Franz Philippart : l’histoire de la médecine, une passion

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Maurice Einhorn Publié dans la revue de : Juillet 2019 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Franz Philippart, qui fut naguère vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins est sans l’ombre d’un doute un homme passionné.

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Franz Philippart, qui fut naguère vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins est sans l’ombre d’un doute un homme passionné. Il n’a cessé depuis de nombreuses années de se pencher sur l’histoire de la médecine et ce bien au-delà de son côté parfois anecdotique. Lorsque nous lui tendons le micro pour l’interviewer, il commence par déplorer le manque d’intérêt de la profession médicale pour l’étude de l’évolution de celle-ci à travers les siècles. Symptôme majeur de ce désintérêt, la disparition de la Société belge d’histoire de la médecine sans que rien ne semble devoir la remplacer dans les années à venir. L’absence de cours universitaire dans ce domaine en est un autre. Tout ceci n’empêche pas le Dr Philippart de garder encore quel qu’espoir à ce sujet. Il s’est quant à lui penché depuis de longues années sur la vie et l’œuvre de Galien, ce tout grand pionnier que l’on n’hésitera pas à qualifier de géant de la médecine.

« L'histoire de la médecine m'intéresse depuis l'époque de ma pratique chirurgicale » confie le Dr Philippart. Après avoir arrêté de pratiquer en 1998, il a fait un DU en philosophie à l’ULB sous la houlette de Jean-Noël Missa, qui invitait régulièrement divers conférenciers extérieurs. C’est dans ce contexte qu’il a véritablement commencé à s’intéresser à Galien.

Le riche dossier des moines cisterciens de Villers-la-Ville

Un historien travaillant sur l’Abbaye de Villers-la-Ville lui propose à cette époque de se pencher sur les médicaments que prenaient les moines, quelques années avant la Révolution. Pour ce faire il a dû étudier les pharmacopées de l’époque. Il a ainsi découvert deux bibliothèques importantes à cet égard, à savoir, d’une part celle du musée Couvreur à l’UCLouvain, comportant 700 volumes anciens concernant tous des sujets pharmaceutiques et, d’autre part celle de l’hôpital Notre-Dame à la Rose à Lessines.

« En consultant les ouvrages que recèlent ces bibliothèques, j’ai de plus en plus souvent rencontré Galien sur ma route. Avec Michel Dubuisson, de Villers-la-Ville, nous sommes tombés sur l’histoire d’un moine cistercien appelé Gobert, qui fut accusé de fréquenter une femme dans une maison de passe de Bruxelles et, pour cette raison, interné au couvent des Alexiens durant deux ans. Nous avons pu obtenir la liste de tous les médicaments qu’il y prenait et qui étaient facturés à l’ordre des Cisterciens à Villers. J’ai été très frappé par le fait qu’on y parle sans arrêt d’emplâtres vésicatoires, qui étaient faits à base de mouches cantharides. Ceci produisait d’énormes cloches que l’on crevait ensuite avant de remettre une couche de cette poudre, d’où un écoulement d’une abondante sérosité. Pour moi c’est une illustration parfaite de la théorie des quatre humeurs, puisqu’on estimait qu’il avait une mauvaise humeur en lui, qu’il fallait absolument évacuer ».

C’est en 2012 que paraît l’ouvrage biographique remarquable de Véronique Boudon-Millet intitulé «Galien de Pergame, un médecin grec à Rome», aux éditions ‘Les Belles Lettres’». La même année l’université Paris-Descartes ouvre une formation en histoire de la médecine, que l’on pouvait suivre sur ordinateur, avec une conférence par mois, ce qu’a fait Franz Philippart, qui a remis en fin d’année un mémoire consacré aux cantharides, « à la fois comme moyen thérapeutique et toxique », substances en fait utilisées depuis Hippocrate(2) sous forme de pessaires. Et de préciser que si on met le produit sur les muqueuses au lieu de la peau ou qu’on l’avale, c’est la mort assurée par hémorragies digestives et génito-urinaires avec priapisme, comme le rappellent quelques anecdotes rapportées par Ambroise Paré. Le marquis de Sade fut d’ailleurs un de ceux qui séduisirent certaines demoiselles avec ce moyen. Il va de soi que durant cette étude on a régulièrement évoqué le nom de Galien.

L’année suivante Franz Philippart a complété son cursus en histoire de la médecine par un Master organisé par l’Université Paris Descartes (Prs Jean-Noël Fabiani et Patrick Berche) pour lequel il a rédigé un mémoire consacré au médecin liégeois Pierre-Hubert Nysten (1771-1818). Né à Liège, celui-ci rejoignit Paris en 1794 pour y faire ses études de médecine et y exercer celle-ci. Il est surtout connu pour sa rédaction d’un dictionnaire des sciences médicales dont 21 éditions sont parues entre 1806 et 1908 et pour ses expériences sur le galvanisme.

Parmi les sources de son intérêt pour Galien, le Dr Philippart cite encore la remarquable exposition consacrée à celui-ci et mise sur pied en 2018 au musée royal de Mariemont(3) par Annie Verbanck-Pierard, conservatrice de la section Grèce-Rome dudit musée. « Tout cela m’a tellement passionné que j’ai voulu la faire découvrir à d’autres et que j’ai organisé des visites guidées au sein de cette récente et remarquable exposition. C’est mon aventure la plus récente avec Galien ».

Les tribulations de Galien autour de la Méditerranée

Mais pourquoi s’intéresser tellement à Galien en particulier ? « C’est parce qu’il est le premier à avoir rassemblé un corpus de la médecine à cette époque et qu’il a contribué à développer l’expérimentation animale. Il a traité de nombreux aspects de la médecine, dont l’anatomie, la physiologie et la thérapeutique ». Galien, qui avait par ailleurs fait des études de philosophie avant de passer à la médecine et s’était rangé du côté des stoïciens, s’est d’abord préoccupé d’anatomie. Ayant commencé à voyager, il est arrivé à Alexandrie où il a séjourné cinq ans. Il prit connaissance des travaux de dissection du corps humain que purent réaliser Erasistrate et Hérophile avec l’autorisation des Ptolémées au troisième siècle av J-C. Par la suite, pour des motifs religieux, seules les dissections animales étaient tolérées et il fallait alors procéder par analogies. D’Alexandrie il a voyagé dans tout le Proche-Orient, se rendant notamment dans les régions d’où provenaient les produits utilisés en thérapeutique. Revenant à Pergame il a eu une nouvelle opportunité. A l’occasion des fêtes annuelles de l’Empereur romain, on mettait sur pied une journée de combats de gladiateurs. Comme il fallait un médecin pour ceux-ci, à la fois pour leur régime, pour leur entrainement et pour les soigner, ce poste a été proposé à Galien, qui l’a occupé pendant trois ans, ce qui lui a notamment permis de parfaire ses connaissances en chirurgie.

Au lieu de refermer simplement la peau des plaies comme cela se faisait jusqu’alors, il a remis bout à bout les structures équivalentes en-dessous de la peau (muscles, tendons, etc). Quittant Pergame il s’est ensuite rendu à Rome, ce qui était la seule façon pour lui de se faire un nom. Marc-Aurèle, qui était empereur à ce moment, l’a rapidement pris sous son aile. Malgré la bienveillance impériale à son égard, Galien n’a pas voulu accompagner Marc-Aurèle parti défendre ses frontières contre l’invasion des Germains. L’empereur l’a autorisé à rester à Rome, lui demandant de s’occuper de son fils Commode. Ce dernier était de caractère nettement moins conciliant que son père, mais ne voulut jamais s’attaquer à Galien, qui l’avait guéri d’une angine sévère. Galien est retourné à Pergame, où il a terminé sa vie vers 206

Le riche héritage de Galien

Galien a travaillé essentiellement sur la pharmacothérapie. Il a notamment passé en revue tous les médicaments qu’Hippocrate avait préconisés et tenté des expériences sur ses propres patients. Les pharmaciens se revendiquent de lui comme maître et prononcent le serment de Galien au moment de leur promotion.

