INTRODUCTION
Les phosphodiesterases (PDEs) appartiennent à une famille d’enzymes qui catalysent l’hydrolyse des nucleotide monophosphates, le cAMP et le cGMP dans leur forme 5’ monophosphates correspondantes. Il existe une multitude de PDEs. Cependant, la recherche scientifique et médicale s’est surtout focalisée sur la PDE-5 pour sa spécificité à catalyser l’hydrolyse du cGMP. La PDE-5 est exprimée dans différents tissus, notamment les corps caverneux, mais aussi la circulation systémique et pulmonaire, le myocarde, le muscle ou encore les plaquettes sanguines (1). Le cGMP est un puissant vasodilatateur. L’inhibition de l’action de la PDE-5 prévient donc la dégradation du cGMP, augmente sa concentration tissulaire et sa durée d’action. Exploiter les inhibiteurs de la PDE-5 a donc suscité un espoir considérable dans le traitement de certaines maladies cardiovasculaires. Les premiers essais du sildenafil chez les patients souffrant de maladies cardiovasculaires ont été décevants. Par contre, les effets surprenants et bénéfiques sur la fonction érectile qui nécessite une vasodilatation artérielle et une relaxation de la musculature lisse intracaverneuse ont attiré l’attention des chercheurs. En 1998, la FDA approuve l’utilisation du sildenafil dans le traitement de la dysfonction érectile. Plus tard, deux autres inhibiteurs de la PDE-5 (iPDE-5), le vardenafil et le tadalafil seront approuvés dans la même indication thérapeutique.
La dysfonction érectile est aujourd’hui considérée comme une maladie vasculaire. Sa prévalence dépend de l’âge et est associée à l’athérosclérose coronarienne, l’artérite périphérique, le diabète, le tabac, l’hypertension artérielle systémique et pulmonaire et l’insuffisance cardiaque. La dysfonction endothéliale et l’inflammation systémique subclinique constituent une base physiopathologique commune à la dysfonction érectile et à l’athérosclérose (2). L’association entre la dysfonction érectile et l’athérosclérose impliquent également une interaction possible entre leurs traitements respectifs et en particulier l’interaction entre les iPDE-5 et les médicaments vasodilatateurs.
Dans ce cours article, les risques et les potentiels bénéfices des iPDE-5 seront abordés et un focus particulier sera mis sur l’utilisation des iPDE-5 avec les dérivés nitrés et d’autres médicaments fréquemment utilisés par le cardiologue, comme par exemple le nebivolol.
LES RISQUES ET BÉNÉFICES DES IPDE-5 DANS LES MALADIES CARDIAQUES ET VASCULAIRES
L’ATHÉROSCLÉROSE
Les maladies cardiovasculaires sont toujours responsables d’un pourcentage élevé de décès en Europe et leur prévalence reste élevée dans les pays occidentaux (3). C’est pourquoi, elles ont reçu une attention particulière sur les possibles conséquences de la prescription des iPDE-5 sur l’expression clinique ou les complications de la maladie. Sur un modèle animal de lapin, la prescription de vardenafil 30 minutes avant un épisode d’occlusion coronaire s’est accompagnée d’une diminution de la taille de l’infarctus (4). Les iPDE-5 ont montré un effet bénéfique sur la diminution de la pression artérielle et sur l’amélioration de la fonction endothéliale. Il est également établi que la prescription d’un iPDE-5 s’accompagne d’une amélioration de la réserve coronaire et améliore le seuil ischémique chez les patients coronariens (5, 6). Le profil de tolérance des iPDE-5 est excellent dans cette population et les interactions avec les autres médications (bétabloquant, aspirine et statine) sont minimales à l’exception des dérivés nitrés. Nous y reviendrons. Les iPDE-5 n’augmentent pas le risque d’infarctus, d’accident vasculaire cérébral ou de décès cardiovasculaire. Ceci a été démontré par des méta-analyses d’études randomisées et par des analyses post-marketing portant sur plusieurs milliers de patients (7, 8). Une question importante et fondamentale à se poser est de savoir si le traitement de la dysfonction érectile par les iPDE-5 peut avoir un impact favorable sur le risque cardiovasculaire. Après tout, le sildenafil a été développé dans un but thérapeutique cardiovasculaire. Les données sont limitées pour répondre à cette question. Malgré tout, une tendance en faveur d’une diminution de la mortalité cardiovasculaire a été montrée dans une population de patients diabétiques porteurs d’une coronaropathie asymptomatique et traités par iPDE-5. Le faible nombre de patients n’a cependant pas permis de conclusion définitive (9).
L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE
La dysfonction érectile concerne 15 à 46% des patients hypertendus. La dysfonction endothéliale est une nouvelle fois à la base physiopathologique des 2 maladies. Outre l’hypertension artérielle, la dysfonction érectile est aussi une complication fréquente du traitement anti-hypertenseur. Parmi les anti-hypertenseurs associés à la dysfonction érectile, on retrouve les diurétiques, les antagonistes de l’aldostérone, les Béta-bloquants et les anti-hypertenseurs centraux. Par contre, les autres classes couramment utilisées, les anticalciques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les bloqueurs des récepteurs de l’angiotensine sont rarement impliqués (1). Les iPDE-5 sont-ils risqués ou responsables d’effets secondaires chez les patients hypertendus ? Il semblerait que leur prescription puisse se faire en toute sécurité. Ceci a été bien démontré par des études et méta-analyse évaluant les effets du sildenafil et du tadalafil en combinaison avec un ou plusieurs antihypertenseurs. Les auteurs ont montré un faible impact sur la pression artérielle et aucune syncope ou épisode d’hypotension orthostatique n’ont été déplorées (10, 11).
L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
La prévalence de l’insuffisance cardiaque ne cesse d’augmenter et le vieillissement de la population contribue indiscutablement à cette véritable épidémie. La dysfonction érectile est fréquente chez le patient en insuffisance cardiaque et pourtant il existe toujours parmi la communauté médicale une peur vis-à-vis de la prescription d’iPDE-5. Pourtant, les données scientifiques soutiennent que le sildenafil à la dose de 3x25 mg s’accompagne d’une augmentation du débit cardiaque à l’effort et d’une amélioration de la capacité physique des patients dont la fraction d’éjection est sévèrement diminuée (12). Il est intéressant de constater que ces données ont été obtenues chez des patients par définition poly-traités dont la plupart bénéficiaient d’un traitement d’insuffisance cardiaque associant un bétabloquant et un inhibiteur de l’enzyme de conversion. La prescription de sildenafil dans cette population de malades s’accompagne d’une amélioration de la qualité de vie et le traitement serait également responsable d’une diminution du nombre d’hospitalisations (13, 14). L’un des mécanismes physiopathologiques par lequel les iPDE-5 seraient responsables d’une amélioration de l’état clinique du patient serait que le stress oxydatif augmente l’expression de la phosphodiestrase-5 dans le myocarde défaillant. Ceci a été démontré aussi bien dans un modèle de souris que chez l’homme (15). Les iPDE-5 constituent donc une voie thérapeutique intéressante dans l’insuffisance cardiaque. Il faut cependant nuancer le propos et tempérer l’enthousiasme puisqu’aucune étude randomisée n’a à ce jour montré de bénéfices sur la mortalité. Les effets secondaires liés à l’utilisation des iPDE-5 chez les insuffisants cardiaques semblent limités bien que la tolérance n’ait pas été évaluée sur un très grand nombre de patients. Le bon sens clinique et le principe de précaution incitent à la prudence et la prescription des iPDE-5 chez l’insuffisant cardiaque ne lui sera proposée pour une dysfonction érectile qui si sa tension artérielle est supérieure à 90/50 mmHg et s’il présente un état clinique stable.
L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE PULMONAIRE
Cette maladie chronique et progressive se caractérise par un remodeling des petites artères pulmonaires qui s’accompagne d’une hypertension artérielle pulmonaire évoluant vers une hypertrophie puis une défaillance du ventricule droit. Le taux de mortalité lié à cette maladie est important. Elle est aussi associée à de la dysfonction érectile et le traitement par iPDE-5 améliore tant le statu clinique lié à la maladie pulmonaire que la dysfonction érectile (1). Les 3 iPDE-5 sont approuvés dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire (16) et leur profil de tolérance est excellent dans cette population fragile.
QUID DES INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES ?
