Introduction
L’adénocarcinome du pancréas est un cancer rare au pronostic sombre. Il est la deuxième cause de mortalité par cancer digestif, avec une incidence en augmentation. A ce jour, seule la chirurgie radicale offre une chance de guérison. L’évolution des traitements de chimiothérapie et de radiothérapie de cette dernière décennie a toutefois permis une augmentation significative de la survie à 5 ans, par l’augmentation du nombre de patients pouvant bénéficier d’une chirurgie radicale suite à un traitement d’induction et par l’administration systématique de chimiothérapie adjuvante. En effet, les cancers du pancréas que l’on appelle « localement avancés » ou « limite (borderline) résécables », en raison de l’envahissement vasculaire local, peuvent devenir, pour un certain nombre d’entre eux, opérables en marge saine suite à un traitement d’induction. Depuis juillet 2019, la prise en charge chirurgicale des cancers du pancréas doit en principe être réalisée dans l’un des 14 centres experts conventionnés par l’INAMI, dont font partie les Cliniques universitaires Saint Luc. Cette convention impose un nombre minimal de 25 chirurgies pancréatiques par an, et une prise en charge multi-disciplinaire exhaustive de qualité. En effet, la littérature scientifique et les chiffres belges de l’INAMI démontrent que les patients opérés dans des centres experts qui réalisent au minimum 20 chirurgies pancréatiques par an présentent une mortalité post-opératoire diminuée de moitié.
En décembre 2022, l’INAMI a rendu les résultats de l’analyse des 3 premières années pour chaque centre belge conventionné, en comparaison à la moyenne nationale. C’est l’occasion pour notre groupe multi-disciplinaire de mettre en avant ses compétences dans ce domaine. Au cours de ces 3 ans, 244 patients souffrant d’une tumeur du pancréas auront été discutés en Concertation Oncologique Multidisciplinaire (COM) et 120 patients auront été opérés. Nous discutons ici de deux patients atteints d’adénocarcinome pancréatique initialement non-résécable, pris en charge récemment par notre groupe aux Cliniques universitaires Saint Luc.
Cas clinique 1
Il s’agit d’une patiente de 58 ans qui présente un adénocarcinome du pancréas localement avancé découvert fortuitement dans le décours d’un bilan bariatrique. Le bilan radiologique initial révèle une tumeur localisée dans le corps pancréatique avec envahissement circonférentiel du tronc cœliaque et de l’origine de ses 3 branches, ainsi que du confluent spléno-mésaraïque (Figure 1A). Le PET-FDG montre une lésion pancréatique hypermétabolique avec une SUVmax de 10,7 (Figure 1B) sans métastase à distance. Le CA19.9 s’élève initialement à 255,8 kU/L. La lésion est classifiée cT4N0M0 selon la stadification TNM, et jugée initialement non-résécable en raison de ses envahissements vasculaires. La stratégie thérapeutique proposée en Concertation Oncologique Multidisciplinaire (COM) est d’initier une chimiothérapie d’induction par 5-fluorouracile, irinotécan, oxaliplatine (FOLFIRINOX). Après 8 cures, la réponse n’étant pas encore suffisante pour envisager une chirurgie, la patiente reçoit un traitement complémentaire par radio-chimiothérapie (54Gy en 25 séances + capécitabine concomitante). La réévaluation au terme de ce traitement objective une réponse tumorale tant sur le plan clinique, biologique (CA19.9 66 kU/L) que métabolique (SUVmax 3,1 ; ∆SUVmax : -70%). Cependant, au scanner (CT), une infiltration périvasculaire persiste, dont il difficile de déterminer la nature (remaniements fibro-inflammatoires versus infiltration tumorale résiduelle). Compte tenu de ces constations, nous proposons une exploration chirurgicale avec un objectif de résection radicale de la tumeur imposant la résection du tronc cœliaque et possiblement, la reconstruction du tronc porto-mésentérique.
En vue d’une résection complète et en préparation à la résection artérielle chirurgicale, une embolisation préemptive des trois branches du tronc cœliaque (Figure 2) est réalisée, après vérification au cours d’une cœlioscopie exploratrice de l’absence de carcinose péritonéale.
Dix jours plus tard, on procède à une pancréatectomie gauche avec résection du tronc cœliaque et préservation de la rate (Figure 3).
Les suites opératoires ont été simples, avec une sortie au 10ème jour postopératoire. L’analyse histologique de la pièce opératoire met en évidence un adénocarcinome moyennement à bien différencié de 25 mm de grand axe. La lésion est réséquée en marges saines (R0) et classifiée ypT2 pN0 (Figure 4).La patiente est actuellement en rémission et bénéficie d’une surveillance oncologique régulière.
