L’utilisation de l’immunothérapie pour vaincre le cancer n’est plus une utopie. L’idée d’utiliser le système immunitaire des patients est apparue dès le milieu du 19ème siècle quand le Pr Virchow a constaté que les tumeurs étaient infiltrées par des lymphocytes. Les Docteurs Jenner et Coley ont alors injecté dans des tumeurs cutanées des extraits de bactéries à la vertu pro-inflammatoire afin de stimuler l’immunité des patients. L’immunothérapie intra-lésionnelle était née. Mais son utilisation exclusive pour les lésions cutanées, sa faible efficacité et les septicémies occasionnées ont eu raison de cette thérapeutique. D’autant plus que la radiothérapie puis la chimiothérapie prenait leur essor. Au milieu du vingtième siècle, un regain d’intérêt pour l’immunothérapie anti-tumorale a été suscité par l’observation que les patients transplantés et donc sous haute dose d’immunosuppresseurs développaient plus de cancers. Cette observation conduit Burnet à proposer sa théorie de l’immunosurveillance. Il postula que notre système immunitaire détruisait régulièrement des tumeurs et que les cancers détectés cliniquement étaient le fruit d’un échec de cette surveillance (1). Il fallu attendre la fin du vingtième siècle et la découverte séminale du Pr Boon pour comprendre le mécanisme sous-jacent à cette reconnaissance (2). Les cellules cancéreuses expriment des antigènes tumoraux qui sont reconnus spécifiquement par des lymphocytes T cytolytiques autologues (Figure 1).
Si in vitro, ces lymphocytes sont capables de détruire rapidement les cellules tumorales, chez le patient il en est tout autrement. Une des raisons est la présence de mécanismes de régulation du système immunitaire tel que l’axe PD-1/PD-L1 qui est illustré à la figure 2 (3). Cette découverte a valu le prix Nobel de médecine au Pr Honjo en 2018. Les inhibiteurs de ce point de contrôle du système immunitaire, les anticorps anti-PD1/PD-L1, ont modifié le pronostic de vie de certains malades. C’est une véritable révolution thérapeutique. Trois anticorps anti-PD1 : le cemiplimab, le nivolumab et le pembrolizumab ainsi que 3 anticorps anti-PD-L1 : l’atezolizumab, l’avelumab et le durvalumab sont déjà approuvés comme médicament anti-cancéreux et de nombreux autres sont en cours d’expérimentation (Tableau 1). Cette forme d’immunothérapie est devenu le traitement standard de première intention pour de nombreux patients cancéreux.
Le mélanome cutané fut la première tumeur utilisée pour tester ces nouveaux anticorps anti-PD-1/PD-L1. Les résultats sont spectaculaires (4). Un peu plus de 40% des patients atteints d’un mélanome métastatique présentent une réponse clinique lorsqu’ils reçoivent en première intention du pembrolizumab ou du nivolumab. Leur pronostic de survie est augmenté de façon considérable avec plus de la moitié d’entre eux toujours en vie après 3 ans. Avant ce traitement, leur survie médiane était de 6 mois. Certains patients présentent des réponses complètes et durables, nous faisant penser qu’ils sont guéris de leur mélanome métastatique. A la vue de ces résultats, toutes les compagnies pharmaceutiques ont réalisées des études cliniques avec ces anticorps dans d’autres types de tumeurs. A titre d’exemple, la figure 3 montre le taux de réponse observé dans 10 autres tumeurs avec le pembrolizumab (5-15). Dans certaines tumeurs le taux de réponse est modeste mais il est significatif dans le cancer du poumon, le lymphome d’Hodgkin, le mésothéliome, le cancer urothélial et de la tête et du cou. Ces médicaments sont remboursés ou disponibles pour les patients atteints de ces cancers. Le dénominateur commun à ces tumeurs est la présence de grande quantité d’antigènes mutés (ou néo-antigènes) ou d’antigènes viraux.
Actuellement, nous ne disposons pas de biomarqueurs permettant de prédire la réponse à ces traitements. Par contre, certaines analyses rétrospectives ont montré que le taux de réponse est plus important chez les patients qui surexpriment PD-L1 (16). Il existe un lien entre la surexpression de PD-L1 et l’infiltration de lymphocytes dans la tumeur. Une étude réalisée chez des patients atteints d’un cancer ORL en rechute a testé l’efficacité du pembrolizumab versus une chimiothérapie avec une thérapie ciblée ou la même chimiothérapie avec le pembrolizumab (17). Il a été montré que les patients dont la tumeur exprime fortement PD-L1 répondent mieux au pembrolizumab qu’à la chimiothérapie (survie médiane de 14.9 mois vs 10.7 mois). Les patients ayant une tumeur exprimant faiblement ou pas le PD-L1 ont une survie améliorée avec la chimiothérapie associée au pembrolizumab par rapport à la même chimiothérapie associée à une thérapie ciblée (survie médiane de 13 mois vs 10.7 mois). D’autres études cliniques réalisées chez des patients atteints d’un cancer du poumon ont montré le même signal. Nous pouvons donc actuellement sélectionner un groupe de malade, atteint de cancer du poumon ou de la tête et du cou, qui n’a pas besoin de chimiothérapie et pour lesquels une immunothérapie seule est suffisante.
