Comme vous l’aurez découvert au sein de ce numéro, la pédagogie de même que la pédagogie médicale ont significativement évolué ces 20 dernières années. Les nombreuses modifications de programme dans cette période ont été bien souvent imposées par nos pouvoirs de tutelle et sous-tendues par des aspects réglementaires et/ou des modifications de flux d’étudiant·es. Malgré cela une attention particulière a été portée en parallèle aux changements pédagogiques afin de garantir la qualité de la formation. Sur base des dernières analyses, de nouvelles adaptations s’avèrent nécessaires, également pour faire face aux défis qui nous attendent.
Un contexte légal et politique et contraignant
La formation en médecine est, plus qu’ailleurs, tributaire d’un contexte politique délicat et extrêmement volatil. Elle est au centre de tensions entre ses deux pouvoirs de tutelle. Outre les bouleversements imposés à l’Enseignement supérieur par les Décrets dits Bologne1 et Paysage2, les études de médecine, de par leur nature contingentée, sont également soumises à une législation fédérale et communautaire en matière de sélection à l’entrée, de planification de l’offre médicale, de fixation du quota de médecins ou d’octroi des numéros INAMI3, pour ne citer que quelques contraintes.
Le passage de 7 en 6 ans des études de médecine
Jusqu’à la rentrée académique 2012, les études de médecine s’organisaient en 7 ans. La Belgique était le dernier pays européen à conserver une durée d’études de formation de base en médecine de 7 ans, tous les autres États membres de l’Union européenne proposant cette formation en 6 ans, voire en 5 ans et demi. Cet alignement européen est donc à l’origine du passage de 7 en 6 ans de la durée des études de médecine4. Appliquée pour la première fois aux étudiant·es inscrit·es en 1ère année du Bachelier en 2012-2013, cette réforme législative a donc abouti à la diminution d’un an de la formation globale des médecins. Pour les médecins généralistes, la formation de spécialiste a augmenté parallèlement de 2 à 3 ans, faisant passer leur formation globale d’un système « 7 + 2 » en un système « 6 + 3 ». C’est l’année académique 2017-2018 qui a cristallisé les conséquences de cette modification puisque deux promotions d’étudiant·es ont alors obtenu leur diplôme de médecin : celle qui a débuté en 2011 des études d’une durée de 7 ans et celle qui a débuté en 2012 des études d’une durée de 6 ans.
Une mission et une attention constante à la qualité pédagogique
Depuis 2007-2008 et à l’initiative du Conseil de l’Enseignement et de la Formation (CEFO), l’UCLouvain a défini des « Critères pour une formation universitaire de qualité5 » pour orienter les démarches de sa politique « qualité ». Les critères retenus sont de trois ordres :
- La pertinence des actions de formation (nature et qualité des objectifs visés).
- Les moyens mis en œuvre pour atteindre les résultats visés par ces actions.
- Leur équité (réduction des inégalités de départ).
L’École de médecine s’est inscrite dans ce processus et a défini sa mission : former des médecins animé·es d’un esprit scientifique, conscient·es de la condition humaine et engagé·es au service des patient·es et de la santé publique, dans tous les domaines de la médecine y compris la recherche, en collaboration avec les autres professionnel·les de la santé.
Les critères de qualité prioritaires sont :
- L’acquisition de compétences disciplinaires et techniques, en lien avec des savoirs et des démarches issus notamment de la recherche.
- Le développement d’une démarche d’analyse et de jugement critique.
- Le développement de compétences sociales, relationnelles et communicationnelles.
- La valorisation de l’engagement pédagogique des enseignant·es.
- L’évaluation de la qualité des enseignements et des programmes.
- La diversité des situations d’apprentissage.
- La cohérence du dispositif pédagogique.
Des forces et des faiblesses
La force principale de notre programme est la qualité de l’ensemble des personnes impliquées, de même que des infrastructures, et leur manière respectueuse de travailler ensemble. Ceci vient non seulement des compétences et du professionnalisme des hommes et des femmes, mais également d’une tradition d’excellence et d’une proximité immédiate ainsi que d’une constante interaction des activités cliniques et de recherche avec l’enseignement. La passion des enseignant·es est un atout certain mais elle mène aussi à une des faiblesses principales qui concerne la lourdeur du programme. Beaucoup de clinicien·es désirent s’investir dans l’enseignement, provoquant la constitution d’équipes enseignantes parfois pléthoriques, une tendance à aborder des matières trop spécialisées pour le programme de base et qui trouvent mieux leur place dans les Masters de spécialisation. Ceci a, entre autres, été exacerbé par le passage des études de 7 à 6 ans. La possibilité de faire mieux interagir dès les premières années du cursus les cours fondamentaux et cliniques est également à l’étude, et pourrait peut-être permettre de dégager plus de place pour les stages qui sont souvent jugés trop peu nombreux et trop tardifs par les étudiant·es. Notons encore que la transition délicate entre les cours cliniques et l’accès aux stages mérite d’être soigneusement préparée dès les premières années de Master, tout comme la transition entre les stages et le début de l’assistanat. Les étudiant·es reconnaissent toutefois la qualité des stages et la force d’un réseau hospitalier et de maitres de stage très large, permettant un apprentissage sur le terrain alliant qualité et variété. La mise en place du Centre de compétences cliniques veille aussi à les préparer au mieux avant les premiers contacts avec les patient·es pour la sécurité de toutes et tous.
Des menaces et des opportunités
L’instabilité politique et la multiplicité des réformes qui nous ont été imposées ont certainement menacé la qualité de nos programmes ces dernières années, et restent une inquiétude pour le futur. Certains aspects du Décret Paysage sont également préoccupants en ce qu’ils démultiplient les parcours d’études et peuvent mettre à mal la cohérence interne des programmes annuels qui en découlent. Ces aspects d’instabilité associés à la lourdeur des programmes de cours peuvent menacer la bonne santé mentale des étudiant·es et des intervenant·es de l’École. Le sous-financement de l’enseignement et des hôpitaux posent un problème tout particulier en médecine où la plupart des enseignant·es dépendent de l’un et de l’autre. La disponibilité des enseignant·es est impactée par la multiplicité des tâches, tout particulièrement pour les académiques cliniques soumis·es à une forte pression de rentabilité. Ceci s’associe à la difficulté d’évaluer les grandes cohortes autrement que par QCM, même si un changement est en cours à ce propos, à une implication dans la vie de la Faculté limitée, et à des formations et outils pédagogiques bien souvent sous-exploités. La taille des cohortes est également un frein lorsqu’il s’agit d’encadrer qualitativement chaque étudiant·e, que ce soit en début de cursus ou en cours de celui-ci, encore plus au vu du niveau hétérogène de l’enseignement secondaire qui peut mener à de nombreuses inégalités. L’instauration de l’examen d’entrée est à ce sujet une opportunité, même si les étudiant·es doivent bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’un gage de réussite ultérieure.
Évaluation, accréditation et futurs objectifs
Depuis 2020, nous sommes entrés dans un processus d’évaluation formative par l’Agence pour l’évaluation et la qualité de l’enseignement supérieur (AEQES). En novembre 2020, l’École a remis son rapport d’auto-évaluation et la visite des experts a eu lieu début décembre 2021. Nous attendons leur retour. La volonté a été de faire de ce processus un réel levier de changement. La réflexion qui a été menée a abouti à la proposition d’un plan d’action ambitieux, bien que raisonnable, qui se décline en cinq axes prioritaires.
- Réforme du programme de Master : un travail global doit être réalisé dans le but d’alléger la surcharge cognitive, d’améliorer la cohérence interne du programme et de reposer la question de la place et de l’organisation des stages. L’opportunité de pérenniser les innovations pédagogiques, décrites plus haut dans ce numéro, et la place à leur donner seront également examinées. La Chaire Francqui 2021-2022 du Secteur Santé assurée par le Professseur Olle ten Cate a été programmée en support à ce processus.
- Systématisation des évaluations et de leur suivi : par la commission de l’École et le décanat, selon un plan de pilotage plus systématique que ce qui s’est fait à ce jour.
- Meilleure exploitation des ressources pédagogiques : Le Louvain Learning Lab a développé de nombreux outils et formations, qui sont malheureusement sous-exploitées au sein de l’École principalement par manque de disponibilité des enseignant·es. Il faudra voir si ces ressources doivent être adaptées plus avant et, surtout, investiguer comment les rendre plus facilement accessibles à tous et toutes (disponibilité en ligne, séances répétitives, formation personnelle « à la carte » etc.).
- Optimalisation de l’utilisation et de l’évaluation des acquis d’apprentissage du programme : les acquis d’apprentissage des programmes de Bachelier et de Master existent mais sont relativement mal connus des étudiant·es et des enseignant·es. Une meilleure visibilité de ceux-ci permettra de mieux évaluer s’ils sont correctement couverts par le programme et d’en assurer la cohérence. Leur pertinence devra également être réanalysée. La possibilité de les évaluer de manière plus transversale à différents moments du cursus pourra finalement être étudiée, et cela nécessitera la mise en place de plus de lieux de coordination entre enseignant·es.
- Amélioration de la communication : tous les projets décrits ci-dessus ne seront pas faisables ou manqueront leurs objectifs si nous n’avons pas une communication parfaite entre toutes les parties impliquées. C’est donc une étape indispensable à la mise en œuvre de ce plan d’action, qui demandera une communication adaptée à nos 3 publics cibles (enseignant·es, étudiant·es, personnel facultaire), plus compréhensible et plus facilement accessible.
Suite à cette évaluation et sur base de ce plan d’action, il est maintenant prévu de rentrer dans un processus d’accréditation de notre programme. Cette accréditation deviendra d’ailleurs obligatoire dès 2024 pour la mobilité de nos étudiant·es et de nos diplômé·es dans certains pays. Elle nous permettra également de mieux intégrer notre responsabilité sociale dans le programme. La multiplicité des réformes imposées par les changements de législation et la pandémie COVID-19 ont épuisé les équipes et les enseignant·es mais la motivation reste certaine et l’envie de mieux faire pour et avec les étudiant·es est toujours à l’avant-plan. C’est l’occasion de remercier l’ensemble des membres de la faculté, les anciens doyens, les experts et les enseignant·es qui ont contribué à ce numéro et à l’amélioration continue de la qualité de notre enseignement. Un merci tout particulier au Professeur Jean-François Denef qui a été un des piliers de ces réformes successives.
Affiliations
Françoise Smets, doyenne de la faculté de médecine et médecine dentaire
Références
- Décret du 31 mars 2004 définissant l’Enseignement supérieur, favorisant son intégration dans l’espace européen de l’Enseignement supérieur et refinançant les universités, M.B. du 18 juin 2004. https://www.gallilex.cFWB.be/document/pdf/28769_008.pdf
- Décret du 7 novembre 2013 définissant le paysage de l’Enseignement supérieur et l’organisation académique des études, M.B. du 18 décembre 2013. https://www.gallilex.cFWB.be/document/pdf/39681_029.pdf
- Numéro délivré individuellement à chaque médecin par l’Institut national d’Assurance maladie-invalidité. 4 Loi du 12 mai 2011 réduisant la durée des études de médecine de 7 ans à 6 ans, M.B. du 8 juin 2011.
- https://uclouvain.be/fr/etudier/des-criteres-de-qualite.html