Faut-il arrêter les inhibiteurs du système rénine angiotensine dans la maladie rénale chronique sévère (stade G4-G5) ?
Guillaume Fernandes, Laura Labriola
Introduction
Les inhibiteurs du système rénine-angiotensine (iSRA) sont la pierre angulaire du traitement de la maladie rénale chronique (MRC) depuis environ 25 ans. Ils diminuent la pression artérielle et la protéinurie et ont démontré leur efficacité tant dans le ralentissement de la progression de la MRC, que la réduction du risque cardio-vasculaire, en particulier chez les patients hypertendus, diabétiques ou très protéinuriques.
Cependant, beaucoup de praticiens interrompent le traitement par iSRA quand le débit de filtration glomérulaire (DFG) diminue sous les 20-25 ml/min/1.73 m2, redoutant les effets secondaires (notamment l’hyperkaliémie) et doutant d’obtenir un bénéfice sur l’évolution de la maladie rénale déjà avancée. Ceci est compréhensible quand on sait que les études des inhibiteurs du SRA au début des années 2000 ont inclus une grande majorité de patients avec une MRC de stade 1 à 3. Il n’y a depuis lors que très peu de données sur l’effet de ces médicaments aux stades 4 et 5 et quelques observations ont même commencé à remettre en doute leur utilisation dans cette population. En 2022, l’étude STOP-ACE très attendue a apporté des informations importantes pour guider la gestion des iSRA dans la MRC sévère.
Envisager d’arrêter les iSRA dans l’IRC avancée, pourquoi ?
Les guidelines KDIGO de 2021 consacrées à l’hypertension dans la MRC recommandent de traiter par iSRA les patients avec une IRC de stade 1 à 4 (DFG >15 ml/min/1.73 m2) et une albuminurie sévère (>300 mg/g, soit A3) (1). On ne retrouve donc pas de recommandation ni concernant l’introduction d’ISRA dans la MRC de stade 5 ni concernant leur arrêt éventuel surtout en cas d’hyperkaliémie malgré traitement médical, de symptômes urémiques importants ou d’hypotension (1,2). En 2016, une étude a rapporté que 46% des praticiens aux USA veulent arrêter l’iSRA lorsque l’eGFR descend sous les 20 ml/min (2).
En général, le traitement est interrompu dans l’optique d’améliorer la fonction rénale en supprimant les changements hémodynamiques liés à la prise d’iSRA. Il est effectivement bien admis que l’instauration d’un traitement par iSRA induit une majoration de la créatininémie qui peut atteindre jusqu’à 30% (2). Le petit gain de DFG à l’arrêt de l’iSRA pourrait permettre d’une part de retarder la prise en dialyse et d’autre part de diminuer la vulnérabilité du patient à l’hyperkaliémie et aux épisodes d’insuffisance rénale aiguë (lors d’infections par exemple) qui sont souvent le point de bascule vers l’initiation de la dialyse. L’effet néphroprotecteur des iSRA pourrait donc être futile comparé à ces modifications hémodynamiques, en particulier chez des patients faiblement protéinuriques et polyvasculaires (2-4). C’est avec ces hypothèses en tête qu’en 2010, Ahmed et coll. (4) ont arrêté l’iSRA chez 52 patients avec une MRC sévère et ont pu observer prospectivement une augmentation significative du DFG de 16.4 à 26.2 ml/min à 12mois. En 2021, une étude rétrospective sur une cohorte Suédoise de 10 254 patients avec un DFG <30 ml/min suivie pendant 5 ans a montré que l’arrêt de l’iSRA était associé à une diminution du risque absolu d’initiation de dialyse (27,9% contre 36,1%), au prix d’une augmentation de la mortalité (54,5% contre 40,9%) et du nombre d’évènements cardio-vasculaires (59.5% contre 47,6%) (5).
Ces études ont bien évidemment les limites inhérentes à leur design et on retrouve dans la littérature quelques données plaidant à l’inverse pour la poursuite des iSRA. Une analyse post hoc de REIN (1997) et RENAAL (2002) avait effectivement rapporté que l’effet néphroprotecteur des iSRA n’était pas lié à la sévérité de l’insuffisance rénale chronique. En 2022, Nakayama et coll. ont montré en analysant rétrospectivement une cohorte de 334 patients ayant commencé la dialyse entre 2014 et 2021 que la prise d’un traitement par iSRA était associée à un risque moindre d’initiation non planifiée de dialyse (6).