Il semble également que la réponse à l’immunothérapie est d’autant meilleure que la charge tumorale soit la plus faible possible et la maladie la moins agressive. Dès lors, ces anticorps ont été testés chez des patients opérés d’un mélanome mais à haut risque de rechute afin de prévenir une récidive locale ou à distance, c’est ce que l’on appelle un traitement adjuvant. Une étude a comparé le pembrolizumab à un placebo chez les patients atteints d’un mélanome avec un envahissement ganglionnaire opéré (18). Après un suivi médian de 15 mois, il a été montré que le pembrolizumab diminuait de 43% le risque de récidive (p<0.001) par rapport au placebo. Ce médicament est actuellement remboursé comme traitement adjuvant du mélanome.
Certains patients ont des réponses durables grâce aux anticorps anti-PD-1/PD-L1 et cela a changé leur vie. Mais la majorité de nos patients ne vont pas répondre. De nombreux mécanismes responsables de cette immunotolérance ont été décrits et agissent à différents endroits du cycle de l’immunité (19,20). Par faciliter, nous allons les classer en fonction de l’endroit où ils interviennent dans le cycle immunitaire (Figure 4). En effet, dans ce cycle nous pouvons définir trois moments particuliers : la primo-activation des lymphocytes, l’infiltration intra-tumorale et finalement la reconnaissance tumorale suivi de la destruction de la tumeur.
Les tumeurs ayant un défaut dans la première phase du cycle sont souvent décrites comme des tumeurs non infiltrées par des lymphocytes T. Nous les appelons les « immune-desert tumours ». Actuellement, nous ne pouvons pas créer des antigènes tumoraux mais nous pouvons vacciner ou induire la libération des antigènes en administrant de la chimiothérapie ou en réalisant une radiothérapie afin d’augmenter l’immunogénicité de ces tumeurs. Il existe beaucoup de pistes de recherche afin d’améliorer la présentation des antigènes par les cellules dendritiques et de favoriser ainsi la primo-activation du lymphocyte. Mais il n’y a rien de concret pour l’instant en clinique. Finalement, nous pourrions administrer des lymphocytes T anti-tumoraux, c’est le transfert adoptif. Actuellement en hématologie on administre des CAR-T cells, c’est à dire des lymphocytes du patient modifiés avec un récepteur contre CD-20 par exemple. Plus récemment, des récepteurs T solubles contre des antigènes spécifiques des tumeurs sont en cours d’étude.
Les tumeurs présentant un défaut dans la seconde phase sont souvent entourées d’une couronne de lymphocytes T qui ne pénètrent pas dans la tumeur. Nous les appelons les « immune-excluded tumours ». Nous n’avons pas beaucoup de moyen d’action à ce stade. Une piste semble être la combinaison de l’immunothérapie avec des médications ciblant l’angiogénèse comme VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor). Une étude a comparé la combinaison d’axitinib (inhibiteur VEGF) avec de l’avelumab (anti-PD-L1) et le sunitinib (inhibiteur VEGFR). La combinaison est supérieure mais il n’y a pas de bras contrôle avec l’anti-PD-L1 seul (21). D’autres associations de ce type sont en cours d’étude.
Finalement, les tumeurs ayant un problème dans la dernière phase du cycle sont massivement infiltrées par des lymphocytes T. Nous les appelons les « inflammed tumours ». De nombreux facteurs d’immunosuppressions produits par le microenvironnement tumoral ont été identifiés tels que IL-10, IDO, l’adénosine. Des essais cliniques sont en cours avec des médicaments bloquant ces signaux. Il existe aussi d’autres points de contrôle du système immunitaire tels que LAG-3, TIM-3. Des anticorps ont été développé pour bloquer ces signaux et sont actuellement en cours d’études. Bref, une vraie effervescence ne laissant aucune place à la « slow medecine ». Pour preuve, le résultat négatif de l’étude clinique de phase III dans le mélanome métastatique qui évaluait le combinaison de pembrolizumab avec l’epacadostat (inhibiteur IDO1) versus le pembrolizumab seul (22). Cette étude avait été initiée sur base de résultat prometteur d’une étude clinique de phase I comprenant 19 patients.
Les anticorps anti-PD-1/PD-L1 ont clairement révolutionné le traitement oncologique des patients. Les patients ayant une tumeur exprimant fortement PD-L1 n’ont probablement pas besoin d’autre traitement que l’immunothérapie. Les autres patients recevront une combinaison d’immunothérapie avec de la chimiothérapie ou des thérapies ciblées. Une partie importante de ces patients ne va malheureusement pas répondre. La recherche translationnelle devra identifier les mécanismes d’immunotolérance et proposer de nouvelles armes thérapeutiques.
Correspondance
Pr. Jean-Francois Baurain
Cliniques universitaires Saint-Luc
Institut Roi Albert II
Service d’Oncologie Médicale, MIRO, IREC
Université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique.
jf.baurain@uclouvain.be
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