Une opportunité unique de repenser le Secteur des Soins de Santé ?
Notre système de soins de santé a de nombreuses qualités… et aussi quelques défauts. Ces dernières années, sa résilience a été éprouvée à plusieurs reprises et la mise à l’épreuve ne fait probablement que commencer. En effet, les changements planétaires sont nombreux et rapides et il ne s’agit pas d’une évolution linéaire mais d’une rupture sans précédent, tant au regard du temps long des modifications géologiques et environnementales du passé que face à l’imprévisibilité que génèrent ces changements. Le fonctionnement des sociétés humaines en général, et des soins de santé en particulier, n’est qu’en apparence déconnecté des réalités physiques de la Terre : nos sociétés ne fonctionnent que grâce à l’énergie qu’elles puisent à la surface du globe et aux matériaux extraits de la croûte terrestre. Ces ressources sont en quantité limitée et leur utilisation entraîne des modifications profondes de l’écosystème terrestre qui à leur tour impactent le fonctionnement de nos sociétés et la santé de tous les êtres vivants. Il nous faut donc simultanément nous adapter aux modifications environnementales, aux pathologies qui en résultent et réduire notre impact écologique.
L’ampleur de ces défis est potentiellement décourageante, anxiogène voire paralysante. Pourtant, c’est aussi une opportunité fondamentale de faire le point et se réorienter (1). Qu’est-ce qui nous importe vraiment, en « santé » et dans la vie ? Comment mettre en place une sobriété positive, centrée sur la qualité de vie ? Quels « justes soins » souhaitons-nous pour nos vieux jours, pour nos enfants et petits-enfants, pour chaque personne vivant sur cette planète ? Comment « Avant tout ne pas nuire », chez nous et dans l’articulation entre le « Nord » et le « Sud » ?
Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de clarifier les enjeux, les concepts et les pistes de solution, pour nos sociétés en général et pour les soins de santé en particulier. C’est ce que nous essaierons de faire dans cet article, sans optimisme excessif mais également sans catastrophisme. Nous commencerons par revoir brièvement les prévisions en matière d’environnement et de ressources, les concepts de « développement durable », « transition » et leurs critiques. Nous nous intéresserons ensuite aux interactions entre environnement, santé et soins de santé, avant de terminer par une brève présentation des stratégies possibles pour des soins de santé durables, efficaces et sans danger pour les humains et leur environnement naturel.
À quoi faut-il s’attendre en termes de modifications environnementales ?
Le réchauffement climatique (augmentation de la température moyenne de l’air à la surface de la Terre) est observé depuis le début de l’ère industrielle (fin XIXe siècle). Il est causé par l’augmentation de concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, des suites de l’activité humaine*.
Le dernier rapport (3) du Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) établit que l’activité humaine a causé une élévation de température globale de 1.1°C entre 1850-1900 et 2011-2020. Ce réchauffement d’origine anthropique augmente la fréquence et l’intensité des événements météorologiques extrêmes (vagues de chaleur, sécheresses, incendies, tempêtes, précipitations intenses, inondations) ainsi que la fonte des glaces et l’élévation du niveau des mers : le terme de dérèglement climatique est ainsi plus approprié que celui de réchauffement.
La Belgique n’est pas épargnée par ce phénomène (4). La température moyenne à Uccle a augmenté de 2.1°C (davantage que la moyenne mondiale) entre 1833 et 2019. Le nombre, la durée et l’intensité des vagues de chaleur, les précipitations annuelles moyennes, le nombre de jours de précipitations abondantes et le nombre moyen de jours de sécheresse ont également augmenté.
Les conséquences du dérèglement climatique sur la biodiversité et les conditions de vie des communautés les plus pauvres sont déjà observées et ont un impact économique et écologique global, irréversible à l’échelle de plusieurs siècles compte tenu de la longue demi-vie dans l’atmosphère du CO2. Le GIEC a modélisé plusieurs scénarii représentatifs des trajectoires climatiques possibles selon l’évolution de nos émissions de GES** (3). Il est établi que les politiques déjà en place sont insuffisantes pour limiter le réchauffement à 1.5°C. Le scénario d’augmentation de 2°C à l’horizon 2100, qui impliquerait un monde net zéro carbone en 2070, reste envisageable à condition de mettre immédiatement en œuvre des mesures ambitieuses, la fenêtre d’opportunité permettant d’instaurer des changements significatifs se refermant très rapidement.