Cas clinique 2
En juillet 2021, un cancer du pancréas est diagnostiqué chez un patient de 70 ans, suite à un déséquilibre de son diabète. Le scanner abdominal révèle une lésion suspecte d’adénocarcinome localement avancé de la tête du pancréas et plus particulièrement du processus unciné : la lésion présente des contacts de plus de 180° avec l’artère et la veine mésentériques supérieures (Figure 5). L’écho-endoscopie montre également la présence d’adénopathies locorégionales et permet la confirmation diagnostique par cytoponction. Compte tenu de l’apparition d’un ictère, une prothèse biliaire est mise en place. Le CA19.9 après drainage biliaire s’élève à 128 kU/L. Au FDG PET-CT, la lésion est hypermétabolique (SUVmax à 10,7). Cette lésion est stadifiée cT4N1M0. En COM, un traitement par FOLFIRINOX est proposé, permettant une réponse métabolique complète et une normalisation du marqueur tumoral après 4 mois de traitement. Cependant, vu la persistance d’une atteinte des branches jéjunales de la veine mésentérique non reconstructibles chirurgicalement, nous optons pour un traitement de radiothérapie. Le traitement est réalisé en 5 fractions en condition stéréotaxique, sans réponse tumorale supplémentaire objectivée au scanner. Au terme de ce traitement, le patient présente un général altéré (affaiblissement, asthénie, perte de poids) motivant une surveillance clinique plutôt qu’une exploration chirurgicale. Au fil des mois, le patient retrouve un appétit normal, reprend du poids et son état clinique général s’améliore. Les bilans oncologiques de suivi restent normaux, sans évolution péjorative locale ni à distance. Nous proposons dès lors une exploration chirurgicale.
On procède à une duodénopancréatectomie céphalique(DPC) selon Whipple avec résection partielle du tronc porto-mésentérique, reconstruit par suture directe (Figure 6). On réalise une reconstruction digestive classique selon CHILD : anastomoses pancréatico-jéjunale, hépatico-jéjunale, gastro-entéro-anastomose (Figure 7).
L’histologie définitive met en évidence l’absence de résidu tumoral avec une stadification ypT0pN0 avec un score de régression MDA : Grade 0 (0% de tissu tumoral résiduel) (Figure 8). Le patient est donc en rémission complète et poursuit sa surveillance oncologique.
Réponse radiologique et métabolique prédisent au mieux la probabilité d’une résection chirurgicale complète, en association à la réponse clinique et biologique
Laurence Annet, Anca Dragean, Renaud Lhommel
L’adénocarcinome pancréatique doit, avant tout traitement (y compris tout drainage biliaire chez le patient ictérique) être bilanté par un CT thoraco-abdominal comprenant une phase artérielle tardive (+/- 45 sec) et une phase portale (+/- 70 sec) avec reconstructions millimétriques.
L’évaluation radiologique doit être complète selon le canevas suivant : morphologie de la lésion (aspect – taille – localisation - sténose canalaire), atteinte artérielle (de l’artère mésentérique supérieure, du tronc cœliaque ou de l’artère hépatique commune), atteinte veineuse et atteinte extra pancréatique avant traitement néoadjuvant. Cette évaluation permet de décider si le patient est d’emblée résécable, limite résécable ou irrésécable. Le scanner de départ sert de référence pour la réévaluation après traitement d’induction.
De nombreuses études ont montré les limites du CT scanner pour évaluer la réponse tumorale au traitement néoadjuvant, cependant une étude récente sur 179 patients montre que cet examen permet d’avoir une idée de la prédiction d’une résection R0 en fonction de la catégorie dans laquelle se trouve le patient (1).
Afin d’établir la stratégie au moment de la réévaluation, la résécabilité est donc basée sur les critères radiologiques. Une diminution de la taille tumorale, la récupération d’un calibre normal des grosses veines péri-tumorales telles que le tronc porto-mésentérique ou la veine splénique ainsi qu’une régression de la dilatation du canal de Wirsung après traitement néoadjuvant sont des éléments en faveur d’une régression tumorale. Cependant, dans un certain nombre de cas, après traitement d’induction par chimio- ou radio-chimiothérapie, il arrive que des contacts vasculaires persistent mais qu’il soit difficile de faire la part des choses entre du tissu fibro-inflammatoire ou du tissu tumoral résiduel. Doivent donc également être pris en compte, la décroissance du marqueur tumoral (réduction du CA19.9 de plus de 50%) et l’amélioration clinique (reprise pondérale et disparition des douleurs). Ainsi ces différents critères établis par le NCCN (National Comprehensive Cancer Network) ont montré une sensibilité élevée et une faible spécificité pour prédire la résection R0. L’application de ces critères apporte des éléments supplémentaires à l’analyse radiologique seule et augmente la sensibilité de prédiction d’une résection R0 (2).