LES DÉRIVÉS NITRÉS
Les patients qui souffrent d’une cardiopathie ischémique sont souvent polymédiqués. Leur traitement de base comporte régulièrement une petite dose d’aspirine, une statine, un inhibiteur de l’enzyme de conversion et un bétabloquant. Parfois, mais pas de façon systématique, des dérivés nitrés peuvent être ajoutés à leur traitement. Parce qu’ils agissent rapidement (<1 à 3 minutes), les dérivés nitrés oraux (comprimés ou spray sublingual) sont utilisés pour soulager ou parfois prévenir une crise d’angine de poitrine liée aux efforts physiques. Les dérivés nitrés à longue durée d’action sous forme de patch ou forme orale retard, sont quant à eux utilisés en principe chez les patients qui gardent un angor qui ne peut être complètement soulagé par une procédure de revascularisation. Enfin, Les dérivés nitrés intraveineux sont encore fréquemment utilisés en salle d’urgence pour soulager les symptômes thoraciques liés à un infarctus du myocarde, un angor instable ou à une insuffisance cardiaque aigue. La co-administration de dérivés nitrés et d’un iPDE-5 contribuent à augmenter le c-GMP, ce qui peut entraîner une vasodilatation importante, imprévisible et peut conduire à une hypotension symptomatique (figure. 1).
L’association de ces deux médicaments a même conduit au décès de quelques patients. Les guidelines recommandent donc clairement de ne pas administrer les iPDE-5 chez les patients cardiaques qui sont traités par dérivés nitrés. Ils recommandent également de ne pas administrer de dérivés nitrés dans les 24 heures qui suivent l’administration de sildenadil ou de vardenafil. Un délai de 48 heures doit être respecté pour le tadalafil (17, 18). La prise en charge actuelle de la cardiopathie ischémique fait de moins en moins appel à la prescription chronique de dérivés nitrés et dans la majorité des cas, le traitement par dérivés nitrés pourra être interrompu. C’est pourquoi, ensemble, le médecin généraliste, l’urologue et le cardiologue trouveront une solution pour que le patient cardiaque qui présente une dysfonction érectile puisse bénéficier d’un iPDE-5. La prescription sera dans tous les cas progressive en commençant par les dosages les plus faibles.
LE NEBIVOLOL
Le nebivolol est un bloqueur sélectif des récepteurs β1 et possède des propriétés de libération endothélium-dépendante de NO. Contrairement aux autres bétabloquants, le nebivolol qui est indiqué dans la prise en charge du patient coronarien et hypertendu cause moins de dysfonction érectile. Compte tenu de ses propriétés vasodilatatrices, se pose par contre la question potentielle du risque d’hypotension artérielle sévère s’il est associé aux iPDE-5. Les données sont relativement limitées mais il semblerait qu’in vitro le sildenafil n’augmenterait pas les effets vasodilatateurs du nebivolol (19). En appliquant le principe de précaution, les iPDE-5 peuvent être prescrits aux patients traités par nebivolol.
CONCLUSIONS
Les iPDE-5 sont efficaces, bien tolérés et constituent un traitement de première ligne de la dysfonction érectile. Les risques cardiovasculaires liés à leur utilisation sont faibles et notablement, il n’existe aucune évidence scientifique qui les relie à un risque plus élevé d’infarctus ou de décès cardiovasculaires. Les caractéristiques biochimiques des iPDE-5 en font même des traitements potentiels de toute une série de maladie cardiovasculaire comme l’insuffisance cardiaque ou l’hypertension artérielle pulmonaire. Puisqu’il existe peu de données concernant la prescription d’iPDE-5 après un évènement cardiovasculaire récent (épisode d’insuffisance cardiaque aigue, accident vasculaire cérébral ou infarctus), il est logique de ne pas les prescrire endéans les 4 à 6 semaines qui suivent l’évènement, le temps que la situation clinique se stabilise et que les traitements prescrits à visée cardiaque soient bien tolérés. Enfin, les iPDE-5 ne doivent jamais être prescrits aux patients traités par dérivés nitrés. Un délai de 24 heures doit être respecté pour la prescription des dérivés nitrés aux patients qui ont pris du sildenafil ou du vardenafil. Un délai de 48 heures sera respecté pour le tadalafil. Dans la vaste majorité des cas, un traitement chronique par dérivé nitrés pourra être interrompu chez les patients coronariens avec dysfonction érectile pour qu’ils puissent bénéficier d’un iPDE-5. Dans les cas difficiles, cette question doit faire l’objet d’un débat entre le médecin généraliste, l’urologue et le cardiologue traitant.
CORRESPONDANCE
Pr. David Vancraeynest, MD, PhD
Université catholique de Louvain
Cliniques universitaires Saint-Luc
Cardiologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
E-mail : david.vancraeynest@uclouvain.be
RÉFÉRENCES
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