Introduction
Le virus de l’hépatite E (VHE) est la cause d’hépatite virale la plus fréquente dans le monde, touchant principalement des pays endémiques à faible niveau d’hygiène. L’organisation mondiale de la santé (OMS) estime chaque année un taux de 20 millions de nouveaux cas d’infections, responsables de plus de 50 000 décès à travers le monde (1). En Europe depuis une dizaine d’années, nous observons une augmentation de cas rapportés d’hépatites virales. En effet, selon une étude publiée par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), 5 617 nouveaux cas étaient confirmés en 2015 comparativement à seulement 514 en 2005, donc une multiplication par 10 en seulement 10 ans (Des chiffres plus récents apparaissant encore dans l’ECDC) (2).
Le VHE est un virus à ARN simple brin, non-enveloppé appartenant à la famille des Hepeviridae, découvert pour la première fois en 1983 (3). Quatre génotypes peuvent infecter l’homme. Les génotypes 1 et 2 infectent uniquement l’homme, tandis que les génotypes 3 et 4 étant des zoonoses, peuvent infecter l’homme et d’autres mammifères. Dans les pays en voie de développement aux faibles mesures d’hygiènes et ressources limitées la transmission féco-orale de l’hépatite prédomine largement avec le génotype 1 et 2. Cependant, l’infection par le VHE dont la distribution est mondiale et, dont on a longtemps cru la prévalence uniquement dans les pays endémiques (Afrique, Asie, Amérique centrale) peut également être responsable d’infection aiguë et/ou chronique dans les pays industrialisés. En effet, depuis plusieurs dizaines d’années, nous observons une recrudescence de cas rapportés d’infection au VHE dans nos pays industrialisés par ingestion de viande animale crue ou insuffisamment cuite (viandes de porcs, sangliers et cerfs) (2). En effet, il s’agit du génotype 3 de l’hépatite E dont la distribution est mondiale, le plus souvent impliqué dans les hépatites de nos pays occidentaux. Le VHE de génotype 4 touche essentiellement les régions d’Asie du Sud-Est, mais des contaminations de viandes porcines ont également été recensées en Europe (4). L’infection humaine par le VHE est dans la majorité de cas asymptomatique . Néanmoins, une infection aigue par le VHE peut être associée à une atteinte hépatique bénigne dont l’évolution est dans la majorité de cas spontanément résolutive. Des évolutions chroniques avec une virémie persistante (>3 mois) peuvent rarement mener à une cirrhose hépatique secondaire, principalement décrite chez le patient immunodéprimé (5). L’infection par le VHE peut également être associée à des manifestations extra-hépatiques incluant des manifestations neurologiques, des atteintes rénales, des perturbations hématologiques, ou des atteintes auto-immunes.
Nous rapportons le cas d’un patient ayant présenté une hépatite virale E compliquée dans son évolution par un syndrome de Guillain-Barré et une myosite. Au vu de l’évolution péjorative de ces complications extra-hépatiques, un traitement par Immunoglobuline et Ribavirine est débuté, avec par la suite une excellente réponse clinique et biologique.
Vignette clinique
Patient de 76 ans, admis dans notre service de médecine interne via les Urgences, où il s’est présenté pour ictère, troubles digestifs, et urines foncées malodorantes.
Le patient décrit une perte d’appétit avec dégoût alimentaire, associée à des nausées et plusieurs épisodes de vomissements depuis deux semaines. Il rapporte également plusieurs épisodes subfébriles avec depuis deux jours, une faiblesse bilatérale des membres inférieurs et dans une moindre mesure des membres supérieurs, associée à des douleurs musculaires crampiformes diffuses. Dans ses antécédents on note un triple pontage coronarien en 2003 (sous antiagrégant), une hypertension artérielle essentielle de stade 1 traitée (béta-bloquant et IEC), un diabète de type 2 non insulino-résistant sous anti-diabétiques oraux (biguanide, sulfamidés et gliptine), une hypercholestérolémie avec un score à très haut risque traitée (statines et ezetimibe) et une insuffisance rénale chronique au stade G3a. Le patient ne présente pas d’antécédents personnels ni familiaux de myopathies et d’hépatopathies chroniques. Pas de modification du traitement chronique récemment. Quant aux assuétudes, nous notons une consommation éthylique occasionnelle (1 à 2 verres de vin/semaine), sans notion de tabagisme actif. La source d’infection par le VHE n’est pas clairement identifiée, notons néanmoins comme facteur de risque d’hépatite virale une consommation occasionnelle de viande crue (bœuf).
