INTRODUCTION
Le cortisol, synthétisé à partir du cholestérol au niveau des glandes surrénales, est la principale et la plus abondante hormone glucocorticoïde (1,2). La sécrétion du cortisol est soumise à un rythme nycthéméral, la concentration sanguine étant maximale le matin entre 7 et 10 heures et minimale à minuit pour un cycle classique de sommeil. Cette sécrétion est régulée par l’ACTH d’origine hypophysaire et le CRH d’origine hypothalamique.
Le cortisol est important pour la réponse au stress, le contrôle du métabolisme des protéines, des lipides et des glucides, le maintien des fonctions musculaire et myocardique et la régulation des activités inflammatoires et allergiques.
Dans le sang, le cortisol circule majoritairement sous forme liée à une protéine spécifique, la transcortine ou Cortisol Binding Globulin (CBG) et de manière minoritaire, sous forme libre (1,3). La CBG est une glycoprotéine monomérique d’environ 52 kDa essentiellement synthétisée par le foie et qui lie avec une haute affinité le cortisol, ce qui lui confère un rôle déterminant dans l’activité biologique de cette hormone.
Le dosage du cortisol est recommandé en cas de suspicion d’hypercorticisme, comme par exemple syndrome de Cushing, et d’hypocorticisme, comme par exemple en cas d’insuffisance surrénalienne (4,5). Le dosage du cortisol est donc un outil majeur pour les cliniciens en particulier pour les endocrinologues.
La fiabilité et la précision des dosages de cortisol sont donc extrêmement importantes pour supporter efficacement la décision médicale. La détermination des concentrations circulantes de cortisol peut aujourd’hui être réalisée par un grand nombre de méthodes différentes dont les performances sont très variables (3,6). Cet article a pour but de décrire les différentes méthodes disponibles pour le dosage de cortisol total mais aussi pour la mesure de sa fraction libre.
DOSAGE DU CORTISOL TOTAL
Le dosage du cortisol total correspond à la détermination du cortisol non liée aux protéines (libre), du cortisol lié aux protéines de faible affinité comme l’albumine et du cortisol lié à la Sex CBG. Cette détermination des concentrations de cortisol total peut s’effectuer par plusieurs méthodes différentes (2,7,8).
L’immunodosage reste la méthode la plus employée pour ce dosage et après les premières générations de dosages par radioimmunodosage (RIA - détection isotopique), les laboratoires utilisent maintenant des méthodes automatisées. Le principe étant alors base sur une compétition entre un cortisol marqué (avec une structure luminescente) et le cortisol de l’échantillon du patient pour un anticorps (polyclonal ou monoclonal) dirigé contre le cortisol. Ces immunodosages automatisés permettent un rendu de résultat rapide, une cadence de dosages importante, l’utilisation d’un volume limité de plasma et se réalise sans extraction/pré-traitement préliminaire de l’échantillon.
Ces méthodes sont pratiques mais néanmoins un certain nombre de points d’attention doivent être intégrés pour leur bonne utilisation :
- Pré-analytique : le sérum et le plasma hépariné sont les matrices les plus souvent utilisées pour ces dosages. Le jeûne et une période de repos d’au moins quinze minutes avant le prélèvement doivent être encouragés, le rythme de base du cortisol étant modulé par le stress, l’activité physique, et l’alimentation.
- La sensibilité et l’étendue de mesure : le dosage devra permettre de pouvoir détecter en cas d’hypercorticisme des valeurs parfois très faibles de cortisol total et la limite de quantification devra donc être la plus basse possible. Cette méthode devra aussi être compatible avec la mesure de valeurs élevées en cas de sécrétion inappropriée de cortisol ou de cathétérisme des veines surrénaliennes.
- L’exactitude (ou justesse) : le dosage doit pouvoir être corrélé à une technique de référence. La méthode de référence, comme la plupart des autres structures stéroïdiennes est la chromatographie liquide couplée à une détection par spectrométrie de masse (7,11). Les concentrations des échantillons choisis pour réaliser cette validation devront alors couvrir l’ensemble de la gamme de concentrations. Le biais attendu de la méthode évaluée avec la technique de référence devra pouvoir être communiqué. Les résultats devront être validés par la mesure des matériaux de référence reconnu et validés sur les différentes natures de prélèvement préconisé.
- La précision : elle doit être suivi par le laboratoire au travers des contrôles de qualité internes mais aussi au travers de politiques de contrôles externes de la qualité permettant aux laboratoires de se monitorer entre eux et d’objectiver de possibles biais au travers d’échantillons de concentrations connues. Cette démarche s’inscrit dans la logique d’accréditation des laboratoires (norme ISO15189).
- La standardisation : en l’état elle n’est toujours pas atteinte pour les dosages de cortisol et d’importantes variations inter-méthodes sont observées (2,10,12). Le suivi des patients doit donc considérer le recours à une même méthode de dosage afin de limiter les sources de variations lors de l’interprétation des résultats.
- Les valeurs de références : elles sont méthodes dépendantes et doivent être confirmées par les laboratoires (3,10). Des différences importantes peuvent être observées en fonction du sexe et lors de la grossesse (1,3). L’important biais lié au sexe pourrait être venir des variations de CBG (et surtout pendant la grossesse) (1,3).
