Pour introduire
Comme nous l’avons souligné précédemment, cette trop longue crise pandémique rappelle combien il est indispensable de prendre soin des trois piliers inhérents au bien-être du sujet humain. À côté de la santé physique, les éléments de santé mentale incluant le rapport à soi et aux autres ainsi que les facteurs d’ordre socio-économique constituent des paramètres tout aussi vitaux. Les deux années qui viennent de s’écouler ont révélé les problématiques psychiques des jeunes quand elles ne les ont pas amplifiées. Le nombre de passages à l’acte suicidaire, de décompensations anxieuses, de perturbations graves des conduites alimentaires,… a explosé, tous réseaux de soins confondus (1). La saturation de ceux-ci, préexistante rappelons-le, est aujourd’hui proche du point de rupture. De nombreuses heures de négociation sont d’ailleurs indispensables pour ré-orienter un jeune se présentant aux urgences psychiatriques et nécessitant un lieu de soins adapté et contenant. Les échanges au sein des réseaux perdent de leur flexibilité, se rigidifient, traduisant une tendance des différents professionnels à vouloir se protéger. À ce propos, la perte de l’humour dans les contacts entre cliniciens révèle cet état de fait. Ce ne sont malheureusement pas les quelques mesures de soutien budgétaire complémentaire qui pourront endiguer l’ampleur des problématiques rencontrées et les besoins de réponses structurées dans la crise et l’urgence. Par ailleurs, la crise pandémique et ses mesures sanitaires ont perturbé les équilibres psychiques et relationnels fragiles et plongé en conséquence certains systèmes dans la violence conjugale et dans la maltraitance infanto-juvénile (2).
Faisant face aux multiples retentissements de la crise pandémique au niveau de la santé mentale des jeunes patients et de leur entourage, notre Service de Psychiatrie Infanto-Juvénile a maintenu sa réactivité et sa créativité. Dans le cadre de cette contribution, nous mettons en lumière deux axes pour cette année 2021, le premier concerne une activité clinique spécifique s’appuyant sur la multidisciplinarité, le second implique le volet de l’enseignement dans une matière aussi complexe que redoutée.
Soins somatiques des enfants et adolescents présentant un trouble du spectre autistique : prévention, sensibilisation, préparation, adaptation
Les soins médicaux et l’hospitalisation d’un enfant ou d’un adolescent avec un trouble du spectre autistique (TSA) sont souvent une source de stress intense pour lui-même, pour ses parents et pour les équipes médicales et paramédicales. Ce stress est notamment généré par l’hypersensibilité sensorielle, la confrontation à des stimuli sensoriels inhabituels (odeur, luminosité, bruits des appareils, etc.), un lieu inconnu, des changements dans leurs routines quotidiennes, des difficultés à localiser et à décrire la douleur, leur manque de compréhension des consignes et de la situation et plus généralement leur difficulté à communiquer. Cette confrontation à autant d’inconnues engendre des troubles du comportement chez la plupart des enfants et adolescents avec TSA. Ces expériences négatives peuvent susciter des appréhensions de la part des équipes médicales et paramédicales par manque d’information quant au mode de pensée de ces personnes et à leurs ressources. L’étude de Will & Al. (2013) (3) a révélé que les soignants ne se sentaient globalement pas préparés pour prodiguer des soins aux patients atteints de TSA et désiraient être mieux formés à ce type de troubles. Certaines conclusions (4) soutiennent que, si soignants et patient se comprennent, les soins se déroulent dans un climat plus serein et sont dès lors plus efficaces.
Nous avons eu la chance d’obtenir une subvention de la Fondation Saint-Luc et les Projets d'Eléonore afin d’évaluer les besoins de certaines équipes des Cliniques universi-taires Saint-Luc qui sont susceptibles de prendre en charge des enfants ou des adolescents avec un TSA. Nous avons pris le temps de nous alimenter de la littérature scientifique, des expériences menées à l’étranger et des outils existant.
Etant donné le contexte sanitaire compliqué, les rencontres avec les équipes de différents Services des Cliniques universitaires Saint-Luc n’ont pu se dérouler tel qu’espéré. Toutefois, les témoignages des expériences individuelles et multidisciplinaires de l’hôpital de jour pédopsychiatrique (le Kapp) et de plusieurs professionnels attachés à différents Services nous ont enrichies et guidées. Ceux des parents et l’analyse des accompagnements d’enfants présentant un TSA lors de consultations ou d’hospitalisations ont aussi participé à affiner et à réadapter nos méthodes de recherche et notre pratique.
