Nouveau projet clinique pour l’Institut de Psychiatrie (partie adulte)
Philippe de Timary, Laurence Ayache, Denis Chaidron, Francesca Vellozi, Jamal Ziane, Francesca Melas, Nausica Germeau, Alain Luts, Avigaëlle Amory, Catherine Bataille de Longprey, Achille Bapolisi, Gerald Deschietere
État des lieux
Le service de Psychiatrie Adulte est sur le point d’opérer une grande mutation dans le contexte de la construction de l’Institut de Psychiatrie Intégré (IPI) sur le site de Woluwé, à quelques mètres seulement des cliniques Saint-Luc et ceci dans un partenariat avec les équipes de la clinique Sanatia, pôle psychiatrique du groupe Valisana, qui nous rejoint dans ce projet. D’un point de vue hospitalier, les deux institutions possèdent des lits de type aigu, 24 pour la psychiatrie Saint-Luc, et 70 pour la clinique Sanatia.
Historiquement, en 2011, Sanatia (qui regroupe, outre les 70 lits de psychiatrie aigüe, la Maison de Soins Psychiatriques Sanatia et le centre de jour le Canevas) a été reprise par les cliniques Saint-Luc. La clinique Sanatia fait partie du groupe Valisana, ASBL qui regroupe aussi l’hôpital Valida, qui propose des soins en gériatrie et en revalidation. Bien qu’appartenant à deux ASBL différentes, les deux services de Psychiatrie Adulte de Sanatia et de Saint-Luc construisent un projet de psychiatrie cohérent, rassemblant sur le même lieu les équipes qui ont au départ des cultures de travail différentes, au sein du bâtiment qui comprendra donc 94 lits. Le point de convergence du projet est celui d’un socle éthique commun (participation active à la réforme de la psychiatrie ; promoteurs innovateurs avec d’autres partenaires des équipes mobiles, insertion dans le réseau, qualité de l’accueil et sensibilité importante pour les dimensions d’isolement social et de stigmatisation des populations de patients psychiatriques).
Un environnement de pensée et de recherche
Un ancrage psychodynamique à l’UCLouvain comme à Sanatia : L’UCL a été reconnue comme une université où la réflexion psychodynamique s’est épanouie de manière importante dans les années 1960 à 1980, représentant ce qui s’est appelé alors l’Ecole de Louvain, avec des personnalités comme Jacques Schotte et Alphonse de Waelhens. Cet ancrage et ces réflexions se sont perpétués au moment du transfert du Service de psychiatrie de Leuven à Woluwé, sous la direction du Professeur Léon Cassiers et en particulier au sein du SSM Chapelle aux Champs, qui travaille en relation étroite avec le Service de Psychiatrie Adulte des cliniques Saint-Luc. Par la suite, une interrogation plus systémique de la clinique s’est également déployée, en parallèle avec la psychanalyse à Chapelle aux Champs et ces deux courants de pensée continuent à s’épanouir, en particulier à travers des certificats universitaires de formation à la psychothérapie, qui restent très actifs et viennent aussi soutenir la formation des assistants en médecine en parallèle avec d’autres courants, que sont les approches cognitivo-comportementale, humaniste, ainsi qu’un courant plus axé sur la phénoménologie existentielle. Par ailleurs, l’hôpital Sanatia entretient aussi une réflexion poussée sur le plan psychanalytique, en lien direct avec la clinique. Sanatia est également un lieu reconnu pour le déploiement d’une réflexion inspirée du modèle de la thérapie institutionnelle et attire de jeunes psychiatres en formation intéressés par les deux approches. La vision ouverte qui s’est développée permet l’épanouissement d’une réflexion sur les différentes pratiques, d’interrogations épistémologiques, d’approches éventuellement éclectiques, dans une bonne compréhension des bases épistémologiques de chaque courant de pensée et sans recherche d’une approche syncrétique, mais plutôt dans la persistance d’une dialectique.
Des rapports étroits ont également été établis avec l’Institut Santé et Société qui développe une réflexion sur le rôle des facteurs sociaux dans le bien-être et le rétablissement des patients psychiatriques et dont les outils et leurs applications cliniques possibles ont été testés tant à Sanatia qu’à Saint-Luc.
Des relations fructueuses se sont également développées avec l’Institut de Psychologie de l’UCLouvain, où une équipe très active de chercheurs en psychopathologie ou en psychologie de la santé qui viennent fréquemment tester leurs hypothèses de recherche auprès des patients des différentes institutions avec des possibilités de retour vers la clinique, en particulier dans le domaine de la cognition sociale et de la métacognition qui apparaissent de plus en plus comme des éléments pronostics déterminants en psychopathologie et peuvent facilement être reliés à des éléments cliniques, ouvrant des pistes thérapeutiques et préventives. D’autres thématiques, comme l’étude de l’écart entre les sois ou du rôle de la conscience de soi, sont aussi très proches des préoccupations des cliniciens et peuvent servir de guide de réflexion aux patients pour prendre conscience de la nature et des raisons de la détresse qu’ils ressentent, ce qui augmente leur participation active aux soins.
L’Institut de Psychiatrie pourra aussi bénéficier du développement des projets de l’Institut de Neuroscience, localisé essentiellement sur le site de Woluwé, où se déploient des projets importants, en lien direct avec la clinique, utilisant des techniques d’imagerie cérébrale, le développement de projets ambitieux autour de l’utilisation des EEG et des Potentiels Evoqués dans une visée de déploiement clinique et d’apport aux équipes pour améliorer l’accompagnement des patients par l’orientation de choix thérapeutiques et le développement individualisé de programmes de rétablissement.
Finalement, une collaboration s’est aussi instaurée avec le Département de Sociologie de l’Université Saint-Louis à Bruxelles, avec le Professeur Nicolas Marquis, autour de l’analyse des parcours de soins des patients psychiatriques, particulièrement dans le contexte de leur accompagnement par l’équipe mobile de crise des Cliniques Saint Luc.
