ACTUALITÉS DANS LA NÉPHROPATHIE À IGA : PRIMUM NON NOCERE !
Résumé
La néphropathie à dépôts d’immunoglobuline A (IgA) est la forme la plus fréquente de glomérulonéphrite dans le monde. En 2017, plusieurs essais cliniques ont montré que les risques d’une corticothérapie systémique dans les formes avec protéinurie abondante dépassent le bénéfice escompté. En conséquence, le traitement de la néphropathie à IgA repose avant tout sur l’utilisation d’inhibiteurs du système rénine-angiotensine, avec pour objectifs un contrôle tensionnel optimal et une réduction de la protéinurie. Les corticoïdes à libération entérique sont en cours d’investigation et pourraient à l’avenir offrir de nouvelles perspectives pour les patients atteints de formes sévères de néphropathie à IgA
Update in IgA nephropathy: Primum non nocere!
Immunoglobulin A (IgA) nephropathy is the most common glomerulonephritis worldwide. In 2017, several clinical trials showed that in patients with IgA nephropathy and high proteinuria, the risks associated with systemic corticosteroid therapy outweigh its potential benefits. The cornerstone of IgA nephropathy treatment therefore relies on renin-angiotensin system blockade, with the aim of reducing proteinuria and achieving optimal blood pressure control. Targeted (enteric)- release corticosteroids are currently being investigated and could in the future open up new perspectives for the treatment of patients with severe IgA nephropathy.
La néphropathie à dépôts d’immunoglobuline A (IgA) est la forme la plus fréquente de glomérulonéphrite dans le monde, et est caractérisée par des dépôts prédominants d’IgA dans le mésangium glomérulaire (1).
La physiopathologie de la maladie fait intervenir des facteurs génétiques et environnementaux. Ceux-ci mènent à un défaut de galactosylation des IgA1 et à la formation de complexes immuns. Les dépôts de complexes immuns dans les glomérules activent le système rénine-angiotensine et celui du complément, générant inflammation et prolifération mésangiale. In fine, ces lésions conduisent au développement d’une sclérose glomérulaire et tubulo-interstitielle et d’une insuffisance rénale progressive.
La présentation clinique de la néphropathie à IgA est éminemment variable, allant d’une hématurie glomérulaire isolée à une insuffisance rénale rapidement progressive, en passant par une protéinurie associée à un déclin progressif de la fonction rénale. L’hématurie glomérulaire peut être découverte fortuitement lors d’un dépistage (par ex. en médecine scolaire/du travail, ou lors d’une grossesse) ou être révélée par un épisode d’hématurie macroscopique dans le décours (24-48h) d’une infection, typiquement des voies respiratoires. L’hématurie isolée, en l’absence de protéinurie importante (<0.5 g/jour), est en général de bon pronostic, et ne nécessite pas de traitement. Néanmoins, un suivi régulier est justifié par le risque accru de développer une hypertension artérielle, une protéinurie et un déclin fonctionnel rénal (2). À l’autre extrémité du spectre clinique de la néphropathie à IgA, une insuffisance rénale rapidement progressive, associée à la présence de nombreux croissants glomérulaires, est grevée d’un pronostic rénal sombre avec un risque d’insuffisance rénale terminale à un an de près de 50%. Entre ces deux extrêmes, les patients qui se présentent avec une protéinurie >0.5 g/jour ont un risque significatif de développer une insuffisance rénale progressive voire terminale, surtout en cas d’hypertension artérielle associée et/ou lorsque la protéinurie excède 1.0 g/jour. Une biopsie rénale sera proposée dans les deux dernières formes de la maladie (et discutée en cas d’hématurie isolée) ; dans tous les cas, un avis néphrologique est recommandé.
La prise en charge thérapeutique des formes ‘protéinuriques’ de néphropathie à IgA reste difficile et sujette à controverse. La pierre angulaire du traitement repose sur l’utilisation d’inhibiteurs du système rénine-angiotensine (associés à une restriction de l’apport en sel et, au besoin, à des diurétiques) pour réduire la protéinurie et assurer un contrôle optimal de la tension artérielle. En cas de protéinurie persistante malgré un traitement conservateur bien conduit, les recommandations internationales suggèrent de considérer une corticothérapie systémique à hautes doses. Cette suggestion, cependant, repose sur des études anciennes, dont la portée est limitée par une utilisation non systématique des bloqueurs du système rénine-angiotensine. Des données récentes remettent en question le bénéfice des corticoïdes, en particulier en raison de leurs nombreuses complications.
L’essai randomisé contrôlé STOP-IgAN a évalué l’effet de l’adjonction d’un traitement immunosuppresseur vs. placebo chez 162 patients avec protéinurie persistante malgré un traitement conservateur optimal (3,4). Au terme de 3 ans de suivi, le traitement immunosuppresseur n’a pas permis une meilleure préservation de la fonction rénale, mais a entraîné un nombre accru de complications liées au traitement, en particulier des infections sévères, une intolérance glucidique, et une prise pondérale. Une autre étude randomisée contrôlée, TESTING, a testé l’efficacité et la sécurité d’utilisation de la methylprednisolone (0.6-0.8 mg/kg/jour, max 48 mg/jour, per os) chez 262 patients avec protéinurie persistante, également malgré un traitement conservateur bien conduit (5). Cette étude a été interrompue prématurément (262 patients randomisés sur les 750 initialement prévus ; suivi médian de 2 ans) en raison d’une fréquence accrue de complications sévères (14.7% vs. 3.2%), principalement des infections (8.1% vs. 0%), dans le groupe methylprednisolone.
