Toutes les spécialités, y compris bien entendu la médecine générale, sont confrontées à des patients consommant des immunosuppresseurs (IS).
Le but des lignes qui suivent n’est pas d’en discuter les indications mais d’en rappeler le mode d’action, la posologie habituelle, leurs effets secondaires et leur prévention.
La majorité des effets bénéfiques des glucocorticoïdes (GC) sont dus à leurs effets transrépresseurs, c’est-à-dire à l’effet inhibiteur qu’exerce le complexe GC/récepteur cytosolique sur la liaison de NFkB aux NFkB binding sites des promoteurs de gènes codant pour des protéines inflammatoires. À l’inverse, leurs effets néfastes sont dus principalement à leurs effets transactivateurs, c’est-à-dire aux effets directs du complexe GC/récepteur cytosolique sur les glucocorticoid responsive elements des promoteurs de gènes impliqués, par exemple, dans le métabolisme glucidique. L’espoir de développer des GC dissociés, pourvus d’effets transrépresseurs mais dépourvus d’effets transactivateurs, ne se sont pas encore concrétisés. Il est inutile de dire ici qu’il faut utiliser les GC à la dose la plus faible possible pendant le temps le moins long possible. Trop souvent encore, les patients cortisonés ne sont pas immunisés contre l’influenza et le pneumocoque, n’ont pas bénéficié d’une ostéodensitométrie et ne reçoivent pas des sels de calcium et des suppléments de vitamine D3. La prévention de la myopathie cortisonique, qui affecte surtout les personnes âgées, requiert d’emblée un programme de rééducation locomotrice. À l’inverse, les risques d’ulcérations gastro-duodénales ont été exagérés et ne justifient pas de prévention primaire par des inhibiteurs de la pompe à protons. Quant au diabète cortico-induit, il survient rarement et presque toujours chez des individus prédisposés par d’autres facteurs de risques. Les ostéonécroses, si fréquentes lors de l’utilisation de fortes doses de GC, ne peuvent malheureusement pas être adéquatement prévenues.
Les effets du méthotrexate (MTX), utilisé à doses rhumatologiques, ne sont pas liés à son effet anti-folate mais bien à une augmentation des concentrations d’adénosine, un anti-inflammatoire «naturel». Il s’administre une fois par semaine à la dose de 10 à 25 mg, per os ou par voie sous-cutanée ou intra-musculaire, à doses rapidement progressives, avec par exemple des incréments de 5 mg toutes les deux semaines. Des suppléments d’acide folique sont typiquement prescrits le lendemain (10 mg), pour diminuer la toxicité muqueuse. L’effet secondaire de loin le plus fréquent de la médication est un malaise général (pas uniquement digestif) qui dure 24 à 36 heures après la prise de la médication et contre lequel il n’y a que peu de parades. On parvient parfois à en limiter l’importance en prescrivant le MTX en plusieurs prises séparées de 12 heures (bien entendu sur une période totale de 24 heures) plutôt qu’en une prise unique pour la totalité de la dose. La présence d’une insuffisance rénale est une contre-indication sinon absolue du moins relative et exige une réduction de la posologie. Un souhait de grossesse est une contre-indication absolue au vu de la tératogénicité de la médication. Le MTX doit être interrompu chez la femme qui exprime un souhait de grossesse 3 mois avant l’arrêt de la contraception. Il n’y a pas d’argument pour interrompre le MTX chez l’homme qui souhaite procréer. Il convient de vérifier les tests hépatiques et l’hémogramme quelques semaines après chaque augmentation de la posologie et et tous les 3 à 6 mois en dose de croisière. La prescription simultanée de co-trimoxalole est déconseillée. Il faut conseiller de réduire au maximum la consommation d’alcool. Aux doses utilisées en rhumatologie, le MTX est peu immunosuppresseur (en termes de risques infectieux), en tout cas utilisé seul (ce qui est rarement le cas). Il n’empêche que nous conseillons aussi la vaccination anti-influenza et anti-pneumococcique.
Ce grand classique reste un très bon immunosuppresseur, utilisé fréquemment pour permettre une épargne cortisonique quand l’immunosuppression doit être prolongée, à la dose de 2 à 2,5 mg/kg/jour. Il reste un standard thérapeutique dans la maladie de Crohn et les connectivites. L’azathioprine (AZA) est transformée en 6-mercaptopurine et ensuite métabolisée par plusieurs systèmes enzymatiques (très complexes) qui génèrent les métabolites actifs (acide thiosinique et acide thioguanilique appelés les 6-thioguanines via l’hypoxanthine guanyl phosphoribosyl transférase) et inactifs [6-méthylmercaptopurine via la thiopurine méthyltransférase (TPMT) et acide 6-thiourique via la xanthine oxydase (XO)]. Les 6-thioguanines s’incorporent à l’ADN et provoquent des liaisons entre les acides nucléiques et les protéines de la chromatine, perturbant ainsi la division cellulaire. Les patients complètement déficients en TPMT (1 individu sur 300 à l’état homozygote) font toujours une agranulocytose sur AZA car les métabolites actifs s’accumulent. Ceci justifie probablement le génotypage de la TPMT avant la mise en route du traitement, malgré son coût élevé. On comprend aussi que la prescription simultanée d’allopurinol (un inhibiteur de la XO) augmente les concentrations de métabolites actifs et donc la toxicité de l’AZA.
La place de l’AZA se situe dans le traitement immunosuppresseur de maintenance au long cours. Parce qu’il faut plusieurs semaines de traitement pour observer un effet maximal, l’AZA n’est pas utilisée comme traitement d’induction dans les maladies autoimmunes. Les GC (cf. supra) et la cyclophosphamide (cf. infra) sont les molécules de choix dans cette indication.
L’effet secondaire principal de l’AZA est une intolérance digestive (nausées et vomissements) qui survient chez 10 à 15% des patients, chez qui la médication doit être interrompue. Nous avons déjà signalé les accidents hématologiques (d’ailleurs pas uniquement liés à une déficience en TPMT). Une hépatite typiquement cholestatique est plus rare mais justifie la réalisation de tests hépatiques réguliers. Des verrues cutanées disséminées ne sont pas exceptionnelles lors de l’utilisation prolongée de l’AZA et le risque de cancer cutané est majoré, comme celui de lymphome. Les infections herpétiques ne sont pas inhabituelles, comme avec tous les autres IS, en particulier les GC. Un des grands avantages de l’AZA est qu’elle peut être utilisée pendant la grossesse car elle est dépourvue d’effets tératogènes.
Le mycophénolate mofetil (MMF) est une pro-drogue qui est transformée en acide mycophénolique (MPA), le métabolite actif qui inhibite l’inosine monophosphate déhydrogénase (IMPDH), une enzyme clé dans la synthèse de novo des purines, constituants essentiels des acides nucléiques. Bloquer l’IMPDH revient donc à perturber le cycle mitotique. Parce que les lymphocytes sont plus dépendants de la voie de novo que d’autres cellules, ils sont théoriquement plus sensibles au MMF, assurant donc une certaine sélectivité immunologique à l’inhibition. Le MMF, généralement prescrit à la dose de 2-3 g/jour, a aujourd’hui largement remplacé l’AZA dans la prévention du rejet des greffes et, par analogie, est présenté comme un immunosuppresseur plus puissant que l’AZA. Peu d’études ont cependant comparé les deux molécules dans ses indications rhumatologiques, avec d’ailleurs des résultats différents en fonction des pathologies. Le MMF est peut-être supérieur à l’AZA dans la néphropathie lupique mais est moins efficace dans les vasculites à ANCA.
Les effets secondaires du MMF, outre une susceptibilité accrue aux infections comme pour tous les immunosuppresseurs, sont relativement rares. En début de traitement, la molécule peut provoquer des diarrhées, généralement passagères et contrôlées par un étalement maximal des prises pendant la journée. Une hépatite biologique peut survenir, de même qu’une anémie, particulièrement chez les insuffisants rénaux. Le MMF est extrêmement tératogène avec des malformations oro-faciales (fentes palatines, anotie, etc.) et fréquentes (ad 10% des cas). Il ne peut donc en aucun cas être administré pendant les 4 premiers de la grossesse et doit être interrompu quelques semaines avant l’arrêt de la contraception. Dans ces cas, nous remplaçons fréquemment le MMF par de l’AZA.
Les indications de cet agent alkylant se font heureusement beaucoup plus rares. La molécule n’est quasiment plus utilisée que par voie intraveineuse, en milieu hospitalier donc, dans les atteintes rénales ou neurologiques du lupus érythémateux disséminé, dans les vasculites à ANCA ou dans les atteintes interstitielles pulmonaires associées aux connectivites, comme la sclérose systémique ou les dermato(poly)myosites. La dose de CY administrée par voie IV dépend notamment du nadir de la leucocytose mesuré au 10-14ième jour de traitement. La collaboration avec le médecin omnipraticien est donc essentielle.
Les inhibiteurs de la calcineurine (ICN, cyclosporine, tacrolimus) ont révolutionné la prévention du rejet de greffe, qui consiste aujourd’hui en une combinaison de MMF et d’ICN (avec de petites doses de GC dans les cas de transplantations rénales). Etonnamment, les ICN sont peu utilisés dans les maladies autoimmunes, malgré leur effet inhibiteur sur la production d’IL-2, une cytokine-clé dans l’activation des lymphocytes T. Nos collègues dermatologues prescrivent la cyclosporine dans certains psoriasis sévères ou de pyoderma gangrenosum, à la dose de 2,5-3,0 mg/kg/j. Les effets secondaires nombreux des ICN (tremor, hypertrophie gingivale, insuffisance rénale fonctionnelle, hirsutisme, dyslipidémie) justifient une prescription raisonnée. Le tacrolimus est généralement mieux toléré. Les ICN sont autorisés pendant la grossesse.
Comme dans d’autres spécialités médicales, les biothérapies ont révolutionné la prise en charge des rhumatismes inflammatoires et systémiques. Elles sont indiquées chez les malades présentant une maladie active et évolutive ne répondant pas aux traitements de première ligne. Le Tableau I résume les principales caractéristiques des molécules aujourd’hui disponibles, dans des indications reconnues. Au-delà, ces molécules peuvent être très utiles dans d’autres maladies réfractaires aux traitements immunosuppresseurs conventionnels mais elles restent difficilement accessibles dans notre pays.
Un bilan pré-thérapeutique est indispensable. Il faut s’assurer, par l’anamnèse, de l’absence d’antécédent de cancer (en particulier récent), d’infection active, de tuberculose, de grossesse, qui sont des contre-indications, en tout cas relatives, à leur emploi. Une intradermo-réaction à la tuberculine et une radiographie du thorax sont requises, par la loi pour la majorité des molécules, avant de les prescrire. Elles doivent être négatives. Si une tuberculose-infection est dépistée, un traitement préventif par isoniazide doit être prescrit pendant 6 mois. Si une tuberculose-maladie est détectée, elle doit être traitée classiquement, avant la mise-en-route de l’agent biologique (en tout cas le traitement anti-tuberculeux doit le précéder). Plus important encore, il faut, même si la loi ne le prévoit pas, s’assurer de l’absence d’infection par les virus des hépatites, en particulier de l’hépatite B, sous peine de réactivation extrêmement sévère lors de la prescription de la biothérapie, en particulier avec les anti-TNF et le rituximab. Le risque existe même pour les patients considérés comme guéris, porteurs d’anticorps anti-HBs et anti-HBc, imposant une surveillance régulière des tests hépatiques.
Les effets secondaires fréquents des biothérapies sont i) des réactions allergiques au site d’injection pour les formes sous-cutanées et systémiques pour les formes intraveineuses; ii) une susceptibilité accrue aux infections bactériennes (pulmonaires, cellulites et arthrites septiques surtout), mycobactériennes, mycéliennes et virales, rarement opportunistes (germes intracellulaires en particulier, Legionella pneumophila, Listeria monocytogenes, Mycobacterium tuberculosis) mais aussi pathogènes banals (Streptococcus pneumoniae par exemple); et iii) l’apparition de lésions psoriasiformes (un effet qualifié de “paradoxal”) avec tous les anti-TNF.
S’il ne semble pas que le risque de cancer de novo soit majoré par les biothérapies, leur prescription à des patients aux antécédents néoplasiques reste délicate endéans les 5 ans et doit être discutée au cas par cas. Il faut se méfier en particulier des antécédents de mélanome (on connaît l’importance du système immunitaire dans son éradication) et, probablement, de cancer mammaire, quoique des données probantes manquent.
En cas d’infection sévère, il faut interrompre la biothérapie et ne la reprendre que quand elle est maîtrisée, en tenant compte de la demi-vie de l’agent biologique. Il est prudent de ne pas administrer la biothérapie avant une intervention chirurgicale programmée, à nouveau en fonction de la pharmacocinétique, en prenant comme marge de sécurité 2 à 3 fois le temps de demi-vie.
Pr. Frédéric A. Houssiau
Université catholique de Louvain
Pôle des maladies rhumatismales inflammatoires et systémiques
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Rhumatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Louvain Med 2016; 135 (5): 271-274