L’ensemble de ces recherches traduisent une réflexion tant sur les dispositifs de soins que sur les pathologies en elle-même, et pourront se poursuivre autour d’autres dispositifs au sein de l’IPI. La Clinique Sanatia est connue au sein du réseau par son ouverture sur l’ambulatoire et les structures intermédiaires (asbl l’équipe, IHP Messidor, asbl Antonin Artaud, Wops de nuit, divers services de santé mentale etc.)
Un projet de psychiatrie humain et universitaire
Le projet de psychiatrie que nous souhaitons développer à l’IPI est un projet de psychiatrie profondément humain intégrant l’entièreté du trajet du patient, et appuyé dans sa recherche d’excellence et d’innovation sur le caractère universitaire ; il sera au fur et à mesure des années, amené à proposer des soins dits d’activité tertiaire +, c’est-à-dire la gestion de situations très complexes, sur le plan psychiatrique ou combinant une dimension somatique et psychiatrique, des cas d’urgence critique, ou des situations nécessitant des équipements de pointe (imagerie, EEG, PE, polysomnographie, électro-convulsivothérapie). Pour répondre à ces besoins il est essentiel de développer un projet de psychiatrie spécialisé. Même si l’ambition à terme est de lui donner ce caractère universitaire, l’aspect technique qui semble y être associé n’exclut en aucun cas la dimension humaine et de travail sur le lien qui est une des forces des services qu’il va rassembler et qui rejoint d’ailleurs les projets de recherches. Ceci sera développé plus bas dans une section consacrée à cette dimension du lien social et de la socialisation.
Le développement d’une spécialisation des unités
Les unités hospitalières de Sanatia et de Saint-Luc étaient au départ des unités de psychiatrie générales, comme la plupart des services de psychiatrie à Bruxelles. La vocation universitaire amène au développement de projets de soins comprenant des activités tertiaires +, permettant la prise en charge de situations complexes. Ceci nous a orienté vers le développement d’unités spécialisées lors de la construction du projet clinique. La raison principale de la spécialisation est de développer au cours du temps une compréhension plus fine des pathologies, par une formation spécifique des équipes, la rencontre répétée de patients dont les spécificités et les différences apparaîtront de manière plus évidente au sein d’une population plus homogène que dans le cadre de la psychiatrie générale. Ceci permettra avec le recul d’élaborer des soins plus adaptés et plus individualisés aux situations de chaque patient. Par ailleurs, cette spécialisation permet aussi une meilleure articulation avec des activités de recherche, propres à l’université, et qui rapidement viendront compléter la compréhension des pathologies des patients rencontrés et le développement de nouvelles cibles d’intervention, de nature interpersonnelle ou médicamenteuse. Les spécificités des unités sont décrites brièvement dans les tableaux ci-joint et seront détaillées dans l’article associé pour le modèle scindé d’accompagnement des troubles de l’humeur et de la personnalité et dans de futurs articles pour les deux autres unités.
Rétablissement
Le rétablissement en santé mentale (« recovery ») est une notion relativement récente qui est née du constat fait par des usagers et par des professionnels de santé et des chercheurs que la notion médicale classique de guérison ne parvenait pas à décrire correctement les processus en jeu chez des personnes ayant traversé un ou plusieurs épisodes psychiatriques et étant éventuellement touchés de manière chronique par la pathologie. Plutôt que la recherche d’une guérison, les patients recherchent plus, par un processus individuel ou collectif, une plus grande autonomisation et d’empowerment, alors qu’ils portent selon les nomenclatures en vigueur un diagnostic de trouble psychiatrique sévère.
En renonçant au modèle médical strict de guérison, le rétablissement propose de prendre en compte le point de vue de l’individu.
Patricia Deegan, une chercheuse américaine, atteinte elle-même de schizophrénie et qui a œuvré activement à l’amélioration de la compréhension des déterminants subjectifs du rétablissement s’exprime de la manière suivante : « Le rétablissement, c’est une attitude, une façon d’aborder la journée et les difficultés qu’on y rencontre. Cela signifie que je sais que j’ai certaines limitations et qu’il y a des choses que je ne peux pas faire. Mais plutôt que de laisser ces limitations être une occasion de désespoir, une raison de laisser tomber, j’ai appris qu’en sachant ce que je ne peux pas faire, je m’ouvre aussi aux possibilités liées à toutes les choses que je peux faire ».
La participation active des usagers de soins est donc indispensable dans ce modèle particulier. Le modèle du rétablissement implique aussi dans sa conception que la personne souffrant d’un trouble psychique sévère doit faire face et améliorer non seulement l’expression des symptômes propres à la maladie, mais aussi s’accommoder des conséquences sociales négatives liées à la stigmatisation des troubles psychiques. Ce modèle s’appuie sur des données probantes, épidémiologiques et cliniques, issues des sciences humaines, sociales et biologiques, qui montrent que l’expression des symptômes psychiques joue finalement un rôle moins important que les facteurs environnementaux et sociaux dans la désinsertion socioprofessionnelle des personnes souffrant d’un trouble mental sévère.
Les institutions hospitalières qui accompagnent les patients lors de décompensation sévères de leur maladie mentale intègrent peu à peu ce modèle du rétablissement. Il s’agit d’un mouvement général initié au sein de différentes institutions psychiatriques et qui a par ailleurs été soutenu par des formations/échanges spécifiques orchestrés par la fondation Roi Baudouin. Tout l’enjeu consiste donc à créer une nouvelle philosophie de soins qui intègre cette dimension de rétablissement.
