Les tests non-invasifs pour la stratification des maladies chroniques du foie en dehors de la consultation d’hépatologie
Bénédicte Delire
L’apparition d’une fibrose hépatique représente un tournant dans l’évolution des maladies hépatiques chroniques, peu importe l’étiologie. En effet, sa présence et sa sévérité sont directement corrélées au pronostic du patient. En particulier, l’identification des patients souffrant d’une fibrose hépatique avancée voire d’une cirrhose est cruciale pour reconnaître ceux à risque de décompensation hépatique, d’hépatocarcinome et de mortalité liée au foie, ainsi que permettre leur traitement. Aujourd’hui encore, la biopsie hépatique reste la technique de référence pour l’évaluation de la fibrose hépatique. Néanmoins, son caractère invasif et son coût ont conduit au développement d’outils non invasifs pour l’évaluation de la fibrose hépatique. Actuellement, nous disposons de tests non invasifs biologiques par la mesure de biomarqueurs sériques (APRI, FIB-4, Fibrotest®,…) et de méthodes évaluant les propriétés physiques du tissu hépatique. Ceux-ci doivent être utilisés chez des patients présentant des facteurs de risque pour le développement d’une fibrose hépatique. Parmi les tests biologiques, le FIB-4 se calcule facilement grâce à l’âge du patient, le taux de plaquettes et des transaminases. Il est gratuit et facilement accessible sur internet (www.mdcalc.com) mais ne peut être utilisé en cas d’hépatite aiguë (résultats faussement positifs dû à l’élévation des transaminases). Par ailleurs, l’élastométrie impulsionnelle (Fibroscan®) est la technique la plus largement validée et disponible pour l’évaluation de l’élasticité hépatique.
En 2021, l’association européenne pour l’étude du foie (EASL) a publié de nouvelles recommandations pour un bon usage des tests non invasifs de fibrose hépatique (1). L’emploi des tests non invasifs pour le dépistage de la fibrose hépatique en dehors de la consultation d’hépatologie chez les patients à risque (syndrome métabolique/diabète de type 2 et/ou consommation d’alcool excessive) y est notamment discuté et un algorithme de prise en charge est proposé (1).
En médecine de première ligne et donc dans une population où la prévalence de la fibrose hépatique est faible, l’usage des tests non invasifs est davantage indiqué pour exclure une fibrose hépatique avancée que pour la confirmer et la combinaison de deux ou plusieurs tests permet d’augmenter le taux de détection mais aussi de limiter les résultats faussement positifs et donc un référencement inutile vers la consultation spécialisée. Ainsi, le recours au FIB-4 dans une population à risque, comme les patients présentant des facteurs de risque pour une maladie hépatique stéatosique d’origine métabolique (Metabolic dysfunction-Associated Fatty Liver Disease - MAFLD) (2) ou en cas de consommation éthylique excessive, permet avec un cut-of de 1.3 de distinguer les patients à faible risque de fibrose hépatique avancée (FIB-4 < 1.3) des patients à risque intermédiaire ou élevé (FIB-4 ≥ 1.3). Chez ces derniers, le recours à l’élastométrie impulsionnelle permettra de confirmer ce risque intermédiaire à élevé lorsque l’élasticité hépatique sera évaluée ≥ 8 kPa et donc d’orienter le patient en consultation spécialisée d’hépatologie (Figure 1).
Références
- Berzigotti A, Tsochatzis E, Boursier J, et al. EASL Clinical Practice Guidelines on non-invasive tests for evaluation of liver disease severity and prognosis – 2021 update. J Hepatol 2021;75(3):659-89.
- Lanthier N, Borbath I, Dahlqvist G, Delire B, Dewit O. Stéatose métabolique, carcinome hépatocellulaire, prurit cholestatique, encéphalopathie et maladies inflammatoires intestinales : quelles nouveautés en 2020 ? Louv Med 2021;140(02):108-15.
Adaptation du remboursement des traitements de l'hépatite B en Belgique
Géraldine Dahlqvist
L’hépatite virale B reste un problème mondial de santé publique. On estime à 257 millions les personnes vivant avec une infection chronique par le virus de l’hépatite B (HBV) (1). En 2015, l’OMS estimait à 887000 le nombre de décès liés à l’HBV dans le monde.