Autre motif d’inquiétude, la biodiversité décroit à une vitesse 10 à 100 fois plus élevée qu’au cours des derniers millénaires, au point que l’IPBES (Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) évoque une sixième extinction de masse*** (5,6). Dans le monde, l’étendue et la qualité des écosystèmes ont décliné de 47% par rapport à leur ligne de base, 25% des espèces animales et végétales sont en danger et la biomasse de mammifères sauvages a diminué de 87% (5). En Belgique, près d’un tiers des espèces indigènes recensées sont rares, menacées ou éteintes (6). Les causes de la perte de biodiversité sont multiples : modifications d’utilisation des sols et des océans avec destructions d’habitats naturels (déforestation, loisirs et tourisme…), exploitation de certaines espèces (agriculture intensive, production de bois, surpêche…), dérèglement climatique, pollution, dissémination d’espèces invasives (5)… La biodiversité est pourtant vitale pour notre espèce, tant pour des raisons matérielles (régulation du climat, de la qualité de l’air et de l’eau, résilience des écosystèmes, production de nourriture, d’énergie, de matières premières…) qu’immatérielles (culture, santé mentale, sentiment d’appartenance et d’identité…) (7).
Changement climatique et perte de biodiversité ne sont pas les seuls changements délétères causés par l’activité humaine. En se basant sur la reconnaissance de neuf systèmes biogéochimiques nécessaires à la vie sur Terre, une équipe internationale (8) a proposé, en 2009, le concept de limites planétaires au-delà desquelles l’espace sûr de fonctionnement de l’humanité serait mis en danger. A l’époque, trois de ces limites de sécurité étaient dépassées sous la pression des activités humaines. Selon le Stockholm Resilience Centre qui met à jour ce modèle (9), six limites sont aujourd’hui dépassées (fig. 1). Les interactions entre ces systèmes génèrent des boucles de renforcement amplifiant l’impact délétère des activités humaines sur le système terrestre. Par exemple, dérèglement climatique et perte de biodiversité se renforcent mutuellement (10).
* Les GES « piègent » les radiations solaires infrarouges dans l’atmosphère et augmentent l’effet de serre naturel et ainsi la température moyenne de la Terre. Le CO2 généré par la combustion d’énergies fossiles et la déforestation n’est pas le seul GES d’origine anthropique. Par exemple, le méthane (dont 60% provient des activités humaines, principalement l’élevage et la combustion d’énergies fossiles (2)) a un potentiel de réchauffement global à 100 ans 25 fois supérieur à celui du CO2. Des gaz synthétiques, comme l’anesthésiant sévoflurane, participent aussi à l’effet de serre. Pour simplifier les calculs, on convertit le potentiel de réchauffement global de chaque GES en équivalents CO2, notés CO2e.
** Notons que ces scénarii ne tiennent pas compte de la probabilité croissante de changements abrupts du système, liés au dépassement de certains « points bascule » générant des boucles de rétroaction positive amplifiant les modifications de manière imprévisible et incontrôlable.
*** La dernière extinction massive de biodiversité aurait été observée il y a 65 millions d’années (disparition des dinosaures non aviens).
Faut-il s’attendre à une pénurie de ressources ?
Depuis les années ’70, le monde est en « dette écologique » (11) : notre consommation d’eau, d’énergie, de matériaux bruts, de matériaux rares excède largement la capacité de régénération des écosystèmes et continue à augmenter. En 2017, on estimait qu’il faudrait 1.7 planètes Terre pour soutenir les prélèvements humains sur les écosystèmes ; ce chiffre devrait grimper à 2 d’ici 2030. Les estimations divergent quant à la possibilité de compenser ce déséquilibre par l’innovation technologique, mais la plupart des auteurs estiment que l’innovation ne résoudra pas la pénurie de ressources (12).
Plusieurs exemples illustrent cette problématique. Notre consommation en énergie primaire**** augmente progressivement depuis le milieu du XIXe siècle et le développement d’énergies « vertes » n’a pas été compensé par une réduction de consommation d’énergies fossiles (fig. 2). Autre exemple, la demande en métaux rares (électronique, batteries) sera probablement décuplée dans les années qui viennent, en raison de la digitalisation et du développement des énergies « vertes ». Or, le recyclage des matériaux électroniques est loin de compenser la demande, notamment en raison du coût énergétique et financier de la séparation des composants. C’est ainsi que souvent les innovations technologiques n’induisent pas plus de sobriété mais favorisent une augmentation de consommation (« effet rebond ») – à l’image du développement de la 4G et des fibres optiques qui a boosté l’utilisation d’Internet, très gourmand en énergie.
