Lupus érythémateux disséminé
Le traitement du LED s’est récemment vu révolutionné par l’avènement de thérapies ciblées. Nous avons déjà évoqué dans un numéro précédent de Louvain Médical consacré aux Innovations 2021 (1), l’intérêt du belimumab (Benlysta®), un anticorps monoclonal dirigé contre la cytokine BLyS/BAFF (2, 3), y compris dans les cas compliqués de néphropathie (4). L’ajout de ce traitement aux immunosuppresseurs augmente le taux de rémission rénale, diminue le risque de récidive et – surtout – influence positivement la trajectoire de la fonction rénale (5). Trois nouvelles molécules doivent retenir notre attention : l’anifrolumab, le litifilimab et l’obinutuzumab. Enfin, une nouvelle technologie, potentiellement révolutionnaire pour les maladies auto-immunes, à base de CAR T cells, doit être évoquée.
L’anifrolumab est un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur des interférons de type 1. Ces cytokines, induites parfois massivement chez les patients lupiques actifs, contribuent à l’hyperactivité inappropriée de leur système immunitaire, notamment via la production d’autoanticoprs par les lymphocytes B. L’anifrolumab, commercialisé sous le nom de Lupkynis®, a obtenu récemment l’aval des agences d’enregistrement des médicaments sur base d’essais cliniques contrôlés de phase 3 (TULIP 1, TULIP 2) démontrant son intérêt comme ajout thérapeutique dans le LED non-rénal (6, 7). L’anifrolumab s’indique en cas d’échec d’un traitement standard à base de glucocorticoïdes, d’anti-malariques et d’un autre immunosuppresseur. Les essais cliniques dans la néphropathie lupique sont en cours, après un essai de phase 2 (TULIP-LN) encourageant (8). L’effet secondaire le plus typique (mais heureusement rare) de l’anifrolumab est la réactivation des virus herpétiques, ce qui s’explique par l’inhibition de l’effet antiviral des interférons de type 1 (en raison du blocage de leur récepteur). Le processus de remboursement de la molécule (Saphnelo®) est en cours dans notre pays.
Le litifilimab est un anticorps monoclonal dirigé contre BDCA2, un récepteur de surface exprimé uniquement sur les cellules dendritiques plasmacytoïdes (pDC). Ces cellules, présentes dans la peau et les reins de patients lupiques, sont de puissantes productrices d’interférons de type 1 (et d’autres cytokines et chimiokines) en réponse aux acides nucléiques viraux (réponse immunitaire innée indispensable pour se défendre contre les virus) mais aussi en réponse aux immuns complexes, via un engagement des Toll-like receptors. BDCA2 est un régulateur négatif de la production des interférons de type 1 par les pDC. Quand le litifilimab se fixe sur BDCA2, le complexe est internalisé, ce qui permet l’effet inhibiteur de BDCA2 sur la production de cytokines. Dans deux essais cliniques réalisés chez des patients lupiques non-rénaux, le lititifilimab s’est avéré efficace sur les lésions cutanées (9) et sur l’arthrite (10). Ici aussi, il s’agira de rester attentif aux infections herpétiques, même si le litifilimab ne bloque pas la réponse aux interférons de type 1 produits par d’autres cellules, puisque le récepteur est laissé intact.
L’obinutuzumab est un anticorps monoclonal dirigé contre CD20 qui cible donc les lymphocytes B. Il est utilisé (Gazyvaro®) dans le traitement de certains lymphomes. Comparé au rituximab, la première molécule anti-CD20 disponible, l’obinutuzumab déplète davantage les lymphocytes B, ce qui procurerait un bénéfice. Une étude de Phase 2 récente (NOBILITY) démontre son intérêt dans le traitement de la néphropathie lupique, avec deux fois plus de rémission rénale complète par rapport au traitement immunosuppresseur standard par glucocorticoïdes et mycophénolate mofetil (11). A nouveau, une étude de Phase 3 (REGENCY) est en cours.
Les CAR (chimeric antigen receptor) T cells font désormais partie de l’arsenal thérapeutique contre certaines tumeurs hématologiques, en particulier les lymphomes B agressifs (12), les leucémies lymphoblastiques aiguës de type B (13) et les myélomes réfractaires (14). De manière extrêmement simplifiée, il s’agit d’une immunothérapie cellulaire via des lymphocytes T autologues (donc prélevés chez le patient) qui ont été génétiquement modifiés au laboratoire de sorte qu’ils expriment à leur surface un récepteur (chimérique) contenant une partie extracellulaire (en général une protéine de fusion contenant la région variable d’une chaîne lourde et légère d’un anticorps monoclonal ; single chain Fv fragment) qui reconnait la cible visée et une partie intracellulaire qui sert à transmettre le signal, une fois la cible reconnue. Après expansion in vivo, les CAR T cells sont réinjectés chez le patient qui a subi préalablement une déplétion lymphocytaire (généralement par fludarabine et cyclophosphamide). Ces lymphocytes T modifiés reconnaissent les cellules ciblées et peuvent les détruire. Si les lymphocytes T génétiquement modifiés expriment à leur surface la partie variable d’un monoclonal anti-CD19, -BCMA, -CD7 ou -CD33, ils cibleront respectivement les lymphocytes B, les plasmocytes, les lymphocytes T ou les cellules myéloïdes. Les indications actuelles sont oncologiques mais elles pourraient s’étendre aux pathologies auto-immunes, en particulier celles médiées par les lymphocytes B. Un des avantages de la technique, par rapport aux anticorps monoclonaux, réside dans la possibilité d’une meilleure éradication des cellules productrices d’auto-anticorps au sein des tissus eux-mêmes. On sait en effet que ces cellules, peu accessibles et donc difficiles à éradiquer, sont probablement la source des récidives. Après la publication d’un premier cas (15), 5 autres patients souffrant de LED particulièrement réfractaire furent traités par des cellules T autologues transfectées par un vecteur lentiviral anti-CD19 CAR (16). Comme attendu, les lymphocytes B CD19+ ont rapidement disparu de la circulation. Plus important, tous les patients furent mis en rémission à 3 mois et leurs paramètres biologiques se sont normalisés. On ne peut pas minimiser les difficultés techniques importantes, le coût, la toxicité immédiate potentielle (syndrome de relargage de cytokines, toxicité neurologique), ni les effets secondaires éventuels au long cours. Il n’est donc pas question aujourd’hui de proposer ce genre de traitement en dehors d’un cadre expérimental clinique bien défini mais il nous semble important, dès 2022, d’indiquer les potentialités thérapeutiques originales de cette nouvelle technologie dans le cadre des maladies auto-immunes réfractaires.