En outre, une étude récente rapporte que la mesure de densité de la lésion sur le CT réalisé après un traitement néoadjuvant pourrait être un nouveau facteur pronostic chez les patients présentant un adénocarcinome pancréatique qui pourra être réséqué (3). Des études ultérieures sont nécessaires pour confirmer ces données.
Par ailleurs, le PET FDG prédit de façon plus précise que la seule régression du marqueur tumoral dans cette catégorie de patients (2). Dans un article récent portant sur 202 patients (4), l’importance de la régression métabolique tumorale évaluée par PET-FDG après TNA (mFolfirinox ou gemcitabine/nab-paclitaxel ± radiothérapie) était fortement corrélée à la réponse histopathologique (AUC : 0.86 ; P=0.001) et était le seul facteur pré-chirurgical prédictif de la survie globale en analyse univariée (4). En analyse multivariée, l’obtention d’une réponse métabolique majeure au traitement néoadjuvant demeurait également le facteur prédictif indépendant principal de la réponse pathologique (odds ratio, 43.2; 95% CI, 16.9–153.2), de la survie sans progression (hazard ratio, 0.37; 95% CI, 0.2–0.6), et de la survie globale (hazard ratio, 0.21; 95% CI, 0.1–0.4).
Références
- Sun Kyung Jeon, Jeong Min Lee, Eun Sun Lee, Mi Hye Yu, Ljin Joo, Jeong Hee Yoon, et al. How to approach pancreatic cancer after neoadjuvant treatment: assessment of resectability using multidetector CT and tumor markers. Eur. Radiol. 2022 Jan;32(1):56-66.
- Jang JK, Choi SJ, Byun JH, Kim JH, Lee SS, Kim HJ, et al. Prediction of margin-negative resection of pancreatic ductal adenocarcinoma following neoadjuvant therapy: Diagnostic performance of NCCN criteria for resection vs CT-determined resectability. J Hepatobiliary Pancreat Sci. 2022 Sep;29(9):1025-1034. doi: 10.1002/jhbp.1192. Epub 2022 Jun 20. PMID: 35658103
- Tanaka M, Heckler M, Mihaljevic AL, et al. Induction Chemotherapy with FOLFIRINOX for Locally Advanced Pancreatic Cancer: A Simple Scoring System to Predict Effect and Prognosis. Ann Surg Oncol. 2022;
- Abdelrahman AM, Goenka AH, Alva-Ruiz R, Yonkus JA, Leiting JL, Graham RP, et al. FDG-PET Predicts Neoadjuvant Therapy Response and Survival in Borderline Resectable/Locally Advanced Pancreatic Adenocarcinoma. J Natl Compr Canc Netw. 2022 Sep;20(9):1023-1032.e3. doi: 10.6004/jnccn.2022.7041. PMID: 36075389
Le point de vue de l’oncologue
Astrid De Cuyper, Ivan Borbath
La chimiothérapie joue un rôle crucial dans la prise en charge de l’adénocarcinome du pancréas. Plusieurs nouveautés sont à relever, tant pour les tumeurs résécables que pour les tumeurs localement avancées et/ou métastatiques.
En situation néoadjuvante
Lorsque la tumeur est localisée mais qu’elle présente des contacts vasculaires (tumeur borderline résécable ou localement avancée), un traitement d’induction est recommandé (1). Ce traitement permet d’augmenter le taux de résection en marge saine, de diminuer les complications post-opératoires et d’améliorer la survie des patients. Aucune étude randomisée ne permet aujourd’hui de définir le traitement optimal pour ces patients (choix de la chimiothérapie, combinaison ou non avec la radiothérapie). Le choix s’oriente dès lors, si l’état général du patient le permet, vers des combinaisons de chimiothérapie offrant les meilleurs taux de réponse.
En situation adjuvante
Malgré une résection chirurgicale complète de bonne qualité, les patients opérés d’un cancer du pancréas présentent un risque élevé (environ 80%) de récidive néoplasique. L’administration d’une chimiothérapie adjuvante permet de diminuer ce risque.
En 2022, les résultats actualisés de l’étude randomisée PRODIGE 24 ont été publiés (2). Cette étude comparait l’administration d’une chimiothérapie adjuvante de type FOLFIRINOX versus gemcitabine, pour une durée totale de 6 mois. Les données de survie à 5 ans ont confirmé que la trithérapie (FOLFIRINOX) améliorait significativement la survie globale des patients : survie médiane de 53.5 mois versus 35.5 mois (HR, 0.68; 95%CI, 0.54-0.85; P = .001). Dans cette étude, un âge de moins de 70 ans, les tumeurs bien différenciées, les stades précoces, la prise en charge dans un centre à gros volume, et la réalisation complète du traitement adjuvant étaient des facteurs associés à un meilleur pronostic. Une chimiothérapie par FOLFIRINOX pendant 6 mois reste donc le traitement adjuvant de premier choix pour les patients en bon état général opérés d’un cancer du pancréas (quel que soit le stade).
En situation métastatique
Jusqu’en 2011, la chimiothérapie de référence pour le cancer du pancréas était la gemcitabine. Depuis lors, le schéma de chimiothérapie combinant la gemcitabine au nab-paclitaxel et la trithérapie FOLFIRINOX (5-fluorouracile, irinotecan et oxaliplatine) ont permis d’améliorer significativement les taux de réponse (23% et 32% respectivement) ainsi que la survie globale (survie médiane de 8.5 mois et 11.1 mois respectivement) des patients atteints d’un cancer du pancréas en situation métastatique (3,4).
Un nouveau médicament, l’irinotecan liposomal ou nal-IRI (molécule de chimiothérapie encapsulée dans un liposome), a également fait son apparition en 2019 dans l’arsenal thérapeutique du cancer du pancréas. Son utilisation est actuellement recommandée en 2è ligne de traitement en combinaison avec le 5-fluorouracile, après échec d’une première ligne à base de gemcitabine, mais il pourrait prochainement être utilisé plus précocement. En effet, l’étude internationale de phase 3 NAPOLI-3 vient de démontrer la supériorité du schéma NALIRIFOX (nal-IRI + 5-fluorouracile + oxaliplatine) par rapport à la combinaison gemcitabine-abraxane en première ligne métastatique, en termes de survie globale et survie sans progression (5).
En conclusion, malgré ces dernières avancées, le cancer du pancréas reste une maladie de mauvais pronostic. Cela s’explique notamment par un diagnostic souvent tardif, une faible sensibilité de la maladie à la chimiothérapie et des options thérapeutiques restreintes. En effet, contrairement à beaucoup d’autres cancers, aucune immunothérapie ni thérapie ciblée n’a encore prouvé son efficacité dans cette pathologie. Il est donc primordial d’inclure les patients dans des essais cliniques afin d’identifier de nouvelles thérapies.
Références
- van Dam JL, Janssen QP, Besselink MG, Homs MYV, van Santvoort HC, van Tienhoven G, et al. Neoadjuvant therapy or upfront surgery for resectable and borderline resectable pancreatic cancer: A meta-analysis of randomised controlled trials. Eur J Cancer. 2022;160:140-9.
- Conroy T, Castan F, Lopez A, et al. Five-Year Outcomes of FOLFIRINOX vs Gemcitabine as Adjuvant Therapy for Pancreatic Cancer: A Randomized Clinical Trial. JAMA Oncol. 2022;8(11):1571–1578. doi:10.1001/jamaoncol.2022.3829
- Thierry Conroy, et al. FOLFIRINOX versus Gemcitabine for Metastatic Pancreatic Cancer. N Engl J Med. 2011; 364:1817-1825. DOI: 10.1056
- Daniel D. Von Hoff, et al. Increased Survival in Pancreatic Cancer with nab-Paclitaxel plus Gemcitabine. N Engl J Med. 2013;369:1691-703. DOI: 10.1056/NEJMoa1304369
- Communication orale de Zev Wainberg au congrès de la société américaine d’oncologie digestive (ASCO GI), Janvier 2023
Le point de vue du radiothérapeute
Geneviève van Ooteghem
La place de la radiothérapie dans la prise en charge pré-opératoire des cancers pancréatiques non-résécables d’emblée (borderline et localement avancés) reste controversée à ce jour. La chirurgie et les chimiothérapies restent les traitements de premiers choix. Cependant, la radiothérapie, étant donné son action ciblée, garde son intérêt en vue de réduire le risque de récidive locale et d’amener à une chirurgie en marge saine. À ce jour, les différentes études disponibles oscillent entre des résultats encourageants mais sans impact significatif sur la survie, et d’autres décevants avec tout au plus un effet sur le contrôle local [2-3]. Une méta-analyse récente démontre l’importance d’un traitement néoadjuvant pour les tumeurs non-résécables d’emblée, mais ne permet pas d’identifier clairement la séquence de traitement efficace. Il reste donc difficile d’établir le vrai rôle de la radiothérapie [4,5].
