Gestion de l’épisode fébrile chez l’adulte splénectomisé : illustration d’un cas clinique et rappel théorique

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Halil Yildiz, Lucie Wartique, Jean-Cyr Yombi Publié dans la revue de : Septembre 2017 Rubrique(s) : Médecine Interne
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Résumé de l'article :

La fièvre chez le patient asplénique ne doit jamais être banalisée. La présentation initiale d’une infection sévère peut être anodine (nausée, vomissement, diarrhée, douleurs musculaires, fièvre et frisson). Si une antibiothérapie n’est pas rapidement administrée, l’évolution peut être fatale en quelques heures. Nous décrivons ici le cas d’une patiente âgée de 77 ans, splénectomisée, qui se présente pour des symptômes peu spécifiques mais avec cependant de la fièvre. Le diagnostic de gastro-entérite a été retenu, l’évolution a été marquée par une infection sévère à Pneumocoque avec défaillance multi-organique. Cet article est l’occasion de faire un rappel sur les modalités de la prise en charge de la fièvre chez le patient asplénique dont les complications sévères peuvent être mortelles.

Mots-clés

Fièvre, splénectomie, antibiothérapie, vaccination, éducation

Que savons-nous à ce propos ?

La fièvre chez tout patient asplénique peut être le signe annonciateur d’une infection sévère. Dans 50 % des cas l’évolution peut être fatale. Les agents infectieux les plus souvent rencontrés sont le Streptocoque Pneumoniae, l’Haemophilus influenzae type B (HiB), le Neisseria meningitidis, le Staphyloccocus aureus et l’Escherichia coli

Que nous apporte cet article ?

Cet article est l’occasion de rappeler les recommandations de bonne conduite à tenir devant un épisode fébrile chez un patient asplénique. Ce cas clinique illustre également très bien que l’évolution de l’infection chez le patient asplenique peut être très rapide et très sévère. Une antibiothérapie doit donc toujours être administrée sans délai (dès les premières heures) même si la présentation clinique initiale n’est pas inquiétante.

Article complet :

INTRODUCTION

La fièvre est un symptôme qui peut être présent dans de nombreuses affections (infection, maladie inflammatoire, cancer et hémopathies, réactions médicamenteuse). Chez le patient splénectomisé, elle doit toujours faire penser à une infection sévère car l’évolution peut être fatale en l’absence d’une prise en charge rapide et adéquate. Nous décrivons le cas d’une patiente splénectomisée qui présente une infection sévère à pneumocoque. La prise en charge clinique initiale a été retardée car la patiente présentait un tableau clinique trompeur évoquant une gastro-entérite banale. L’évolution a été marqué par un choc septique avec une défaillance multi-organique ayant nécessité une prise en charge aux soins intensifs. Nous profitons de cette observation pour rappeler quelques recommandations de bonne pratique sur la prise en charge de l’épisode fébrile chez le patient splénectomisé.

CAS CLINIQUE

Une patiente de 77 ans se présente aux urgences pour fièvre (T 39°C) et frisson d’apparition brutale. Parmi ses antécédents, on retient: un lymphome folliculaire traitée par chimiothérapie et en rémission complète depuis 1998 et une splénectomie secondaire à une pancréatectomie caudale pour suspicion de néoplasie en 2009. Elle vit en Grèce et était en voyage en Belgique pour rendre visite à ses enfants. Brutalement des nausées, des vomissements, des selles molles, de la fièvre à 39°C et plusieurs épisodes de frisson solennel sont apparus. L’examen clinique en salle d’urgence montre une patiente stable sur le plan hémodynamique, des paramètres vitaux corrects hormis une fréquence cardiaque à 108/min et une température à 39°C. La prise de sang ne montre pas de syndrome inflammatoire, la fonction rénale et les enzymes hépatiques sont normaux. Par contre, on note une hyperleucocytose neutrophile à 12 520/µL. Le diagnostic de gastro-entérite est retenu et elle est autorisée à retourner au domicile sans antibiothérapie.

Quelques heures plus tard (6 heures), le SMUR est appelé pour suspicion d’accident vasculaire cérébral (AVC) chez la même patiente. Elle est hypotendue à 81/37 mmhg, tachycarde à 109/min, confuse avec un GCS (glasgow coma scale) à 8/15. Le diagnostic de choc septique est retenu et elle est transférée aux soins intensifs. La biologie montre une insuffisance rénale aiguë, une coagulation intravasculaire disséminée, une thrombopénie et un syndrome inflammatoire majeur. Le tableau 1 reprend les deux résultats biologiques effectués à 6 heures d’intervalle.

Une antibiothérapie empirique par ceftriaxone est instaurée. Les hémocultures étant positives pour du Streptocoque Pneumoniae, l’antibiothérapie sera modifiée pour de la penicilline intra-veineuse (IV). L’évolution aux soins intensifs est marquée par une insuffisance respiratoire aiguë hypoxémiante, une insuffisance rénale aiguë avec oligo-anurie traitée par hémodialyse pendant 5 jours, une encéphalopathie septique sévère et des nécroses digitales au niveau des mains et des pieds (Figures 1 et 2). Elle est par la suite transférée vers le service de médecine interne. L’évolution va essentiellement être marquée par une hématurie majeure avec choc hémorragique et arrêt cardiaque secondaire ayant nécessitée une prise en charge chirurgicale et un second séjour aux soins intensifs. Elle va également présenter un hémopneumothorax, secondaire à la réanimation cardio-pulmonaire, traité par mise en place d’un drain thoracique. Une amputation des orteils et doigts nécrosés sera effectuée. L’évolution sera lentement favorable avec un transfert en revalidation.

DISCUSSION

Cette observation est l’occasion de rappeler la prise en charge de la fièvre chez un patient asplénique.

On distingue trois types différents d’asplénie: l’asplénie chirurgicale, l’asplénie fonctionnelle et l’asplénie congénitale (1). L’asplénie chirurgicale peut être secondaire à un traumatisme ou effectuée dans le cadre d’une maladie hématologique. L’asplénie fonctionnelle se rencontre notamment chez les patients avec une anémie falciforme, une maladie coeliaque sévère, une maladie du greffon contre l’hôte après transplantation de cellule souche hematopoiétique ou un patient infecté par le virus du VIH et non traitée (2). L’asplénie congénitale est beaucoup plus rare et est souvent associée à d’autres anomalies comme les malformations cardiaques congénitales (Syndrome d’Ivermark) (3).

La mortalité secondaire au sepsis est d’environ 50% chez les patients splénectomisés. Le premier agent infectieux étant le Streptocoque pneumoniae. Les autres agents infectieux rencontrés le plus souvent sont : Haemophilus influenzae type B (HiB), Neisseria meningitidis, Staphyloccocus aureus et Escherichia coli. D’autres germes peuvent être rencontrés mais sont beaucoup plus rares (Capnocytophaga canimorsus, Babesia, Bordetella holmesii) (4).

L’infection est souvent brutale et l’évolution fulminante. La présentation clinique peut toutefois être trompeuse et aspécifique. Ainsi certains patients se présenteront avec de la fièvre, des frissons, des nausées, des vomissements et des diarrhées mimant ainsi une gastro-entérite aiguë (ce qui était le cas de notre patiente). Si l’infection sévère n’est pas reconnue, l’évolution est très rapide (en quelques heures) et le patient développera un choc septique et une défaillance multiorganique

Il faut donc prévenir la survenue d’infection sévère en éduquant les patients et les médecins sur la prise en charge, en assurant une vaccination correcte, en instaurant une antibioprophylaxie si nécessaire et en traitant par antibiotique tout épisode fébrile.

L’ÉDUCATION DES PATIENTS

Le patient doit être informé qu’en cas d’épisode fébrile, il doit consulter un médecin dans les plus brefs délais (<2h). Si ce délai ne peut être respecté, il doit avoir un antibiotique à prendre par voie orale à son domicile ou sur lui « pill in the pocket ». Tout médecin doit pouvoir connaître cette stratégie.

VACCINATION ET SPLÉNECTOMIE

Le patient asplénique est très vulnérable aux infections par des germes encapsulés. Il doit dès lors être vacciné contre ces germes. La vaccination peut se faire selon le contexte avant ou après la splénectomie dans le cadre d’une asplénie chirurgicale. Il faut idéalement le faire dans un délai de quinze jours pre ou post splénectomie. Le tableau 2 résume la politique de vaccination.
Pour exemple : pour la prévention des infections à Pneumocoques, l’administration du vaccin Prevenar 13 suivi du Pneumo 23 (8 semaines plus tard) est conseillée. Le risque d’infection sévère à Haemophilus influenzae de type b (Hib) étant faible, la vaccination peut être uniquement proposée au patient n’ayant jamais été vacciné contre l’Hib. Les vaccins contre le méningocoque et l’influenza sont par contre très importants et doivent être administrés 1x/5ans et 1x/an respectivement (5-6).