Dans l’attente d’études plus robustes il était difficile de prendre position jusque tout récemment.
L’étude STOP-ACEi
STOP-ACEi est la première étude randomisée contrôlée à évaluer l’effet de l’arrêt du traitement par iSRA chez des patients avec une insuffisance rénale avancée. Un total de 411 patients provenant de 39 centres au Royaume-Uni, avec un eGFR <30 ml/min (médiane de 18 ml/min) ont, après tirage au sort, continué ou arrêté leur iSRA (1 pour 1) pris depuis au moins 6 mois. Un antihypertenseur d’une autre classe pouvait être utilisé dans le groupe « arrêt » pour atteindre une tension artérielle cible inférieure ou égale à 140/85 mmHg (7).
A 3 ans, Bandhari et coll. n’ont pas montré d’amélioration significative de l’eGFR (critère d’évaluation primaire) dans le groupe ayant arrêté l’iSRA par rapport au groupe ayant continué le traitement (DFG moyen à 3 ans de 13.3 et 12.6 ml/min/1.73 m2 respectivement). Ceci est vrai dans tous les groupes préspécifiés, indépendamment de la présence ou non d’un diabète, du DFG, de l’âge ou de la protéinurie. Ils n’ont pas non plus montré de différence entre les 2 groupes pour l’incidence de la prise en dialyse, le nombre d’hospitalisations, la mortalité, le contrôle tensionnel ou la survenue d’effets secondaires majeurs (y compris hyperkaliémie) (critères d’évaluation secondaires). Cette étude ne confirme donc nullement l’hypothèse selon laquelle l’arrêt de l’iSRA apporterait un bénéfice dans l’IRC avancée. Notons que la puissance de l’étude était trop faible pour évaluer l’impact sur le risque cardiovasculaire.
Alors en pratique ?
La décision d’interrompre ou non un traitement par iSRA dans la MRC aux stades 4 et 5 doit rester individualisée, en fonction notamment de la kaliémie, du profil tensionnel, de l’intensité de la protéinurie ou du profil de risque cardiovasculaire. Cependant, grâce à l’apport de STOP-ACEi il est raisonnable d’affirmer qu’il ne faut pas arrêter les iSRA par simple appréhension lorsque le DFG descend sous les 20 ml/min. Enfin, il n’y a toujours pas assez de données concernant les effets de l’instauration d’un iSRA chez les patients naïfs de ce traitement avec un DFG <15 ml/min. Ce choix doit donc continuer à être discuté au cas par cas.
Références
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- Nakayama T, Morimoto K, Uchiyama K, Kusahana E, Washida N, Azegami T, et al. Effects of renin-angiotensin system inhibitors on the incidence of unplanned dialysis. Hypertens Res. 2022;45(6):1018-1027.
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Prescription des nouveaux traitements néphroprotecteurs
Michel Jadoul, Nathalie Demoulin, Johann Morelle
Les traitements néphroprotecteurs, qui ralentissent la progression de la maladie rénale chronique (MRC), se limitaient jusqu’il y a peu aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et aux sartans. Récemment, plusieurs molécules sont venues s’ajouter à l’arsenal thérapeutique (1). Nous avons déjà évoqué dans Louvain Médical les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2) (2) et la finerenone, un antagoniste non-stéroïdien du récepteur minéralocorticoïde (3). Dans cet article, nous résumons les résultats de l’étude EMPA-KIDNEY avec l’empagliflozine, les conclusions d’une grande méta-analyse consacrée à l’impact rénal et cardiovasculaire des inhibiteurs SGLT2, et les modalités d’initiation de la dapagliflozine et de la finerenone chez les patients atteints de MRC.