À son arrivée dans notre service, les paramètres hémodynamiques sont sans aucune particularité. À l’examen clinique nous notons un ictère cutanéo-muqueux et une déshydratation avec un pli cutané paresseux. Le reste de l’examen dont l’examen neurologique n’est pas pathologique à l’admission. Les examens complémentaires par biologie mettent en évidence des tests hépatiques perturbés avec alanine aminotransférase à 1 084 U/L (<45 U/L), aspartate aminotransférase à 1 680 U/L (<40 U/L), bilirubine totale à 14,46 mg/dL (0.20-1.20 mg/dL), bilirubine indirecte à 12,6 mg/dL (0.1-1.0 mg/dL), gamma-glutamyltranspeptidase à 353 U/L (8-61 U/L), phosphatases alcalines à 421 U/L (40-130 U/L), lipases à 261 U/L (13-60 U/L), créatinine kinase 210 U/L (39-308 U/L), créatinine à 2,4 mg/dL (<1.2 mg/dL), INR 1.1 (08-1.2), TCA à 36,8 (20-29.0 sec.). Devant les perturbations biologiques, une échographie abdominale est réalisée et ne permet pas de mettre en évidence d’obstacle des voies biliaires ni de lésion hépatique focale hormis une stéato-fibrose au sens large. Devant ces modifications biologiques et ce tableau clinique, plusieurs hypothèses diagnostiques sont alors envisagées, dont l’hépatite alcoolique aiguë, les hépatites auto-immunes (anticorps anti-noyaux, anti-muscle lisse et anti-LKM1 négatifs), la cirrhose biliaire primitive (anticorps anti-mitochondrie de type M2 négatifs), et les hépatites virales de type A, B et C (Ac IgM Hépatite A négatifs, Ac anti-hépatite C négatifs, Ag Hbs et Age négatifs pour l’hépatite B). Néanmoins, très rapidement l’étude sérologique permet de confirmer une autre cause d’hépatite virale, via la séroconversion IgM positive en faveur d’une hépatite E, confirmée par la suite par la PCR HEV-RNA positive. Dès son admission, le patient est mis sous perfusion intraveineuse en vue d’une réhydratation, avec arrêt et éviction de tout traitement hépatotoxique (arrêt des hypolipémiants et des anti-diabétiques oraux). Cependant au onzième jour d’hospitalisation, l’évolution clinique est marquée par une difficulté nouvelle à la marche avec majoration de la faiblesse musculaire localisée aux membres inférieurs et, réapparition de douleurs et crampes musculaires localisées principalement aux mollets. À l’examen neurologique, nous mettons en évidence une parésie proximale bilatérale principalement des membres inférieurs rapidement évolutive avec diminution puis abolition des réflexes ostéo-tendineux des membres inférieurs dans les 24 heures.
Parallèlement, nous mettons en évidence à la biologie une rhabdomyolyse avec élévation aiguë des CPK à 3 014 U/L (CPK à 210 U/L à l’admission), associée à une accutisation de la fonction rénale avec créatinine à 1,5 mg/dL (créatinine habituelle à 1,2 mg/dL). Dans ce contexte, après discussion avec nos confrères neurologues et gastro-entérologues, une ponction lombaire est rapidement réalisée mettant en évidence une protéinorachie à 0,53 g/L (valeurs normales à 0,1-0,45 g/L), une cytologie négative et une culture restant stérile. Une EMG est également réalisée et plaide en faveur d’une poly-radiculoneuropathie subaiguë démyélinisante des quatre membres (Figures 1,2) En complément, le patient a bénéficié d’une IRM des membres inférieurs mettant en évidence une trophicité musculaire satisfaisante en absence d’atrophie et d’involution graisseuse (Figures 3,4). Néanmoins, mise en évidence d’un hypersignal diffus bilatéralement des muscles adducteurs faisant évoquer une myosite au sens large.
