Implications du COVID-19 en néphrologie
Les implications de la pandémie causée par le virus SARS-CoV-2 (appelé ci-dessous coronavirus, par concision) qui cause la maladie appelée COVID-19, concernent tous les domaines de la néphrologie. Elles sont brièvement discutées dans cette contribution, signée par l’ensemble de l’équipe médicale permanente du service.
Le rein est une des cibles du coronavirus
Dès les premiers mois de la pandémie, plusieurs études ont rapporté une atteinte rénale extrêmement fréquente chez les patients atteints de COVID-19. Cette atteinte peut se présenter sous forme d’une insuffisance rénale aiguë (5-35% des patients), d’une hématurie (30-40%) et/ou d’une protéinurie (40-65%) (Tableau 1). Cette atteinte rénale est associée à la survenue de complications majeures, dont l’insuffisance respiratoire, le besoin de ventilation mécanique invasive et le décès, indépendamment des comorbidités et autres facteurs de risque (1-4).
Les mécanismes et le type d’atteinte rénale au cours de l’infection par le nouveau coronavirus restent à déterminer. L’analyse par PCR d’organes de patients décédés de la COVID-19 a révélé que les reins sont parmi les organes-cibles les plus fréquemment touchés par le virus, après les poumons (5). La fréquence élevée de l’atteinte rénale est expliquée par la présence du récepteur viral ACE2 (angiotensin converting enzyme 2) et de ses co-récepteurs à la surface de cellules rénales. Le virus est ainsi susceptible d’affecter plusieurs compartiments du rein, dont les glomérules, l’endothélium et le tubule proximal (6-8).
Des données récentes, non encore publiées, suggèrent une dysfonction tubulaire proximale très fréquente chez les patients avec COVID-19, causant protéinurie de bas poids moléculaire (bêta-2-microglobulinurie), aminoacidurie, hypophos-phatémie et hypouricémie dans un bon nombre de cas. Ces anomalies, exceptionnelles dans la population générale, sont spécifiques de la COVID-19 et sont associées à un pronostic défavorable. Il est donc hautement probable que l’atteinte rénale par le coronavirus puisse aider à un diagnostic précoce, et qu’elle soit un marqueur fiable de la sévérité de la COVID-19.
Faut-il poursuivre les IEC ou les sartans chez les groupe à risque ?
Dès lors que le SARS-CoV-2 pénètre dans les cellules humaines par le récepteur ACE2, cette question s’est posée très rapidement. Nous y avons répondu que les bénéfices néphroprotecteurs et cardioprotecteurs de ces traitements étaient clairs alors que le risque d’effet délétère n’était pas démontré. Nous pensions qu’il y avait de bonnes raisons de ne pas les interrompre préventivement ou après diagnostic de COVID-19. Plusieurs sociétés scientifiques se sont rapidement prononcées dans le même sens. Depuis lors, en l’absence d’essais randomisés contrôlés, des études d’observation soutiennent le bien-fondé de cette attitude : l’infection COVID-19 n’évolue pas plus mal chez les patients chez qui les IEC et/ou les sartans sont poursuivis que chez ceux qui n’ont pas ce type de médicament (9).
Risque de transmission nosocomiale du coronavirus en hémodialyse ?
Dès le début du mois de mars, les premiers rapports venant de la région de Wuhan (Chine) et des informations provenant de plusieurs pays européens (dont la Belgique), non encore publiées dans un journal scientifique mais fiables, parlaient de la propagation épidémique du coronavirus dans des unités d’hémodialyse. Conscient que le nombre de patients infectés, quoi qu’encore très réduit, était en croissance exponentielle, nous avons pris des mesures drastiques visant à réduire le risque de transmission du coronavirus à l’intérieur de l’unité d’hémodialyse. Nous avons dès ce moment fermement conseillé aux patients de venir seuls (et non pas dans un transport groupé) aux séances d’hémodialyse (qui ont lieu 3 x par semaine, rappelons-le). Dès l’entrée du couloir de l’unité d’hémodialyse, une infirmière chevronnée interroge tous les patients sur d’éventuels symptômes évocateurs de COVID-19 (toux, fièvre, mal de gorge, rhinite, diarrhée etc…). Si ce screening est suspect, un médecin est appelé, un frottis nasopharyngé est réalisé sous protection adéquate et le patient est dialysé en isolement en attendant le résultat. Cette stratégie nous a permis d’isoler rapidement 8 patients venus du domicile porteurs du coronavirus. Le port du masque par tous les patients a été rendu obligatoire dans l’unité d’hémodialyse (et bien sûr par tous les membres de l’équipe infirmière et médicale). Enfin, le laboratoire de microbiologie/virologie des Cliniques universitaires Saint-Luc a fort heureusement développé très rapidement une technique PCR fiable et rapide (résultat en maximum 24 à 36h) pour le coronavirus. Nous avons ainsi pu screener tous les hémodialysés dès début avril. Ceci nous a permis de détecter 2 patients COVID supplémentaires, quasi asymptomatiques. Dès qu’un patient positif était identifié, il était isolé dans une salle de dialyse « COVID ». La salle a changé au fil du temps en fonction du nombre de patients positifs (8 patients simultanément au maximum). Cette salle était désinfectée après chaque séance d’hémodialyse par une « coccinelle », exactement comme la salle prévue pour isoler l’éventuel porteur de bactérie multirésistante : la machine vaporise du peroxyde d’hydrogène, ce qui assure une désinfection antibactérienne et antivirale pleinement efficace, de sorte que la salle peut dès le lendemain être utilisée pour un groupe non -infecté par le coronavirus. Nous sommes particulièrement heureux de constater qu’aucun patient ne semble avoir été contaminé à l’intérieur du centre d’hémodialyse, l’anamnèse et la localisation des patients positifs au sein de l’unité plaidant de manière concordante pour une source externe de l’infection à coronavirus.
Risque de transmission du coronavirus par la dialyse péritonéale ?
Une des craintes engendrées par le coronavirus chez les patients en dialyse péritonéale est le risque de contagiosité de l’effluent péritonéal lors de son élimination. Nous avons pu vérifier à de multiples reprises l’absence de virus, ou de résidu viral, dans l’effluent de trois de nos patients en dialyse péritonéale infectés par le coronavirus alors que les PCR nasopharyngées étaient fortement positives (soumis pour publication). Ceci a permis de rassurer patients, famille et personnel hospitalier en recommandant simplement de bien désinfecter les toilettes après l’élimination de l’effluent péritonéal.
COVID-19 et transplantation rénale
Les patients greffés rénaux sont particulièrement à risque de développer des complications infectieuses compte tenu de la prise quotidienne de médicaments immunosuppresseurs (10). Cependant, nous manquons encore de données à large échelle pour pouvoir affirmer que les greffés rénaux risquent davantage de développer une maladie COVID-19 sévère/mortelle que la population générale. Rappelons qu’un risque accru de complication grave n’avait pas été observé chez les transplantés rénaux lors des épidémies MERS et SARS-Cov-1 (11). Néanmoins, la mortalité intra-hospitalière des patients greffés rénaux atteints du COVID-19 rapportée par des équipes italiennes, britanniques, espagnoles et américaines (25%, 14%, 25% et 28%, respectivement) est interpellante (12-15). Mais, ces études se basent sur un nombre limité de cas avec un temps de suivi très court, ces chiffres doivent donc être interprétés avec prudence. Des études de cohortes plus larges sont nécessaires afin de mieux préciser l’évolution des patients greffés atteints par cette infection. Il est en effet possible que les premières études n’aient reconnu que les formes graves, alors que nous savons que les formes peu graves sont fréquentes dans la population générale.
La prise en charge optimale des patients greffés rénaux infectés par le coronavirus et suffisamment malades pour être hospitalisés reste à préciser. Actuellement, les sociétés internationales (SFT, ERA-EDTA, AST) recommandent de diminuer la charge immunosuppressive, d’autant plus intensément que l’état du patient est critique. Aux Cliniques universitaires Saint-Luc, nous interrompons l’anti-métabolite (mycophenolate mofetil ou azathioprine) et réduisons la dose quotidienne d’inhibiteurs de la calcineurine (CNI, tacrolimus ou cyclosporine) ou d’inhibiteurs de la voie mTOR (mTORi, sirolimus ou everolimus) chez tous les patients greffés hospitalisés. La dose de cortisone est inchangée, voire majorée pour quelques jours (après discussion au cas par cas avec nos collègues infectiologues). En cas de forme très sévère (nécessitant une ventilation mécanique), le CNI/mTORi est interrompu et la dose de cortisone est majorée.
L’épidémie COVID-19 a réduit de manière drastique le nombre de greffes rénales réalisées dans le monde, y compris dans notre centre, en raison de la crainte de transmettre un organe infecté par le COVID ou d’administrer une charge immunosuppressive importante à un nouveau greffé dans ce contexte de risque infectieux (16). Les centres de transplantation vont devoir s’adapter à cette épidémie pour reprendre l’activité de greffe tout en assurant au maximum la sécurité des patients et du staff.
Les nombreux défis pour maintenir la qualite des soins en pleine pandémie COVID-19
Les paragraphes qui précèdent résument ce que nous avons appris depuis le début de la pandémie sur les liens entre COVID-19, rein et maladies rénales. Nous voulons conclure en évoquant ici l’impact majeur qu’a eu et a encore la pandémie sur les soins que nous donnons comme service de néphrologie Un premier défi a été de garder le contact avec les très nombreux patients chroniques (insuffisants rénaux chroniques, transplantés rénaux) que nous suivons en partenariat avec leur médecin généraliste. Les consultations téléphoniques y ont beaucoup contribué, grâce à la collaboration des médecins traitants et de notre équipe de secrétaires, qui nous permettaient dans beaucoup de cas de disposer de résultats biologiques récents.
L’unité d’hospitalisation (partagée avec la neurologie) n’a pas été épargnée non plus par les contraintes multiples liées au contexte COVID et au Plan d’Urgence Hospitalier (PUH). Ainsi, les équipes infirmière et médicale ont dû parfois réagir d’urgence quand un patient hospitalisé devenait suspect de COVID puis COVID confirmé, avec des questions à la clef : qui a été contaminé parmi les patients ou l’équipe etc… De plus, depuis le PUH, les visites des familles ont été, sauf exception rarissime, interdites, ce qui n’est pas simple à gérer avec des patients fragiles, souvent âgés, qui espèrent un mieux, mais dont les séjours sont souvent assez longs. Enfin, les superviseurs multiples dans l’unité d’hospitalisation (« éjectés » de leur unité habituelle, convertie COVID), n’ont pas facilité l’organisation, même s’il n’y avait pas le choix vu l’ouverture formellement indiquée de 8 unités COVID en quelques semaines. Au total, la solidarité entre métiers (infirmières/médecins) et entre disciplines médicales a été clef pour tenir le coup. La culture largement partagée du « patient au centre » et de la collaboration y a fortement contribué !
Affiliations
Université catholique de Louvain, Cliniques universitaires Saint-Luc, Service de Néphrologie, B-1200 Bruxelles
Correspondance
Pr. Michel Jadoul
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Néphrologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Références
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