Les résultats de l’étude EMPA-Kidney ont été publiés tout récemment (4). Cet essai randomisé contrôlé (empagliflozine 10 mg vs. placebo) a inclus 6609 patients atteints de MRC avec ou sans albuminurie. C’est la première fois que l’effet néphroprotecteur d’une gliflozine était étudié chez des patients sans albuminurie. Les critères d’inclusion étaient soit un débit de filtration glomérulaire (DFG) entre 45 et 90 ml/min/1.73 m2 et un rapport albumine/créatinine urinaire ≥200 mg/g, soit un DFG entre 20 et 45 ml/1.73 m2, quel que soit le rapport albumine/créatinine urinaire. Les patients atteints de polykystose autosomique dominante, de diabète de type 1, porteurs d’une greffe de rein et sous immunosuppresseurs à haute dose étaient exclus. Seulement 46% des patients présentaient un diabète de type 2. Comparativement au groupe placebo, le risque d’atteindre le critère composite d’évaluation primaire de progression de la MRC ou décès cardiovasculaire a été réduit de 28% (p <0.001) chez les patients recevant l’empagliflozine. Le bénéfice clinique était particulièrement net chez les patients albuminuriques. Le profil de tolérance et sécurité de la molécule s’est révélé excellent (4). Ces résultats confirment et étendent les résultats de l’étude DAPA-CKD, qui avait déjà montré le bénéfice néphroprotecteur de la dapagliflozine dans la MRC albuminurique, avec ou sans diabète.
Une méta-analyse récente a inclus 13 essais randomisés (dont EMPA-Kidney et DAPA-CKD) testant les inhibiteurs SGLT2 chez plus de 90.000 patients avec diabète, MRC et/ou insuffisance cardiaque. Elle confirme le bénéfice cardio et néphroprotecteur de ces molécules, indépendamment de la présence ou pas d’un diabète, du DFG et de la maladie rénale sous-jacente (5).
Sur base des résultats de DAPA-CKD, la dapagliflozine (Forxiga®) est remboursée depuis le ١er décembre ٢٠٢٢ en Belgique dans l’indication MRC, et peut donc être initiée chez tout patient avec un DFG <60 ml/min et un rapport albuminurie/créatininurie >200 mg/g, avec ou sans diabète, en complément d’un traitement par IEC ou sartan. Sur base des données actuellement disponibles, il n’est pas recommandé de prescrire la dapagliflozine chez les patients avec polykystose rénale, ni chez ceux recevant de hautes doses d’immunosuppresseurs. La MRC étant très fréquente (>10% de la population), la demande de remboursement n’est pas réservée au néphrologue, et peut être introduite par un médecin généraliste ou spécialiste (cardiologue, endocrinologue interniste…). Il est par contre raisonnable de référer à la consultation de néphrologie les patients avec une albuminurie >300 mg/g (ou une protéinurie >500 mg/g) et/ou un DFG <45 ml/min sans étiologie clairement identifiée, soient référés en néphrologie après initiation de dapagliflozine, ils ne devront généralement pas être revus, en tout cas fréquemment, en néphrologie, dès lors que leur DFG sera plus stable... Pour rappel, les autres indications qui doivent motiver une consultation, parfois urgente, chez le néphrologue incluent l’insuffisance rénale aiguë qui n’est pas d’origine pré-rénale (déshydratation); un déclin rapide de la fonction rénale; le syndrome néphrotique; une hématurie sans cause urologique ou d’étiologie incertaine. Le bilan initial comprendra systématiquement une biologie sanguine complète (dont la CRP), un sédiment urinaire, un échantillon d’urine avec dosage de l’albumine et de la créatinine, et une échographie des reins et voies urinaires.
L’initiation d’un traitement par inhibiteur SGLT2 sera très souvent suivie d’une chute du DFG de l’ordre de 3 à 4 ml/min, résultant d’une réduction de la pression intra-glomérulaire. Cette chute attendue du DFG n’est donc pas une raison d’arrêter la molécule, ni de contrôler le DFG à court terme. Un contrôle périodique de routine 3 à 6 mois plus tard suffit, combiné à un examen d’urines pour apprécier la réduction de l’albuminurie. Par ailleurs, le potassium tend plutôt à diminuer légèrement sous inhibiteur SGLT2, alors qu’il monte sous IEC ou sartan. Le seul effet secondaire prévisible, quoique rare (1%), des inhibiteurs SGLT2 est une infection génitale mycotique, favorisée par la glucosurie, aisément traitable et qui ne requiert pas l’arrêt de la médication.