Le seul produit pharmacologique qui nous reste de lui est le cérat de Galien, à base de cire d’abeille et d’huile d’amandes douces, utilisé en externe pour les plaies. Il a toutefois été à l’origine de ce que l’on appellera plus tard le galénisme, c’est-à-dire une série de préparations diverses dont le plus bel exemple est la thériaque, qui contenait en moyenne quelque 63 produits différents. La pratique du galénisme s’est instaurée suite à la traduction de ses textes de l’arabe en latin aux dixième et onzième siècles par l’école de Salerne. Essentiellement basée sur la polypharmacie, elle a continué de la sorte sans aucune modification jusqu’au dix-huitième siècle

En ce qui concerne ce que nous a légué Galien en matière d’anatomie, on sait, par le compte-rendu de ses dissections, que c’est lui qui a découvert le nerf récurrent, mais son nom n’est attaché qu’à un seul organe, qui est une veine du cerveau au niveau du sinus latéral et que l’on a appelé la grande veine de Galien. Il ne s’est en fait pas contenté des dissections et des constats qui en découlaient, mais il a également réalisé des expériences dans ce domaine. Il a ainsi été le premier à montrer que le trajet de l’urine menait du rein à la vessie. Force est cependant de relever deux erreurs dans les descriptions anatomiques de Galien.

Traitant de la circulation sanguine, il fait état d’une communication directe entre les ventricules droit et gauche, parce que, pensait-il, la membrane les séparant est percée de trous. Cette erreur s’explique par le fait que c’est le cas chez certains animaux sur lesquels il avait réalisé de nombreuses dissections. Il faudra attendre William Harvey, au dix-septième siècle pour rectifier cette erreur, que complètera la découverte du réseau capillaire par Marcello Malpighi.

Galien et ses collaborateurs étaient par ailleurs convaincus qu’il y avait un os dans le cœur, ce qu’ils avaient mis en évidence chez des cerfs et, plus tard, chez un éléphant. On peut supposer qu’il s’agissait de calcifications valvulaires.

Ce qui est surtout important dans l’œuvre de Galien ce sont ses écrits. On lui connaît en effet actuellement 200 volumes, sans oublier de nombreux traités anatomiques et philosophiques, auxquels on devrait en fait ajouter ceux que l’on n’a pas (encore) retrouvés. « Dans ses écrits il y a de tout. Il a d’abord repris les œuvres d’Hippocrate, qu’il a commentées. Il a par ailleurs beaucoup traité du pouls comme moyen de détecter la maladie ». Ces 200 volumes ont été entièrement traduits en latin au début du dix-neuvième siècle par un professeur allemand de physiologie, Karl Gottlob Kühn, qui reste encore aujourd’hui notre source principale. Galien a fait l’acquisition à Rome d’une espèce de casemate qui se trouvait au bas du Capitole dans le Temple de la Paix. Ces locaux garnis d’étagères étaient clôturés par une porte en bois et gardés en permanence. Il y rangeait les cadeaux reçus de ses patients au lieu des honoraires qu’il affirmait n’avoir jamais demandés. Il y mettait également un exemplaire de chacun de ses écrits, après les avoir dictés à des secrétaires, un second exemplaire étant remis au commanditaire dudit volume. On y trouvait également des travaux de certains de ses prédécesseurs, comme Dioscoride, Hippocrate et Théophraste, premier botaniste de ce nom, qu’il avait fait recopier. En 192, un incendie ravagea ce temple ainsi que les bibliothèques voisines et le contenu de la casemate fut perdu à jamais.

Mme Boudon-Millot a récemment traduit en français un livre dont le titre était Il ne faut pas se chagriner et qui était une réponse à un ami qui ne comprenait pas sa réaction stoïque face à la perte du contenu de sa casemate, dont il avait en fait rédigé un inventaire complet. Galien y énumère tous les objets précieux, comme vaisselle, bijoux, modèles d’instruments par lui conçus ainsi que les parchemins de tous les ouvrages écrits de sa main à l’intention d’élèves ou de commanditaires, ou recopiés. Il partit à la recherche du deuxième exemplaire des écrits en question. Il a dû réécrire ceux qu’il n’a pu retrouver. On peut cependant se demander si la nouvelle édition était plus ou moins identique à la première, près de vingt ans s’étant écoulés depuis la rédaction de celle-ci.

Références

  1. Claude Galien, né à Pergame (au nord de Smyrne, en Turquie) en 131 après J-C et mort probablement entre 200 et 206 après J-C)
  2. Hippocrate : 460 - 377 av. J-C
  3. http://www.musee-mariemont.be/index.php?id=16251