Au vu de ces examens complémentaires nous confirmons le diagnostic d’une hépatite virale E associée à un syndrome de Guillain-Barré et d’une myosite. Vue l’évolution péjorative et rapidement défavorable des complications extra-hépatiques, un traitement par bi-thérapie est débuté en combinant les Immunoglobulines (Privigen 0,4 g/kg pendant 5 jours) en association au traitement antiviral par Ribavirine (200 mg 2x/J).
Par la suite, le patient présente une évolution favorable avec amélioration clinique et biologique. Nous constatons après traitement bien conduit, une négativation des CPK, endéans les sept jours après traitement (J7) et normalisation des enzymes hépatiques après six semaines (Figure 5). Nous mettons en évidence une récupération plus lente mais progressive, des fonctions motrices. Le traitement par Ribavirine a été arrêté après un mois et demi de traitement, suite à la négativation de la PCR HEV.
Discussion
La majorité des cas décrits d’infection (>95%) par le VHE chez l’homme immunocompétent restent asymptomatiques. Le virus peut cependant provoquer des lésions hépatiques réversibles, responsables d’une hépatite aiguë généralement auto-limitante. De plus, l’infection aiguë et/ou chronique par le VHE peut être responsable de plusieurs manifestations extra-hépatiques (6). En effet, l’atteinte neurologique dont la fréquence varie de 5 à 22 % selon les études et la zone géographique, semble être la plus fréquente avec différentes manifestations cliniques (Syndrome de Guillain-Barré, Syndrome de Personage-Turner, paralysie de Bell, myalgie, myosites, etc.) (7-9). D’autres organes et systèmes peuvent être atteints dont le système hématologique (thrombocytopénie, anémie hémolytique, etc.), les reins (glomérulonéphrite membrano-proliférative, cryoglobulinémie, néphropathie à dépôt d’IgA, etc), ou des atteintes auto-immunes (myocardite, myosite, thyroïdite, etc.) (10).
Le syndrome de Guillain-Barré dans le décours d’une infection récente au VHE est une des manifestations neurologiques la plus fréquemment décrite dans la littérature scientifique. Il s’agit typiquement d’hommes (57.7 %) d’âge moyen (47 ans), qui dans le décours d’une infection aiguë par le VHE développent un syndrome de Guillain-Barré dans un délai de 12 jours (11). De plus, plusieurs études cas témoins démontrent que de 5 à 11 % des patients atteints du syndrome de Guillain-Barré ont une sérologie IgM VHE et/ou PCR-ARN positive pour le virus de l’hépatite E (12). Le premier cas du syndrome de Guillain-Barré associé à une infection par le VHE a été décrit en 2000 par Sood A. et al. et depuis, plusieurs nouveaux cases reports ont été rédigés sur le sujet (13). Le(s) mécanisme(s) physiopathologique(s) par lesquels le virus de l’hépatite E provoque les lésions et manifestations extra-hépatiques décrites ci-dessous ne sont pas à ce jour bien connus. Il pourrait s’agir de lésions directes dues à la réplication virale au sein du système nerveux et d’autre de lésions indirectes, par atteinte immune des systèmes extra-hépatiques impliqués. Un argument en faveur d’une atteinte directe du SNC par le VHE est l’isolement de l’ARN-HEV dans le LCR chez certains patients atteints d’un Syndrome de Guillain-Barré associé à une hépatite E. L’autre hypothèse est une atteinte des différents systèmes par réaction croisée via le mimétisme moléculaire, déjà confirmée pour le syndrome de Guillain-Barré associé au Campylobacter Jejuni. La mise en évidence d’anticorps anti-gangliosides sériques spécifiquement dirigés contre la myéline et les axones lors d’un syndrome de Guillain-Barré associé à une infection par le VHE peut-être un argument en faveur de cette atteinte indirecte (14). Dans le cas de notre patient, nous n’avons malheureusement pas réalisé de dosage d’anticorps anti-gangliosides.