Une spécificité autour de la question du lien et de l’isolement social
La solitude peut être définie comme l’expérience subjective d’un isolement émotionnel et social. L’isolement social qui y est relié peut être décrit comme la réalité objective d’une impossibilité à s’appuyer sur des liens sociaux. La crise COVID et le confinement qu’elle a entraîné ont donné lieu à une flambée des difficultés de santé mentale. Au-delà de cette crise, il est actuellement bien établi que l’isolement social et la solitude ont tendance à se développer de manière de plus en plus marquée dans de société, et de manière exacerbée pour les populations psychiatiques. L’isolement social et la solitude doivent être considérés comme des marqueurs importants de santé publique. Il est maintenant reconnu que leur impact sur la morbidité ou la mortalité est équivalent à celui du tabagisme et supérieur à celui de l’obésité. Leur évolution négative constitue un signal d’alarme d’une aggravation des problèmes de santé dans le futur, de la même manière que les évolutions péjoratives de l’alimentation survenue dans les années 1970 (alimentation industrielle, surperprocessée) auraient dû prédire l’épidémie d’obésité qui s’est développée dans les décennies qui ont suivi. S’il existe une spécialité médicale qui s’attaque directement à ces facteurs de risque psychosociaux, c’est certainement la psychiatrie où les effets de l’isolement social et de la solitude se marquent plus qu’ailleurs. Au point qu’une part importante de travail des services de psychiatrie consiste justement à déstigmatiser, à dés-isoler les patients dont la perte des liens sociaux vient se surajouter à la souffrance psychique liée à leur maladie mentale et constitue une sorte de « double peine », qui freine leur rétablissement, se surajoutant à la maladie mentale elle-même. Un travail spécifique sur la socialisation et l’identité sociale n’a probablement pas encore assez fait son chemin au sein de la psychiatrie, où pourtant il devrait être un levier majeur du travail autour des patients fragilisés que nous recevons et constituera un des points de force de l’IPI. Le degré d’appartenance ou de lien à différents groupes sociaux définit l’identité sociale d’un individu et participe de manière importante au développement de sa personnalité. Cette identité sociale va être profondément déstabilisée par le développement d’une maladie mentale ou par l’exposition à des situations traumatiques, venant entraver par ce biais le rôle essentiel que peut avoir le soutien social pour faire face à la maladie.
De réelles compétences pour faire face à l’isolement social aux Cliniques Sanatia et Saint-Luc
Par ailleurs, que ce soit au niveau de la clinique Sanatia ou du service de psychiatrie adulte des cliniques Saint-Luc, la question de la qualité de l’accueil des patients psychiatriques est tout à fait centrale. La clinique Sanatia a développé une approche dite de Haut-accueil, qui a pour fonction d’accueillir des patients dont la complexité pathologique rend l’admission difficile dans la plupart des institutions psychiatriques. En parallèle, aux cliniques Saint-Luc, au service des urgences psychiatriques, on développe un accueil 24h sur 24 des personnes en détresse psychologique, dans le but d’apaiser, parfois simplement par la qualité du contact et de l’écoute, les souffrances et la crise rencontrées par le patient. La question de la qualité de l’accueil, du temps spécifique dédié à la première rencontre du patient en détresse, du temps d’explication des caractéristiques du cadre hospitalier proposé est centrale aussi dans les autres unités des cliniques Saint-Luc, que sont l’unité 21 ou l’unité 74. Au niveau de la psychiatrie de liaison une part importante du travail consiste à entendre la nature des attentes des patients, vis-à-vis des « somaticiens » qui n’ont pas toujours conscience de l’angoisse générée par les situations d’hospitalisations et qui les amène à se sentir isolés et incompris dans ce qu’ils vivent. Cette question d’une écoute accueillante face à l’individu qui se sent seul a clairement fait l’objet d’un travail spécifique, à la fois du côté de Sanatia et des différentes unités fonctionnelles du Service de psychiatrie adulte des cliniques Saint-Luc. Une des ambitions du projet clinique, soutenu par le projet de recherche est de porter plus loin encore la compréhension de la manière dont le travail clinique autour de la question du lien social, des dimensions qui peuvent le rendre difficile, peut constituer un outil central dans le travail avec les populations psychiatriques que nous sommes amenés à rencontrer. Ces capacités d’accueil du patient, très développées à Sanatia et à Saint-Luc, seront des réels atouts pour l’accompagnement des patients dans la perspective du rétablissement, en collaboration étroite avec le réseau. Les modèles thérapeutiques développés sont basés sur une expertise clinique construite sur des années d’expérience et des participations à des formations permettant le développement d’outils thérapeutiques adaptés en particulier aux sujets psychotiques.
Dans cet esprit d’ouverture, passé la porte du service, tous les intervenants ont des rôles et des responsabilités différentes, mais ont tous pour objectif de prendre soin de l’autre. Cette expérience est mobilisatrice de la singularité et de la subjectivité de chacun. Cette approche tente d ’appréhender la souffrance du patient dans ses divers modes d’expression et de proposer un traitement qui évite le morcellement des interventions thérapeutiques. Dans un service aigu, le patient arrive le plus souvent avec une production de symptômes dits positifs ou négatifs qui sont l’expression de son existence à un moment particulier de sa vie. L’accueil en milieu hospitalier soutient les soins, mais constitue aussi parfois, très rapidement après son admission, un lieu de socialisation pour le patient. Les lieux de liens pourraient être un relais post hospitalisation. La contention « Institutionnelle » a des effets thérapeutiques en soi.
Finalement, la Médiation Interculturelle est une des dimensions qu’apporte la clinique Sanatia qui la pratique pour l’instant en milieu turcophone et arabophone, d’autres langues pourraient s’y ajouter. Elle intervient en ambulatoire et hospitalier. Ce point d’ouverture sur le multiculturalisme bruxellois est une opportunité de développer des interactions et des interventions systémiques auprès de familles et /ou de groupes culturels. Pour ces derniers, la question des troubles mentaux peut rencontrer des résistances avec des croyances et des superstitions portées par la famille ou le groupe. Il s’agit de déstigmatiser les soins pour ces populations. Ce travail nous tient à cœur car il produit un espace favorable au déploiement des soins et des effets déterminants pour bon nombre de nos patients souffrant de psychose aiguë comme chronique.
Une Éthique de travail comme socle thérapeutique
Les 2 qualités incontournables de ces équipes sont la créativité et la rigueur afin de garantir la liberté et la sécurité des pratiques et des patients. Le soin est un acte et le premier engagement médical est de ne pas nuire. Nous disposons pour ce faire, d’une communication transversale entre les soignants destinée à produire un plus de pensée.