ANTIBIOPROPHYLAXIE

L’antibioprophylaxie par pénicilline orale (2x/j) est conseillée chez les patients âgée de <5 ans et jusqu’à 2 ans post splénectomie chez les patients âgés de > 5 ans. Il semble en effet que chez ces derniers, l’antibioprophylaxie au long cours ne soit plus justifiée et ne réduise pas de manière significative l’incidence d’infection sévère à Pneumocoque (7).

GESTION DES ÉPISODES FÉBRILES

La règle est simple : tout épisode fébrile doit être considéré comme une infection sévère et donc une antibiothérapie doit être administrée rapidement, c’est-à-dire endéans les 2 heures qui suivent le début des symptômes. Si le patient n’est pas capable de se rendre à un centre médical dans les 2 heures, une antibiothérapie par voie orale doit lui être proposée. Si le patient est capable de se rendre dans un centre médical, une évaluation clinique et biologique doit être réalisée. Si l’examen clinique et/ou la biologie sont inquiétants, il est préférable d’hospitaliser le patient et d’administrer une antibiothérapie par voie I.V. Dans le cas contraire, et si le patient est capable de revenir à l’hôpital en cas de dégradation de l’état clinique, il pourra alors être autorisé à retourner au domicile après avoir eu une antibiothérapie par voie I.V. ou intra-musculaire (IM) avec un suivi précoce en consultation (8). Le tableau 3 illustre le modèle de prise charge qui nous semble le plus raisonnable. La ceftriaxone en I.V ou I.M. est le maitre choix étant donné son activité contre les germes suivants : Streptocoques pneumoniae, Haemophilus influenzae type B (HiB), Neisseria meningitidis, Staphyloccocus aureus oxa S et d’autres bacilles gram négatif incluant le Capnocytophaga canimorsus1 (9).

CONCLUSION

La fièvre chez le patient splénectomisé ne doit jamais être banalisée et une antibiothérapie doit être rapidement administrée. Cette observation nous démontre très bien l’importance de l’éducation des patients et du corps médical sur les modalités de la prise en charge de la fièvre chez le patient asplénique. Les complications peuvent en effet être gravissimes et mortelles.

Affiliations

Service de médecine interne et pathologies infectieuses, cliniques universitaires Saint-Luc, B- 1200, Bruxelles

Correspondance

Dr. Halil Yildiz
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Médecine Interne
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
halil.yildiz@uclouvain.be

Références

  1. Katz SC, Pachter HL. Indications for splenectomy. Am Surg 2006; 72:565-80.
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  2. Lutwick LI. Infections in asplenic patients. In: Mandell GL, Bennett JE, Dolin R, eds. Mandell, Douglas, and Bennett’s principles and practice of infectious diseases. 7th ed. Philadelphia: Churchill Livingstone Elsevier, 2010:3865-73.
  3. Di Sabatino A, Carsetti R, Corazza GR. Post-splenectomy and hyposplenic states. Lancet 2011; 378:86-97.
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  4. Ellison AM, Ota KV, McGowan KL, Smith-Whitley K. Epidemiology of bloodstream infections in children with sickle cell disease. Pediatr Infect Dis J 2013; 32: 560-3.
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  5. Nuorti JP1, Whitney CG; Centers for Disease Control and Prevention (CDC).Prevention of pneumococcal disease among infants and children — use of 13-valent pneumococcal conjugate vaccine and 23-valent pneumococcal polysaccharide vaccine — recommendations of the Advisory Committee on Immunization Practices (ACIP). MMWR Recomm Rep 2010; 59 (RR-11):1-18.
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  6. Centers for Disease Control and Prevention (CDC).Use of 13-valent pneumococcal conjugate vaccine and 23-valent pneumococcal polysaccharide vaccine for adults with immunocompromising conditions: recommendations of the Advisory Committee on Immunization Practices (ACIP). MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2012; 61:816-9.
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  7. Pickering LK, Baker CJ, Kimberlin DW, Long SS. Red book: 2012 report of the Committee on Infectious Diseases. 29th ed. Elk Grove Village, IL: Am Acad Pediatr 2012; 88-90, 581-2.
  8. Lorry G. Rubin, William Schaffner. Care of the asplenic patient. N Engl J Med 2014; 371 : 349-56.
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  9. Rubin LG. Capnocytophaga species. In: Long SS, Pickering LK, Prober CG, eds. Principles and practice of pediatric infectious diseases. 4th ed. Edinburgh: Elsevier Saunders, 2012:880-1.