Chez les patients atteints de diabète de type 2, la finerenone (Kérendia®), antagoniste non-stéroïdien du récepteur minéralocorticoïde, est disponible à titre néphroprotecteur. De par sa nature non-stéroïdienne, la finerenone entraîne beaucoup moins de gynécomastie que la spironolactone. La finerenone a été comparée à un placebo dans ٢ grands essais cliniques, Figaro et Fidelio. La méta-analyse des données individuelles des patients inclus dans ces ٢ essais a été publiée en 2022 sous le nom de Fidelity (6). Fidelity montre sans équivoque un bénéfice rénal et cardiovasculaire chez les diabétiques de type 2 inclus. Le risque du critère composite rénal est réduit de 23% (p=0.0002), tandis que le risque du critère composite cardiovasculaire est réduit de 14% (p=0.0018). Ces données sont à la base du remboursement de la finerenone dans l’indication de la MRC chez le patient avec diabète de type 2, un DFG entre 25 et 60 ml/min et une albuminurie (>300 mg/g, ou >30 mg/g avec rétinopathie), pourvu que la kaliémie soit ≤4.8 mmol/l. Bien que le risque d’hyperkaliémie soit nettement moindre qu’avec la spironolactone, il n’est pas nul et un suivi rapproché de la kaliémie est indiqué. Il convient de garder à l’esprit l’importance de conditions optimales de prélèvement et de transport pour éviter une hémolyse dans le tube, potentiellement responsable d’une fausse hyperkaliémie. Le plus simple sera d’obtenir la mesure de la kaliémie dans un laboratoire hospitalier dans ces cas précis.
La percée que représentent ces 2 nouvelles armes néphroprotectrices est dès à présent, sans surprise, reconnue par Kidney Disease : Improving Global Outcomes (KDIGO), les recommandations mondiales de bonne pratique en néphrologie (7). Chez les diabétiques de type 2, les inhibiteurs SGLT2 sont la 2e arme, tout de suite après les IEC ou les sartans (7). Il ne fait pas de doute que la mise à jour des recommandations de prise en charge de la MRC inclura sous peu un inhibiteur SGLT2 en cas de MRC albuminurique, y compris en l’absence de diabète. La finerenone a également sa place, en complément des inhibiteurs SGLT2 pour réduire le risque cardiovasculaire et rénal chez les diabétiques de type 2 (7).
En conclusion, la MRC est fréquente, dangereuse et de plus en plus traitable. Il est donc essentiel que les patients susceptibles de bénéficier des nouvelles molécules (dapagliflozine, finerenone) soient identifiés et traités. Dans ce but, tout bilan de santé chez un sujet qui appartient à un des groupes à risque de MRC doit comporter outre une estimation du DFG et un examen d’urine, avec une évaluation du rapport albumine/créatinine urinaire. Les groupes à risque comprennent les patients atteints de diabète, d’hypertension, de maladie cardiovasculaire (8), voire ceux âgés de plus de 50 à 60 ans, sous traitement néphrotoxique, avec histoire familiale de MRC, ou maladie systémique qui peut atteindre le rein (ex. lupus). Ce type de bilan est du ressort des médecins généralistes bien sûr, mais aussi des endocrinologues, des internistes et des cardiologues.
Références
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- Oguz F, Demoulin N, Jadoul M, Morelle J. Les inhibiteurs SGLT2 pour le traitement des maladies rénales chroniques: un effet majeur, au-delà du diabète! Louvain Med. 2021, février, 137-140.
- Jadoul M, Gillion, Demoulin N, Morelle J. La finerenone, un nouveau médicament néphroprotecteur dans la maladie rénale chronique associée au diabète. Louvain Med 2022, février, 110-112.
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- Nuffield Department of Population Health Renal Studies Group; SGLT2 inhibitor Meta-Analysis Cardio-Renal Trialists’ Consortium. Impact of diabetes on the effects of sodium glucose co-transporter-2 inhibitors on kidney outcomes: collaborative meta-analysis of large placebo-controlled trials. Lancet. 2022; 400: 1788-1801.
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- Khan MS, Shahid I, Anker SD, Fonarow GC, Fudim M, Hall ME, Hernandez A, Morris AA, Shafi T, Weir MR, Zannad F, Bakris GL, Butler J. Albuminuria and heart failure: JACC State-of-the-Art review. J Am Coll Cardiol. 2023; 81: 270-282.