**** Définie comme l’ensemble des produits énergétiques non transformés, exploités directement ou importés, comprenant le pétrole brut, les schistes bitumineux, le gaz naturel, les combustibles minéraux solides, la biomasse, les énergies solaire, hydraulique et éolienne, la géothermie et le nucléaire. (13)
Face à cette consommation accrue, il faut s’attendre à une compétition croissante pour l’accès aux ressources non renouvelables, au risque d’aggraver les inégalités et de générer des conflits armés. Plusieurs ressources sont déjà sous tension, comme le pétrole sur lequel repose l’organisation entière de nos sociétés (transports, dérivés de la pétrochimie). On parle ainsi souvent d’une « double contrainte carbone » : maintenir notre niveau de vie actuel n’est pas seulement insoutenable sur le plan écologique mais pourrait bientôt être impossible en raison de la pénurie des ressources. Le secteur de la santé, très dépendant des ressources fossiles – comme source d’énergie mais également comme matière première (plastique et synthèse des médicaments) – ne sera pas épargné.
Répondre à ces défis : développement durable, transition ou transformation ?
L’ampleur des défis qui se présentent a motivé de nombreux appels à l’action, du Lancet au Pape François en passant par les Francs-Maçons belges (1,15,16). De nombreux académiques ont insisté sur l’importance d’abandonner notre traditionnelle retenue, activer notre capacité de désapprendre, remplacer l’approche réductionniste par une approche systémique décloisonnée et prendre clairement position en faveur de politiques adéquates. Il s’agit de « aller à la racine des problèmes et ne pas en rester à une description érudite qui se voudrait axiologiquement neutre. (…) une pensée engagée qui se veut ouverte au débat mais reste orientée par une visée éthique qui conduit à désigner certains choix comme des impasses » (17).
L’étude de la durabilité questionne le fonctionnement des sociétés humaines, notamment dans leur relation à l’environnement naturel, et s’intéresse aux interconnections des enjeux environnementaux, sociaux, éthiques, économiques ou techniques qui permettent d’atteindre de bonnes conditions de viabilité sur terre aujourd’hui et dans le futur. La mise en relation des savoirs interdisciplinaires est complexe et il existe des approches et théories différentes pour les aborder. La notion de « développement durable » proposée par l’ONU est critiquée en raison de l’incompatibilité du concept de « développement » (intimement lié à celui de croissance) avec les limites planétaires. D’autres auteurs préfèrent parler de durabilité, transition, transformation ou même « grande inversion » (12,18,19) (Fig. 3). Cependant, les objectifs de développement durable (20) (Fig. 4) restent un guide utile pour la mise en place et l’évaluation de stratégies pertinentes. La « théorie du doughnut » de K. Raworth (21) (Fig. 5) invite à rééquilibrer la consommation des ressources pour améliorer l’équité et la qualité de vie du plus grand nombre tout en respectant les limites planétaires.
Quels sont les conséquences des modifications environnementales sur la santé et le fonctionnement des systèmes de soin ?
Le dépassement des limites planétaires est source de nombreux effets néfastes sur la santé (26) (fig. 6). Notons que la répartition de ces impacts délétères – à l’échelle mondiale, d’un pays ou même d’une ville – est profondément injuste et inégalitaire, les personnes les plus fragiles sur le plan socio-économique (environ 3.5 milliards d’individus) cumulant une grande vulnérabilité aux effets des changement planétaires et une faible contribution aux causes de ceux-ci (3,27).
Il est désormais clair que santé humaine, santé animale et santé de l’environnement sont intimement liées et que le développement d’une pensée systémique reconnaissant la complexité des phénomènes à l’œuvre est fondamental. Ce constat est le point de départ du concept « one health (une santé) », qui promeut une collaboration étroite entre les secteurs d’activités liés à ces différents domaines (29,30), ainsi que de deux autres concepts qui se recouvrent partiellement, ceux de santé planétaire et de santé environnementale (31).
Quel est l’ampleur de l’effort à effectuer par nos sociétés ?
Les efforts nécessaires pour enrayer les changements planétaires sont colossaux. En guise d’exemple, pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris (Cop-21, 2015) (32) et limiter le réchauffement climatique sous 2°C, il est nécessaire de réduire les émissions actuelles mondiales de CO2e de 80% d’ici à 2050. Cela implique une réduction des émissions de 5 à 6% par an, soit autant que la diminution observée lors de la pandémie Covid-19 (33).
