Innovations 2023 en médecine interne et maladies infectieuses

Précédent
Laurence Bamps, Leila Belkhir, Julien De Greef, Anne Vincent, Jean Cyr Yombi (1) Publié dans la revue de : Février 2024 Rubrique(s) : Médecine interne et maladies infectieuses
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

Le service de médecine interne et maladies infectieuses des Cliniques universitaires Saint-Luc aborde des pathologies intéressant l’entièreté des systèmes, et une de ses priorités est sa mission de sensibilisation et de prévention. Nous aborderons dans cette édition deux thèmes très différents, mais qui sont tous les deux des terrains d’innovations et de découvertes continuelles au cours des dernières années : le diagnostic des erreurs innées de l’immunité chez l’adulte – une entité mal connue du monde médical, qui n’est pas aussi rare qu’on le croit, et la prévention des infections sexuellement transmissibles – un sujet à la fois médical et sociétal.

Mots-clés

DADA2, erreurs innées de l’immunité, DoxyPEP, doxycycline, PrEP, IST dépistage, HSH, Chlamydia trachomatis, Neisseria gonorrhoeae, Syphilis

Article complet :

Le déficit en adénosine déaminase 2 (DADA2), une maladie rare au confluent des systèmes
Laurence Bamps, Jean Cyr Yombi

Le domaine des erreurs innées de l’immunité (EII), comprenant entre autres les déficits immunitaires primaires, reste un sujet très peu connu dans le monde médical, et d’autant plus en médecine adulte. Pourtant, les connaissances à ce sujet ont progressé de façon spectaculaire ces dernières années, avec une majoration exponentielle des nouvelles causes génétiques identifiées (1). Bien qu’elles soient rares si prises indépendamment, le spectre qui regroupe toutes les EII représente une prévalence estimée à 1/1200, une valeur probablement encore largement sous-évaluée (2).

Si le bilan (bilan immunitaire, tests fonctionnels, analyses génétiques) relève de la médecine spécialisée, il est essentiel que la première ligne soit sensibilisée aux signes qui doivent mener à référer les patients pour un bilan de ce type. Il est crucial de se rappeler que ces patients peuvent présenter des manifestations relevant tant de l’infectiologie (infections répétées, ou de présentation ou sévérité inhabituelles) que d’autres spécialités avec de l’auto-immunité et/ou auto-inflammation, de l’allergie/atopie sévère, une éosinophilie, une lymphoprolifération ou encore une prédisposition aux cancers hématologiques ou solides (2).

Le déficit en adénosine déaminase 2, maladie auto-inflammatoire de transmission autosomique récessive causée par des mutations bialléliques (perte de fonction) dans le gène ADA2, a été décrit pour la première fois en 2014 et a fait l’objet d’une revue en 2023 (3) reprenant les différentes présentations cliniques décrites. Malgré son caractère monogénique, les phénotypes des patients atteints sont très hétérogènes de même que l’âge de diagnostic (âge moyen 92.15 mois, toutefois 8.5% sont diagnostiqués après 18 ans) ; et cette entité regroupe des éléments cliniques divers (4) qui illustrent bien le caractère multi-systémique des EII, et qui peuvent facilement être banalisés :

- Atteinte cutanée, le plus fréquemment de type livedo (reticularis ou racemosa) ou vasculite cutanée (dont des lésions polyarteritis nodosa-like)

- Manifestations hématologiques (cytopénies), hépato/splénomégalie

- Fièvre récurrente

- Accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques, neuropathie

- Manifestations immunologiques (le plus souvent un déficit humoral), infections récurrentes

- Arthralgie, arthrite, myalgie

- Manifestations abdominales, rénales

Le diagnostic passe par une mesure in vitro de l’activité enzymatique ADA2 dans le plasma ou le sérum, qui sera anormalement basse ou absente ; avec un certain degré de corrélation inverse entre l’activité enzymatique résiduelle et la sévérité de la présentation. Cette analyse est réalisable aux Cliniques universitaire Saint-Luc actuellement. Une fois le déficit enzymatique attesté, le diagnostic devra être confirmé et précisé par une analyse génétique.

Sur le plan thérapeutique, les inhibiteurs du TNF-α peuvent être utiles dans les manifestations inflammatoires comme l’arthrite ou la vasculite, et permettent de réduire le risque d’AVC chez ces patients. En cas de prédisposition aux infections, la supplémentation en immunoglobulines doit être discutée.