Nous savons que les soignants subissent les effets des conduites et des troubles de ceux qu’ils soignent et les malades à leur tour subissent les pathologies de l’équipe soignante ; il est donc fondamental de se donner les moyens de soigner ce lien*. Pour ce faire, les services se dotent de diverses réunions, cliniques, communautaires et institutionnelles ainsi que de supervisions extérieures. Elle a également une attention particulière à concevoir un accueil, une rencontre qui se veut sans jugement, sans condition particulière à part celle d’un échange empli de respect et adaptée aux profils rencontrés et à leur famille.
Les projets persistant au sein des cliniques Saint-Luc : Le Pôle de Psychiatrie Adulte
L’implantation d’une série d’activités de la psychiatrie au sein de l’IPI ne signifie pas pour autant que la psychiatrie se désintéresse des activités qu’elle assume depuis des années au sein des cliniques Saint-Luc, au contact direct avec les autres spécialités. Dans cette section, nous développons des activités qui se poursuivront au sein de la tour principale de Saint-Luc.
Une activité importante de psychiatrie en interaction constante avec les autres domaines de la médecine est l’unité de crise psychiatrique des cliniques Saint-Luc, qui accompagne depuis les années 80 les patients présentant un épisode de décompensation aigüe, dans le contexte d’une maladie psychiatrique ou dans le contexte d’une crise de vie ou familiale, justifiant une demande de soins psychiatriques en urgence. Le travail se fait dans une interaction directe avec les somaticiens urgentistes, dont les locaux sont partagés. Cette unité fonctionne 24h/24, 7 jours sur 7, grâce à un pool de permanents et le soutien, la nuit, le week-end d’assistants de garde, sous la guidance d’un superviseur. Cette unité reçoit régulièrement des situations d’urgence critique et correspond de ce fait à des soins dits d’activité tertiaire+. Elle est aussi un lieu d’expertise reconnu pour les demandes de Mise en Observation. Elle a développé au cours des années une activité d’excellence dans ce domaine, qui lui vaut une réputation internationale et d’avoir servi de modèle précurseur à ce qui se développe dans d’autres institutions en Europe. Elle accueille actuellement plus de 6000 situations différentes par an.
Une des contraintes liées à cette unité est qu’elle reçoit un grand nombre de patients pour lesquels il y a une nécessité d’hospitalisation rapide, ce qui nécessite un vrai réseau d’aval. En ce qui concerne le réseau d’aval, du fait de l’organisation de l’IPI en unités spécialisées et de la recherche de soins spécialisés dans des programmes spécifiques, l’IPI ne peut pas être considéré comme seul lieu d’aval pour l’unité de crise, même s’il va rester un lieu privilégié. Nous devons donc poursuivre le travail avec le réseau pour permettre l’accueil d’une part importante des patients de l’unité de crise en dehors de l’IPI. Le risque sinon est de créer un effet d’appel où l’ouverture importante de l’unité de crise sur l’extérieur et la tradition de haut accueil des unités de soins aboutissent au fait que nous ne puissions pas mettre en place l’approche de soins spécialisés dits d’activité tertiaire +.
Unité mobile de crise
L’unité mobile de crise est une unité récente (2013) qui se charge de l’accompagnement ou de la rencontre de patients à domicile, à la demande de tiers. Elle répond à une évolution actuelle de la psychiatrie vers une approche « d’outreach » pour des patients qui se trouvent dans une situation de détresse ou de décompensation à domicile d’une pathologie psychiatrique et qui ont besoin, de manière aigüe d’un accompagnement. Sur base de la demande d’un tiers (un proche, un médecin généraliste…), un contact est pris pour essayer de mettre en place une rencontre, qui parfois pourra se dérouler dans les locaux de la clinique, mais aura lieu de préférence au domicile du patient ou dans un lieu tiers, pour créer un premier contact avec les patients et un dialogue en vue du développement d’un premier accompagnement de celui-ci sur le plan psychiatrique. Cette unité mobile de crise se déplace sur un territoire circonscrit de la région bruxelloise et pour une durée limitée (maximum 6 semaines). Les accompagnements à domicile de plus grande durée sont assurés par l’équipe TELA, dépendant de Titeca, et qui couvre le même territoire.
La première activité d’une psychiatrie au service à s’être développée au sein des cliniques au moment de sa création et en contact direct avec les autres domaines de la médecine est la psychiatrie de liaison qui se préoccupe directement des soins psychiatriques aux patients hospitalisés pour des problématiques somatiques. Elle est présente au sein des cliniques Saint-Luc depuis leur ouverture. Ses missions peuvent se résumer à trois types d’interventions : 1. l’accompagnement des collègues spécialistes lorsqu’ils doivent prendre en charge sur le plan somatique des patients souffrant d’une pathologie psychiatrique (exemple : patient schizophrène hospitalisé pour une mise au point de diabète ; patients suivi sur un plan orthopédique suite à une tentative de suicide chez un patient présentant une dépression mélancolique…) ; 2. accompagnement au sein des cliniques de patient présentant au départ une problématique somatique, mais qui décompensent sous forme de détresse lors de leur séjour hospitalier (exemple : patient hospitalisé pour des soins à un pied diabétique et qui décompense dans la perspective encore incertaine d’une amputation ; patient hospitalisé aux soins intensifs et qui présente une forme de délirium suite à la perte des repères spacio-temporaux et aux médications qu’il reçoit ; patient présentant un délirium tremens à l’étage avec agitation…) ; 3. missions d’expertises psychiatriques (accompagnement des donneurs vivants dans le contexte de greffes d’organe ; évaluation préchirurgicale pour chirurgie de l’épilepsie dans le cadre de la convention pour l’épilepsie réfractaire ; évaluation du diagnostic différentiel entre malaise épileptiforme et épilepsie avérée, en collaboration avec les neurologues ; collaboration autour de demande d’euthanasie…). Une des caractéristiques du secteur de psychiatrie de liaison est son interaction permanente avec les services somatiques et implique qu’elle soit coordonnée par une psychiatre qui connaisse bien l’institution et les collègues somaticiens, pour répondre d’une manière adaptée aux besoins de l’institution.
