Prix Simonart 2017
Le Dr Bernard Hanseeuw est le lauréat du prix Simonart 2017 et l’article ici publié synthétise l’objet des travaux couronnés par cette récompense prestigieuse.
C’est en 1969 que le Professeur Baron André Simonart (1903-1992) décida d’affecter l’intégralité des dons recueillis à l’occasion de son éméritat à la création d’une fondation visant à encourager les recherches en pharmacologie parmi les étudiants et anciens étudiants de l’Université catholique de Louvain et la Katholieke Universiteit Leuven. Au travers d’un prix décerné tous les trois ans, la Fondation Simonart récompense l’auteur de travaux en recherche biomédicale susceptibles de faire progresser la pharmacologie clinique.
La Fondation Simonart confie la sélection du lauréat à un collège d’experts impliqués dans l’enseignement de la pharmacologie dans les deux universités-sœurs où le professeur Simonart a lui-même enseigné. Depuis la création de la Fondation, 16 prix ont été octroyés. Le Dr Bernard Hanseeuw rejoint ainsi le groupe de brillants chercheurs récompensés et qui font la fierté de nos institutions universitaires.
Le Docteur Bernard Hanseeuw est diplômé médecin à l'UCL en 2007. Après une thèse de doctorat sur l'imagerie cérébrale dans la maladie d'Alzheimer (2011) et une spécialisation en neurologie clinique (2014), il poursuit sa formation à Boston au Massachusetts General Hospital (Harvard Medical School). Il y acquiert l'expertise nécessaire à l'interprétation de l'imagerie des protéines tau et amyloïde dans les phases précliniques de la maladie d'Alzheimer. De retour à l'UCL depuis janvier 2017, il partage son temps entre la Clinique de la Mémoire et une activité de recherche soutenue par le FNRS et la Fondation Recherche Alzheimer.
Plus d’informations sur la Fondation Simonart et le prix sont disponibles à l’adresse http://baronsimonartfoundation.org/index.php
La maladie d’Alzheimer fait peur… Il s’agit de la première cause de démence et de perte d’autonomie chez les personnes âgées. Selon Alzheimer Europe, 191.000 personnes sont atteintes de démence en Belgique, soit 9% de la population de plus de 65 ans. Les seuls traitements disponibles, les cholinergiques, n’apportent qu’une amélioration modeste des symptômes, sans modifier la progression de la maladie. Les essais cliniques chez les patients déments échouent les uns après les autres. La maladie d’Alzheimer est désormais la seule, parmi les dix affections les plus létales, à ne pas disposer de moyens de guérison ni de prévention. Voici autant de raisons pour craindre cette maladie, qualifiée par certains de pandémie du XXIe siècle. Pourtant, la recherche a fait des avancées substantielles au cours des vingt dernières années, ouvrant la voie à de potentielles avancées thérapeutiques. Même si un traitement curatif reste lointain, les premières thérapies préventives sont actuellement à l’essai. Mais avant de pouvoir prévenir, encore faut-il dépister.
La maladie d’Alzheimer se caractérise cliniquement par des pertes de mémoire d’apparition progressive évoluant vers des difficultés cognitives plus larges, entravant la vie autonome au quotidien. Elle est causée par l’accumulation cérébrale de deux protéines: tau et amyloïde-beta (Aβ) formant deux dépôts pathologiques: les dégénérescences neuro-fibrillaires (tau) et plaques séniles (Aβ). Au XXe siècle, ces dépôts ne pouvaient être observés que post-mortem, en neuropathologie. Plusieurs séries d’autopsies ont démontré que tau et Aβ se déposent aussi chez des individus sans troubles de mémoire de leur vivant (1-3). Ces études suggèrent donc que la pathologie Alzheimer apparaît avant les premières pertes de mémoire. En théorie, le traitement de la pathologie Alzheimer au stade préclinique devrait permettre de prévenir l’évolution de la pathologie et ses manifestations cliniques. Depuis peu, la recherche concentre ses efforts sur la prévention, et non la guérison. Il semble certes plus aisé de cibler les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la maladie, que de réparer les circuits neuronaux après qu’ils aient été détruits.
Développer des examens complémentaires pour mesurer la pathologie Alzheimer in vivo, chez des personnes âgées avec peu ou pas de troubles mnésiques était un préalable à tout essai thérapeutique préventif. Depuis la fin des années 1990, la concentration des protéines tau et Aβ peut se mesurer dans le LCR (liquide céphalo-rachidien, obtenu après ponction lombaire). Depuis peu, la localisation anatomique des dépôts peut également s’observer en PET-scan (tomographie par émission de positrons) grâce à l’injection de produits radio-pharmaceutiques spécifiques des plaques séniles (2004, Pittsburgh, PA) et dégénérescences neuro-fibrillaires (2013, Boston, MA). En permettant d’évaluer les processus pathologiques chez l’humain en vie, les biomarqueurs ont fortement accru les perspectives de recherche. Les critères de diagnostic de la maladie ont également été revus. Précédemment, une démence sans cause évidente était qualifiée de maladie d’Alzheimer probable (4); désormais, le diagnostic peut être confirmé avant le stade de démence, sur base d’examens confirmant la présence de pathologie Alzheimer (5). Des critères permettant d’évaluer les stades de la maladie avant la survenue des symptômes ont été proposés (Figure1, reproduction de (5)). La généralisation de l’usage des biomarqueurs en recherche clinique a permis d’accroître notre compréhension de la physiopathologie de la maladie et la mise sur pied d’essais cliniques préventifs. L’objet de cette revue est de faire le point sur l’état d’avancement de la recherche clinique et sur les pistes d’investigation à poursuivre dans les prochaines années.
DE L’HYPOTHÈSE AMYLOÏDE AUX ESSAIS CLINIQUES ANTI-AMYLOÏDES, EN PASSANT PAR L’IMAGERIE
L’hypothèse selon laquelle l’amyloïdose cérébrale constitue le premier événement pathologique de l’Alzheimer remonte à la découverte des gènes responsables des rares cas de maladie d’Alzheimer autosomale dominante, en 1991 (6). Puisque les trois gènes identifiés sont tous impliqués dans le métabolisme de l’Aβ, la cascade physiopathologique doit être Aβ---> tau---> mort neuronale et dysfonction cognitive.
La radio-synthèse du Pittsburgh Compound B (PiB) (7) a ouvert un nouveau champ d’investigation, à savoir celui des phases précliniques de la maladie. Environ 90% des patients avec une démence d’Alzheimer, définie cliniquement, présentent une élévation de l’Aβ cérébral; mais un tiers des personnes âgées (>65 ans) présentent également un Aβ élevé (Figure 2). Il est aujourd’hui démontré que ces individus asymptomatiques sont ultérieurement plus à risque de déclin cognitif (8). Certains présentent par ailleurs des dysfonctions cérébrales compatibles avec un début de maladie d’Alzheimer (9). Les études LCR, moins nombreuses au vu du caractère plus invasif de la ponction lombaire chez des personnes asymptomatiques, ont observé des résultats similaires: la pathologie Aβ augmente le risque de déclin cognitif (10). La plus longue durée de demi-vie des traceurs marqués au F18 (110 minutes plutôt que 20 minutes pour le PiB, marqué au C11) a permis une plus large utilisation clinique de l’imagerie amyloïde, y inclus à l’UCL. Dans une cohorte qui compte aujourd’hui 125 patients normaux ou avec troubles cognitifs légers, nous avons pu démontrer que le diagnostic clinique était modifié dans 40% des cas après réalisation d’un bilan d’imagerie avec PET-scan au F18-Flutemetamol (11).