En pratique (34), la somme des initiatives prises à l’échelle individuelle (modification de nos habitudes alimentaires et de déplacement, isolation des domiciles) pourrait permettre une réduction de 20% de cette empreinte carbone. Le caractère contraignant du système socio-technique dans lequel nous vivons, dépendant d’une énergie abondante et bon marché, limite en effet la portée des initiatives privées. Il s’agit donc de repenser le modèle actuel en profondeur.
Cette tâche semble énorme mais certaines interventions très concrètes peuvent agir comme des « points de bascule » déclenchant des modifications rapides et non linéaires (35). De plus, ces interventions génèrent des co-bénéfices significatifs en termes de santé, climat et réduction des inégalités (36). Par exemple, une politique volontariste de rénovation et d’isolation des logements insalubres permet simultanément d’améliorer la santé de ses habitants (et donc les dépenses de santé publique), de réduire leurs dépenses de chauffage, les émissions de GES et la dépendance aux énergies fossiles (37). De même, le passage à une mobilité active (marche, vélo) a un effet positif à la fois sur la santé des personnes, le coût des déplacements, la pollution, la consommation d’énergie fossile et l’émission de GES.
Quel est l’impact environnemental des soins de santé ?
Selon des estimations 2014 du groupe Health Care Without Harm, le secteur des soins de santé belge représentait environ 10% du Produit Intérieur Brut et 5.5% des émissions de CO2e du pays (38) à la 6e place (sur 68 pays) en termes d’émissions par habitant. La même étude évaluait l’empreinte carbone des soins de santé à 4.6% en France, 5.4% au Royaume-Uni, 5.9% aux Pays-Bas ou 7.6% aux Etats-Unis. D’autres études montrent des ordres de grandeur comparables en France (39), aux Pays-Bas (40) ou en Grande-Bretagne (41), même s’il s’agit probablement de sous-estimations, les chiffres réels se situant entre 6 et 10% de l’empreinte nationale (39). Les études ci-dessus estiment que la moitié des émissions correspond à l’achat de médicaments et de dispositifs médicaux (contre 5% pour le traitement des déchets). Cela souligne l’impact élevé du secteur pharmaceutique (dont l’empreinte carbone est supérieure à celle de l’industrie automobile (42)) et démontre l’importance de réévaluer nos pratiques de soins.
Par ailleurs, les soins de santé en général et l’industrie pharmaceutique en particulier sont responsables d’autres pollutions environnementales via le relargage dans l’eau ou dans l’air de nombreux polluants et déchets, notamment des résidus de médicaments, de leurs métabolites ou des réactifs nécessaires à leur production (40,43-46). Ces polluants menacent la santé tant directement (par exemple lors de l’ingestion d’aliments contaminés) qu’indirectement, notamment en raison de leur impact sur la biodiversité (7,47).
L’empreinte environnementale des soins de santé est d’autant plus considérable que ceux-ci ne contribuent que très partiellement (10-20%) à la santé des populations : l’essentiel des déterminants de santé dépend des écosystèmes et infrastructures sociétales, donc de l’environnement physique et psychosocial (48). Par exemple, en Belgique comme ailleurs, on note des inégalités d’espérance de vie importantes en fonction du niveau d’éducation (49) et du lieu de vie (50).
Quelle transformation des institutions de soins ?
Plusieurs groupes se sont penchés sur les stratégies permettant de réduire l’impact environnemental des soins de santé (51,52) (tableau 1). Relevons l’importance de la prévention (dans laquelle les Etats ont un rôle essentiel) et de la première ligne de soins (les pays ayant mis en place une première ligne forte ont de meilleurs indicateurs de santé, pour un coût plus faible et une meilleure accessibilité aux soins que les autres pays (53-55), avec un impact environnemental probablement plus faible que les soins spécialisés (41,56)). Il faut également de tenir compte de facteurs commerciaux (les « déterminants commerciaux de la santé ») (57) qui contribuent à la complexité systémique et nécessitent un arbitrage entre les divers « intérêts » sociétaux et politiques.
En France, l’équipe Santé du Shift Project (39) part d’une analyse fine de l’impact carbone des soins de santé pour proposer diverses stratégies, décrites par ailleurs dans ce numéro spécial. En Grande-Bretagne, le NHS est le seul organisme de santé national à s’être doté d’un plan ambitieux. Une politique volontariste a permis de réduire les émissions de GES de 26% entre 1990 et 2019, malgré l’augmentation de la population et de la demande de soins : l’intensité carbone des soins a diminué de 37% par habitant et 64% par patient hospitalisé (41). En Belgique, une troisième version de Plan National d’action Environnement-Santé (NEHAP), en cours de développement (58), apporte un embryon de réponse à ces questions.