Sclérose systémique
La sclérose systémique, dans sa variante diffuse, est la pathologie rhumatismale systémique la plus sévère, en particulier en présence d’une pneumopathie interstitielle diffuse (PID), première cause de mortalité actuellement. C’est précisément dans ce domaine que des progrès thérapeutiques ont été récemment engrangés, grâce à la démonstration de l’intérêt des médicaments anti-fibrosants. On sait depuis une dizaine d’années que la pirfenidone (Esbriet®, inhibiteur du TGF-β, du PDGF et du FGF) et le nintedanib (Ofev®, inhibiteur de tyrosine kinase) ralentissent l’évolution de la fibrose pulmonaire idiopathique et diminuent la mortalité (17-9). Cette observation s’applique dorénavant aussi au sous-groupe de patients souffrant de PID dans le cadre d’une sclérose systémique. Dans l ‘essai contrôlé SENSCIS, réalisé chez 576 patients atteints de sclérose systémique compliquée de PID, la perte de capacité vitale forcée (CVF) était de 52,4 ml/an dans le groupe traité par nintedanib contre 93,3 ml/an dans le groupe placebo (20). Cette différence s’observe indépendamment de la prise – ou non – de mycophénolate mofetil (21). Le nintedanib vient d’être spécifiquement admis au remboursement pour le traitement des PID secondaires à une sclérose systémique avec un phénotype fibrosant progressif (déclin documenté de la CVF). La décision de cette prescription doit se prendre collégialement avec les collègues pneumologues à l’occasion des discussions multidisciplinaires hebdomadaires des cas de PID comme celles qui sont organisées notamment aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Il faut tenir compte de la toxicité digestive du nintedanib qui peut justifier l’arrêt du traitement.
Myopathies inflammatoires idiopathiques
Jadis appelées myosites, les myopathies inflammatoires idiopathiques (MII) sont aujourd’hui classées en 4 groupes, sur base de leur profil clinique et sérologique (22) : les dermatopolymosites (DPM ; anti-Mi2, -MDA5, -SAE, -TIF1γ, -NXP2), les myosites nécrosantes immunomédiées (anti-SRP, -HMGCR), les myosites à inclusions (anti-cN1A) et les myosites de chevauchement (anti-RNP, -PM/ScL, -Ro, -Ku, -synthétases). Très peu d’essais thérapeutiques contrôlés sont disponibles, ce qui s’explique par la rareté et l’hétérogénéité de la pathologie. Le traitement des MII repose essentiellement sur l’utilisation de glucocorticoïdes, éventuellement associés à un autre immunosuppresseur, le plus souvent du méthotrexate, quoique qu’aucune étude contrôlée n’ait formellement démontré son efficacité.
Les gammaglobulines intraveineuses (IV IG), purifiées à partir de plasma humain, ont été testées avec succès il y a plus de 20 ans sur une quinzaine de patients souffrants de DPM (23).
Tout récemment, les résultats de l’étude PRODERM ont été publiés (24). Dans un essai de courte durée (16 semaines) effectué sur des cas de DPM réfractaires, 47 patients ont été randomisés dans le groupe IV IG (2g/kg toutes les 4 semaines) et 48 dans le groupe placebo. Utilisant un score fonctionnel composite, examinant les différents aspects de la pathologie, les auteurs ont pu démontrer la supériorité des IV IG, en notant toutefois un risque accru d’accidents thromboemboliques. Les IV IG (Octagam 10%R) sont à présent admises au remboursement en Belgique dans des cas de dermatomyosites réfractaires.
Références
- Tamirou F, Baert C, Montigny P, et al. Innovations thérapeutiques 2021 Rhumatologie – Prise en charge de la néphrite lupique et de la polyarthrite rhumatoïde : quelles nouveautés en 2021 ? Louv Med. 2022 : 146-152.
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Affiliations
Service de Rhumatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, Pôle de Pathologies Rhumatismales Inflammatoires et Systémiques, Institut de Recherche Expérimentale et Clinique, UCLouvain, B-1200 Bruxelles
Correspondance
Pr. Frédéric A. Houssiau
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Rhumatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles