteinte musculaire (hématome, foulure,…).
Les endroits les plus fréquents pour la formation d’abcès (7) sont le membre inférieur et le petit bassin (la cuisse, suivie du mollet, et de la fesse), cela peut s’expliquer par l’atteinte plus fréquente de ces parties du corps par des traumatismes. D’autres localisations moins habituelles sont possibles comme le bras ou la paroi thoracique. En théorie, n’importe quel groupe musculaire peut être atteint. A notre connaissance, ce cas-ci est le seul cas décrit de pyomyosite chez un enfant avec atteinte de la paroi abdominale.
La particularité de l’histoire de notre patient se situe également dans sa présentation clinique pour le moins inhabituelle où les plaintes initiales sont la fièvre et le ballonnement abdominal ainsi que dans la complexité et l’étendue de l’atteinte organique.
Le diagnostic précoce, difficile, permet de prévenir l’apparition des complications liées à la pyomyosite.
Les analyses de laboratoire révèlent généralement un syndrome inflammatoire aspécifique, mais paradoxalement, malgré l’inflammation musculaire, les enzymes musculaires (créatine kinase et aldolase) restent en général normales (2, 4). Mettre en évidence le germe responsable est bien sûr primordial afin d’optimiser le traitement. Initialement les hémocultures sont rarement positives, étant donné l’aspect transitoire de la bactériémie, et ne sont rentables qu’en phase de sepsis. L’obtention et la culture de pus est la méthode standard du diagnostic étiologique, mais cela reste difficile durant la phase invasive, vu le délai d’apparition de suppuration (2).
La place de l’imagerie médicale dans le diagnostic de cette affection est importante, permettant également de faire le diagnostic différentiel et d’exclure une pathologie osseuse sous-jacente. Les radiographies permettent plutôt d’exclure certains diagnostics différentiels comme les tumeurs osseuses ou l’ostéomyélite.
L’échographie est sensible mais peu spécifique et montre rapidement ses limites en cas d’atteinte profonde. Celle-ci peut cependant être d’une grande aide lors du drainage d’un abcès.
La technique de choix est l’IRM. Elle est plus sensible et plus spécifique que le CT-scanner, et est non-irradiante. Elle permet un diagnostic précoce. Elle montre généralement un signal hyperintense du muscle en séquence T2. Après injection de produit de contraste, l’imagerie en T1 montre un rehaussement, suggérant la présence d’un abcès.
La principale bactérie en cause dans cette affection est le SA.
Dans notre histoire clinique, le SA identifié n’était pas résistant à la Méthicilline, mais avait la particularité d’être sécréteur de la leucocidine de Panton-Valentine (PVL).
Il s’agit d’une toxine composée de deux parties, LukS-PV et LukF-PV. Ces deux parties sont sécrétées avant de s’assembler en un heptamère formant des pores dans les membranes des neutrophiles, conduisant à la lyse de ceux-ci (8).
La présence de PVL est plus fréquente chez les SA résistants à la Méthicilline (MRSA) (9). La proportion de SA producteurs de PVL est donc dépendante de la prévalence de MRSA selon les régions.
La façon dont cette toxine affecte la présentation clinique est controversée (9), mais elle est souvent incriminée en tant que facteur de virulence dans les infections à SA.
La toxine de PVL est en général associée aux infections de la peau et des tissus mous et est comparativement moins fréquente dans les autres formes d’infections invasives comme la pneumonie, les infections musculaires et ostéo-articulaires, et les sepsis.
Dans une méta-analyse (8), quand on compare les enfants atteints d’infections musculaires et ostéo-articulaires avec des colonies PVL-positives et PVL-négatives, on rapporte une plus grande nécessité de drainages chirurgicaux, un plus grand taux de réinterventions chirurgicales, plus de complications (comme ostéomyélite chronique et thrombose veineuse profonde) et une plus longue durée d’hospitalisation chez les patients atteints de SA avec PVL.
La prise en charge d’une maladie à SA PVL positive varie selon les pays et il est important de noter que les études cliniques qui comparent l’efficacité de divers schémas thérapeutiques manquent dans les infections causées par du SA producteur de PVL.
Bien que le rôle de la PVL soit encore controversé, vu l’émergence des infections à SARM, et de leur propension à sécréter la PVL, la recherche de celle-ci devrait se faire systématiquement lors d’une infection grave à SA (10).
Il n’existe pas encore de guidelines précis permettant d’encadrer la prise en charge des pyomyosites. Durant la phase invasive, une antibiothérapie seule peut suffire. La prise en charge de la phase 2 et 3 nécessite un drainage chirurgical et une prise en charge supportive des symptômes liés au sepsis ou au choc septique.
L’antibiothérapie initialement entreprise devra couvrir le SA (4). Une Pénicilline résistante à la pénicillinase comme l’Oxacilline est le traitement de premier choix. Etant donné l’émergence des SA résistants à la Méthicilline, un traitement par Vancomycine peut aussi être initié selon l’épidémiologie locale (ex: USA). En cas de myosite nécrosante, la Clindamycine est utile car elle inhibe la synthèse des protéines et des toxines bactériennes (4). L’antibiothérapie devra être adaptée aux résultats des cultures.
Conclusions
La pyomyosite est une affection rare chez l’enfant, et est le plus souvent liée à une infection par Staphylococcus aureus.
Sa manifestation clinique est souvent insidieuse et peut être extrêmement variée, il est dès lors important pour le clinicien d’y rester attentif lors de l’évocation du diagnostic différentiel.
Les piliers du diagnostic sont l’IRM et la culture bactérienne des liquides biologiques récoltés.
Un diagnostic précis rapide permet d’introduire une antibiothérapie adaptée et de prévenir l’apparition de complications.
Face à une affection particulièrement agressive, la recherche de la PVL par PCR nous semble indispensable.
Chez l’enfant atteint de pyomyosite, le pronostic est bon, particulièrement quand l’infection est diagnostiquée au stade 1 ou 2, d’où la nécessité d’un diagnostic précoce. La mortalité est de l’ordre de <1% à 4% (4). Suite à un traitement adéquat, la récupération fonctionnelle est normalement complète.
Recommandations pratiques
• Le diagnostic de pyomyosite devrait être considéré chez tout enfant présentant de la fièvre et des douleurs musculaires, et ce particulièrement s’il existe une notion récente de traumatisme (7). Il faut toutefois rester attentif à la possibilité de présentations cliniques déroutantes pouvant mimer d’autres affections.
• Le diagnostic précoce est généralement difficile à obtenir mais permet de prévenir l’apparition des complications liées à la pyomyosite.
• L’imagerie de choix pour établir le diagnostic de pyomyosite est l’IRM.
• Devant une infection grave à SA, la recherche de résistances aux antibiotiques ou de la leucocidine de Panton-Valentine devrait se faire systématiquement.
Affiliations
1.Cliniques universitaires Saint-Luc, julien.charlier1987@gmail.com
2.Cliniques universitaires Saint-Luc, Pédiatre-réanimateur, astrid.haenecour@uclouvain.be
3.Cliniques universitaires Saint-Luc, Pédiatre-infectiologue, dimitri.vanderlinden@uclouvain.be
Correspondance
Dr. Julien Charlier
Cliniques universitaires Saint-Luc
Pédiatrie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Tél: +32 495 160906 ou 1-438-777-6707
julien.charlier1987@gmail.com
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