Tous les porteurs de l’HBV en chronique ne sont pas éligibles à un traitement. En effet, il n’existe à l’heure actuelle pas de traitement permettant une élimination complète et définitive du virus. Les antiviraux permettent de bloquer la réplication virale, de prévenir l’apparition de fibrose hépatique et donc l’évolution vers la cirrhose, de réduire le risque de développer des carcinomes hépatocellulaires (CHC) et indirectement de limiter les décès liés au virus (2).
En Belgique, nous avons à notre disposition des analogues de nucléoside (lamivudine et entecavir) et des analogues de nucléotide (adefovir, tenofovir disoproxil fumarate et tenofovir alafénamide). Les modifications des critères de remboursement en 2021 concernent uniquement l’entecavir (Baraclude) et le tenofovir disoproxil fumarate (Viread) sur base des données récentes de la littérature.
Les dernières guidelines de l’EASL sur la prise en charge de l’hépatite B rappellent comment classer les infections par l’HBV, définies par la présence d’un antigène HBs (Ag HBs), en fonction de la présence ou l’absence d’antigène HBe, en fonction de la charge virale et du taux de transaminases. Dans cette classification, on distingue des patients avec une hépatite chronique B marquée essentiellement par une élévation des alanines aminotransférases (ALT) et une charge virale > 2000/mL en opposition à ceux avec une infection chronique B avec un taux d’ALT normal. Un traitement est indiqué et remboursé pour les patients ayant une hépatite chronique B. Il n’est plus nécessaire d’avoir recours à la biopsie hépatique pour obtenir le remboursement.
Par ailleurs, les données de la littérature montrent clairement une diminution du risque de développer un HCC ou une décompensation hépatique en traitant les patient porteur d’un Ag HBs ayant développé une cirrhose, il est maintenant également possible d’obtenir un remboursement pour ces patients en Belgique.
Une autre catégorie de patientes à traiter sont les femmes enceintes ayant une infection chronique par l’HBV. Le risque de transmission materno-fœtale durant la période péri-partum est réel et peut être réduit en traitant la maman et en donnant à l’enfant une séro-vaccination à la naissance (3). Un traitement par tenofovir disoproxil fumarate à partir de la 24e de gestation si la charge virale est > 200000 copies/mL est maintenant remboursé en Belgique.
La dernière catégorie à prendre en compte sont les patients ayant une infection chronique B qui reçoivent ou vont recevoir un traitement par immunosuppresseurs en raison d’une transplantation d’organes solides ou de cellules souches hématopoïétiques, ces patients peuvent être traités quels que soient leur charge virale et leur taux de transaminases afin de prévenir l’apparition d’une hépatite qui pourrait être sévère (4).
Dans le cadre de la transplantation hépatique, il faut également considérer les patients qui reçoivent un greffon d’un donneur porteur d’un anticorps HBc (Ac HBc), c’est-à-dire un donneur ayant guéri de l’hépatite B. Il existe chez ces patients un risque élevé de réactivation virale B suite à la prise de traitements immunosuppresseurs, un traitement prophylactique par lamivudine à vie est dès lors indiqué et est remboursé en Belgique.
Les nouveaux critères de remboursement oublient néanmoins une catégorie de patients, il s’agit des patients porteurs d’un Ac HBc, ne présentant pas d’infection chronique (absence d’Ag HBs) et qui reçoivent un traitement immunosuppresseur. En fonction du type de traitement immunosuppresseur, une surveillance ou un traitement prophylactique est indiqué. La prise en charge doit dès lors être discutée en consultation spécialisée.
Références
- Tan M, Bhadoria AS, Cui F, et al. Estimating the proportion of people with chronic hepatitis B virus infection eligible for hepatitis B antiviral treatment worldwide: a systematic review and meta-analysis. lancet Gastroenterol Hepatol 2021;6(2):106-19.
- Sachar Y, Brahmania M, Dhanasekaran R, Congly SE. Screening for Hepatocellular Carcinoma in Patients with Hepatitis B. Viruses 2021;13(7).
- Funk AL, Lu Y, Yoshida K, et al. Efficacy and safety of antiviral prophylaxis during pregnancy to prevent mother-to-child transmission of hepatitis B virus: a systematic review and meta-analysis. Lancet Infect Dis 2021;21(1):70-84.
- Manini MA, Bruce M, Whitehouse G, et al. A Very Short Course of HBIg+NA Followed by Entecavir or Tenofovir Monotherapy Prevents HBV Recurrence in Low-Risk Liver Transplant Recipients. Transplant Proc 2021;53(1):207-14.