L’imagerie amyloïde ne permet pas uniquement un dépistage de la pathologie Alzheimer, mais également une évaluation de l’efficacité des essais thérapeutiques. Trois raisons principales expliquent l’échec des nombreux essais cliniques dans la démence: (1) le stade avancé de neuro-dégénérescence chez les patients testés, le plus souvent déments (2) l’hétérogénéité des patients, ceux-ci étant inclus sur base clinique et non pathologique, (3) l’absence d’évaluation de l’engagement de la cible thérapeutique chez l’humain. L’efficacité biologique, évaluée en phase 2, fut en effet souvent court-circuitée au profit de la phase 3; l’efficacité clinique étant le seul paramètre objectivable en l’absence de biomarqueurs spécifiques de la pathologie. L’an dernier, l’anticorps monoclonal Aducanumab, dirigé contre les plaques séniles, fut le premier traitement à démontrer un effet dose-dépendant sur le PET-Aβ (12). Même si les résultats cliniques sont moins clairs chez ces patients déments légers, cela ouvre un grand espoir pour l’utilisation de ces thérapies en prévention. Un large essai clinique, nommé ‘A4’ pour Anti-Amyloid in Asymptomatic Alzheimer, actuellement en cours en Amérique du Nord et au Japon, vise à administrer des anticorps monoclonaux à des volontaires asymptomatiques mais présentant une pathologie Aβ sur base du PET (13). L’objectif étant de déterminer après quatre ans de suivi si les volontaires traités ont une meilleure évolution que ceux sous placebo. Une étude similaire, DIAN-TU (Dominant Inherited Alzheimer’s Network-Trial Unit), a également vu le jour chez les porteurs de mutations autosomales dominantes (14).
DE LA PATHOLOGIE AUX SYMPTOMES: ANATOMIE DE LA TAUOPATHIE ET INTERACTIONS PROTÉIQUES
L’hypothèse amyloïde souffre d’un cavea: les mesures de la pathologie Aβ, qu’elles soient neuro-pathologiques, biochimiques (LCR), ou en imagerie expliquent fort peu les performances en mémoire d’un individu. C’est ainsi que des sujets avec des niveaux élevés d’Aβ peuvent avoir une mémoire tout à fait normale. Les pathologistes affirment depuis les années 1990 l’importance de l’extension des dégénérescences neuro-fibrillaires pour expliquer l’étendue des symptômes cognitifs (15). Les études LCR (16), et depuis peu par imagerie tau (9), confirment que les performances cognitives dépendent davantage de la pathologie tau. La présence d’une variabilité régionale de la tauopathie se traduit par une dysfonction spécifique de certaines régions corticales et rend compte de la variation des symptômes cognitifs rencontrée chez les patients (17). Dans la maladie d’Alzheimer, la tauopathie ne semble toutefois s’étendre au néocortex qu’en présence d’Aβ. Ces observations ne contredisent donc pas l’hypothèse selon laquelle la pathologie Aβ serait première et nécessaire à la maladie, mais il semble qu’une pathologie Aβ isolée ne soit pas suffisante au développement de la démence d’Alzheimer.
Cet amendement à l’hypothèse amyloïde questionne les essais cliniques visant l’Aβ; si certains individus à risque ne déclinent pas dans la durée de l’étude, ils réduisent fortement notre capacité à démontrer une efficacité thérapeutique, fut-elle réelle. Une étude particulièrement éclairante montre que 33% des volontaires ‘‘sains’’ Aβ+ présentent un déclin cognitif après quatre ans, mais 83% après dix ans (8), des chiffres qui confirment une longue durée pour la phase préclinique de la maladie. Développer des biomarqueurs permettant de sélectionner les sujets les plus à risque de progression rapide fait dès lors tout son sens. Nos efforts doivent probablement se concentrer sur les individus encore cognitivement normaux mais présentant une pathologie Aβ et une tauopathie néocorticale débutante.
Le F18-Flortaucipir, le premier traceur spécifique de la protéine tau phosphorylée, permet d’évaluer in-vivo la progression anatomique de la tauopathie. Le signal PET corrèle bien avec les mesures du LCR (18). Les premières images obtenues à l’UCL, début 2017, montrent que la pathologie tau se dépose selon une distribution régionale similaire à l’hypométabolisme (qui en résulte vraisemblablement, Figure 3). La tauopathie semble quelque peu excéder l’hypométabolisme, suggérant une apparition antérieure.