Ces apports ont articulé notre projet autour de 3 axes essentiels :
1. Sensibilisation à la prévention et aux soins à l’attention des familles ;
2. Sensibilisation au TSA spécifiquement pour les professionnels de la santé ;
3. Création de boîtes à outils pour les Services sélectionnés et les familles.
Le TSA est un trouble neurodéveloppemental souvent associé à d’autres troubles neurodéveloppementaux (trouble du langage, trouble du développement intellectuel, déficit attentionnel…) à des troubles sensoriels, à des troubles psychopathologiques tels l’anxiété, la dépression ou les TOC, de même qu’à des troubles neurologiques tels l’épilepsie, les problèmes neuromoteurs…(5). Les enfants avec TSA ont des besoins en soins somatiques, qui ne sont pas toujours bien identifiables, de par leur sensibilité particulière à la douleur et leur difficulté majeure à communiquer. La douleur de l’enfant avec TSA peut être à l’origine de troubles du comportement, crises de colère, agitation, agressivité, automutilation, trouble du sommeil…Il est donc essentiel de pouvoir identifier cette douleur et y remédier au plus vite. Toutefois, l’identification de cette douleur n’est pas toujours évidente. Parmi les étiologies les plus fréquentes, soulignons les troubles digestifs (constipation, reflux gastro-œsophagien, …) plus fréquents que dans la population d’enfants en général ; les problèmes dentaires faisant suite au manque d’hygiène bucco-dentaire et à une sélectivité alimentaire (caries, abcès, ...) ; les crises d’épilepsie qui peuvent engendrer un mal-être, des maux de tête, ….
La prise en charge de ces jeunes avec TSA s’avère complexe en raison de leurs particularités. Les parents soulignent leurs difficultés à accéder aux soins somatiques pour leurs enfants avec TSA. Le manque d’habiletés sociales, les expériences négatives et le manque de connaissance du mode de fonctionnement autistique par les professionnels amènent régulièrement les parents à renoncer aux soins somatiques, ce qui ne fait qu’aggraver la problématique.
Les différents témoignages récoltés dans le cadre de nos investigations corroborent avec la littérature sur le sujet. Parmi les points mis en évidence, nous retenons l’importance de collaborer avec les parents (6,7), la nécessité de changements et d’adaptation de l’environ-nement de soins avec notamment l’utilisation de supports visuels et la proposition d’outils et d’interventions (8). Au-delà de la sensibilisation des soignants à la problématique autistique, nous nous sommes vite rendues compte qu’un travail essentiel doit être fait en amont avec les parents et le jeune.
Un volet tout particulier doit être consacré dès le plus jeune âge à la prévention à la santé et aux soins somatiques. Cette prévention doit pouvoir permettre de sensibiliser les parents à l’importance de la prise en charge somatique, en insistant sur la nécessité d’avoir un médecin traitant ou un pédiatre qui suit l’évolution de l’enfant. Une consultation régulière chez le médecin traitant peut permettre à l’enfant d’apprivoiser le cabinet médical et de faire une visite dans un contexte non douloureux, faire une « consultation blanche ». Le concept d’habituation avec des mises en situations préalables permet de mieux appréhender les soins (9). Ces enfants avec TSA étant particulièrement réceptifs aux supports visuels, préparer les consultations à l’aide de livres, de jeux, de vidéos (travailler par le Vidéo modeling ou la modélisation par la vidéo qui incite à l’imitation avec notamment l'accompagnement de chansons…) permet à l’enfant d’appréhender les soins dans des conditions plus familières (par exemple, entraîner l’enfant avec un brassard pour pouvoir lui prendre la tension). Une expérience de familiarisation aux soins est actuellement en cours de mise en place avec les jeunes enfants hospitalisés au Kapp et l’équipe de pédodontie des Cliniques. Il semble également essentiel d’investir dès le plus jeune âge les particularités sensorielles selon différentes méthodes d’intervention : adaptative (aménagement de l’environnement et adaptation sociale), rééducative (désensibilisation sensorielle par un/e kinésithérapeute, un/e logopède…) ou thérapeutique (thérapie comportementale, intégration sensorielle).
Une attention spécifique doit également être portée aux enfants et adolescents avec TSA qui ont de bonnes ressources langagières et intellectuelles. En effet, ces jeunes peuvent manifester des crises d’angoisse importantes dans un environnement qui leur est peu familier, leur rigidité de pensée et leurs sensibilités sensorielles particulières les amènent à avoir bons nombres d’exigences qui peuvent passer pour des caprices ou pour une mauvaise éducation, mais qui ne servent en soi qu’à tenter de diminuer les sources d’angoisse. Des supports visuels, de même que des agendas ou repères temporels anticipant les différentes séquences du déroulement des soins peuvent être d’un grand soutien pour le jeune.
Beaucoup d’éléments sont déjà pris en compte par le personnel soignant bienveillant vis-à-vis des enfants et de leurs parents, beaucoup d’outils ont été testés. Toutefois certaines difficultés persistent par la manque de travail en amont, par le manque de formation, de compréhension du TSA et surtout le manque de temps parmi les exigences hospitalières. Nous pensons qu’il serait intéressant de bénéficier d’une personne ressource au sein de l’institution, qui pourrait jouer ce rôle d’interface entre les différents intervenants, qui pourrait collaborer avec les équipes de psychiatrie de liaison implantées dans les Services. Suite à ces échanges, les psychologues de liaison se montrent davantage proactives en terme de préparation, de sensibilisation et de soutien à la communication. Nous finalisons également un carnet de l’enfant pour favoriser la communication entre les parents et les soignants en y inscrivant les informations importantes sur l’enfant: ses moyens d’expressions, ses moyens de compréhension, son profil sensoriel, ses intérêts, ses routines, ses forces et qualités, ses peurs (blouse blanche), ses difficultés (attendre, se laisser toucher, le bruit…), ses astuces pour se relaxer…
Il est important de souligner que les stratégies mises en place pour les enfants avec TSA telles par exemple les vidéos du déroulement de certains soins peuvent également être d’excellents outils pour tous les enfants et notamment ceux qui éprouvent de l’anxiété par rapport aux soins.
Dans le cadre de ce projet, nous souhaitons encore finaliser :
- une « boîte à outils » pour les Services contenant des fiches synthétiques, des photographies/ dessins reprenant le déroulement des soins et des hospitalisations ainsi que des jouets sensoriels, des images et personnages miniatures permettant un apaisement ;
- une « boîte à outils » pour les familles contenant les photographies/ dessins reprenant le déroulement des soins et des hospitalisations ainsi que des références de jeux, de vidéos et de livres pour la sensibilisation et la préparation ;
- un carnet de l’enfant pour la communication entre parents et professionnels ;
- une à deux vidéos permettant la préparation de certains soins.
Ce projet confirme l’importance de la prévention, de la préparation aux soins et de la communication entre les familles et les soignants. Tout au long de nos travaux, nous avons œuvré pour trouver des réponses adaptées aux besoins mais aussi aux «limites» du terrain. Cette expérience positive pourrait améliorer en partie la prise en charge de ces patients particuliers dans le cadre des soins médicaux et le soutien aux équipes médicales et paramédicales. Nous prévoyons des séances de sensibilisation pour les familles mais aussi pour les professionnels dans le courant de l’année 2022.
Nous remercions la Fondation Saint-Luc, les Projets d’Éléonore, plus particulièrement Mme Gwenaëlle Ansieau et tous les donateurs. Ils rendent possible la concrétisation de ce projet. Nous remercions également les médecins et autres professionnels de la santé de nos Cliniques universitaires Saint-Luc avec qui nous avons pu échanger et ainsi affiner notre projet grâce à leurs expertises et expériences afin de le rendre pertinent et praticable pour chaque acteur concerné (patients, familles, médecins, personnel paramédical,…).
Le volet de l’enseignement
Cette année a vu se concrétiser un projet mûri de longue date dans le Service : la création d’un certificat inter-Universités centré sur la sensibilisation à la clinique des maltraitances infanto-juvéniles. Il s’intitule approche multidisciplinaire des maltraitances infanto-juvéniles et prend son origine dans l’expertise de l’équipe SOS-Enfants des Cliniques.
Rappelons que le décret relatif à l’Aide aux enfants victimes de maltraitance du 12 mai 2004 précise dans son article 11 que chaque équipe doit être composée au minimum des fonctions suivantes de : 1° docteur en médecine générale ou spécialisé en pédiatrie; 2° docteur en médecine spécialisé en pédopsychiatrie ou un docteur en médecine spécialisé en psychiatrie de l’adulte; 3° licencié en droit; 4° assistant social; 5° licencié en psychologie clinique; 6° secrétaire administratif; 7° coordinateur. La composition pluridisciplinaire de l’équipe doit garantir une approche médicale, psychiatrique, psychologique, sociale et juridique de toute situation.
Les articles 9 et 10 du même décret définissent les missions des équipes SOS Enfants : 1° d’assurer la prévention individuelle et le traitement des situations de maltraitance d’initiative ou lorsque l’intervention est sollicitée par toute personne, institution ou service ou lorsque l’intervention est demandée par le conseiller de l’aide à la jeunesse en référence à l’article 36, § 3, du décret du 4 mars 1991 ou par le directeur en application d’une décision judiciaire en vertu de l’article 38 du décret du 4 mars 1991 relatif à l’aide à la jeunesse; 2° d’établir un bilan pluridisciplinaire de la situation de l’enfant et de sa situation dans son milieu familial de vie; 3° de veiller à apporter une aide appropriée à l’enfant victime ou en situation de risque de maltraitance; pour ce faire, les équipes apportent une aide à son milieu familial de vie, en créant si nécessaire des synergies avec le réseau socio-médico-psychologique, sauf si cela porte atteinte à l’intérêt de l’enfant; 4° d’établir toute collaboration utile, et plus particulièrement avec les travailleurs médico-sociaux de l’Office, les conseillers et les directeurs; 5° d’apporter leur collaboration à l’Office, aux services du Gouvernement de la Communauté française et aux CAAJ pour l’organisation de campagnes de prévention et d’information et pour la formation des intervenants professionnels en matière de maltraitance d’enfants; 6° de faire progresser les connaissances scientifiques par des publications, conférences, formations, journées d’études à destination des intervenants. Le Gouvernement approuve les modalités de collaboration visées aux 1° et 4°. A titre complémentaire, les équipes SOS Enfants peuvent développer des actions spécifiques afin de répondre à des problématiques nouvelles telles que : - l’aide préventive aux futurs parents dont le milieu ou le comportement engendre un risque de maltraitance pour l’enfant à naître par le développement d’actions en réseau; - la prise en charge thérapeutique des mineurs d’âge auteurs d’infractions à caractère sexuel.
Depuis plus de 35 ans, notre équipe SOS-Enfants est soucieuse de participer activement au progrès des connaissances scientifiques et entre autres à leur transmission. C’est dans cette perspective que s’est élaboré ce certificat inter-Universités qui connait sa première édition au cours de cette année académique 2021-2022. Abordons les grandes lignes de celui-ci.
Qu’elle soit intra ou extra-familiale, de nature physique, sexuelle, psychologique, la maltraitance sur enfants et adolescents demeure une problématique complexe impliquant les domaines individuels, familiaux, collectifs, sociétaux. En écho, sa compréhension et sa prise en charge demandent une considération rigoureuse des niveaux social, juridique, psychologique, médical de chaque situation. La finalité première de ce certificat est de sensibiliser et de former les professionnels confrontés à ces questions/problématiques complexes qu’ils soient travailleurs sociaux, psychologues, thérapeutes, médecins… intervenant dans le domaine médico-psycho-social avec des enfants et des adolescents. Soulignons que ces situations, fréquentes, sont particulièrement confrontantes d’autant que les réponses du « terrain » et des divers cadres d’intervention possibles sont multiples. Elles sont aussi sources d’éventuelles confusions avec, pour conséquence, le risque de l’apparition d’un processus de « traumatisation secondaire » pour le jeune concerné et de malaise pour le professionnel (10).
Mettant en commun leurs compétences, cinq Universités (à travers les Facultés de Droit [Namur], de Psychologie [Liège et Mons], de Médecine [UCL et ULB]) ont construit un programme de certificat original (12 crédits). Celui-ci propose une formation s’appuyant d’une part sur l’expertise d’enseignants spécialisés dans les domaines de la traumatologie, de la victimologie, de la psychopathologie, et d’autre part sur l’expérience de cliniciens issus des équipes SOS-Enfants. Ainsi, enseignants, chercheurs, cliniciens ont acquis des savoirs, savoir-faire et savoir-être complémentaires, qui se traduisent entre autres à travers des publications scientifiques montrant la pertinence d’une approche multidisciplinaire de ces problématiques complexes. Différentes sources théorico-cliniques existent dans ce domaine ainsi que de nombreux témoignages et essais. En conséquence, nous veillons à dispenser une formation cohérente afin que les étudiants bénéficient de lignes de recommandation, de repères valables pour les aider dans leurs pratiques. Ainsi, assurée à la fois par des académiques et des cliniciens expérimentés dans le domaine des maltraitances infantiles, cette formation ouvre sur de multiples aspects du droit, du sociétal, de la santé physique et mentale ainsi que de la psychiatrie.
Initiée et coordonnée par notre équipe SOS-Enfants, la formation repose sur dix journées se déroulant sur le site de Saint-Luc. Les différents volets explorés comportent de manière non exhaustive :
- Le contexte socio-juridique : nous (re)- précisons le cadre des droits et des devoirs de tout citoyen et professionnel. Encore aujourd’hui, il n’est guère aisé de se retrouver dans les méandres du paysage médico-psycho-social quand on est confronté à une suspicion de maltraitance pour définir une éventuelle intervention quelle qu’elle soit. Entre soins, aide, protection voire répression, il y a lieu de définir quelques repères soutenant le professionnel dans sa pratique. Concrètement, nous abordons les principales instances et structures susceptibles d’intervenir, avec leur logique, missions spécifiques et fonctions.
- Le champ social : si les dynamiques maltraitantes ne font aucune distinction fondée sur la nationalité, l’ethnie, le genre ou l’âge, il s’avère utile et nécessaire de considérer quelques éléments d’ordre social. Des facteurs de vulnérabilité, de fragilité, sur les plans individuels et familiaux, et d’autres dits de protection sont à analyser. Par ailleurs, des données liées à l’histoire, au contexte dans sa globalité, des protagonistes concernés sont susceptibles d’aider le professionnel à saisir les tenants et aboutissants de l’inadéquation constatée. L’approche de la configuration, de la constellation du système d’appartenance du mineur d’âge maltraité est tout aussi importante à réaliser.
- Les aspects psychologiques : de nombreux éléments sont à considérer tant au niveau individuel que relationnel. Il y a lieu d’envisager les impacts de la maltraitance, quelle que soit sa forme, sur le mineur d’âge au niveau de son fonctionnement cognitif, affectif et relationnel (11). Différents paramètres interviennent tant sur le plan développemental qu’au niveau de la sphère émotionnelle. Sans être exhaustifs, nous sommes attentifs à mettre en exergue certains tests qui participent à la compréhension des faits allégués ou suspectés ainsi que d’autres qui aident à l’approche des fonctionnements psychiques aussi bien des mineurs d’âge que des adultes concernés. Il s’agit également de développer les volets de l’intervention qui consistent à accueillir, évaluer, accompagner. Des notions comme celles de victimisation, de résilience, de trauma, de stress… sont abordées. En complément, les dynamiques relationnelles au sein de la famille ainsi qu’au niveau de l’enveloppe partenariale seront également discutées. Si nous abordons les questions liées à la maltraitance par le prisme de la victime, nous discutons aussi des aspects du mineur d’âge auteur d’inadéquations (infractions) entre autres dans le domaine sexuel.
- Le volet pédiatrique : des repères médicaux sont présentés afin de familiariser un minimum le professionnel confronté aux situations de maltraitances, aux présentations pédiatriques les plus fréquentes. Il s’agit d’être attentifs à certaines données et indices cliniques. Soulignons combien l’enfant ou l’adolescent évoque certaines interrogations voire des appréhensions spécifiques quant au fonctionnement de son corps. De plus, la rencontre pédiatrique peut participer à la ré-humanisation d’un corps blessé, en répondant de manière claire, concrète aux questions de la jeune victime vivant le cas échéant une angoisse extrême.
- Les composantes (pédo)-psychiatriques : on ne peut négliger d’une part les retombées psychopathologiques et d’autre part les éléments psychiatriques à l’œuvre dans les processus maltraitants. Ainsi, nombre de situations de maltraitance prennent place dans des fonctionnements parentaux et familiaux perturbés (12). Du côté de la jeune victime, il n’est pas rare d’observer de la souffrance se traduisant par l’expression de symptomatologies psychiatriques. Il est alors pertinent de parcourir les principaux tableaux rencontrés dans le décours des maltraitances, en parcourant des notions comme les troubles anxio-dépressifs, la « folie à deux », le PTSD, le SMPP,… Tant l’abord diagnostique que les pistes thérapeutiques sont exposés.