L’unité « intégrée d’hépatologie », unité hospitalière qui accompagne des problématiques de dépendance à l’alcool, existe depuis 2003. Elle est née d’une collaboration entre le Service d’Hépato-Gastroentérologie et le Service de Psychiatrie Adulte. La dimension multifactorielle de l’affection a naturellement poussé les équipes à mettre en place un dispositif permettant d’assurer des soins tant psychiques que physiques chez le patient alcoolique. L’unité comporte dix lits et est située au sein d’une unité somatique. La dimension somatique, son caractère ouvert sur l’extérieur (il n’y a pas de période d’isolement complet ou d’enfermement), le fait qu’il soit organisé en deux périodes de sept jours d’hospitalisation séparés par une semaine de retour à domicile et que les contraintes liées à l’hospitalisation soient établies sous forme d’un contrat écrit et moral et non d’une porte fermée diminue le caractère stigmatisant du dispositif, et traduit de la part de l’unité une dimension de confiance vis-à-vis des patients dans leur aptitude à faire face à leur addiction et constitue également une manière de les responsabiliser vis-à-vis de leurs habitudes de consommation.
Une des originalités importantes du programme est la semaine de retour à la maison. Le patient est alors confronté au maintien de l’abstinence dans son cadre de vie et son environnement. La réalité de ce modèle scindé est décrite dans l’article associé dans le présent numéro.
L’ensemble de ces activités seront regroupées sous la forme d’un Pôle de Psychiatrie Adulte, regroupant les activités de l’Unité de Crise et de l’Equipe Mobile, de la Psychiatrie de Liaison, de l’activité d’Alcoologie et qui sera amené à travailler de manière coordonnée, pour répondre de manière efficace aux besoins de l’hôpital. Nous souhaitons compléter ces éléments par des lits psychiatriques pouvant répondre aux besoins d’une part des lits d’Hospitalisation Provisoire lié aux urgences et d’autre part pour accompagner des patients présentant une problématique psychiatrique et somatiques, en coordination avec un interniste.
Projets en cours d’élaboration
Développement d’un projet qui intègre les dimensions adultes et pédopsychiatriques
Une des particularités de l’IPI est de réunir sous le même toit des unités de soins qui accueillent des enfants et des adultes. Il existe dans le développement des pathologies psychiatriques une continuité des facteurs qui donnent lieu à des pathologies pendant l’enfance et l’âge adulte, notamment les facteurs traumatiques dont les traces se marquent durablement. Il existe plusieurs lieux et motifs de collaboration entre les activités enfant et adultes :
- Les pathologies traumatiques
- Les syndromes neuro-développementaux
- L’accompagnement des enfants de patients psychiatriques
- L’accompagnement des parents d’enfants psychiatriques
Ces types de collaborations s’établiront progressivement avec le temps.
Développement d’un projet « d’exercise medicine »
Au-delà des interventions pharmacologiques et psychothérapeutiques, les difficultés de santé mentale peuvent aussi bénéficier d’abords plus liés au fonctionnement du corps et en particulier de l’exercice physique. L’exercise medicine consiste à utiliser l’activité physique comme outil thérapeutique à part entière dans de nombreux domaines de la médecine, avec ses indications, ses recommandations en termes d’intensité et de caractéristiques, et ses contre-indications.
La littérature scientifique apporte actuellement des preuves suffisantes du bénéfice de l’exercise therapy dans le traitement des troubles anxieux et dépressifs. D’autres pathologies psychiatriques semblent clairement en retirer un bénéfice également mais il existe actuellement peu d’études apportant des preuves formelles. Du côté de la clinique Sanatia, à l’initiative du Dr Dessart, une prise en charge par l’exercise therapy des patients présentant des troubles anxieux et dépressifs commence à être développée. Du côté de la Faculté de Médecine l’UCLouvain, Arnaud Philippot, kiné de formation vient de défendre sa thèse sur cette thématique. Ce projet prend corps progressivement avec pour but d’améliorer la santé, la santé mentale et le bien-être des patients psychiatriques et de diminuer la médication.
Développement d’un projet d’abord nutritionnel des pathologies psychiatriques
Nous travaillons depuis des années sur les difficultés nutritionnelles des patients alcooliques. Le Docteur Sophie Leclercq, jeune biologiste spécialisée en nutrition et qui fait sa thèse et ses travaux post-doctoraux sur le rôle du microbiote intestinal dans la problématique alcoolique vient d’obtenir un poste de Chercheure Qualifiée du FNRS, avec pour ambition de travailler sur des prises en charges nutritionnelles des pathologies psychiatriques, qui constituent un autre axe important d’intervention à l’IPI.
Amélioration de la démarche de prescription en clinique
Finalement, dans la même veine que la recherche d’autres outils que les traitements pharmacologiques pour aider les patients psychiatriques, nous développons aussi avec le Professeur Vincent Haufroid une approche visant à rationaliser la médication en psychiatrie, en tenant compte en particulier du profil métabolique de patients, mesurés par une approche pharmacogénétique.
En conclusion
Ce premier écrit constitue une première description sommaire des principes qui régissent le développement de nos activités dans le contexte de la Psychiatrie Adulte à l’IPI. Les équipes de Saint Luc et de Sanatia se sont rencontrées à plusieurs reprises pour le développement de ce projet, ont réalisé des voyages d’études, dans des services de psychiatrie universitaire, en particulier à Lille et à Lausanne et Genève afin d’ en retirer des éléments nécessaire à la création d’un esprit de travail commun et pour parvenir à comprendre ce qu’on peut attendre de la spécialisation. De nombreux détails ne sont pas développés dans le présent projet, mais nous pourrons y revenir dans de futurs écrits. Ce projet a pour objectif de s’appuyer sur les forces des deux entités que sont Sanatia et le Service de Psychiatrie Adulte des cliniques Saint Luc pour développer un esprit de travail commun, autour d’un projet de psychiatrie hospitalière. Les projets de développement des activités ambulatoires n’y sont qu’ébauchés dans cet écrit.