La radiothérapie relève d’un travail d’équilibriste. La dose à la tumeur doit être élevée pour être létale, tout en requérant un niveau de précision intransigeant pour éviter une toxicité sur les organes sains avoisinants. Or, le pancréas est bordé par les anses duodénales et au contact de l’estomac, des organes hautement sensibles à la radiothérapie. Cette position explique les effets secondaires de la radiothérapie, majoritairement digestifs (inconfort alimentaire, nausées, dyspepsie, ulcères gastriques et duodénaux, voire perforation), restreint inévitablement les possibilités d’intensification de la dose à la tumeur, et explique probablement les résultats limités de la radiothérapie dans cette localisation.
Cependant, les données cliniques observées au chevet de nos patients, tout comme les 2 histoires cliniques présentées ci-dessus, nous apportent la conviction que la radiothérapie garde malgré tout son intérêt. Les progrès technologiques de ces dernières années arment les services de radiothérapie de nouvelles solutions. Les techniques de contrôle positionnel (image-guided radiotherapy) garantissent une précision des traitements au jour le jour et sont désormais utilisées dans tous les services de radiothérapie. Des nouvelles études sont également en cours. L’étude PANDA-PRODIGE 44 (NCT02676349) en cours en France compare la chimiothérapie néoadjuvante FOLFIRINOX à cette même chimiothérapie suivie de radio-chimiothérapie néoadjuvante pour les tumeurs présentant des contacts vasculaires limités. Les techniques nouvelles comme la radiothérapie stéréotaxique font également leur apparition depuis quelques années dans le cancer du pancréas, tentant d’élever les doses à la tumeur, en utilisant un faible nombre de séance (5 séances). L’étude STEREOPAC (NCT05083247) initiée en Belgique par l’hôpital Erasme/Institut Bordet a pour objectif d’évaluer l’intérêt de la radiothérapie stéréotaxique dans les tumeurs pancréatiques dans une séquence néoadjuvante après chimiothérapie première. Elle sera également disponible aux Cliniques universitaires Saint Luc dans le courant de l’année 2023.
En conclusion, la radiothérapie (stéréotaxique) a certainement un rôle à jouer dans le contrôle local des cancers pancréatiques non-résécables d’emblée. Sa place reste néanmoins difficile à définir mais les progrès ne manquent pas. Les résultats des études en cours sont donc attendus avec impatience, et nécessitent en amont une collaboration des centres belges pour inclure de nombreux patients dans ces études.
Références
- Conroy T, Castan F, Lopez A, Turpin A, Ben Abdelghani M, Wei AC, et al. Five-Year Outcomes of FOLFIRINOX vs Gemcitabine as Adjuvant Therapy for Pancreatic Cancer: A Randomized Clinical Trial. JAMA Oncol. 2022;8:1571-8.
- Katz MHG, Shi Q, Meyers J, Herman JM, Chuong M, Wolpin BM, et al. Efficacy of Preoperative mFOLFIRINOX vs mFOLFIRINOX Plus Hypofractionated Radiotherapy for Borderline Resectable Adenocarcinoma of the Pancreas: The A021501 Phase 2 Randomized Clinical Trial. JAMA Oncol. 2022;8:1263-70.
- Versteijne E, van Dam JL, Suker M, Janssen QP, Groothuis K, Akkermans-Vogelaar JM, et al. Neoadjuvant Chemoradiotherapy Versus Upfront Surgery for Resectable and Borderline Resectable Pancreatic Cancer: Long-Term Results of the Dutch Randomized PREOPANC Trial. J Clin Oncol. 2022;40:1220-30.
- van Dam JL, Janssen QP, Besselink MG, Homs MYV, van Santvoort HC, van Tienhoven G, et al. Neoadjuvant therapy or upfront surgery for resectable and borderline resectable pancreatic cancer: A meta-analysis of randomised controlled trials. Eur J Cancer. 2022;160:140-9.
- Ghaneh P, Palmer D, Cicconi S, Jackson R, Halloran CM, Rawcliffe C, et al. Immediate surgery compared with short-course neoadjuvant gemcitabine plus capecitabine, FOLFIRINOX, or chemoradiotherapy in patients with borderline resectable pancreatic cancer (ESPAC5): a four-arm, multicentre, randomised, phase 2 trial. Lancet Gastroenterol Hepatol. 2023;8:157-68.