Nouvelles thérapies dans la néphropathie à IgA
Yassin Akachar, Johann Morelle, Nathalie Demoulin
La néphropathie à IgA est la glomérulonéphrite chronique primitive la plus fréquente dans le monde. Le diagnostic repose sur la biopsie rénale qui montre des dépôts d’immunoglobulines A et une prolifération cellulaire, témoignant d’une inflammation, dans le mésangium des glomérules. La maladie se manifeste le plus souvent entre 20 et 40 ans, par des épisodes d’hématurie macroscopique, la découverte fortuite d’une hématurie microscopique ou, plus rarement, par une insuffisance rénale rapidement progressive. La néphropathie à IgA est une cause importante de maladie rénale chronique, et 30-40% des patients doivent avoir recours à la dialyse ou à une greffe rénale après 20 à 25 ans d’évolution. Les facteurs de mauvais pronostic incluent l’abondance de la protéinurie, une hypertension artérielle mal contrôlée et des lésions histologiques de chronicité.
La prise en charge de la néphropathie à IgA a pour but de ralentir la progression vers l’insuffisance rénale. Jusqu’à présent, les thérapies disponibles efficaces étaient les mesures néphroprotectrices générales: traitement anti-protéinurique par un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) ou un sartan, optimisation du profil tensionnel et mesures hygiéno-diététiques dont le régime pauvre en sel. En cas de protéinurie persistante (>0.75 à 1g/jour) après 3-6 mois de traitement anti-protéinurique, il était recommandé d’envisager l’inclusion dans un protocole d’étude, à défaut de traitement efficace bien établi (1).
L’année 2022 a vu la publication de plusieurs essais d’envergure qui auront un impact majeur sur la prise en charge de la néphropathie à IgA dans les années à venir. Dans cet article, nous revoyons les études de 2022 qui ont permis de clarifier la place des corticoïdes administrés par voie systémique, des corticoïdes à libération entérique, et des inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2) dans la néphropathie à IgA.
La corticothérapie systémique orale a été proposée dans le passé mais les études ont montré une efficacité limitée, au prix d’effets secondaires importants. L’étude randomisée contrôlée STOP-IgAN a montré l’absence de bénéfice de la corticothérapie orale à 3 ans de suivi sur la réduction du risque de décès, d’arrivée en insuffisance rénale dite terminale ou de diminution du débit de filtration glomérulaire (DFG) de >40% chez des patients avec néphropathie à IgA et protéinurie persistante. Le bénéfice potentiel de la corticothérapie systémique a été aussi étudié dans TESTING (2). Cinq-cent trois patients (95% asiatiques), atteints de néphropathie à IgA à haut risque de progression (protéinurie >1g/24h après 3 mois de traitement anti-protéinurique par IEC/sartan et DFG 20 à 120 mL/min/1.73 m2) ont reçu 6 à 9 mois de methylprednisolone orale vs placebo. La dose initiale de methylprednisolone était de 0.6 à 0.8 mg/kg/j pour les patients inclus dans l’étude entre 2012 et 2015. L’étude a été provisoirement interrompue en 2015 en raison du risque accru d’effets secondaires infectieux sérieux dans le groupe methylprednisolone. L’étude a repris de 2017 à 2019, mais avec une dose réduite de methylprednisolone (0.4 mg/kg/j). Après un suivi moyen de 4.2 ans, la methylprednisolone a réduit le risque de progression rénale (diminution de >40% DFG, insuffisance rénale ou décès de cause rénale) de 37%, au prix d’effets secondaires sérieux plus fréquents (10.9% vs 2.8% dans le groupe placebo). Le bénéfice sur la progression rénale était similaire entre les patients ayant reçu des doses élevées vs modérées de methylprednisolone orale mais les effets secondaires sérieux étaient nettement moindres dans le deuxième groupe (2). En pratique, les résultats de TESTING suggèrent qu’une corticothérapie systémique à doses modérées pourrait freiner la progression de la maladie (du moins dans une population asiatique), mais en considérant le risque accru d’effets secondaires.
