C’est dans ce cadre que nous avons organisé, le 24 mars 2018, un congrès dont le titre posait une question : Médecine et Sexualité, indispensable rencontre ? Le public ciblé était tout médecin, généraliste ou spécialiste, qui souhaitait intégrer davantage la sexologie dans sa pratique clinique.
Ce qui a motivé le choix de ce thème est le constat suivant :
Le concept de santé sexuelle a été établi par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1972 comme étant « un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité. Elle requiert une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence ». Quel que soit le domaine de la santé étudié, toutes les études obtiennent les mêmes résultats : les médecins sont convaincus que la santé sexuelle fait partie de la santé et les patients souhaiteraient que leur médecin leur parle davantage de leur vie sexuelle. Ainsi, pour tous, OMS, professionnels de la santé et patients, il est admis que la santé sexuelle fait partie intégrante de la santé.
Pourtant, seulement 10% des patients présentant une plainte sexuelle en parlent à un professionnel de la santé. Nous faisons donc le constat que la vie sexuelle est un sujet trop peu souvent abordé en consultation médicale générale ou spécialisée, y compris dans les situations cliniques où l’on sait que des répercussions sexuelles sont fréquentes comme par exemple, le cancer de la prostate, le cancer du sein, la douleur chronique, la dépression, la procréation médicalement assistée, les situations de handicap,…
Les obstacles à l'évocation de la sexualité en consultation rapportés par les médecins sont, d’une part, le fait que le sujet n’est pas abordé par le patient, la peur d’être intrusif, de gêner et d’autre part le manque de formation, le manque d’outils, de ressources, le manque de temps, le manque de réseau (vers qui orienter). Les premiers obstacles évoqués pourraient paraître surprenant, en effet, avoir des relations sexuelles est un acte naturel, quasi universel, banalisé dans tous les médias. Mais bien sûr, notre propre sexualité est intime. Pour intégrer la santé sexuelle de nos patients dans la prise en charge de leur santé au sens global du terme, l’enjeu va donc être de franchir cette barrière de l’intimité. C’est à la fois très complexe mais aussi à la portée de tout soignant. Cela exige du respect et du professionnalisme. La particularité de l’interaction médecin-patient peut y aider. Les obstacles évoqués ensuite, comme le manque de formation, d’outils,… nous ont donné l’envie d’organiser un congrès axé sur la pratique clinique.
Il fût constitué de six exposés :
- « Comment aborder la sexualité avec un homme ? » par Dr Marcello Digregorio, Urologue
- « Comment aborder la sexualité avec une femme ? » par Dr Nathalie Michaux, Gynécologue et Sexologue
- « Comment aborder la sexualité avec un couple? » par Prof Christine Reynaert, Psychiatre et Sexologue
- « Est-ce éthique de ne pas parler de sexualité à nos patients ? » par Prof Armand Lequeux, Gynécologue et Sexologue
- « Cancer et sexualité » par Prof Lionel D’Hondt, Oncologue et Madame Marie Nuytten, Infirmière Coordinatrice d’Oncologie
- « Quelles ressources pour aborder la vie affective, relationnelle et sexuelle des personnes handicapées? » par Mme Virginie Koopmans, Sexologue et Mme Joelle Berrewaerts, Psychologue (Centre de ressources handicap et sexualité)
Le but du congrès était donc d’une part de sensibiliser les médecins à l’importance d’intégrer la santé sexuelle dans leur pratique clinique quotidienne et d’autre part de leur donner des outils cliniques concrets pour le faire. Le succès du congrès et les interactions très riches qui ont eu lieu au cours de celui-ci nous encouragent à continuer à oeuvrer afin que la sexologie clinique entre davantage au coeur de nos préoccupations médicales pour le bien-être global de nos patients.
PARLER OU PAS DE SEXUALITÉ À NOS PATIENTS ?
Professeur Armand Lequeux, gynécologue et sexologue
Écouter nos patients qui nous parlent de leur sexualité, entendre leurs plaintes et prendre le temps de répondre à leurs questions : il s’agit bien là d’une évidence et d’un devoir qui s’imposent à nous dans notre activité professionnelle. Par contre, savoir s’il est bon ou pas que le thème de la sexualité soit abordé à l’initiative du médecin demande une réponse plus nuancée que nous allons tenter d’éclairer à l’aide de quatre grands principes de l’éthique médicale : l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice. Mon patient est un adulte responsable, je respecte son autonomie. S’il ne me demande rien, je ne parle pas de sexualité. Que voici une attitude reposante et sensée ! D’accord, mais son autonomie est-elle éclairée ? Monsieur Dupont sait-il que ses pannes érectiles récentes pourraient être en rapport avec l’usage des bêtabloquants que je lui ai prescrit ? Madame Durant connait-elle l’existence d’anorgasmies sous sérotoninergiques ? Ma discrétion silencieuse respecte leur autonomie, mais risque de porter atteinte à leur épanouissement sexuel. Le principe de bienveillance nous aide à poursuivre notre réflexion. Les bonnes raisons de parler de sexualité avec nos patients ne manquent pas à bien des égards. Une consultation axée sur la fonction cardio-vasculaire devrait inclure des questions sur la qualité des érections quand on sait que leur faiblesse est un signe avant-coureur de pathologie coronarienne. Les gynécologues doivent à l’évidence évoquer l’existence d’une dyspareunie profonde s’ils soupçonnent une endométriose. On ne peut pas raisonnablement passer en revue les méfaits du tabac sans évoquer sa toxicité sur la fonction sexuelle masculine et féminine. Un chirurgien bienveillant doit anticiper les problèmes sexuels que peuvent rencontrer ses patients après chirurgie de la prostate ou du carrefour aortique. Les exemples abondent. Le principe de non-malfaisance nous rappelle l’importance de la confidentialité. À l’heure de l’informatisation généralisée des dossiers médicaux, il convient de rester vigilant. Je ne suis pas certain qu’un patient qui confierait à un médecin particulier l’information selon laquelle il connait régulièrement des rencontres sexuelles anonymes avec d’autres hommes apprécierait que cette information soit accessible à tous les médecins qu’il consultera ensuite, malgré l’existence du secret médical partagé. Il convient par ailleurs d’éviter que certaines questions soient ressenties comme intrusives par nos patients. Qu’en est-il de votre satisfaction sexuelle ? Et lorsque vous vous masturbez ? Ces questions seront acceptables pour certains et intolérables pour d’autres. Nous devons à l’évidence nous adapter à nos patients, à leur langage et à leur sensibilité. Enfin le principe de justice vient également interroger notre éthique médicale. Dans un monde idéal, nous devrions accorder la même attention à chacun de nos patients, qu’il nous paraisse sympathique ou pas, que nous soyons ou pas de belle humeur ce jour-là ! Reconnaissons que dans la vie réelle c’est plus souvent un but à atteindre qu’une évidence accomplie, mais il est bon que nous restions éveillés face à l’exigence de ce principe. Décidément parler de sexualité avec nos patients demande des qualités d’écoute, de respect, de compétence et de disponibilité que nous n’aurons jamais fini de nous souhaiter les uns aux autres.
Bibliographie
Ethique médicale : L’engagement nécessaire. Louis Roy. Ed L’Harmattan. 2010. 467