Chirurgie pancréatique et résections vasculaires à l’ère du traitement néoadjuvant
Lancelot Marique, Catherine Hubert
L’intervention chirurgicale est très différente si la tumeur est localisée dans la tête ou l’isthme du pancréas (partie droite du pancréas) ou si elle est située dans le corps ou la queue du pancréas (partie gauche). En effet, les tumeurs situées dans la partie gauche font l’objet de l’ablation du corps et de la queue du pancréas, et souvent de la rate (splénectomie). Cette intervention de lourdeur modérée peut être réalisée dans une grande majorité des cas par laparoscopie. A l’inverse, les tumeurs situées dans la tête du pancréas devront faire l’objet d’une intervention beaucoup plus lourde et plus complexe appelée « duodénopancréatectomie céphalique » ou intervention de Whipple (du nom du chirurgien qui a réalisé cette intervention pour la première fois en 1935). La tête du pancréas étant insérée dans le cadre duodénal et traversée par le canal biliaire, il n’est pas possible de n’enlever que la tête du pancréas. L’intervention de Whipple va consister en l’ablation de la tête du pancréas, du cadre duodénal et souvent de l’antre gastrique, des 15 premiers centimètres de l’intestin grêle, de la voie biliaire et de la vésicule biliaire (Figure 7-image 3A). Il faut ensuite rétablir la continuité du système digestif interrompu en réalisant plusieurs anastomoses : la première sur le pancréas, la deuxième sur la voie biliaire et la troisième sur l’estomac (Figure 7-image 3B). Ces interventions de Whipple sont majoritairement réalisées par laparotomie, mais dans certains cas, elles peuvent être réalisées par voie laparoscopique ou robotique. Aujourd’hui, la littérature scientifique ne démontre pas encore d’avantage en termes de morbi-mortalité de l’approche laparoscopique ou robotique en comparaison avec la laparotomie classique. Historiquement, la chirurgie de l’adénocarcinome pancréatique associant des gestes de résections vasculaires, en raison de l’envahissement tumoral était grevée d’une morbidité et d’une mortalité non-négligeables alors qu’elle n’offrait que peu de bénéfices en termes de survie au long cours. Ce paradigme est heureusement en train d’évoluer car les données de la littérature abondent en faveur des thérapies néoadjuvantes qui permettent de tester la chimio-sensibilité de ces tumeurs et de sélectionner les meilleurs candidats à une chirurgie radicale, c’est-à-dire en marge saine.
Deux études publiées en 2022 confirment l’intérêt des thérapies néoadjuvantes :
- une méta-analyse parue dans le British Journal of Surgery confirme qu’après traitement néo adjuvant, la chirurgie est associée à une meilleure survie pour tous les patients atteints d’un cancer du pancréas localisé (1) ;
- une étude multicentrique internationale a révélé que la chirurgie après FOLFIRINOX était associée à des résultats favorables pour les patients atteints d’un adénocarcinome pancréatique borderline résécable (2).
Par conséquent, après traitement néo adjuvant, et malgré la persistance parfois de contacts vasculaires à la réévaluation radiologique par CT scanner, considérant donc encore la tumeur comme localement avancée, une exploration chirurgicale est justifiée, permettant de mieux évaluer la résécabilité. Cette chirurgie radicale doit cependant souvent être associée à des résections vasculaires (veineuse et/ou artérielle). La chirurgie pancréatique des cancers localement avancés ayant bien répondu à la chimio ou radio-chimiothérapie a une morbidité acceptable et offre une survie similaire à celle des patients qui présentent une lésion dite « limite résécable », c’est-à-dire avec des contacts vasculaires plus limités (3). Les principales situations nécessitant une résection vasculaire sont les suivantes :
- Lorsqu’il existe un contact entre la tumeur (généralement située dans la tête du pancréas) et le tronc porto-mésentérique (cf. 2e cas clinique).
- Lorsque la tumeur corporéale envahit le tronc cœliaque, l’intervention d’Appleby : une pancréatectomie gauche associée à la résection du tronc cœliaque (intervention d’Appleby) doit être considérée chez des patients sélectionnés en fonction de leur âge, de leur comorbidité et de leur état général (4) ; ce fut le cas de la patiente décrite dans le cas clinique n°1.
Résultats oncologiques et suivi
Depuis le 1 er juillet 2019, la chirurgie pancréatique n’est en principe plus réalisée que dans des centres conventionnés par l’INAMI sur base de leurs résultats antérieurs (nombre de patients opérés, mortalité et morbidité post-opératoire entre 2008-2016). Depuis lors, afin de rester dans cette convention, les centres doivent réaliser au minimum 25 chirurgies pancréatiques par an et doivent obtenir des résultats de morbi-mortalité et de survie qui se situent dans la moyenne nationale. Les résultats des centres sont analysés chaque année par l’INAMI et les centres sont réévalués tous les 3 ans.
Nos résultats de survie à un an pour l’adénocarcinome pancréatique sont très encourageants puisque nous obtenons une survie relative à un an de 81.3%, en comparaison à 77% pour la moyenne nationale. Ceci est le fruit d’un travail collaboratif permettant une sélection des patients éligibles à la chirurgie par la réalisation de bilans pré-opératoires exhaustifs, des résections radicales en marges saines (R0) (80% dans notre centre versus 60% pour la moyenne nationale), et un traitement péri-opératoire de chimiothérapie +/- radiothérapie optimalisé.
En conclusion, la résection chirurgicale complète, en marge saine, avec résection vasculaire potentielle, en association aux traitements néoadjuvants est le traitement de choix des adénocarcinomes du pancréas non-résécables d’emblée, permettant d’obtenir des taux de survie à 5 ans avec une morbidité et une mortalité acceptable.
Qu’ils soient traités par chimiothérapie, radio(-chimio)thérapie ou opérés (d’emblée ou après traitement d’induction), l’impact psychologique de ces traitements lourds est majeur, d’autant plus qu’ils se surajoutent à un diagnostic déjà difficile à accepter. De plus, les patients opérés peuvent développer un diabète et la majorité présentera une insuffisance pancréatique exocrine qui nécessitera la prise de Créon. Le rôle de l’équipe para médicale (diététicien, kinésithérapeute et psychologue) et celui du médecin traitant sont primordiaux tout au long du traitement. Ce dernier est, par ailleurs, la personne de référence et de confiance du patient et de sa famille. Il établit le lien entre le patient et le centre hospitalier.
Références
- Brown ZJ, Heh V, Labiner HE, Brock GN, Ejaz A, Dillhoff M, et al. Surgical resection rates after neoadjuvant therapy for localized pancreatic ductal adenocarcinoma: meta-analysis. Br J Surg. 2022 Dec 13;110(1):34-42. doi: 10.1093/bjs/znac354. PMID: 36346716.
- van Veldhuisen E, Klompmaker S, Janssen QP, Hilal MA, Alseidi A, Balduzzi A, et al.; Scientific Committee of the European-African Hepato-Pancreato-Biliary Association. Surgical and Oncological Outcomes After Preoperative FOLFIRINOX Chemotherapy in Resected Pancreatic Cancer: An International Multicenter Cohort Study. Ann Surg Oncol. 2022 Dec 20; doi: 10.1245/s10434-022-12387-2. Epub ahead of print. PMID: 36539580.
- Fromer MW, Wilson KD, Philips P, Egger ME, Scoggins CR, McMasters KM, Martin RCG. Locally advanced pancreatic cancer: a reliable contraindication to resection in the modern era? HPB (Oxford). 2022 Oct;24(10):1789-1795. doi: 10.1016/j.hpb.2021.09.002.
- Murakami Y, Nakagawa N, Kondo N, Hashimoto Y, Okada K, Seo S, Otsuka H. Survival impact of distal pancreatectomy with en bloc celiac axis resection combined with neoadjuvant chemotherapy for borderline resectable or locally advanced pancreatic body carcinoma. Pancreatology. 2021 Apr;21(3):564-572. doi: 10.1016/j.pan.2021.01.008. Epub 2021 Jan 27. PMID: 33526385.
Grader la réponse tumorale : vers des réponses pathologiques complètes ?
Delphine Hoton
La prise en charge des pièces de résection pancréatiques après traitement néoadjuvant nécessite une analyse extensive et systématique. Après une fixation et un repérage des différentes marges de section et plans de dissection chirurgicaux, les pièces sont tranchées transversalement. Cette marche à suivre ne diffère pas par rapport aux prélèvements de patients n’ayant pas eu de traitement néoadjuvant. Cependant, la difficulté par rapport à ces derniers sera de retrouver la lésion tumorale résiduelle. En effet, au sein du pancréas, les adénocarcinomes sont en général assez mal délimités, et peu visibles à l’œil nu. Les lésions de pancréatite chronique, souvent associées, sont très similaires de par leur aspect blanchâtre et fibreux. Après traitement, les lésions tumorales sont donc encore plus compliquées à repérer. Un échantillonnage extensif sera donc important. Les recommandations de la Pancreatobiliary Pathology Society ont été éditées cette année (1).
Le score de régression tumorale choisi aux Cliniques universitaires Saint-Luc est le MDA :
En conclusion, l’association de la chimiothérapie et de la radiothérapie est plus susceptible d’obtenir une réponse pathologique complète que la chimiothérapie ou la radiothérapie isolées. Les patients présentant une réponse complète ont un avantage significatif de survie par rapport aux patients chez qui une maladie résiduelle est encore présente (2,3).
Références
- Wang H, Chetty R, Hosseini M, Allende DS, Esposito I, Matsuda Y et al.; Pancreatobiliary Pathology Society. Pathologic Examination of Pancreatic Specimens Resected for Treated Pancreatic Ductal Adenocarcinoma: Recommendations From the Pancreatobiliary Pathology Society. Am J Surg Pathol. 2022 Jun 1;46(6):754-764. doi: 10.1097/PAS.0000000000001853. Epub 2021 Dec 15. PMID: 34889852; PMCID: PMC9106848.
- Barrak D, Villano AM, Villafane-Ferriol N, Stockton LG, Hill MV, Deng M et al. Total neoadjuvant therapy for pancreatic adenocarcinoma increases probability for a complete pathologic response. Eur J Surg Oncol. 2022 Jun;48(6):1356-1361. doi: 10.1016/j.ejso.2021.12.473. Epub 2022 Jan 5. PMID: 35016837; PMCID: PMC9233019.
- Jeon HJ, Jeong HJ, Lim SY, Yoon SJ, Kim H, Han IW, et al. Pathological Response Predicts Survival after Pancreatectomy following Neoadjuvant FOLFIRINOX for Pancreatic Cancer. Cancers (Basel). 2022 Dec 31;15(1):294. doi: 10.3390/cancers15010294. PMID: 36612289; PMCID: PMC9818940
Rôle du Coordinateur de Soins en Oncologie (CSO) dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer du pancréas
Marianne Demorcy
La coordinatrice de soins en oncologie est une infirmière clinique spécialisées dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer. Elle est une personne de référence pour le patient et son entourage, mais également pour toute l’équipe de soin. Elle a donc une fonction transversale qui couvre trois dimensions :
1. Accompagnement psycho-social
- Détection des risques et problèmes
- Soutien
2. Accompagnement clinique
- Évaluation des problèmes et des besoins chez les patients.
- Éducation thérapeutique
- Prévention et gestion des effets secondaires des traitements
- Reconnaissance et orientation en cas de signes d’urgences
3. Coordination des prises en charge complexes
- Actes techniques spécifiques
- Coordination de programmes de soins multimodaux (radiothérapie, chirurgie, chimiothérapie)
- Vérification du bon déroulement du suivi oncologique
- Élaboration des itinéraires de soins
Les CSO ont donc un contact privilégié avec le patient et chaque intervenant de l’équipe multi-disciplinaire. Elles sont également les garantes d’un suivi rapide et optimal pour chacun des nouveaux patients adressés à l’équipe.
Conclusion
La prise en charge de l’adénocarcinome pancréatique « localement avancé » ou « borderline résécable » fait l’objet d’une prise en charge pluridisciplinaire complexe, avec réévaluation fréquente de la stratégie thérapeutique au cours du suivi du patient.
L’année 2022 est venue confirmer notre pratique pluridisciplinaire par les résultats de survie à un an fournis par l’INAMI, dans le cadre de la convention et par les nouvelles données de la littérature scientifique. Ainsi, grâce aux traitements de chimiothérapie et/ou radiothérapie, certains patients, initialement considérés comme non-résécables, le deviennent. Même si la chirurgie pancréatique reste une chirurgie lourde, les progrès et la centralisation au sein de centres experts donnent des résultats de morbidité et de mortalité tout à fait acceptables et offrent une réelle chance de guérison aux patients. Les années futures restent résolument tournées vers les résultats des études en cours afin d’améliorer encore la prise en charge de ces patients.
Affiliations
Groupe multidisciplinaire des Tumeurs des Foie, du Pancréas et des Voies Biliaires
Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles
1. Service de Chirurgie et Transplantation Abdominale
2. Service d'oncologie médicale
3. Service de radiologie
4. Anatomie pathologique
5. Service de médecine nucléaire
6. Service de radiothérapie oncologique
7. Service d'hépato-gastro-entérologie
Coordinatrices de Soins en Oncologie (CSO) de la Clinique des Tumeurs Hépato-Bilio-Pancréatiques
Annie Morel, annie.morel@saintluc.uclouvain.be
Marianne Demorcy, marianne.demorcy@saintluc.uclouvain.be
Correspondance
Docteur Lancelot Marique, MD
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Chirurgie et Transplantation Abdominale
Unité de Chirurgie Hépato-bilio-pancréatique et de Transplantation Hépatique (Liver and Pancreas Unit)
Avenue Hippocrate, 10
B-1200 Bruxelles
lancelot.marique@saintluc.uclouvain.be