Une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques de la néphropathie à IgA a également permis le développement de thérapies plus ciblées. Le système lymphoïde de la muqueuse intestinale joue un rôle important dans la production des IgA1 hypogalactosylées qui se retrouvent dans les complexes immuns déposés au niveau du mésangium rénal. Le Nefecon, budésonide à libération iléale, cible la zone iléale riche en plaques de Peyer, avec un passage systémique du budésonide de seulement 10%. L’étude randomisée contrôlée de phase 3 NefIgArd a inclus 199 patients avec un rapport protéinurie/créatininurie ≥0.8 g/g ou une protéinurie ≥1 g/24h malgré un traitement anti-protéinurique par IEC ou sartan de 3 mois, et un DFG entre 35-90 ml/min (3). Les patients ont reçu 9 mois de Nefecon 16 mg vs placebo. A 12 mois du début de l’étude (partie A de l’étude), le groupe recevant le Nefecon présentait une réduction de 48% de la protéinurie par rapport au groupe placebo (p<0.0001) et cet effet était présent dans les différents sous-groupes d’âge, de protéinurie et de DFG initial. La perte de fonction rénale était significativement moindre dans le groupe Nefecon par rapport au groupe placebo (perte de 0.17 ml/min/1.73 m2 vs 4.04 ml/min/1.73 m2, p=0.0014). Le profil de sécurité était acceptable, avec peu d’effets secondaires sérieux (2 dans chaque groupe), même si les effets secondaires associés aux glucocorticoïdes (tel que le diabète) étaient plus fréquents dans le groupe Nefecon (3). Les résultats à 24 mois (partie B) de l’étude NefIgArd, sont attendus prochainement. En raison des résultats très favorables sur la préservation de la fonction rénale et la diminution de la protéinurie, le Nefecon (Tarpeyo®) est le premier médicament approuvé par la Food and Drug Administration et l’agence Européenne du Médicament pour le traitement de la néphropathie à IgA à risque de progression rapide.
Les inhibiteurs SGLT2 (gliflozines) sont une autre classe de médicaments capables de ralentir la progression de la néphropathie à IgA. Chez les 270 patients avec néphropathie à IgA inclus dans l’étude DAPA-CKD, la prise de dapagliflozine 10 mg/j en plus du traitement par IEC ou sartan a permis de réduire la progression rénale (définie comme une réduction de ≥ 50% du DFG, l’arrivée en insuffisance rénale dite terminale ou la mortalité de cause cardiovasculaire ou rénale) de 71% par rapport au groupe placebo (4). Ces résultats ont été confirmés dans l’étude EMPA-KIDNEY. L’analyse du sous-groupe de 817 patients avec néphropathie à IgA a montré une réduction de 44% du risque de progression rénale sous empaglifozine 10 mg vs placebo (en plus de l’IEC ou sartan) (5). Une méta-analyse a montré que le risque de progression rénale est diminué de 51% lorsque les patients avec néphropathie à IgA de DAPA-CKD et EMPA-KIDNEY sont analysés ensemble (6). La dapagliflozine (Forxiga®) est remboursée en Belgique depuis décembre 2022 chez les patients avec un DFG <60 ml/min/1.73 m2 et un rapport albuminurie/créatininurie >200 mg/g, indépendamment de la présence ou non d’un diabète de type 2.
Enfin, les résultats des études de phase 3 avec d’autres thérapies ciblées conduites chez des patients avec néphropathie à IgA sont attendus. Ces thérapies testées sont l’atrasentan, un inhibiteur du récepteur à l’endothéline avec une activité anti-inflammatoire et anti-fibrotique; l’atacicept, un inhibiteur des récepteurs BLyS et APRIL impliqués dans la voie de prolifération des lymphocytes B et des plasmocytes; et les bloqueurs de la voie du complément, activée dans la néphropathie à IgA (7).
En conclusion, l’année 2022 a vu la publication d’essais cliniques importants dans la néphropathie à IgA. Les médecins en Belgique ont maintenant accès aux inhibiteurs SGLT2 dans les formes protéinuriques (et DFG <60 ml/min par 1.73 m2) pour compléter le traitement néphroprotecteur classique, et probablement bientôt au Nefecon, le budésonide à libération entérique, comme modulateur de la maladie. D’autres thérapies ciblées seront probablement également disponibles à moyen terme.
Références
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Affiliations
Cliniques universitaires Saint-Luc, Néphrologie, B-1200 Bruxelles
Correspondance
Pr. Michel Jadoul
Cliniques universitaires Saint-Luc
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles