La radiofréquence (RF) est une technique de destruction localisée des tissus par effet thermique. Son usage a été initialement décrit expérimentalement sur le parenchyme hépatique de souris dans les années 90, avant de voir ses premières applications se développer en médecine, principalement par radiologie interventionnelle, sur le foie, le poumon, le rein mais également l’os. Actuellement, l’indication la plus validée en endoscopie digestive est l’ablation de la dysplasie compliquant l’endobrachyœsophage (œsophage de Barrett). (1) Son utilisation dans la sphère pancréatobiliaire est plus récente, avec le développement de sondes spécifiques pour recanaliser les canaux biliaires en cas d’obstruction néoplasique et d’autres pour ablater des tumeurs solides ou kystiques du pancréas.
Le courant de RF est un courant délivré par l’intermédiaire d’une électrode, de type sinusoïdal, à une fréquence de 400 à 500 kHz. Le principe est superposable à celui de l’action des micro-ondes dont les applications domestiques sont mieux connues. La fréquence du courant est cependant dix fois plus élevée (4 à 5 MHz) pour les micro-ondes. Le but de la RF est de thermo-coaguler les tissus proches de l’électrode, en provoquant une altération cellulaire irréversible par exposition à une température supérieure à 60 °C, maintenue pendant quelques secondes. Les dommages tissulaires vont directement dépendre de la température émise et de la durée de l’exposition. (1)
La technique utilisée dans le pancréas consiste à utiliser une sonde de radiofréquence, guidée par échographie endoscopique. L’endoscope permet d’atteindre l’estomac, dans la zone située contre le pancréas, afin d’avoir une bonne visibilité des lésions pancréatiques. Une aiguille de radiofréquence est insérée dans la tumeur. Un ordinateur calcule ensuite l’énergie à administrer sur le dernier centimètre de l’aiguille, pour provoquer la destruction de la tumeur sur un volume d’à peu près 1 cm³, avec une grande précision. Ce processus est renouvelé jusqu’à la destruction complète (par hyperthermie) de la tumeur. En quelques minutes seulement, la tumeur est alors complètement ablatée.
La radiofréquence échoendoguidée a été rapportée dans la littérature dans de multiples cas cliniques et mini-séries. Plusieurs types de sondes ont été utilisées avec ou sans refroidissement de la sonde par du CO² ou par un liquide réfrigéré. Différentes lésions ont ainsi été ablatées : des tumeurs neuroendocrines, des lésions kystiques avec signes précurseurs de malignité (tumeurs intracanalaires mucineuses du pancréas), des métastases d’hypernéphromes et des adénocarcinomes du pancréas (en association à la chimiothérapie). (2-3) La plus grande série prospective est française, sous la conduite de la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED) et du Prof Marc Barthet, de Marseille (4). Elle semble confirmer les bons résultats décrits, avec un total de 14 tumeurs endocrines (et 16 tumeurs kystiques) ablatées et suivies pendant 1 an. Les lésions neuroendocrines avaient un diamètre moyen de 13.1 mm (9-20mm) et étaient situées dans la tête (3), le corps (6) ou la queue du pancréas). Une réponse significative a été obtenue dans 85.7% des cas avec une disparition totale des lésions dans 12/14 cas. Deux échecs de traitement ont été observées (lésions de 16 et 20 mm de diamètre, non insulinomes).
Dans le cas des insulinomes, la disparition constante des symptômes sécrétoires a toujours été rapportée, en général dès la fin de l’ablation. (5-7) Le suivi reste cependant encore limité dans le temps (<2 ans) et sur le plan morphologique, des résidus tumoraux restent parfois observés. Ceci est particulièrement le cas lors des contrôles précoces, alors qu’à un an de suivi les tumeurs paraissent complètement ablatées (effet immunologique additif à l’effet thermique de la radiofréquence ?).
À Saint-Luc nous avions déjà expérimenté chez l’animal il y a plus de 10 ans, les premiers prototypes de sondes dans l’ablation pancréatique. Nous avons aussi été pionniers dans le traitement par endoscopie avec injection d’alcool par voie échoendoguidée d’un insulinome pancréatique avec succès (8). Plus récemment nous avons pu traiter 6 lésions pancréatiques, dont 3 insulinomes avec une sonde de radiofréquence Starmed (Figure 1).
Quelques minutes après l’intervention, le résultat était déjà visible avec une normalisation des glycémies. La figure 2 illustre la lésion avant et après ablation.
Sur le plan des complications, l’innocuité de la technique pouvait légitimement être en cause, avec le risque notamment de pancréatite aiguë. En pratique si des douleurs abdominales transitoires sont décrites dans un peu moins d’un tiers des cas, la survenue d’une pancréatite aiguë sévère n’a pas encore été rapportée. L’usage d’une antibioprophylaxie (et en particulier en cas de lésion liquidienne) et d’AINS pourrait être proposé afin de réduire le risque de complication mais sans données scientifiques établies à ce jour dans cette indication.
Conclusion
La technique de destruction par radiofréquence trouve en endoscopie digestive de multiples applications dont certaines sont actuellement bien validées. Elle trouve une de ses plus belles indications dans l’ablation des insulinomes pancréatiques, dont elle révolutionne la prise en charge. Les limites de la technique et l’efficacité à long terme nécessitent cependant encore des données de validation.
Recommandations pratiques
L’insulinome constitue probablement la meilleure indication d’ablation par radiofréquence pancréatique échoendoguidée, du fait de la petite taille de ces tumeurs endocrines, du caractère exceptionnel de leur transformation maligne métastatique, et de la facilité et relative innocuité de la technique d’ablation.
Correspondance
Pr. Pierre H. Deprez
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’hépato-gastroentérologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Références
- Vanbiervliet G. Utilisation de la radiofréquence en endoscopie digestive. POST’U 2017, 221-229.
- Rossi S, et al. Radiofrequency ablation of pancreatic neuroendocrine tumors: a pilot study of feasibility, efficacy, and safety. Pancreas. 2014 ; 43 :938-45
ouvrir dans Pubmed - Pai M, Habib N, Senturk H, et al. Endoscopic ultrasound guided radiofrequency ablation, for pancreatic cystic neoplasms and neuroendocrine tumors. World J Gastrointest Surg. 2015 ; 7:52-9.
ouvrir dans Pubmed - Barthet M, Giovannini M, Lesavre N, Boustiere C, Napoleon B, Koch S, et al. Endoscopic ultrasound-guided radiofrequency ablation for pancreatic neuroendocrine tumors and pancreatic cystic neoplasms: a prospective multicenter study.Endoscopy. 2019 Jan 22. doi: 10.1055/a-0824-7067.
ouvrir dans Pubmed - Lakhtakia S, Ramchandani M, Galasso D, et al. EUS-guided radiofrequency ablation for management of pancreatic insulinoma by using a novel needle electrode (with videos). Gastrointest Endosc. 2016 ; 83:234-9.
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