L’hospitalisation scindée en psychiatrie : un modèle UCLouvain pour accompagner les patients vers le rétablissement, le Louvain Split Hospitalisation Model-(LSHM)
Nausica Germeau, Peter Stärkel, Catherine Bataille de Longprey, Achille Bapolisi, Carmen Mallard, Samia Karaki, Jacqueline Petit, Philippe de Timary, Avigaëlle Amory
Introduction
Le service de Psychiatrie Adulte est sur le point d’opérer une grande mutation dans le contexte de la construction de l’Institut de Psychiatrie Intégré (IPI) sur le site de Woluwé, à quelques mètres seulement des cliniques Saint-Luc (voir l’article associé dans ce numéro), et ceci dans un partenariat avec les équipes de la clinique Sanatia, pôle psychiatrique du groupe Valisana, qui nous rejoint dans ce projet. Dans le contexte de ce moment particulier de l’histoire du Service, nous avons mené un intense travail de réflexion sur la manière d’organiser les soins psychiatriques et sur la construction de nouveaux dispositifs de soins originaux. Le but du présent article est de décrire un de ces dispositifs, l’hospitalisation scindée, qui constitue une spécificité des soins que nous offrons. Ce dispositif a été développé au départ il y a une vingtaine d’années dans le contexte de l’accompagnement de patients souffrant de troubles liés à l’usage d’alcool à l’Unité Intégrée d’Hépatologie, inaugurée aux cliniques Saint-Luc en octobre 2023, et qui pour cette patientèle particulière a fait la preuve de son efficacité (1). Sur base de cette expérience positive, nous avons souhaité développer un autre dispositif d’hospitalisation scindée, adapté ici aux troubles de l’humeur. Pour rappel, suite à la construction de l’IPI qui propose une spécialisation des unités de psychiatrie adulte, l’unité d’hospitalisation des cliniques Saint-Luc (située actuellement à l’unité 21 des cliniques Saint-Luc, avant déménagement à l’IPI), devient une unité spécialisée en troubles de l’humeur (2).
Ce modèle « louvaniste » d’hospitalisations scindées pour la psychiatrie (Louvain Split Hospitalisation Model-LSHM), est un peu unique en son genre et mérite vraiment sa désignation de « louvaniste », car il a été initialement inventé dans le service de psychosomatique de Mont Godinne, CHU UCL Namur, dans les années 80.
Parmi les soins psychiatriques, quel place/rôle pour les hospitalisations ?
La plupart des troubles psychiatriques et des patients sont traités en ambulatoire et il existe un large éventail thérapeutique dans l’accompagnement de ces patients. Cette importance des soins ambulatoires a été clairement mise en évidence dans le contexte de la crise COVID et est mis sous tension avec l’augmentation des demandes, que l’offre de soins ne parvient plus tout à fait à couvrir. L’approche ambulatoire propose un éventail de soins qui comprend des approches pharmacologiques, psychothérapeutiques variées et des procédures interventionnelles telles que par exemple la stimulation magnétique transcrânienne, la stimulation électrique transcutanée, l’électroconvulsivothérapie. Ces approches ambulatoires ne permettent pas de répondre de manière satisfaisante à toutes les situations de souffrance psychique ou à toutes les maladies psychiatriques. Par ailleurs, les patients psychiatriques sont bien souvent perdus face au déclenchement de la maladie mentale, qui les prend au dépourvu, et qui dans un bon nombre de cas progressivement leur donne l’impression qu’ils perdent pied dans leur propre vie. Une question centrale est donc de trouver des moyens pour les aider à reprendre pied, à redevenir acteurs de leur propre existence, malgré leurs souffrances psychiques.
À côté de l’ambulatoire, l’hospitalisation est par ailleurs aussi parfois utilisée pour accompagner les patients psychiatriques, souvent pour répondre à des situations d’urgence, lorsque la détresse des patients a tendance à les mettre en danger (idées suicidaires, menaces pour l’entourage ou pour la société, comportement menant à une rupture des liens sociaux). La fonction de l’hospitalisation dans ce contexte est de proposer aux patients un lieu de protection et d’apaisement, une fonction d’asile. Ce terme asile est donc ici décrit dans le sens noble du terme, où l’accueil de la personne en souffrance est central et non dans le sens péjoratif, comme quand il est utilisé pour décrire un « asile d’aliéné », où la dimension d’enfermement, d’écart par rapport à la société est placée au centre. Une question centrale de l’hospitalisation est justement de trouver une manière dont la fonction d’asile (accueil) ne mène pas à l’autre dimension de l’asile (enfermement, isolement social). Au sujet des effets de l’isolement social prolongé, la durée de l’hospitalisation en psychiatrie est reconnue comme un facteur négatif de l’évolution des patients, ce qui signifie que la question du cadre proposé pour les hospitalisations aurait de l’influence sur le pronostic de leur maladie (3). Cette observation est cependant intéressante, car elle souligne le fait que l’hospitalisation en elle-même pourrait avoir un effet iatrogène. Nous pouvons par ailleurs nous poser la question des raisons pour lesquelles cet isolement est problématique. Il n’existe actuellement pas de réponse évidente et claire. L’isolement complet par rapport au milieu social de départ pourrait impliquer la rupture de certains liens sociaux du patient, d’amitiés difficiles à reconstruire par la suite. Par ailleurs, cet isolement peut aussi induire la perte par certains patients du sentiment d’aptitude à se débrouiller par lui-même, qui, associé à la détresse de la maladie psychiatrique sous-jacente, mène finalement à un sentiment de dépendance affective au cadre hospitalier et aux soignants, à une forme de régression en venant renforcer des mécanismes d’évitement par rapport à la rencontre de l’environnement social, de l’extérieur. Finalement, le patient perd le sentiment d’aptitude à se débrouiller par soi-même. Or il a été bien établi dans le contexte des maladies psychiatriques et des souffrance psychiques qu’un des éléments centraux du succès des soins reposait sur le développement par la personne d’un sentiment d’auto-efficacité (4). Toute la question repose donc sur la construction de dispositifs de soins hospitaliers qui aident les patients à retrouver ce sentiment d’auto-efficacité et donc, au-delà de la fonction d’asile décrite plus haut, il est aussi très important de pouvoir donner une autre fonction à l’hospitalisation, de façon à remettre le patient dans une position d’acteur. Ceci vient rejoindre des préoccupations très actuelles de la psychiatrie moderne, qui établissent comme central l’empouvoirement (empowerment) des patients et proposent de réfléchir avec eux à la question du rétablissement, qui peut se résumer à soutenir chez le patient la recherche de conditions de vie agréables et bonnes, même si sa maladie mentale n’est pas complètement guérie, ce qui est souvent le cas pour les affections psychiatriques. Nous suggérons donc que le cadre hospitalier, et particulièrement celui des hospitalisations scindées, puisse, au-delà des approches pharmacologiques, psychothérapeutiques et d’intervention, servir de soutien à l’épanouissement et au rétablissement des patients et constitue un outil de soin supplémentaire. Ce nouveau cadre des soins tente d’inviter le patient à prendre une part plus active dans son processus de rétablissement.
Modèle de l’hospitalisation scindée pour l’accompagnement des patients présentant un trouble lié à l’usage d’alcool
L’unité intégrée d’hépatologie (UIH) pour le traitement des patients souffrant de troubles liés à l’utilisation de l’alcool (1) vient de fêter ses 20 ans d’existence et l’expérience clinique acquise confirme l’efficacité de ce modèle. Cette unité est le fruit d’un travail de collaboration entre les services de gastro-entérologie et de psychiatrie des cliniques Saint-Luc, avec un rôle spécifique de la psychiatrie de liaison à sa création. L’UIH présente un certain nombre de caractéristiques spécifiques qui la distinguent des soins plus conventionnels. Cette unité « hybride » qui combine la perspective somatique et psychiatrique, offre une nouvelle approche qui complète le cadre thérapeutique traditionnel de la médecine, où ces patients sont généralement hospitalisés soit en psychiatrie, soit en hépatologie. Au-delà du caractère hybride et pluridisciplinaire, les caractéristiques d’organisation de l’unité, à travers son cadre fixe et ses propriétés temporelles, soutiennent le processus d’élaboration psychique du patient.
Un des principes à l’origine de la création de cette unité était de favoriser l’accès aux soins du patient alcoolo-dépendant. Le modèle d’accompagnement proposé aux patients est celui d’une approche multidisciplinaire qui combine une prise en charge internistique et psychiatrique. L’existence d’une porte d’entrée internistique et psychiatrique facilite l’accès aux soins des patients. Par ailleurs le fait qu’il ne soit pas localisé dans une unité psychiatrique réduit la stigmatisation associée à ce type de prise en charge. Une autre particularité également importante de cette unité est son caractère scindé. La première semaine constitue un moment privilégié pour les examens somatiques et ramène les patients à la réalité des effets de l’alcool sur leur corps. Cependant, cette première semaine est aussi l’occasion de contacts avec les psychologues et psychiatres de l’équipe et, pour une large proportion des patients, d’une première ouverture à un questionnement sur ce qui les a amenés à consommer de manière aussi excessive. C’est souvent l’occasion d’une ouverture auprès du thérapeute sur une histoire de vie traumatique, dont ils n’avaient souvent pas pu s’ouvrir plus tôt, continuant à consommer de manière un peu automatique sans vraiment savoir pour quelles raisons. Après cette première semaine, le patient rentre chez lui et teste ses capacités à rester abstinent dans son environnement naturel. Ce programme spécifique d’hospitalisation en deux temps soutiendrait par ce biais la question de l’autonomie du patient. En effet, la semaine de retour à domicile, appelée «deuxième semaine de séjour», fait partie intégrante du programme, bien qu’elle ne se déroule pas à l’hôpital. Elle est conçue comme faisant partie des soins et revêt un caractère thérapeutique. Cette semaine intermédiaire est l’occasion de tester les capacités du patient à poursuivre son projet d’abstinence et à se projeter dans son projet thérapeutique propre. Nous abordons très concrètement avec lui sa capacité à anticiper.
Il est fréquent que les patients se sentent très en confiance dans leur capacité à maintenir l’abstinence avant leur semaine de retour à domicile, et que cette confiance ne résiste pas à l’épreuve de la réalité. Il n’est donc pas en phase avec la réalité de sa fragilité par rapport à l’alcool. Dans d’autres cas, le patient se sent plus fragile qu’il ne l’est et, en lui permettant de rentrer chez lui, on témoigne d’une croyance de la part des soignants dans sa propre capacité à tenir par lui-même.
La question de la rechute est alors abordée lors de la troisième semaine, ce qui permet de travailler sur les facteurs qui sont impliqués dans cette reconsommation et sur la manière dont le patient peut s’en prémunir. Cette troisième semaine est aussi le moment où le gastroentérologue fait un retour sur les effets de l’alcool sur le corps, ce qui permet une meilleure prise de conscience sur les effets de la consommation sur le corps, là où certains patients avaient tendance à minimiser. La troisième semaine est aussi un temps au cours duquel le patient peut approfondir les entretiens à portée psychothérapeutique et élaborer avec le psychiatre ou le psychologue un plan d’action pour la suite, qui passe le plus souvent par l’instauration d’un suivi en aval.
De manière générale, ce séjour discontinu avec un retour à domicile programmé d’une semaine met les patients en mouvement et les incite à s’engager dans un processus d’élaboration psychothérapeutique en s’appuyant sur ce cadre spécifique. Ce cadre de travail, reste, après 20 ans de travail conjoint un outil tout à fait enthousiasmant pour le travail avec ces patients difficiles.
Un nouveau modèle d’hospitalisation scindée pour traiter les troubles de l’humeur
Comme signalé plus haut, nous sommes occupés à construire un nouveau cadre hospitalier pour accompagner les patients souffrant de troubles de l’humeur dans le contexte de l’IPI (2). Cette unité a pour vocation en plus de celle d’accueillir des patients présentant une détresse et un risque important pour eux même ou pour les autres, dans la fonction d’asile (accueil) désignée plus haut, d’admettre des patients souffrant de troubles de l’humeur résistants. Les causes de la résistance au traitement des troubles de l’humeur peuvent être de plusieurs ordres. Parmi les troubles de l’humeur, on compte les troubles bipolaires, où alternent les phases dépressives, caractérisées le plus souvent par une tristesse, une perte de plaisir, un ralentissement psychomoteur (…) et des phases maniaques ou hypomanes, caractérisées par un état d’exaltation plus ou moins important de l’humeur et d’une agitation psychomotrice. L’acceptation et l’équilibration des traitements de ces pathologies n’est pas toujours évident, ce qui peut justifier un recours à l’hospitalisation, en particulier dans les phases de crises dépressives ou maniaques. À côté des troubles bipolaires, il existe aussi des dépressions unipolaires, qui peuvent elles aussi résister au traitement. Les raisons de la résistance au traitement peuvent être multiples et comprennent, entre autres, l’existence de fragilités de personnalité avec une dimension d’attachement excessive, comme par exemple dans les troubles de la personnalité dépendante où les patients donnent le sentiment d’avoir des difficultés à se suffire à soi-même et ont besoin d’être rassurés et conseillés de manière excessive et se retrouvent de facto dépendants de personnes de leur entourage. Le trouble de la personnalité borderline présente aussi des composantes d’attachement peu stable, marqué ici par une instabilité permanente des relations interpersonnelles avec une sensibilité exacerbée au rejet et à l’abandon. Lorsque ces dimensions sont sous-jacentes au trouble de l’humeur, il est clair que le cadre hospitalier est souvent mis à l’épreuve, avec des demandes d’hospitalisations prolongées, du fait de la dépendance affective au cadre pour le trouble de la personnalité dépendante ou du fait de la sensibilité au rejet dans le trouble de la personnalité borderline. Ceci amène un risque important de chronicisation des patients et prend un caractère iatrogène en renforçant la dépendance affective. Le risque est réel en psychiatrie où la durée des séjours hospitaliers n’est pas clairement limitée dans le temps en Belgique. Ces risques justifient aussi une réflexion sur un cadre hospitalier qui ne favorise pas cette chronicisation. Dans cette problématique, les difficultés se posent souvent au moment où est prise la décision de la fin du séjour du patient qui va mettre celui-ci en difficulté, car elle sera souvent vécue par lui comme un rejet ou un abandon. L’hospitalisation scindée permet en partie de déjouer cette difficulté : la date d’interruption du séjour est programmée dès l’entrée du patient et cette sortie ne signifie par une interruption du lien puisqu’il est prévu que le patient soit réhospitalisé. Ceci permet de maintenir du lien tout en permettant la distance et vient alors déjouer la question de la dépendance affective. C’est un apprentissage pour le patient de cette idée qu’un lien puisse exister et être fiable malgré la distance. Ceci correspond finalement à l’idée qu’il y ait une précaution à prendre par rapport aux liens qui se créent lors de l’hospitalisation, liens dont la nature ne doit pas venir provoquer une illusion de perte de capacité, une forme de régression dans la dépendance. En proposant un modèle scindé, en lui proposant un retour à domicile, on témoigne par ailleurs d’une confiance dans les capacités du patient à tenir par lui-même. Au contraire, lorsque le cadre est très fermé et que les séjours hospitaliers se prolongent, on induit une forme de prophétie autoréalisatrice (self-fulfilling prophecy) (5), qui peut s’énoncer de la manière suivante : « vous devez être enfermé de manière prolongée », que le patient traduit par « vous n’êtes pas capable de vous débrouiller par vous-même », qu’il reprend à son propre compte « je ne suis pas capable de me débrouiller par moi-même », et finalement, « je dois rester enfermé et rester dans ce cadre rassurant». Finalement, la proposition d’une durée de séjour limitée dans le temps, permet au patient d’anticiper ce qu’il va pouvoir mettre en place à son départ, et de développer à travers cette autonomie retrouvée un sentiment d’auto-efficacité.
En conclusion, cet article décrit une des originalités des dispositifs de soins que nous développons dans le contexte de la psychiatrie (et de l’hépatologie) des cliniques Saint-Luc, avec une vraie réflexion sur la manière dont le cadre hospitalier peut être une des approches par laquelle on peut soutenir les patients psychiatriques et déjouer les mécanismes à l’œuvre dans le développement de la chronicisation. Cette réflexion s’inscrit de manière claire dans le contexte de la recherche du rétablissement des patients, qui est un élément central de notre réflexion dans la construction de l’Institut de Psychiatrie Intégré (IPI, voir l’autre article dans ce même numéro).
Références
- Germeau N, de Timary P.Psychiatr Danub. Split Hospitalization as an Inpatient Care Proposal for Severe Alcohol-Use-Disorder: Considering Hospitalization as a transition Towards Recovery. 2023 Oct;35(Suppl 2):336-340.
- Amory A, Bataille C, Bapolisi A, Mallard C, Karaki S, de Timary P. Split Hospitalizations: a Model for Mood Disorders. Psychiatr Danub. 2023 Oct;35(Suppl 2):94-98.
- Smith P, Nicaise P, Giacco D. Use of psychiatric hospitals and social integration of patients with psychiatric disorders: a prospective cohort study in five European countries. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 2020;55:1425-1438.
- Rondier M. A Bandura. Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Orientat Sc Prof. 2004; 33:475–476 13.
- Merton R. The Self-Fulfilling Prophecy. Antioch Rev. 1948; 8:193–210
Affiliations
Cliniques universitaires Saint-Luc
1. Unité intégrée d’Hépatologie
2. Unité troubles de l’Humeur
3. Service de Psychiatrie Adulte et Institut de Psychiatrie Intégré
4. Sanatia et Institut de Psychiatrie Intégré
Correspondance
Pr Philippe de Timary
Cliniques universitaires Saint-Luc
Psychiatrie adulte
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles