L’hypercholestérolémie familiale, définition
L’hypercholestérolémie familiale est une maladie géné- tique de transmission autosomique dominante caracté-risée par un taux de cholestérol LDL très élevé depuis la naissance et compliquée de maladies cardiovasculaires précoces (1). Les taux observés de cholestérol LDL sont en moyenne de 240 mg/dL avec des variations allant de 150 à 390 mg/dL.
Pour éviter la survenue de complications cardio-vasculaires, les dernières recommandations des sociétés européennes d’athérosclérose et de cardiologie (2,3), suggèrent de débuter le traitement si possible dès l’âge de 8 à 12 ans avec comme cible un taux de cholestérol LDL en dessous de 135 mg/dL (Tableau 1). à cet âge il est proposé de prescrire une faible dose de statine (rosuvastatine 5 à 10 mg ou atorvastatine 10 mg par exemple) que l’on augmente, si nécessaire, ou que l’on peut associer éventuellement à de l’ézétimibe 10 mg. Une fois atteint l’âge de 18 ans, le traitement pourra être intensifié pour atteindre des taux de cholestérol LDL en dessous de 100 mg/dL. Chez les patients traités tardivement, il y a lieu de rattraper le temps perdu, et c’est pourquoi le taux de cholestérol LDL devra être idéalement abaissé en dessous de 70 mg/dL (ils sont en effet classés dans la catégorie des patients à haut risque cardiovasculaire), voire même en dessous de 55 mg/dL s’il existe des facteurs de risque associés ou une maladie cardiovasculaire (ils sont alors classés dans la catégorie des patients à très haut risque cardiovasculaire) (Tableau 1).
Outre les statines et l’ézétimibe, le patient atteint d’hypercholestérolémie familiale bénéficie de la possibilité d’instaurer des traitements complémentaires comme les anticorps anti-PCSK9, remboursés dans cette indication en Belgique (4). L’obtention de ce remboursement nécessite l’introduction auprès de la mutuelle d’un formulaire rempli par un médecin spécialiste en médecine interne, cardiologie ou endocrinologie. L’association de ces traitements permet actuellement d’atteindre une réduction du cholestérol LDL de près de 85%.
Une maladie sous-diagnostiquée
La fréquence dans la population européenne est estimée à un cas sur 400 (voire 300), soit en Belgique plus de 25000 patients souffrant de cette maladie génétique. Pour une pratique de médecine générale, cela signifie environ 5 patients par médecin. Beaucoup de médecins disent encore néanmoins ne pas rencontrer de tels patients. Cette maladie reste en effet sous-diagnostiquée dans la plupart des pays d’Europe (5) ce qui conduit malheureusement à une prise en charge tardive ne permettant pas d’éviter les complications cardiovasculaires. L’idéal serait donc de faire le diagnostic le plus tôt possible, idéalement dès l’âge de 8 à 12 ans afin de pouvoir instaurer précocement un traitement.
D’abord confirmer chez votre patient suspect
Pour un médecin, la première étape est d’essayer de dépister dans sa patientèle le ou les patient(s) présentant des signes d’appel d’une hypercholestérolémie familiale (6). Ces signes sont une histoire personnelle et/ou familiale d’événements cardiovasculaires précoces (avant 55 ans chez les hommes et 60 ans chez les femmes) ou d’un taux étonnement élevé de cholestérol soit parce que extrême (Total > 310 ou LDL > 190 mg/dL), soit parce que découvert dans l’enfance. En 2018, nous avons publié une stratégie, appelée BEL-FaHST, pour faciliter le dépistage parmi les patients hospitalisés en unité de soins coronaires (7). Mais cette stratégie sera la même pour des patients en médecine générale (voir : Encart 1 - Recto). Les taux de cholestérol à prendre en compte doivent nécessairement être des valeurs observées après 3 mois de régime et après exclusion (ou si nécessaire, traitement) des causes secondaires d’hypercholestérolémie (comme l’hypothyroïdie, les régimes cétogènes, le syndrome néphrotique et certains médicaments).
Quand on ne connaît pas le cholestérol LDL de base, parce que le patient est sous traitement depuis longtemps, il est possible de le calculer à partir du taux de cholestérol LDL sous traitement, en multipliant cette valeur par un facteur de correction qui est dépendant du traitement (voir : Encart 1 - Recto). Ainsi par exemple si le taux de cholestérol LDL est à 100 mg/dL chez un patient qui prend de l’atorvastatine 20 mg associée à de l’ézétimibe 10 mg, le taux de base peut être calculé à 220 mg/dL (= 2,2 x 100). On peut bien comprendre qu’un tel calcul peut conduire parfois à une surestimation, compte tenu de l’observance variable au traitement et de la variabilité de réponse au médicament hypolipémiant (8).
Pour confirmer le diagnostic d’hypercholestérolémie familiale, le médecin peut s’aider d’outils. En Belgique, il est proposé d’utiliser le DLCN score (Dutch Lipid Clinic Network, téléchargeable sur le site https://www.basoc.be) qui prend en compte l’existence d’antécédents personnels et familiaux de maladies cardiovasculaires prématurées, la présence de signes cliniques (arcs cornéens avant l’âge de 45 ans ou la présence de xanthomes tendineux, voir Figure 1), et le taux de LDL-C (Voir : Encart 1 - Verso). Il suffit d’additionner le score de chaque catégorie (un seul score par catégorie ; il faut prendre le score le plus élevé de cette catégorie). Si le score total est supérieur à 8, le diagnostic est confirmé. Ainsi, un patient coronarien de 45 ans chez qui est découvert un cholestérol LDL à 240 mg/dl et dont le fils de 12 ans a un taux de cholestérol LDL de 214 mg/dL ou un patient de 38 ans sans antécédent chez qui est découvert un LDL-C de 250mg/dl et des arcs cornéens ont une hypercholestérolémie familiale certaine même en l’absence de test génétique ou test normal (?), mais peut induire une confusion.
Lorsque le score est plus faible, le diagnostic est soit probable (score entre 6 et 8), soit possible (score entre 3 et 5 points). Dans ces catégories, on peut trouver 20 à 40% de patients avec de vraies hypercholestérolémies familiales monogéniques qui n’expriment pas les critères dont les points sont les plus élevés : les arcs cornéens avant 45 ans, les xanthomes tendineux et les taux de cholestérol LDL au-dessus de 330 mg/dL. En effet, ces derniers critères sont peu fréquents, spécialement chez des patients jeunes (entre 18 et 35 ans).
Les xanthomes tendineux (Figure 1) sont parfois plus sensiblement détectés par échographie (le radiologue peut alors mettre en évidence la présence d’un nodule hypodense ou bien un épaississement antéro-postérieure de plus de 5,8 mm du tendon d’Achille) (9).
Quand demander une analyse génétique ?
Lorsque la suspicion est suffisamment importante, on peut aller plus loin et demander une analyse génétique. Sa positivité ajoutera 8 points au score et confirmera le diagnostic. Cette analyse peut être réalisée par un laboratoire de génétique humaine à partir d’un échantillon envoyé depuis le laboratoire habituel du médecin. Celle-ci ne doit toutefois être demandée que lorsque la suspicion est forte (score entre 5 et 8 ou >8) ou lorsque d’autres éléments sont en faveur de la suspicion de la maladie.
Il existe également des situations où le calcul du score DLCN est quelque peu compromis et dans lesquelles les tests génétiques peuvent être utiles (Voir « table 1 » dans la publication (6) téléchargeable sur le site https://www.basoc.be): aucun parent connu ou vivant (adoption, parents décédés à un jeune âge de causes non cardiovasculaires, aucun contact avec la famille), présence d’arcs cornéens chez un patient âgé de plus de 45 ans ou antécédents de tendinite ou de traumatisme des tendons d’Achille (qui peuvent conduire à des épaississements d’une autre cause).
L’analyse génétique a un coût important, nécessite le consentement éclairé du patient sur les diverses questions éthiques et peut identifier des variations génétiques de fonctionnalité incertaine nécessitant des investigations supplémentaires pour confirmer/infirmer la causalité avec l’hypercholestérolémie (pour info détaillée sur tous ces points, voir la « Supplementary table 1 et table 2 » dans la publication (6) téléchargeable sur le site https://www.basoc.be). Un test génétique négatif n’exclut pas non plus automatiquement l’hypercholestérolémie familiale, spécialement si le score DLCN est élevé. Dans les études précédentes, lorsque les patients ont été classés sur la base du score DLCN, l’hypercholestérolémie familiale était confirmée par la présence d’une mutation pathogène chez 70% des patients si le DLCN était supérieur à 8, 29% entre 6 et 8, 11% entre 3 et 5 (10). Les résultats de l’analyse génétique (surtout si négatif et indéterminé) nécessitent donc parfois un travail d’interprétation. C’est pourquoi idéalement, tant pour son indication que pour son interprétation, l’analyse génétique devrait se faire au décours d’une consultation chez un spécialiste habitué au diagnostic et au traitement de cette maladie.
Dépistage familial « en cascade »
Une fois la maladie identifiée chez un patient, un dépistage approfondi « en cascade » dans sa famille est nécessaire. Le terme « cascade » désigne simplement le fait que lorsque l’on identifie la maladie chez un membre d’une famille (appelée « patient-index »), il faut la chercher chez les membres apparentés au premier degré de cette personne, c’est à dire père, mère, frères, sœurs, et enfants, puis de premier degré en premier degré, progresser dans la famille (oncles, tantes, cousins …) (Figure 2).
Il faut se rappeler que l’hypercholestérolémie familiale est une maladie autosomique dominante et que la probabilité de trouver la maladie chez un membre du premier degré est théoriquement de 50%. Ce moyen de recherche se révèle donc souvent très productif. Vu la probabilité a priori plus élevée chez les apparentés (50% au premier degré, 25% au second degré, c’est-à-dire les oncles, tantes, petits-enfants), le seuil critique de cholestérol pour suspecter une hypercholestérolémie familiale peut être abaissé.
Lors d’une de nos dernières études, nous avons développé une table de référence des taux seuils de cholestérol en fonction du degré de parenté, de l’âge et du sexe (11) (Voir : Encart 1 - Verso). Parce que les membres d’une famille peuvent être suivis par d’autres médecins, nous avons développé un courrier type à remettre au patient-index dont le diagnostic d’hypercholestérolémie familiale a été confirmé (Voir : Encart 2 – Recto et Verso, aussi téléchargeable sur le site https://www.basoc.be). Celui-ci pourra alors remettre la lettre à ses frères, sœurs ou enfants qui apprendront (au recto) ainsi l’intérêt de tester leur taux de cholestérol auprès de leur médecin traitant. Celui-ci pourra utiliser la table de référence pour avoir une idée de la probabilité d’hypercholestérolémie familiale chez son patient et décider ainsi avec lui de la suite de la prise en charge. Une telle démarche a l’avantage de respecter l’autonomie individuelle ainsi que la relation médecin-patient de chaque membre de la famille.
Et chez l’enfant ?
Chez l’enfant, la découverte d’un taux isolé de cholestérol LDL supérieur à 190 mg/dl en l’absence d’autres éléments ou d’un taux de cholestérol LDL >160 mg/dl chez un enfant dont un proche parent a souffert d’une maladie cardiovasculaire prématurée ou qui présente un taux de cholestérol élevé est très suspect d’une hypercholestérolémie familiale.
Lors du dépistage chez les enfants d’un parent chez qui a été diagnostiquée une hypercholestérolémie familiale, un taux supérieur à 130 mg/dL suffit à suspecter l’hypercholestérolémie familiale (voir table de référence pour un membre du premier degré de moins de 14 ans). Dans tous les cas, un test génétique est conseillé pour assurer la certitude d’un diagnostic qui va imposer un traitement médicamenteux pour la vie.
Conclusions
L’hypercholestérolémie familiale est une maladie plus fréquente que l’on croit. Un médecin généraliste devrait en principe identifier 5 personnes atteinte de cette maladie parmi sa patientèle. Les outils présentés dans cet article devraient aider à dépister de tels patients. Il pourra alors s’appuyer sur l’aide d’un spécialiste en dyslipidémie, qui l’aidera à confirmer le diagnostic, initier le traitement le plus approprié (éventuellement au moyen des traitements les plus récents comme les anticorps anti PCSK9) et qui travaillera de concert avec lui pour réaliser un dépistage familial.
Affiliations
1. Department of Internal Medicine, Pôle Hospitalier JOLIMONT, Réseau HELORA , B-7100 Haine-Saint-Paul and Department of Cardiology, UCLouvain, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles, President of the Belgian Atherosclerosis Society
2. Department of Cardiology, CHU UCL Namur site de Godinne, Yvoir
3. Department of Diabetes, Nutrition and Metabolic Diseases, Centre Hospitalier Universitaire Sart Tilman, Liège
4. Clinical and Experimental Endocrinology, Department of Chronic Diseases, Metabolism and Aging (CHROMETA), Katholieke Universiteit Leuven, Leuven
5. Department of Endocrinology, Diabetology and Metabolism, Antwerp University Hospital, Antwerpen
6. Department of Cardiology, Algemeen Ziekenhuis Maria Middelars Ghent and University Ghent, Gent; Chairman of the Belgian Working on Cardiovascular Prevention and Rehabilitation
7. Department of Laboratory Medicine, Algemeen Ziekenhuis Sint-Jan, Brugge, and national representative of the Royal Belgian Society of Laboratory Medicine
8. Department of Cardiology, University Hospital Ghent and Ghent University, Gent
Correspondance
Dr OlivIer DESCAMPs
Pôle Hospitalier JOLIMONT, Réseau HELORA
Department of Internal Medicine,
B-7100 Haine-Saint-Paul
UCLouvain, Cliniques universitaires Saint-Luc
Department of Cardiology,
B-1200 Bruxelles
President of the Belgian Atherosclerosis Society
Références
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- Descamps OS, Verhaegen A, Demeure F, Langlois M, Rietzschel E, Mertens A, De Sutter J, Wallemacq C, Lancellotti P, De Backer G. Evolving concepts on the management of dyslipidaemia. Acta Clin Belg. 2020 Feb;75(1):80-90.
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