À l’inverse du syndrome de Guillain-Barré, seulement deux case reports décrivent une myosite compliquée d’une rhabdomyolyse, associée à l’infection par le VHE dont les mécanismes physiopathologiques restent encore à ce jour non élucidés (15,16). Ainsi, devant une rhabdomyolyse et une myopathie d’installation aigue, les causes toxiques doivent être écartées en première intention. Pour mémoire, dans le cas de notre patient les traitements hépatotoxiques ont été arrêté dès son admission. Dans les causes de myopathies acquises non auto-immunes à exclure, nous retenons les causes médicamenteuses (statines, fibrates, corticoïdes…), toxiques (drogues, alcool), infectieuses (virales, bactériennes, parasitaires) ou secondaire à des endocrinopathies, maladies granulomateuses ou para-néoplasiques.
Dans la majorité des cas, l’infection par le VHE est asymptomatique. En cas d’hépatite aiguë symptomatique, celle-ci est typiquement bénigne et auto-limitante, avec résolution spontanément favorable, et ne demande aucun traitement spécifique. Notre patient a bénéficié d’emblée d’une bithérapie par Immunoglobulines IV et Ribavirine en raison de l’association de deux complications extra-hépatiques, potentiellement sévères responsables d’une dégradation rapide de son état général. En effet, selon certaines études le traitement antiviral par Ribavirine, permettrait de diminuer la charge virale et favoriserait la récupération neurologique et musculaire (15,17). Les données scientifiques sont encore peu disponibles sur le bénéfice et l’efficacité du traitement par monothérapie antivirale versus bithérapie (Ribavirine et Immunothérapie). Plusieurs études sont à ce jour en cours, et devraient nous apporter plus de précision dans les années à venir (14).
L’évolution d’une hépatite E aiguë est dans la majorité de cas bénigne et de résolution spontanée. Une immunodépression ou une maladie hépatique sous-jacente parfois méconnue, pourrait expliquer l’évolution sévère ou mortelle de certains patients. Le cas de notre patient nous incite à le présenter au vu de son évolution atypique, compliquée de deux manifestations extra-hépatiques subaiguës, potentiellement mortelles ayant nécessité une prise en charge particulière et un traitement spécifique chez un patient non immunodéprimé.
Recommandations pratiques
L’infection par le VHE peut se compliquer de manifestations extra-hépatiques dont les plus fréquentes sont les manifestations neurologiques. Vu l’évolution potentiellement sévère de l’infection et l’existence des traitements spécifiques, le diagnostic d’une infection par le VHE ne doit pas être retardé. En conclusion, une vigilance particulière est requise chez tout patient présentant des symptômes neurologiques, en présence d’une touche hépatique parfois modérée et la recherche d’une infection virale concomitante par le VHE ne doit pas être différée.
Affiliations
(a) Unité de Médecine Interne Générale, Centre Hospitalier Nivelles, Groupe Jolimont
(b) Service d’Hépato-Gastroentérologie, Centre Hospitalier Jolimont-Nivelles-Tubize-Lobbes, Groupe Jolimont
(c) Service de Neurologie, Tubize-Nivelles, Groupe Jolimont
(d) Service de Médecine Interne Générale, Tubize-Nivelles, Groupe Jolimont
Correspondance
Dr. Ewelina Uscilowska
Centre Hospitalier Nivelles, Groupe Jolimont
Unité de Médecine Interne Générale
Rue Samiette 1, B-1400 Nivelles
Références
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- https://ecdc.europa.eu/en/publications-data/hepatitis-e-eueea-2005-2015
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