Ces volets déclinent une logique longitudinale montrant toute la pertinence de l’exploration minutieuse, rigoureuse de la complexité de chaque cas de figure dans ses différentes composantes. Cette logique s’articule nécessairement à une autre qui se conçoit de manière transversale, à travers un processus temporel déterminé. Ainsi, l’intervention est scandée par trois temps successifs. Le premier (le temps de l’analyse préalable) vise à définir et à comprendre dans quel contexte une demande émerge, les attentes explicites et implicites, les enjeux énoncés et camouflés,… Il y a lieu également de déterminer le cadre de l’intervention ainsi que le degré d’urgence et de danger sans négliger les éventuels soins à apporter entre autres aux personnes vulnérables. Sitôt que le cadre est défini, qu’il soit basé sur un accord à l’amiable, négocié ou contraint, la phase de l’évaluation se met en place. Sans se substituer aux personnes éventuellement chargées d’un devoir d’enquête, il s’avère utile d’appréhender la réalité vécue par l’enfant ou l’adolescent, ceci pour le rencontrer dans sa subjectivité et les retentissements de l’événement traumatique (13). Les modalités de rencontre sont présentées que ce soit sur le plan de la crédibilité de l’allégation ou celui du fonctionnement psychique et relationnel. En fonction des points d’attention et des recommandations qui ont émergé au cours de l’évaluation, un accompagnement thérapeutique s’étayant sur plusieurs axes qu’ils soient individuel, familial ou contextuel est réalisé, la notion d’enveloppe partenariale étant ici centrale.
Composée de différents modules, la formation se conçoit sur une méthodologie de type « matriochkas », c’est-à-dire par l’intégration progressive, évolutive. Dans un premier temps, le programme expose les principaux volets de la clinique des maltraitances infanto-juvéniles pour ensuite montrer et développer un parcours de prise en charge complexe depuis la révélation (ou la suspicion, l’observation, …) de faits d’inadéquation (« situation inquiétante ») jusqu’à la phase de traitement spécialisé. La perspective vise à amener l’étudiant à mobiliser, à appréhender ses acquis afin de mettre en place des attitudes sereines et adaptées à l’égard des protagonistes concernés. Ainsi, sitôt replongé dans son contexte professionnel personnel, il pourra accueillir et accompagner de manière juste et la plus efficace possible l’enfant, l’adolescent et son entourage socio-familial.
En janvier 2022, le groupe compte 27 participants dont des psychologues, des criminologues, des juristes, des assistants sociaux, des pédiatres (issus principalement de la province de Liège). Le succès rencontré permet de déjà concevoir d’autres éditions.
Références
- Rodriguez C-M, Lee S-J, Paxton Ward K, F- Pu D, The Perfect Storm: Hidden Risk of Child Maltreatment During the Covid-19 Pandemic May 2021Child Maltreatment 26(2):139-151nDOI:10.1177/1077559520982066
- de Becker E. Covid-19 et maltraitance infanto-juvénile, Neurone Vol. 25, no.8, p. 21-27 (2020)
- Will, D., Barnfather, J., & Lesley, M. (2013). Sel-perceived Autism competency of primary care Nurse Practioners. The Journal for Nurse Practioners, 9 (6), 350-355.
- Recommandations de bonnes pratiques professionnelles de l’ANESM, 2010 et de la Haute autorité de santé, 2010.
- Étude sur l’accès aux soins somatiques des personnes avec TSA. Bordeaux : CREAIs Nouvelle-Aquitaine, 2017, 75 p.15
- Morris R, Greenblatt A, Saini M. Healthcare Providers’ Experiences with Autism : A Scoping Review. Journal of Autism and Developmental Disorders. 2019; 49(6): 2374-2388.
- Corsano P. Cinotti M, Guidotti L. Paediatric nurses’ knowledge and experience of autism spectrum disorders : An Italian survey. Journal of child health care : for professionals working with children in the hospital and community, 2020; 24(3), 486-495.
- Kouo JL, Kouo TS. A Scoping Review of Targeted Interventions and Training to Facilitate Medical Encounters for School-Aged Patients with an Autism Spectrum Disorder. Journal of Autism and Developmental Disorders.2020 ;
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- de Becker E, Drachman M. Pandémie, crise sanitaire, maltraitance infanto-juvénile. L’observatoire. 201 ; 105, (Janvier ) : 73-77
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Affiliations
1. Logopède aux Cliniques universitaires Saint-Luc.
2. Psychiatre Infanto-Juvénile, chef de clinique aux Cliniques universitaires Saint-Luc.
3. Chef du service de psychiatrie Infanto-Juvénile des Cliniques universitaires Saint-Luc
Correspondance
Pr. Emmanuel de Becker
Cliniques universitaires Saint-Luc
Psychiatrie Infanto-Juvénile
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
emmanuel.debecker@uclouvain.be