De nouveaux conseils alimentaires à proposer en cas de maladie stéatosique du foie liée à une dysfonction métabolique
Nicolas Lanthier
La maladie stéatosique du foie liée à une dysfonction métabolique (MAFLD) peut mener à des complications hépatiques et extra-hépatiques (1). Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun traitement médicamenteux reconnu dans cette indication même si la recherche progresse, principalement pour les formes sévères (NASH- stéatohépatite non-alcoolique compliquée de fibrose) (1). L’alimentation joue cependant un rôle central et la restriction calorique permet de réduire le degré de stéatose mais aussi le degré d’inflammation et de fibrose hépatiques en cas de perte de poids associée (Tableau 1) (2).
Certains régimes alimentaires sont désormais populaires, comme le jeûne intermittent ou le régime pauvre en glucides et riche en lipides ou cétogène (2). Ces régimes ont été testés chez des patients MAFLD pendant 12 semaines dans une élégante étude randomisée publiée en 2021 et mettant en évidence des résultats significatifs (3). Une période de deux jours de jeûne par semaine (< 500 à 600 Kcal) ou un régime cétogène permettent en effet une importante réduction à la fois de la stéatose hépatique évaluée par résonance magnétique et du poids par rapport au régime standard. D’autres avantages sont également notés (Tableau). Bien que ces types de régime peuvent comporter des inconvénients par rapport au régime méditerranéen (le plus étudié y compris pour les bénéfices à long terme et cardio-métaboliques), ces modes alimentaires proposent une alternative à la restriction classique dont la compliance peut poser problème (2).
Il faut aussi noter qu’une modification de l’alimentation (notamment en réduisant la consommation de fructose, mais aussi d’aliments transformés,…) peut également avoir un impact favorable sur le foie (réduction des transaminases et de la stéatose), sans entraîner spécialement de perte de poids (2,4).
Enfin, les recommandations « hygiéno-diététiques » proposées aux patients comprennent souvent une activité physique, en plus des changements alimentaires (2). Connaissant l’association entre la sévérité de la maladie hépatique et la surcharge en graisse musculaire décrite également en 2021 chez les patients MAFLD (5), le bénéfice spécifique de l’activité physique reste à évaluer.
Références
- Lanthier N, Borbath I, Dahlqvist G, Delire B, Dewit O. Stéatose métabolique, carcinome hépatocellulaire, prurit cholestatique, encéphalopathie et maladies inflammatoires intestinales : quelles nouveautés en 2020 ? Louv Med. 2021;140(02):108-15.
- André-Dumont SI, Lanthier N. Quelle alimentation proposer aux patients présentant une stéatohépatite non-alcoolique ? Nutr Clin Métabolisme. 2022.
- Holmer M, Lindqvist C, Petersson S, et al. Treatment of NAFLD with intermittent calorie restriction or low-carb high-fat diet – a randomised controlled trial. JHEP Reports. 2021;3(3):100256.
- Salavrakos M, de Timary P, Ruiz-Moreno A, Thissen J-P, Lanthier N. Fructoholism in adults: the importance of personnalized care in metabolic dysfunction-associated fatty liver disease. JHEP Reports. 2021;4(1):100396.
- Lanthier N, Rodriguez J, Nachit M, et al. Microbiota analysis and transient elastography reveal new extra-hepatic components of liver steatosis and fibrosis in obese patients. Sci Rep. 2021;11(1).
L’entéroscopie spiralée motorisée: une nouvelle technique disponible aux Cliniques universitaires Saint-Luc
Tom Moreels
L’endoscopie de l’intestin grêle est difficile pour plusieurs raisons. Ce segment se trouve « au milieu » du tube digestif entre l’estomac et le côlon. De plus, il mesure plusieurs mètres, est très tortueux et mobile dans la cavité abdominale. Son accès endoscopique (par entéroscopie) reste donc toujours un défi malgré les nouveautés sur le terrain technique. Cependant, le développement de nouveaux entéroscopes et leur perfectionnement continuel permettent désormais d’atteindre les structures digestives qui se situent hors de l’endoscopie conventionnelle.
La dernière nouveauté dans le domaine de l’entéroscopie est l’entéroscope spiralé motorisé qui permet d’aller plus rapidement et plus loin dans l’intestin grêle. Cet entéroscope est muni d’un surtube (en anglais « overtube ») spiralé motorisé qui le propulse dans l’intestin grêle avec une vitesse continue et une meilleure efficacité permettant de réaliser une entéroscopie complète en une seule séance (Figure 2).
Il est donc attendu que ce nouvel entéroscope améliore notre pratique endoscopique. Afin d’évaluer et de positionner cette technique dans le domaine de l’endoscopie, notre service a participé à l’étude multicentrique européenne SAMISEN qui sera bientôt publiée dans une revue médicale. Il est donc clair que la technique de l’entéroscopie spiralée motorisée est prometteuse et qu’elle permettra d’améliorer notre prise en charge dans de multiples indications (Tableau 2) (1).
Référence
Moreels TG, Monino L. Motorized spiral enteroscopy: To infinity and beyond? Acta Gastroenterol. Belg. 2021;84(3):520-1.
Les recommandations belges dans la prise en charge de la maladie hémorroïdaire
Marie Armelle Denis
La pathologie hémorroïdaire, qui résulte de la congestion et de la procidence des plexus hémorroïdaires, est la plus fréquente des affections proctologiques et endosse trop souvent - et à tort - la responsabilité de tous les maux de cette région. Elle reste mal connue non seulement des patients mais également de nombreux médecins, et traîne avec elle son lot d’erreurs diagnostiques et d’errances thérapeutiques. Par ailleurs, des preuves scientifiques solides manquent fréquemment pour étayer le choix des options thérapeutiques tant médicamenteuses qu’instrumentales ou chirurgicales.
Dès lors, un groupe de proctologues experts belges s’est réuni pour mettre sur pied un consensus de prise en charge de la maladie hémorroïdaire, en se basant sur une revue systématique de la littérature complétée d’un vote (méthode Delphi). Le texte a été publié début 2021 dans notre journal belge de gastro-entérologie « Acta Gastro-Enterologica Belgica » (1).
Après un rappel anatomo-physiologique, l’article détaille les recommandations établies pour l’évaluation clinique de la pathologie hémorroïdaire et pour sa prise en charge thérapeutique aussi bien médicale qu’instrumentale ou chirurgicale, selon le degré de prolapsus des coussinets hémorroïdaires.
Il ressort notamment de ce consensus l’absence de preuve d’efficacité des mesures hygiéno-diététiques, hormis la supplémentation en fibres. En ce qui concerne les options thérapeutiques médicamenteuses, il n’y a pas de preuve scientifique pour appuyer l’utilisation des traitements topiques quels qu’ils soient. La seule efficacité prouvée est celle des veinotropes en cure courte pour réduire les saignements hémorroïdaires, sans que leur effet soit démontré en prévention, ni dans le traitement de la thrombose hémorroïdaire (Figure 3).
Concernant les traitements instrumentaux, la coagulation infrarouge est indiquée pour la maladie hémorroïdaire de grade 1 à 2, et les ligatures élastiques pour les grades 2 à 3 (Figure 3). Les injections sclérosantes ne sont plus recommandées en raison de leurs potentiels effets secondaires sévères et de leur efficacité moindre en comparaison des autres options instrumentales.
Les nouvelles techniques (radiofréquence, laser, embolisation) sont abordées mais le manque de recul et de résultats à grande échelle empêche actuellement l’établissement de recommandations les concernant.
La chirurgie est indiquée pour la maladie hémorroïdaire de grade 3 à 4 ainsi que pour les grades 2 et 3 après échec du traitement instrumental, de même en cas de complication aiguë, ou d’anémie sur saignement hémorroïdaire (quel que soit le grade) (Figure 3). Les techniques « mini-invasives » d’hémorroïdopexie, si elles permettent un rétablissement plus rapide du patient, l’exposent à plus de risque de récidive.
Enfin, les traitements de la pathologie hémorroïdaire dans les situations particulières que sont la grossesse, les MICI, la radiothérapie, l’infection HIV, les traitements anticoagulants et anti-agrégants, l’immunosuppression et la cirrhose, sont également discutés. L’ensemble du document est disponible en ligne en open-access sur le site de la revue belge de gastro-entérologie (www.ageb.be), n’hésitez donc pas à le consulter.
Référence
De Schepper H, Coremans G, Denis MA, et al. Belgian consensus guideline on the management of hemorrhoidal disease. Acta Gastroenterol Belg. 2021;84(1):101-20.
Affiliations
Service d’Hépato-Gastro-Entérologie, Département de Médecine interne, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCLouvain, Bruxelles, Belgique.
Correspondance
Pr. Nicolas Lanthier, MD, PhD
UCLouvain
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Hépato-Gastro-Entérologie
Avenue Hippocrate, 10 B-1200 Bruxelles Belgique
nicolas.lanthier@saintluc.uclouvain.be