DES BACTÉRIES POUR TRAITER LE DIABÈTE DE TYPE 2 ?

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P. Cani Publié dans la revue de : Mars 2016 Rubrique(s) : Session Diabétologie et Nutrition
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Résumé de l'article :

L’obésité et le diabète de type 2 sont associés à une inflammation de bas grades. Parmi les nouveaux mécanismes, le lien avec les bactéries intestinales semblent de plus en plus convaincant. Ce microbiote intestinal jouerait un rôle clé dans le déclenchement de l’inflammation et de l’insulino-résistance via différents mécanismes comme par exemple la translocation de bactéries ou encore de composés bactériens avec le développement de l’endotoxémie métabolique. Certaines bactéries intestinales pourraient aussi contribuer de façon délétère ou au contraire bénéfique à l’amélioration de l’homéostasie glucidique. Parmi les candidats potentiels, le rôle d’Akkermansia muciniphila est actuellement investigué.

Mots-clés

Microbiote intestinal, diabète, inflammation, Akkermansia muciniphila

Article complet :

Introduction

L’obésité et le surpoids sont classiquement associés à une inflammation de bas grade. Cette inflammation contribue aux développements de l’insulino-résistance, du diabète de type 2 et autres complications cardio-métaboliques. Cette dernière décennie de nombreux travaux ont associé le microbiote intestinal (anciennement appelé: flore intestinale) au développement de ces désordres métaboliques (1,2). Au cours de ces vingt dernières années, notre laboratoire a contribué à mieux comprendre et élucider comment le microbiote intestinal arrivent à dialoguer avec notre organisme et contribue au développement de l’obésité et ses désordres métaboliques associés (résistance à l’insuline, diabète de type 2, inflammation métabolique, stéatose hépatique non alcoolique (NASH)) (3-5)

Endotoxémie métabolique

Parmi les candidats impliqués dans cette inflammation, nous avons proposé que des constituants de la paroi des bactéries intestinales (grams négative) comme les lipopolysaccharides (LPS) (ou encore appelés endotoxines) joueraient un rôle essentiel dans le déclenchement de certains de ces désordres (6). Les LPS sont des molécules pro-inflammatoires puissantes, produites continuellement par le microbiote intestinal et dont l’absorption est directement liée à l’ingestion de lipides alimentaires (3,7). En effet, les bactéries intestinales contribueraient à l’inflammation associée aux désordres métaboliques par des mécanismes impliquant notamment une augmentation des taux de LPS plasmatiques et que nous avons défini comme étant une « endotoxémie métabolique » (3). L’existence de l’endotoxémie métabolique et son rôle dans le déclenchement de l’inflammation et de l’insulino-résistance associée à l’obésité et au diabète de type-2 a tout d’abord été mis en évidence expérimentalement chez l’animal, mais a ensuite été largement confirmé chez l’homme (3,7-9). D’un point de vue expérimental, nous avons démontré qu’une infusion chronique de LPS mimant l’endotoxémie métabolique induit une inflammation et une insulino-résistance associée à une stéatose hépatique.

Par ailleurs, l’invalidation du récepteur au LPS (CD14/Toll-like receptor 4 (TLR-4)) protège contre le développement des différents désordres métaboliques induits par le LPS ou encore un régime riche en graisse.

Dialogues entre bactéries et cellules hôtes

Plus récemment, nous avons démontré que le dialogue établi entre les bactéries intestinales et les cellules de l’intestin de l’hôte jouait un rôle clé dans le développement de l’obésité et du diabète. En inactivant de façon spécifique (dans les cellules épithéliales de l’intestin) une protéine du système immunitaire inné appelée MyD881 permet de réduire l’inflammation, l’insulino-résistance et le diabète de type-2 associés à un régime riche en graisses (10). Cette protection est directement dépendante de la composition et l’activité des bactéries intestinales suggérant donc que les cellules intestinales jouent un rôle clé dans la réponse systémique aux composants du microbiote intestinal.

Dans ce contexte, la fonction barrière de l’intestin est primordiale afin de limiter au maximum le passage de composés indésirables provenant de la lumière intestinale vers la circulation sanguine et les tissus de l’hôte. L’efficacité de cette barrière intestinale est assurée par différents types cellulaires et différents mécanismes (protéines des jonctions serrées, couche de mucus, protéines antimicrobiennes et immunoglobulines, …) (10).

Parmi les mécanismes potentiellement impliqués dans le dialogue bactéries-hôtes, nous avons découvert que le microbiote intestinal était en étroite interaction avec le système endocannabinoïde (eCB) et ses lipides bioactifs (11,12). En effet, le système eCB est impliqué dans le contrôle de la fonction barrière de l’intestin et certaines bactéries (ou microbiotes intestinaux) seraient associées soit à une protection ou au contraire au déclenchement de désordres de la barrière intestinale pour revue (6).

Plus récemment, nous avons découvert que le système eCB présent dans le tissu adipeux, et plus précisément l’enzyme de synthèse des N-acyléthanolamines (NAPE-PLD) exerce un rôle clé sur la régulation du métabolisme énergétique (11). Cette enzyme est impliquée dans la synthèse de molécules bioactives dont certaines sont déjà connues pour leurs effets sur l’inflammation et la régulation de l’appétit.

