L’orthopédie pédiatrique est de nos jours une spécialité à part entière, qui se distingue de l’orthopédie adulte tant par ses pathologies que par son approche clinique. Cet article décrit l’examen clinique orthopédique « global » tel qu’il est réalisé par les auteurs dans leur pratique quotidienne, en mettant l’accent sur les aspects plus pertinents pour le médecin généraliste, l’objectif final étant que ce dernier sache quand rassurer et quand référer chez le spécialiste. La chronologie de l’examen clinique décrit est propre aux auteurs. Cet examen devra évidemment être adapté en fonction du motif de consultation et de la pathologie recherchée. Seule l’évaluation clinique de l’enfant ayant acquis la marche sera décrite, l’examen clinique du nouveau-né et nourrisson ayant des particularités qui ne seront pas abordées. Quelques pathologies seront évoquées afin de bien distinguer le normal du pathologique, et illustrer la notion qu’il faut aussi savoir regarder ailleurs que là où la symptomatologie est la plus manifeste, pour pouvoir poser un diagnostic.
L’examen clinique est commencé patient en position debout, puis se termine patient en position couchée, l’objectif étant de gagner progressivement la confiance de l’enfant. Le caractère ludique de cet examen est important pour s’assurer la collaboration maximale du patient. L’examen débute par l’évaluation de la taille et du poids, afin de positionner le patient sur les courbes de croissance staturo-pondérale. Il faut distinguer la taille assise de la taille debout, car la cinétique de croissance des membres inférieurs n’est pas la même que celle du segment supérieur. Si on veut se faire une idée plus précise de la croissance rachidienne, le patient est mesuré en position assise. La colonne représente 60% de la taille assise, 20% étant attribué au segment céphalique et 20% au bassin. Même si le motif de consultation semble bien ciblé sur une région anatomique, il est important d’évaluer globalement le patient. Cette « évaluation globale » se fera tout au long de l’examen. Ainsi, on regardera bien le faciès de l’enfant, certains signes pouvant mettre sur la voie d’un syndrome particulier. La trophicité musculaire sera également évaluée, de même que la position adoptée naturellement par l’enfant, tant en position assise pendant l’anamnèse qu’en position debout. Il faudra aussi être à l’affût de tout signe cutané susceptible d’orienter le diagnostic. Par exemple, tout stigmate cutané (touffe de poils, tache vasculaire, tache pigmentée, etc.) sur la ligne médiane du rachis doit faire suspecter un dysraphisme sous-jacent. La présence de nombreuses « taches café au lait » peut être le signe d’une neurofibromatose.
En position debout, l’équilibre du bassin est évalué en prenant comme points de repère les crêtes iliaques et les articulations sacro-iliaques, ou les épines iliaques antérosupérieures. Si une obliquité pelvienne sur inégalité de longueur des membres inférieurs est mise en évidence avec un aspect de courbure rachidienne, cette inégalité doit être corrigée en positionnant une compensation sous le membre inférieur le plus court (figure 1).
S’il s’agit d’une attitude scoliotique, ce test ou le fait d’asseoir le patient permettra la correction de la déviation rachidienne. S’il s’agit d’une véritable scoliose, la déviation rachidienne persistera. Il faut noter qu’une inégalité de longueur des membres inférieurs peut n’avoir aucune répercussion sur la statique rachidienne. L’évaluation globale de la statique rachidienne, patient vu de dos, recherchera une asymétrie. Toute asymétrie est suspecte, que ce soit au niveau des épaules, des omoplates, des flancs. On demande ensuite au patient de réaliser une flexion antérieur du tronc, genoux en extension (test en flexion antérieure du tronc d’Adam). Dans cette position, la colonne est regardée à jour frisant. Si une gibbosité apparaît (correspondant à la saillie des côtes ou de la musculature d’un seul côté), une scoliose doit être suspectée. Cette gibbosité peut être évaluée en degrés à l’aide d’un scoliomètre. Il faut veiller à ce que le patient garde les genoux en extension. Si le patient a des muscles ischiojambiers courts, ce test peut être difficilement réalisé et créer l’aspect d’une fausse gibbosité. Chez l’enfant jeune, ce test n’est généralement pas possible. La recherche d’une gibbosité se fait en regardant la colonne « à jour frisant », enfant debout, depuis le haut. La souplesse du rachis est évaluée par le test en inclinaison latérale (figure 2). Des contractures musculaires responsables d’un rachis raide doivent faire rechercher une pathologie sous-jacente. Chez l’enfant jeune, ce test peut s’avérer difficile et est alors remplacé par le test en traction vers le haut.
