L’hyperglycémie chronique joue un rôle essentiel dans la genèse des complications du diabète. L’étude DCCT a démontré une diminution de l’apparition et de la progression des complications chroniques chez les patients diabétiques de type 1 bénéficiant d’une prise en charge intensive (1). Ce bénéfice a été confirmé dans l’étude observationnelle à long terme EDIC (2). Il est donc important de suivre les recommandations en termes de contrôle glycémique (3).
Fin 2014, la société Abbott a mis sur le marché le lecteur FreeStyle Libre® (FSL), premier représentant d’une nouvelle catégorie de dispositif de mesure du taux de glucose interstitiel, déjà décrit précédemment (4, 5). Ce système a été validé par diverses études dont celle de Bailey et al. menée aux Etats-Unis auprès de 72 patients adultes diabétiques de type 1 et 2 sous insuline (6). La concordance entre les résultats obtenus par tests capillaires et avec le FSL était très bonne (86 % des résultats en zone A de la grille d’erreur de Clarke et MARD - Mean Absolute Relative Difference - de 11.4 %). Les résultats du système étaient stables sur une période de 2 semaines, quel que soit le lot de capteurs et le bras utilisé, indépendamment de l’âge, du BMI, du type de diabète, du centre hospitalier, du type d’insuline administré et de l’HbA1c de départ. Trois grandes études prospectives randomisées ont été menées afin d’évaluer l’impact de l’instauration du FSL sur l’équilibre glycémique, dont celle de Bolinder et al. menée auprès de 239 patients diabétiques de type 1 bien équilibrés et compliants (7). Les auteurs identifient après 6 mois une réduction de 38 % du temps passé en hypoglycémie dans le groupe de patients utilisant le FSL. Cette réduction survient rapidement après l’instauration du dispositif, sans changement des doses d’insuline et sans dégradation de l’HbA1c. Plusieurs études observationnelles ont également analysé les effets de l’utilisation de ce système sur le contrôle glycémique dont celle de Dover et al. qui a montré une amélioration de 0.5 % du taux d’HbA1c dans un groupe de 25 patients diabétiques de type 1 mal équilibrés au départ après 16 semaines d’utilisation du système (8). A notre tour, nous avons souhaité identifier l’impact de l’implémentation de ce nouveau système d’auto-surveillance sur l’équilibre glycémique chez des patients diabétiques adultes suivis dans notre centre de convention.
Patients et méthodes
Nous avons mené une étude prospective, monocentrique, non interventionnelle auprès de patients diabétiques suivis dans le service d’Endocrinologie et Nutrition des Cliniques universitaires Saint-Luc. Les patients sélectionnés étaient des sujets âgés de 18 à 90 ans, présentant un diabète de type 1 ou un diabète secondaire à une pancréatectomie totale (c-peptide indosable) auxquels le système a été placé entre novembre 2016 et août 2017. Nous avons sélectionné 257 patients dont 9 ont été exclus pour manque de données. Nous les avons suivis pendant 6 mois (T3 entre 2 et 4 mois et T6 entre 5 et 11 mois). A l’inclusion (T0), nous avons collecté les données démographiques et cliniques (doses d’insuline et HbA1c). Sur base des dernières glucométries disponibles avant passage au FSL, nous avons repris la moyenne glycémique, la déviation standard, le nombre moyen d’autocontrôles quotidiens et le nombre d’hypoglycémies. Aux temps T3 et T6, nous relevions l’évolution des différents paramètres cliniques et biologiques. Nous avons également comparé l’HbA1c estimée par le lecteur et celle obtenue au laboratoire. Des questionnaires de qualité de vie ont été remis aux patients à l’entrée dans l’étude et à la fin du suivi. Ces questionnaires validés concernaient d’une part la satisfaction globale par rapport au système d’autocontrôles et d’autre part les craintes par rapport aux hypoglycémies.
Caractéristiques cliniques à l’instauration du FSL
Nous avons analysé les données de 248 patients (88 % d’origine caucasienne, 54 % d’hommes, 98 % de diabétiques de type 1), âgés de 45 ± 16 ans (moyenne ± 1 DS). La durée moyenne d’évolution du diabète était de 20 ± 13 ans [valeurs extrêmes: 0-61 ans]. Nonante pourcent des patients étaient sous schéma basal-prandial. L’HbA1c moyenne était de 8.1 ± 1.3 %. A l’inclusion, 19 % des patients avaient une HbA1c ≤ 7.0 % et 35 % ≤ 7.5 %. Les patients faisaient en moyenne 3.2 ± 1.6 tests capillaires quotidiens [valeurs extrêmes: 0-8 tests/jour). Sur une période de 2 mois, nous relevions 13 ± 14 hypoglycémies par patient (médiane: 8.0 [valeurs extrêmes: 0-81]). Le score de satisfaction (8 items notés de 0 à 8 selon le degré de satisfaction, score maximum de 48 points signifiant que le patient est très satisfait de sa technique d’autocontrôle) moyen concernant les tests capillaires classiques était de 30.5 ± 7.7 points, score inversement corrélé au taux d’HbA1c à l’inclusion (r: -0.366, p<0.001). Le score relatif au comportement face aux hypoglycémies (6 items évaluant dans quelle mesure les patients adaptent leur comportement par crainte de la survenue d’une hypoglycémie, score maximum de 24 points traduisant de grandes adaptations du comportement) à 5.7 ± 4.1. Le score évaluant le degré d’inquiétude face aux risques d’hypoglycémies (6 items évaluant l’inquiétude ressentie dans diverses situations de la vie quotidienne, score maximum de 24 points traduisant une inquiétude majeure) est évalué à 7.2 ± 4.8 points.
Évolution de l’Hba1c
Au T3, nous observons une diminution de l’HbA1c moyenne. Au T6, le contrôle glycémique reste meilleur qu’au départ sans modification significative par rapport au temps intermédiaire avec une HbA1c à 7.9 ± 1.2 % (p<0.001 vs. T0) (Tableau 1).
A la fin de la période de suivi, 22 % des patients ont une HbA1c ≤ 7.0 % et 39 % une valeur ≤ 7.5 %. L’HbA1c estimée par le FSL est par ailleurs tout à fait comparable à la valeur mesurée au laboratoire. Nous notons cependant une hétérogénéité dans l’évolution du contrôle glycémique au sein de notre échantillon. En divisant l’échantillon en fonction du quartile (Q) d’HbA1c de départ (Q1: HbA1c ≤ 7.2 % ; Q2: HbA1c > 7.2 et ≤ 8.0 %, Q3: HbA1c > 8 et ≤ 8.8 %, Q4: HbA1c > 8.8 %), nous notons une légère dégradation du contrôle glycémique chez les patients les mieux équilibrés au départ et une amélioration chez les patients des Q2 à Q4 (p<0.001) (Figure 1). La mise en route du FSL profite donc davantage aux patients les moins bien équilibrés au départ. Parmi ceux-ci, certains ne faisaient même plus de contrôles capillaires avant l’obtention du FSL. L’effet « étude » et « essai d’une nouvelle technologie » améliorent certainement la compliance et l’intérêt des patients.
Hypoglycémies
Au temps intermédiaire, nous mettons en évidence une augmentation significative du nombre d’hypoglycémies. Le FSL permet en effet de démasquer la survenue d’hypoglycémies pouvant passer inaperçu avec les contrôles capillaires classiques. Au T6, nous notons cependant encore une majoration significative du nombre d’hypoglycémies par rapport au T3. Cela pourrait s’expliquer par un manque d’adaptation du comportement des patients en fonction des résultats ou refléter une banalisation des hypoglycémies asymptomatiques rapportées par le FSL (notamment durant les hypoglycémies nocturnes prolongées). A noter que le nombre d’hypoglycémies est significativement plus élevé chez les patients ayant à l’inclusion une HbA1c ≤ 8.0 % par rapport aux patients moins bien équilibrés. Le nombre d’hypoglycémies au T6 est inversement proportionnel au taux d’HbA1c à l’inclusion (r: -0.370, p<0.001).
Évolution du nombre de contrôles glycémiques
Le nombre de contrôles se majore significativement suite à l’instauration du FSL (Tableau 1). Au T6, le nombre de scans est cependant supérieur chez les patients les mieux équilibrés à l’inclusion: 8.4 ± 4.4 scans si HbA1c ≤ 8.0 % à l’inclusion vs. 6.9 ± 4.2 scans si HbA1c > 8.0% à l’inclusion (p=0.019). Une fois « l’effet nouveauté » dissipé, les patients les moins bien équilibrés au départ relâchent leur suivi et diminuent leur nombre de contrôles. De plus, nous retrouvons une corrélation entre le nombre de scans effectués aux T3 et T6 et le temps passé dans la cible glycémique (r: 0.393, p<0.001) et une corrélation négative entre le nombre de scans quotidiens et le taux d’HbA1c à la fin de la période de suivi (r: -0.395, p<0.001) (Figure 2). Ce concept était déjà connu avec les glycémies capillaires. Mais la spécificité du FSL est de délivrer une information dynamique permettant une meilleure anticipation des évènements. La performance de la technique dépend donc de sa fréquence d’utilisation.
Questionnaires de qualité de vie et de crainte des hypoglycémies
Le score de satisfaction s’élève à la fin de la période de suivi (Tableau 1). Cette amélioration est plus importante chez les patients des quartiles supérieurs d’HbA1c d’inclusion et est corrélée à l’amélioration du taux d’HbA1c au cours du suivi (r: 0.249, p<0.001). Les patients retirant le plus de bénéfices du FSL sont en effet les plus satisfaits. Il en va de même chez les patients les plus jeunes qui semblent apprécier davantage les nouvelles technologies. Le score relatif au comportement face aux hypoglycémies régresse significativement au cours du suivi. Le FSL aiderait les patients à vivre plus aisément les contraintes liées à leur maladie. Le score d’inquiétude face aux risques d’hypoglycémies ne se modifie quant à lui pas au cours du suivi. Cette peur des hypoglycémies est sans doute encrée en eux depuis trop longtemps et ne s’atténue pas après seulement 6 mois d’utilisation du FSL.
Conclusions
Cette étude reflète l’utilisation du FSL dans une population diabétique de type 1 adulte suivie aux Cliniques universitaires Saint Luc. Son utilisation en pratique courante s’accompagne d’une amélioration de l’équilibre glycémique surtout chez les patients mal équilibrés au départ. Par ailleurs, nous observons une franche amélioration de la satisfaction des patients envers la technique d’autocontrôle. Le système rassure les patients qui adaptent moins leur comportement pour éviter la survenue d’une hypoglycémie. L’encadrement par une équipe d’éducation adéquate est néanmoins nécessaire ainsi qu’un suivi régulier en consultation de diabétologie afin d’apprendre à interpréter les résultats et à adapter le traitement. Enfin et de manière logique, le système n’est réellement bénéfique que chez les patients se scannant régulièrement.
Recommandations pratiques
L’utilisation du FreeStyle Libre s’accompagne d’une amélioration significative de l’équilibre glycémique. Néanmoins, l’encadrement par le diabétologue et par l’équipe d’éducation reste indispensable pour apprendre à utiliser et interpréter l’ensemble des données fournies par ce nouveau dispositif. La compliance reste l’élément déterminant pour améliorer l’équilibre glycémique.
Correspondance
Dr Stéphanie Rouhard
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Endocrinologie et Nutrition
Avenue Hippocrate, 10
B-1200 Bruxelles - Belgique
Tel : 00 32 2 764 54 75
stephanie.rouhard@uclouvain.be
Références
- The Diabetes Control and Complications Trial Research Group. The effect of intensive treatment of diabetes on the development and progression of long-term complications in insulin-dependent diabetes mellitus. N Engl J Med. 1993; 329(14): 977-986.
ouvrir dans Pubmed - Nathan DM. The Diabetes Control and Complications Trial/Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications Study at 30 years overview. Diabetes Care. 2014; 37(1): 9-16.
ouvrir dans Pubmed - Standards of Medical Care in Diabetes - 2018. Diabetes Care 2018; 41(Suppl. 1) : S4-S6.
ouvrir dans Pubmed - Rouhard S, Preumont V. Le nouveau système flash d’auto-surveillance de la glycémie. Louvain Med. 2017; 136: 81-82.
- Preumont V, Rouhard S. L’auto-surveillance glycémiques par capteurs : quel rapport coût-bénéfices ? Louvain Med. 2018; 137(3): 158-160.
- Bailey T, Bode BW, Christiansen MP, Klaff LJ, Alva S. The performance and usability of a factory-calibrated Flash glucose monitoring system. Diabetes Technol Ther. 2015; 17(11): 787-794.
ouvrir dans Pubmed - Bolinder J, Antuna R, Geelheod-Duijvestijn P, Kroger J, Weitgasser R. Novel glucose-sensing technology and hypoglycaemia in type 1 diabetes : a multicentre, non-masked, randomised controlled trial. Lancet. 2016; 388(10057): 2254-2263.
ouvrir dans Pubmed - Dover AR, Stimson RH, Zammitt NN, Gibb FW. Flash glucose monitoring improves outcomes in a type 1 diabetic clinic. J Diabetes Sci Technol. 2017; 11(2): 442-443.
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