Il est essentiel que cette entité soit évoquée dans le diagnostic différentiel notamment des AVC inhabituellement précoces, ou des dysfonctions immunitaires associés à un tableau cutané vasculitique.

Références

  1. Tangye SG, Al-Herz W, Bousfiha A, Cunningham-Rundles C, Franco JL, Holland SM, et al. Human Inborn Errors of Immunity: 2022 Update on the Classification from the International Union of Immunological Societies Expert Committee. J Clin Immunol. 2022;42(7):1473–507.
  2. Wang JJF, Dhir A, Hildebrand KJ, Turvey SE, Schellenberg R, Chen LYC, et al. Inborn errors of immunity in adulthood. Allergy, Asthma Clin Immunol. 2024;20(1):6.
  3. Maccora I, Maniscalco V, Campani S, Carrera S, Abbati G, Marrani E, et al. A wide spectrum of phenotype of deficiency of deaminase 2 (DADA2): a systematic literature review. Orphanet J Rare Dis. 2023;18(1):117.
  4. Fayand A, Sarrabay G, Belot A, Hentgen V, Kone-Paut I, Grateau G, et al. Les multiples facettes du déficit en ADA2, vascularite, maladie auto-inflammatoire et immunodéficit : mise au point à partir des 135 cas de la littérature. Rev Médecine Interne. 2018;39(4):297–306.

Infections bactériennes sexuellement transmissibles : mieux vaut prévenir que guérir ?
Laurence Bamps, Leila Belkhir, Julien De Greef, Anne Vincent, Jean Cyr Yombi

Le dépistage de Chlamydia trachomatis et de Neisseria gonorrhoeae chez l’homme asymptomatique

Les derniers rapports de l’ECDC montrent une augmentation globale de l’incidence des infections sexuellement transmissibles (IST) en Europe, particulièrement marquée chez les hommes cisgenres ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) (1). L’importance du dépistage des populations à risque, notamment des personnes éligibles pour la prophylaxie pré-exposition (PrEP) du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), est mise en avant. Pourtant en 2023, l’attitude qui faisait préalablement consensus, à savoir de dépister (et traiter en cas de test positif) de façon systématique et régulière toutes les IST chez les patients faisant partie des populations à haut risque, a été remise en question – plus précisément en ce qui concerne le dépistage et le traitement de Chlamydia trachomatis et de Neisseria gonorrhoeae chez les HSH asymptomatiques (2). Ce dépistage est habituellement réalisé par PCR sur un échantillon comportant un « pool » des frottis de gorge, d’anus, et d’un prélèvement urinaire.

Le rationnel de ce changement repose sur plusieurs données, avec des implications tant sur la santé individuelle que collective. Premièrement, une proportion substantielle des tests PCR revenant positifs pour ces pathogènes chez les HSH correspondent à des individus asymptomatiques (70% pour C. trachomatis, 80% pour N. gonorrhoeae) ; par ailleurs ces tests très sensibles ne permettent pas de différencier ni un portage transitoire, ni une infection résolue, d’une infection active. S’il peut sembler intuitivement raisonnable de traiter ces patients pour réduire leur risque de développer une forme symptomatique d’une part, ou de transmettre ces bactéries à leur(s) partenaire(s), il ne faut pas négliger dans l’estimation de la balance bénéfice/risque l’impact de la surconsommation d’antibiotiques. En effet, la prescription massive et itérative de ceftriaxone et de doxycycline ou de leurs alternatives (dont les macrolides) chez ces patients exerce une pression de sélection considérable qui promeut l’émergence de micro-organismes multirésistants (3) ; ce qui, outre l’impact sur le microbiote à l’échelle individuelle, représente un enjeu majeur de santé publique – sans compter le coût des tests et traitements (2,4).

De façon plus pragmatique, les données les plus récentes n’ont pas permis de démontrer qu’une stratégie de dépistage/traitement régulier (tous les 3 mois) de C. trachomatis et de N. gonorrhoeae chez les HSH permettrait une réduction significative de la prévalence ou de la circulation de ces infections. En revanche, il est bien démontré qu’une stratégie de dépistage moins systématique permet de réduire très significativement la prescription d’antibiotiques (4). L’étude belge GonoScreen (5), une étude randomisée contrôlée multicentrique débutée en 2020 et toujours en cours à ce jour, a prépublié en 2023 des résultats allant dans le même sens. Dans cette étude menée chez des HSH prenant la PrEP, tous les patients asymptomatiques étaient testés à chaque visite pour C. trachomatis et N. gonorrhoeae, et séparés en deux bras : un groupe « dépistage » dans lequel le résultat du test était communiqué avec prescription d’un traitement antibiotique en cas de test positif, et un groupe « non-dépistage » dans lequel le résultat du test n’était pas communiqué. Les résultats de l’étude ont confirmé qu’un dépistage systématique chez ces patients ne permettait pas d’obtenir une réduction d’incidence d’infections à N. gonorrhoeae. Une légère réduction de l’incidence de C. trachomatis était observée chez les patients du groupe « dépistage » ; toutefois cette différence disparaissait après avoir éliminé le biais d’infections non-traitées (considérant que plusieurs dépistages positifs consécutifs chez un même patient non-traité constituaient un seul épisode infectieux et non plusieurs).

Ces résultats ont, depuis peu, modifié les pratiques dans les centres de référence belges, qui ne recommandent plus de dépister ces deux bactéries chez les hommes asymptomatiques ayant des relations uniquement avec des hommes. Néanmoins, ces dépistages (et traitement le cas échéant) restent indiqués en cas de présence de symptômes évocateurs, chez les partenaires d’une personne symptomatique, ou chez les hommes ayant également des rapports avec des femmes. Bien évidemment, cette stratégie ne dispense aucunement d’un suivi médical régulier, que ce soit pour le dépistage des autres IST (VIH, hépatites, syphilis) chez les patients à risque, ou pour la toxicité de la PrEP le cas échéant. Rappelons enfin que l’usage du préservatif reste un des moyens de prévention les plus efficaces contre ces IST.

Quelle place pour la « doxy-PEP » ?

2023 a également été marquée par la publication des résultats de l’étude DoxyPEP (6), confirmant l’intérêt d’une prophylaxie post-exposition (PEP) par doxycycline (200mg per os en dose unique dans les 72 heures suivant un rapport sexuel non-protégé) dans la prévention de certaines IST. Dans cette étude randomisée contrôlée, menée entre 2020 et 2022 chez des HSH cisgenres et des femmes transgenres prenant la PrEP ou vivant avec le VIH et bénéficiant d’un dépistage des IST tous les 3 mois, la doxy-PEP permettait de réduire significativement l’incidence des infections (symptomatiques et asymptomatiques confondues) à N. gonorrhoeae (risque relatif 0,45 dans la cohorte PrEP et 0,43 dans la cohorte VIH), à C. trachomatis (RR 0,12 et 0,26), et de la syphilis (RR 0,13 et 0,23). L’incidence combinée de ces IST dans le groupe interventionnel était réduite de deux tiers par rapport au groupe contrôle. Si ces résultats démontrent une efficacité indéniable et ont suscité un grand enthousiasme tant dans le monde médical que dans la population cible, ils soulèvent malgré tout plusieurs questions.

Premièrement, opter pour une prescription systématique de la doxy-PEP chez les HSH présentant un risque accru d’exposition aux IST, rentrerait potentiellement en contradiction avec l’attitude que nous avons développée dans le sujet précédent. En effet, est-il pertinent de prescrire à un large public et de façon répétée, une antibiothérapie prophylactique dans le but de prévenir des infections en particulier à N. gonorrhoeae et à C. trachomatis, alors que le dépistage et traitement de ces infections au stade asymptomatique (qui constituent la grande majorité des tests positifs chez ces patients) n’a pas démontré de bénéfice net ?

La question de l’impact sur la sélection de résistances aux antibiotiques doit également rester à l’avant-plan. Déjà sur un échantillon réduit, l’étude DoxyPEP a en effet démontré un portage plus fréquent de Staphylococcus aureus résistants à la doxycycline chez les patients prenant cette prophylaxie, ainsi qu’une incidence plus importante d’infection à N. gonorrhoeae résistant aux tétracyclines (6). Si ces majorations sont décrites comme « modestes » dans l’étude, et si la résistance aux tétracyclines n’a pas encore été décrite pour C. trachomatis, ces données ne rassurent en rien quant à l’impact potentiel de cette pression antibiotique à long terme et à plus large échelle.

Il faut mentionner également certains résultats plus nuancés : l’étude française IPERGAY (7) avait montré une réduction plus modeste de certaines IST avec la doxy-PEP chez les HSH sous PrEP, notamment sans efficacité démontrée sur l’incidence de la gonorrhée – ces résultats sont probablement influencés par le fait que cette étude limitait la doxy-PEP à un nombre maximal de 3 prises par semaine, là où l’étude DoxyPEP (6) ne fixait pas de limitation. Dans une autre étude réalisée au Kenya (8), cette fois chez les femmes cisgenres sous PrEP, le bénéfice de la doxy-PEP sur l’incidence des IST n’a pas été retrouvé ; toutefois ces derniers résultats ont aussi été influencés par une adhérence faible à l’usage de la doxycycline prophylactique dans le groupe étudié. Comme attendu, le taux variable mais significatif de résistance de N. gonorrhoeae à la doxycycline conditionne également ces résultats (7,8).

À ce stade, notre centre opte pour une sélection prudente et sur base individuelle des patients à plus haut risque, chez qui le bénéfice de la doxy-PEP nous parait surpasser les effets néfastes potentiels (par exemple, les HSH présentant des épisodes itératifs d’IST bactériennes symptomatiques ou de syphilis chaque année). Il est important de tenir compte des données de la vie réelle et de la nécessité d’endiguer la progression de l’incidence des IST. L’étude DoxyPEP n’a pas démontré de modification dans les comportements sexuels à risque chez les patients étudiés sous prophylaxie (9). Toutefois, la mise à disposition de ce type de prophylaxie rend d’autant plus cruciale la promotion du safer sex, et notamment du port du préservatif. L’empowerment du patient passe avant tout par la communication thérapeutique bienveillante d’une information nuancée et documentée, notamment au sujet des risque et réserves évoqués ci-dessus.

Références

  1. ECDC. Rising rates of sexually transmitted infections across Europe [Internet). 2023 [cited 2024 Jan 30);Available from: https://www.ecdc.europa.eu/en/news-events/rising-rates-sexually-transmit...
  2. Williams E, Williamson DA, Hocking JS. Frequent screening for asymptomatic chlamydia and gonorrhoea infections in men who have sex with men: time to re-evaluate? Lancet Infect Dis. 2023;23(12):e558–66.
  3. Truong R, Tang V, Grennan T, Tan DHS. A systematic review of the impacts of oral tetracycline class antibiotics on antimicrobial resistance in normal human flora. JAC-Antimicrob Resist. 2022;4(1):dlac009.
  4. Kenyon C, Herrmann B, Hughes G, Vries HJC de. Management of asymptomatic sexually transmitted infections in Europe: towards a differentiated, evidence-based approach. Lancet Reg Heal. - Eur 2023;34:100743.
  5. Vanbaelen T, Tsoumanis A, Florence E, Dijck CV, Veld DH in ‘t, Sauvage AS, et al. Does screening for Neisseria gonorrhoeae and Chlamydia trachomatis affect the incidence of these infections in men who have sex with men taking HIV pre-exposure prophylaxis (PrEP)Results from a randomized, multicentre controlled trial (the Gonoscreen study). medRxiv 2023;2023.08.14.23294056.
  6. Luetkemeyer AF, Donnell D, Dombrowski JC, Cohen S, Grabow C, Brown CE, et al. Postexposure Doxycycline to Prevent Bacterial Sexually Transmitted Infections. N Engl J Med. 2023;388(14):1296–306.
  7. Molina JM, Charreau I, Chidiac C, Pialoux G, Cua E, Delaugerre C, et al. Post-exposure prophylaxis with doxycycline to prevent sexually transmitted infections in men who have sex with men: an open-label randomised substudy of the ANRS IPERGAY trial. Lancet Infect Dis. 2018;18(3):308–17.
  8. Stewart J, Oware K, Donnell D, Violette LR, Odoyo J, Soge OO, et al. Doxycycline Prophylaxis to Prevent Sexually Transmitted Infections in Women. N Engl J Med. 2023;389(25):2331–40.
  9. Chiu Y, Tsai C. Postexposure Doxycycline for Sexually Transmitted Infections. N Engl J Med. 2023;389(3):286–7.

Affiliations

Cliniques universitaires Saint-luc, Médecine interne et maladies infectieuses, B-1200 Bruxelles

Correspondance

Dre Laurence Bamps, MD
Résidente en médecine interne et maladies infectieuses
Cliniques universitaires Saint-luc
Médecine interne et maladies infectieuses
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
laurence.bamps@saintluc.uclouvain.be