Le rachis est ensuite examiné de profil, afin d’évaluer les courbures sagittales c à d la lordose cervicale, la cyphose thoracique et la lordose lombaire. Si une anomalie est notée, il est essentiel d’en évaluer la réductibilité en demandant au patient de se tenir bien droit. Il s’agit le plus souvent d’une accentuation de la cyphose thoracique. Si elle est facilement réductible, cela signifie que l’origine est posturale. Si elle est raide, une pathologie sous-jacente devra être recherchée. Des déformations thoraciques (musculaires, costales) et sternales (pectus excavatum, pectus carinatum) seront également recherchées.
L’examen se porte ensuite sur les membres inférieurs et commence par l’évaluation statique globale. La connaissance de l’évolution de cette statique avec la croissance est importante. A la naissance, le nourrisson présente un genu varum qui se corrige progressivement pour atteindre l’axe neutre vers l’âge de deux ans. Un genu valgum apparaît ensuite progressivement, avec un maximum atteint vers l’âge de trois à quatre ans, pour ensuite se corriger progressivement et atteindre sa valeur adulte définitive vers sept ans. Chez l’enfant plus grand, lorsque qu’un aspect de genu varum s’associe à un strabisme rotulien convergent, il faut suspecter un « faux » genu varum lié à la présence d’une antéversion fémorale accentuée. Dans ce cas, la correction de la convergence rotulienne par une rotation externe des deux membres inférieurs corrige l’aspect de genu varum (figure 3). Un problème doit être suspecté en cas d’asymétrie entre les deux membres inférieurs, ou lorsque le genu varum/valgum est très important, ou encore lorsqu’il y a une discordance entre la statique objectivée et l’âge du patient. Au niveau des arrière-pieds, l’axe est neutre ou en très léger valgus. La marche à vitesse normale est ensuite évaluée : posture globale du patient, angle de pas, déroulement du pas. Si possible, on demandera également au patient de marcher sur la pointe des pieds, puis sur les talons.
L’examen podoscopique permettra d’étudier la statique plantaire. La souplesse des pieds sera évaluée par la position digitigrade qui doit permettre une varisation des arrière-pieds et un creusement de l’arche plantaire interne. Chez le petit enfant, la réalisation d’une torsion tibiale externe ou d’une hyperextension du gros orteil peut remplacer ce test. Les pieds plats valgus sont physiologiques avant l’âge de quatre ans. Chez l’enfant plus âgé, ils sont le plus souvent souples et bénins. Les facteurs favorisant sont l’obésité, l’hyperlaxité, la présence de tendons d’Achille courts ainsi qu’une antéversion fémorale accentuée. Face à des pieds plats raides, non correctibles en position digitigrade, il faut suspecter une pathologie sous-jacente, principalement la présence d’une synostose. Un pied creux varus doit toujours faire rechercher une pathologie neurologique sous-jacente (dysraphisme médullaire, maladie de Charcot-Marie-Tooth, etc.).
L’examen se poursuit, patient en position assise pour tester la mobilité des différentes articulations au niveau des membres supérieurs. Deux types de mobilité peuvent être testées : mobilité active (par action volontaire du patient) et mobilité passive (mouvement réalisé par le médecin sans intervention du patient). Il existe de façon physiologique un léger cubitus valgus d’environ 12°.
L’examen clinique des membres supérieurs sera guidé par le motif de consultation. En décubitus dorsal, l’axe des membres inférieurs est évalué en position corrigée. La mobilité des différentes articulations est évaluée. Au niveau des membres inférieurs, l’examen sera à nouveau guidé par la plainte initiale. Seuls les tests utiles au médecin généraliste seront décrits ici. En étudiant la mobilité des articulations, une laxité ligamentaire et cutanée peut également être recherchée. En position de flexion de hanches et genoux, pieds à plats sur la table, les genoux doivent normalement être à la même hauteur. L’angle poplité est évalué en réalisant une extension forcée du genou, hanche fléchie à 90° (figure 4). Le membre opposé est en extension. Il faut vérifier que le patient ne « triche » pas en réalisant une lordose lombaire. Ce test permet de mettre en évidence une éventuelle rétraction des muscles ischiojambiers, cause fréquente de douleurs. Un angle poplité compris entre 0° et 30° peut être considéré comme normal. Une rétraction du muscle soléaire et/ou des muscles gastrocnémiens sera recherchée en réalisant une flexion dorsale forcée de la cheville, tout en réalisant une extension progressive du genou initialement fléchi. La flexion dorsale doit atteindre au minimum la position neutre (zéro degré). Si un équin (flexion plantaire non réductible de la cheville) est déjà présent genou fléchi, le muscle soléaire est rétracté. Si l’équin apparaît alors que l’on réalise l’extension du genou, les muscles gastrocnémiens sont rétractés. Lors de ce test, il est important de tenir le talon en varus, la fuite du talon en valgus pouvant masquer une rétraction du tendon d’Achille. Au niveau des pieds, la bissectrice du talon passe normalement entre le deuxième et le troisième orteil. Si cette ligne passe au-delà (vers les orteils externes), un metatarsus adductus doit être suspecté. L’examen se termine en décubitus ventral. Cette position peut être utile pour étudier la réductibilité d’une hypercyphose thoracique, en demandant au patient de redresser le tronc sans l’aide des mains. Une rétraction des muscles quadriceps (rectus femoris) est recherchée en fléchissant le genou au maximum, le patient devant normalement être capable de toucher sa fesse avec son pied (test d’Ely). Lors de ce test, il faut veiller à ce que le patient ne soulève pas la fesse.
L’évaluation de l’antéversion fémorale se fait par l’étude des rotations de la hanche. Un excès d’antéversion se manifestera par une prédominance de la rotation interne sur la rotation externe (Figures 5a-b). A la naissance, le nourrisson présente une antéversion fémorale accentuée qui va progressivement diminuer avec l’âge, la valeur adulte étant généralement acquise vers l’âge de 10 ans. Les enfants présentant une antéversion fémorale accentuée adoptent souvent facilement la position assise « en M ». La torsion tibiale est évaluée par l’angle formé entre l’axe de la cuisse et l’axe du pied tenu en flexion neutre (Figure 6). Un examen neurologique sera réalisé en fonction de la pathologie suspectée.
On profitera également de l’examen clinique pour évaluer discrètement le stade de développement pubertaire du patient (caractères sexuels secondaires selon les stades de Tanner) afin de le positionner le plus précisément possible sur sa courbe de croissance et évaluer la croissance résiduelle au niveau du rachis et des membres inférieurs. L’examen clinique sera peaufiné en fonction d’une éventuelle pathologie suspectée.
Poser le bon diagnostic implique parfois de regarder ailleurs que là où la symptomatologie est la plus manifeste.
Les déformations rachidiennes s’installant souvent progressivement, sans plainte douloureuse, il est conseillé de toujours examiner le rachis de l’enfant, quel que soit le motif de consultation.
Pr. Maryline Mousny
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’orthopédie et traumatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
1. Service d’orthopédie et traumatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCL, Bruxelles
2. Service de médecine physique, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCL, Bruxelles