En utilisant des outils génétiques, nous avons découvert qu’éliminer l’enzyme spécifiquement dans les adipocytes entraîne une obésité et une insulino-résistance. Ceci est associé à une disparition presque complète des cellules beiges indiquant donc une incapacité d’oxyder les graisses. L’absence de NAPE-PLD dans cet organe empêche également le développement des cellules beiges lors d’une exposition au froid empêchant chez ces souris une dépense d’énergie pour produire de la chaleur.

Nos travaux montrent que les animaux n’ayant plus de NAPE-PLD dans le tissu adipeux développent une inflammation associée à une endotoxémie métabolique. En accord avec cette observation la composition des bactéries de l’intestin de ces animaux est également différente.

Ce résultat surprenant suggère donc que le tissu adipeux dialoguerait avec l’intestin et les bactéries. Mais ce dialogue ne se fait pas que dans le sens partant du tissu adipeux vers l’intestin. En effet, transférer les bactéries de l’intestin de ces souris dans des animaux axéniques provoque une diminution du « browning/beiging » et de l’oxydation des graisses, suggérant donc que les bactéries de l’intestin seraient capables de contrôler le métabolisme du tissu adipeux. Nos travaux suggèrent donc que certains lipides bioactifs modifieraient le métabolisme par un dialogue métabolique microbiote-hôte.

1. MyD88 ou myeloid differentiation primary response gene 88 est impliquée dans la voie de signalisation de la plupart des TLR’s.

Une place de choix pour certains candidats ?

Différents travaux ont montré une association entre la composition du microbiote intestinal, le poids corporel ou encore l’hyperglycémie et le diabète de type-2. De nombreuses analyses métagénomiques montrent que certaines bactéries ou familles bactériennes sont augmentées ou diminuées dans les fèces des patients diabétiques de type-2 par rapport à des individus non diabétiques mais, à ce jour il n’existe pas de véritable « listing » fiable pour suggérer un lieu causal entre ces observations et le déclenchement du diabète.

Par contre, il existe une autre bactérie appelée Akkermansia muciniphila qui nous semble être intéressante dans le contexte de désordres métabolique. En effet à plusieurs reprises, cette bactérie a été associée avec le métabolisme énergétique et glucidique. Par exemple, nous avons découvert que cette bactérie était moins présente chez des souris obèses et diabétiques de type 2, et ce quel que soit le modèle, c’est-à-dire génétique ou nutritionnel (13,14). Ensuite, nous avons démontré que l’administration d’Akkermansia muciniphila à des animaux obèses et diabétiques permettait de diminuer le gain de poids corporel, d’améliorer la glycémie, l’insulino-résistance, de renforcer la barrière intestinale et de diminuer l’inflammation métabolique (14), d’autres équipes ont récemment confirmé ces observations (15,16).

Chez l’homme, différentes études ont mis en évidence que la présence d’Akkermansia muciniphila était inversement corrélée avec le poids corporel ou encore la glycémie (17-19). Notons cependant que l’abondance de cette bactérie est augmentée par la prise de metformine, ce qui en fait un facteur confondant lors de son investigation dans l’intestin de patients diabétiques de type-2 (20,21).

Nos travaux récents ont mis en évidence que l’abondance d’Akkermansia muciniphila permettrait de prédire la réponse et les améliorations métaboliques d’un patient suite à un régime hypocalorique. Plus précisément, les sujets ayant plus d’Akkermansia muciniphila avant l’intervention nutritionnelle sont ceux qui présenteront la meilleure amélioration de la sensibilité à l’insuline, une plus forte diminution du cholestérol total et LDL et du tour de taille. Akkermansia muciniphila était également inversement corrélée à la glycémie à jeun mais également à d’autres paramètres ; comme par exemple le rapport hanche/taille et la taille des adipocytes dans le tissu adipeux sous cutané (17).

À ce jour, aucune étude d’intervention n’a pu démontrer si cette bactérie avait potentiellement des effets bénéfiques pour la santé. Cette hypothèse est actuellement en cours d’investigation aux Cliniques universitaires Saint-Luc en collaboration avec les Professeurs Jean-Paul Thissen, Michel Hermans, Dominique Maiter et le Docteur Audrey Loumaye.

En conclusion, de nombreux travaux sont en cours et sur une période relativement courte d’une décennie, un nombre important d’avancées ont été réalisées. De toute évidence, l’influence du microbiote intestinal sur l’homéostasie glucidique et énergétique est complexe et multifactorielle, cependant certaines pistes pourraient être évoquées pour une prise en charge spécifique du syndrome métabolique. Tant les cibles comme l’immunité ou encore différents métabolites bactériens semblent être particulièrement intéressants. La recherche actuelle encourage le développement de nouvelles cibles thérapeutiques qui seront très probablement personnalisées.

Ce travail est en partie supporté par un ERC Starting Grant 2013 (European Research Council, Starting grant 336452-ENIGMO), un POC ERC grant 2016 (Microbes4U), Fondation Saint-Luc (Prix de la Banque Transatlantique Belgium), le Fonds de la Recherche Scientifique - FNRS for the FRFS-WELBIO grant: WELBIO-CR-2012S-02R.

Correspondance

Pr. PATRICE CANI

Research Associate FRS-FNRS
Université catholique de Louvain
Louvain Drug Research Institute,
WELBIO (Walloon Excellence in Life sciences and BIOtechnology)
Metabolism and Nutrition research group
Avenue E. Mounier, 73/B1.73.11
B-1200 Brussels, Belgium
Email: patrice.cani@uclouvain.be
Twitter: @MicrObesity

Références
 

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