- Des interférences pouvant altérer le dosage: différentes structures proches du cortisol comme la prednisolone, prednisone, corticostérone, cortisone, 11- desoxycortisol, 21-desoxycortisol, tetrahydrocortisol, tétrahydrocortisone, 6-méthylprednisolone, 17-hydroxyprogestérone ont été décrites comme pouvant être sources de résultats faussement positifs (réactivité croisée) avec les immunodosages utilisés pour la détermination du cortisol total (10,11,13,14). Les immunodosages, en raison du manque de spécificité des anticorps utilisés sont plus sujets aux interférences par des composés de structure chimique proche que la méthode basée sur la spectrométrie de masse qui vont pouvoir être beaucoup plus discriminantes en intégrant les rapports entre masse et charge des composés cibles. Néanmoins, des immunodosages de deuxième génération pour la détermination du cortisol sanguin utilisant des anticorps monoclonaux ont été développés récemment et permettent de réduire significativement les interférences tout en étant beaucoup plus standardisé vis-à-vis de la méthode de référence. Les réactivités croisées avec la méthylprednisolone et la prednisolone passant respectivement de 389% et 171% à 12% et 8% (10).
Notons que, comme évoqué ci-dessus, plusieurs laboratoires ont développé des méthodes de dosage par spectrométrie de masse afin d’améliorer la spécificité et la sensibilité de la mesure de cortisol sanguin (7,9,10). Néanmoins, l’accès à ces méthodes reste limité à certains laboratoires de référence.
DOSAGE DU CORTISOL LIBRE
Le dosage du cortisol libre consiste en la quantification de la fraction de cortisol non liée aux protéines. Moins de 10% du cortisol n’est en effet pas lié aux protéines plasmatiques et représentent la fraction libre de l’hormone. La mesure du cortisol libre peut être intéressante pour des situations connues de variation de la CBG.
Certaines situations s’accompagnent en effet de modifications de la concentration plasmatique de la CBG, fluctuations aux répercussions immédiates sur la cortisolémie totale : la grossesse, les estrogènes à doses fortes (contraception oestroprogestative) stimulent la synthèse hépatique de la CBG. La concentration de celle-ci est diminuée au cours des hypothyroïdies, des néphropathies avec fuite protéique urinaire, de l’insuffisance hépato-cellulaire, des chocs septiques et en cas d’excès de glucocorticoïdes endogènes (syndrome de Cushing) ou exogène. L’exemple des patients septiques ou il existe concomitamment une diminution de CBG et une stimulation de cet axe cortisol pourrait aussi être cité.
Les méthodes de dosages basées sur l’ultrafiltration ou dialyse à l’équilibre restent considérées comme les méthodes de référence, bien qu’elles soient techniquement difficiles et qu’elles nécessitent des locaux adaptés et un personnel expérimenté CBG (1,3). Pour ce dosage, une mesure directe par méthode automatisée n’est recommandée car manquant de sensibilité et de discrimination de la fraction libre. Dès lors, une autre façon d’évaluer la fraction libre réside dans l’approximation au travers d’équations se basant sur les taux circulants de cortisol et de la CBG (1). L’équation de Coolens reste une référence pour cela.
CONCLUSIONS
La mesure du cortisol plasmatique joue un rôle déterminant en cas de suspicion d’hyper- ou d’hypocorticisme et une attention particulière est nécessaire pour la sélection du dosage de cortisol le plus approprié par rapport aux attentes cliniques. Le processus de standardisation pour ce dosage n’est pas encore achevé et d’importantes variations inter-méthodes subsistent. Mentionnons aussi que la détermination cortisol sanguin peut être complétée par d’autres dosages comme les dosages cortisol urinaire et salivaire qui eux aussi ont connus une évolution importante ces dernières années. La relation clinico-biologique est donc très importante pour appréhender au mieux l’utilisation des différents dosages de cortisol.
Recommandations pratiques
Lors de l’évaluation d’un dosage de cortisol, il est important de connaître la spécificité et la sensibilité analytique de la méthode. Le processus de standardisation de ces dosages étant incomplet, les résultats entre les différents dosages ne sont pas transposables, les valeurs de références sont méthodes dépendantes et le suivi efficace du patient doit se baser sur des mesures obtenues par une même technique.
Affiliations
1 Pôle de recherche en Endocrinologie, Diabète et Nutrition, Institut de Recherche Expérimentale et Clinique, Cliniques universitaire St-Luc and Université catholique de Louvain, Brussels, Belgium.
2 Department of Laboratory Medicine, Cliniques universitaires Saint-Luc and Université catholique de Louvain, Brussels, Belgium.
Correspondance
Pr. Damien Gruson
Service de Biochimie Médicale
Département des laboratoires cliniques
Cliniques universitaires Saint-Luc
Tour Rosalind Franklin
Avenue E. Mounier
B-1200 Brussels, Belgium
Phone +32-(0)2-7646747
Fax +32-(0)2-7646930
damien.gruson@uclouvain.be
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