La spécificité du Flortaucipir pour la pathologie tau est toutefois relative: le traceur se fixe également à la neuro-mélanine des plexus choroïdes, rendant difficile l’interprétation du signal dans l’hippocampe adjacent. Une élévation du signal est également observée dans le lobe temporal gauche des patients présentant une démence sémantique, une affection due à des inclusions de TDP-43 et non à des dégénérescences neuro-fibrillaires. Le THK-5351, un autre traceur tau, s’avère fixer également le récepteur de la monoamine oxydase B. L’image résultante ne reflète donc que partiellement la tauopathie ce qui compromet son utilisation. Des progrès en terme de spécificité sont donc attendus dans des traceurs de seconde génération. Certains traceurs ont récemment vu le jour : le MK-6240, le PI-2620 ou le JNJ-067. Leurs propriétés pharmacologiques sont actuellement à l’étude mais certaines données préliminaires donnent espoir qu’ils soient plus spécifiques, peut-être même pour certains isoformes de la protéine tau. Alors que l’imagerie amyloïde est aujourd’hui une technique mature, dont l’utilité clinique semble bien démontrée, l’imagerie tau est un champ de recherche en plein essor, qui nécessite encore des perfectionnements avant utilisation clinique.
De récents développements dans l’analyse du LCR permettent d’identifier les isoformes de la protéine tau (19). La maladie d’Alzheimer se caractérise par une présence conjointe d’isoformes 3R et 4R de la protéine tau, contrairement à la maladie de Pick (3R) ou à la dégénerescence cortico-basale (4R) et la paralysie supranucléaire progressive (4R). Il n’est néanmoins pas encore connu si la balance entre déposition d’isoformes 3R et 4R influe sur le pronostic de la maladie ; ni si cette balance influe sur la topographie régionale de la tauopathie. Des études combinées PET-LCR seront nécessaires pour répondre à ces questions importantes en vue de cibler les mécanismes physiopathologiques spécifiquement responsables de la détérioration cognitive.
Mieux comprendre les mécanismes d’interaction protéique entre Aβ et tau, ainsi que les mécanismes de propagation de ces pathologies permettra d’élargir les possibilités de cibles thérapeutiques, actuellement encore restreintes à l’Aβ. Cela nécessitera une bonne collaboration entre les sciences fondamentales et les sciences cliniques, collaboration désormais facilitée par notre capacité de mesurer les phénomènes biologiques in vivo chez l’humain.
Afin que cette recherche translationnelle puisse bénéficier à l’ensemble de la population, il faudra également que soient développés des outils de screening, plus accessibles et moins onéreux que le PET ou la ponction lombaire. La recherche de marqueurs sanguins des phases précliniques de la maladie est à ce titre particulièrement intéressante, tout comme certaines approches comportementales; outre l’évaluation neuropsychologique, citons les récentes tentatives d’analyser les données générées par nos GSM ou l’évaluation de nos capacités de navigation dans des jeux vidéos. Ces approches offrent l’avantage de fournir facilement de très nombreux points de mesure, et d’ainsi établir des courbes d’évolution propres à l’individu. Suivre les variations de performance intra-individuelles, plutôt que de comparer le patient à la moyenne, devrait permettre d’identifier plus tôt qui a besoin d’examens complémentaires. Le médecin de demain proposera ainsi des investigations biologiques dès les premiers signes de déclin, à peine perceptibles par le sujet, et ne devra plus attendre que les performances soient devenues inférieures à la norme sur des tests standardisés.
RECOMMANDATIONS PRATIQUES
- Le bilan d’une suspicion de pathologie neurodégénérative comprend: un examen neuropsychologique approfondi, une IRM cérébrale et un PET-FDG
- Si ces examens indiquent une suspicion de maladie d’Alzheimer, le patient est probablement éligible pour une ou plusieurs études cliniques comprenant ponction lombaire, PET-amyloïde et PET-tau
Remerciements
Le Dr. Hanseeuw tient à remercier le Professeur Sperling (Neurology Department, Harvard Medical School) pour les Figures 1 et 2, le Professeur Lhommel (Service de Médecine Nucléaire, UCL-St-Luc) pour la Figure 3, et Monsieur Hugues Depasse pour la photographie de couverture.
Correspondance
Pr. Bernard Hanseeuw, M.D., Ph.D.
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Neurologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Université catholique de Louvain
Institute of Neurosciences
bernard.hanseeuw@uclouvain.be
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