Repenser l’enseignement
Les transformations esquissées ci-dessus nécessitent une implication forte de tous les professionnels de santé. Les efforts nécessaires concernent tant la formation initiale et continuée des étudiants et étudiantes que celle des professionnels de soin déjà en activité. Pourtant, une étude internationale observe seulement que 11% des facultés de 92 pays proposent une formation dédiée aux influences des changements climatiques sur la santé (64). Les universités francophones belges se sont engagées dans des plans qui prévoient notamment un enseignement de ces matières dans la plupart des programmes de cours (65-68), y compris dans le secteur de la santé.
Outre une connaissance des principaux enjeux décrits ci-dessus, des éléments importants seront la sémiologie, le raisonnement clinique et l’évidence based practice permettant de limiter les examens paracliniques et les approches techniques, les compétences relationnelles nécessaires à une approche réellement centrée sur le patient, la cohérence entre l’enseignement et la pratique clinique (notamment concernant le juste recours au soin sur les terrains de stage).
Enseigner une démarche de développement durable aux soignants pourrait être une démarche intégrative et transversale. Intégrative en créant un lien au sein de chacune des matières avec les défis environnementaux qu’elle subit et/ou provoque. Transversale en mettant en œuvre un décloisonnement des savoirs, par exemple en intégrant des notions de santé publique, d’économie de la santé, de droit, de politique dans un cours transfacultaire dédié. Au-delà de ces cours dédiés, il est indispensable de viser la formation des formateurs pour une intégration des réflexions ci-dessous dans tous les enseignements disciplinaires. Par ailleurs, il faut fournir une expertise supplémentaire pertinente pour un avenir incertain, comme la pensée systémique et la compréhension des dynamiques complexes ou encore des fondements éthiques plus larges que l’éthique « médicale ». Enfin, dans une vraie perspective transdisciplinaire, les notions de santé doivent faire partie d’autres enseignements disciplinaires (« health in all policies »).
Conclusion
Les modifications environnementales (changement climatique, perte de biodiversité, pollution) et la pénurie de ressources (énergie, matières premières) sont déjà à l’œuvre. Elles ont et auront des conséquences de plus en plus importantes sur la santé des personnes et sur le fonctionnement du système de soins de santé. Des modifications profondes et rapides de fonctionnement de nos sociétés, y compris le secteur de la santé, sont indispensables, tant pour limiter l’ampleur de ces changements que pour en atténuer les effets (tableau 2).
Le défi peut sembler énorme, voire inaccessible… il faut cependant rappeler que, vu le dépassement croissant des limites planétaires, le changement est inéluctable. La question n’est donc pas de décider si nous voulons changer mais de choisir entre un changement subi et probablement violent, ou un changement démocratiquement piloté qu’on peut espérer moins douloureux. De plus, comme mentionné plus haut, s’y engager peut permettre d’inverser les cercles vicieux, de générer des co-bénéfices et même d’enclencher des points de bascule positifs. Il est capital que les soignants comprennent les enjeux à l’œuvre et prennent toute leur place d’acteurs des changements à venir.
Affiliations
1. Institut des Neurosciences, UCLouvain et Cliniques universitaires UCL Saint-Luc, Service de Médecine physique et réadaptation
2. USI Hôpital Erasme Bruxelles, The Shifters Belgium, Groupe REAGIR Société de Réanimation de Langue Française
3. Laboratory of clinical microbiology, KULeuven – Service des Urgences, CHU Charleroi
4. Conseillère en développement durable à la direction générale du CHU UCL Namur, Collaboratrice de recherche au sein de l’Institut de Recherche Santé Société de l’UCLouvain
5. Service de Neuroanatomie, Département des Sciences Précliniques, Faculté de Médecine, Université de Liège et «Service de Neurochirurgie, CHU Sart Tilman, Université de Liège
6. Centre de Bioéthique de l’Université de Namur, Institut ESPHIN, et service de Médecine interne de la Clinique Saint Pierre, Ottignies, réseau H.uni
Correspondance
Pre Anne Berquin
Cliniques universitaires UCL Saint-Luc
Service de Médecine physique et réadaptation
Av. Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles
anne.berquin@uclouvain.be
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