L’utilisation de corticoïdes à libération entérique (forme modifiée de budésonide, Nefecon®) pourrait constituer une alternative intéressante aux corticoïdes systémiques. L’étude randomisée contrôlée de phase IIb, NEFIGAN, a testé l’effet du Nefecon® vs. placebo chez 153 patients avec protéinurie persistante durant 9 mois (6,7). Au terme du suivi, la protéinurie a diminué de 24% et la fonction rénale est restée stable dans le groupe Nefecon®, tandis que le groupe placebo voyait sa protéinurie inchangée et sa fonction rénale décliner de 10%. Une étude de phase III – à laquelle notre service participera - est planifiée. Au vu des effets secondaires des corticoïdes, d’autres traitements immunomodulateurs ont récemment été testés, sans réel succès, tels l’anticorps monoclonal anti-CD20 rituximab et le mycophénolate mofétil (8,9).
En conclusion, à l’aube de 2018, le traitement de la néphropathie à IgA repose avant tout sur l’utilisation d’inhibiteurs du système rénine-angiotensine, avec pour objectifs un contrôle tensionnel optimal et une réduction de la protéinurie. Si les risques associés aux corticoïdes systémiques en limitent l’utilisation, les corticoïdes à libération entérique pourraient constituer un traitement complémentaire prometteur pour les formes les plus sévères. Dans le futur, l’incorporation de données histologiques spécifiques aux modèles pronostiques actuels (basés sur la protéinurie et la tension artérielle) devrait permettre d’individualiser et d’optimiser l’approche thérapeutique de la néphropathie à IgA (10,11).
Références
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ouvrir dans Pubmed - Trimarchi H, Barratt J, Cattran DC, Cook HT, Coppo R, Haas M, et al.; IgAN Classification Working Group of the International IgA Nephropathy Network and the Renal Pathology Society; Conference Participants. Oxford Classification of IgA nephropathy 2016: an update from the IgA Nephropathy Classification Working Group. Kidney Int. 2017;91:1014-1021.
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LA NÉPHROTOXICITÉ DES IPP : PLUS FRÉQUENTE QU’ON NE LE PENSAIT ?
Michel Jadoul, Hubert Piessevaux
L’Omeprazole, premier inhibiteur de la pompe à protons (IPP), a été découvert en 1979 et remboursé en Belgique une dizaine d’années plus tard. Le dossier d’enregistrement ne comportait aucune évidence de néphrotoxicité humaine ou animale. La puissance des IPP les a fait rapidement inclure dans la liste des médicaments essentiels de l’OMS. Toutefois, dès 1992, des cas de néphrite interstitielle aiguë immuno-allergique sont publiés, d‘abord sous Omeprazole, puis sous Lansoprazole et Rabeprazole. La réadministration de l’IPP est suivie dans plusieurs cas d’une récidive, confirmant la relation causale. Des données épidémiologiques récentes montrent que les IPP sont devenus la cause numéro 1 de néphrite interstitielle aiguë immuno-allergique médicamenteuse, à égalité avec les antibiotiques et avant les AINS (1). On pensait jusqu’il y a peu que la néphrotoxicité des IPP est rare voire très rare. Ainsi une étude néo-zélandaise enregistre 72 cas de néphrite interstitielle aiguë parmi 560000 sujets sous IPP, soit 1 cas/8000 sujets traités environ (2).
Toutefois, des études toutes récentes ont montré un risque nettement accru de nouveau diagnostic de maladie rénale chronique chez les utilisateurs d’IPP par rapport aux non-utilisateurs ou aux patients prenant un anti-H2 de type Ranitidine. Toutes ces études d’observation reposent sur des analyses multivariées de grandes bases de données de facturation de soins de santé. La première de ces études suggère que par 30 à 60 patients traités pendant 10 ans, l’utilisation d’un IPP causerait un cas de maladie rénale chronique supplémentaire (3). Ce chiffre est donc très éloigné du 1/8000 cité plus haut. Une 2e étude menée aux USA démontre un risque de néphrotoxicité chronique ou d’insuffisance rénale terminale en analyse multivariée par rapport à un groupe sous anti-H2, même en l’absence de diagnostic clinique de néphrite interstitielle aiguë. Cette étude montre en outre que le risque de néphrotoxicité est dépendant de la durée d’exposition à l’IPP (4). Enfin, une 3e étude, suédoise, montre une association entre la prise d’un IPP et le risque de progression de la maladie rénale chronique, toujours par comparaison avec un groupe contrôle sous anti-H2. La relation avec la dose cumulée d’IPP est confirmée (5).
Donc, en résumé, plusieurs études d’observation, de qualité et menées avec une analyse statistique multivariée et basées sur des données de facturation (monde réel, et non pas études cliniques) suggèrent fortement, sans pouvoir démontrer la causalité, que la néphrotoxicité des IPP est plus fréquente que l’on ne le pensait. Ceci est d’autant plus important que les IPP sont actuellement en vente libre aux USA et dans certains pays européens, et très largement prescrits, notamment en Belgique, où leur prescription a été multipliée par 8 de 1997 à 2009 ! (6). Si cette néphrotoxicité est bien réelle, son ou ses mécanisme(s) reste(nt) peu clair(s) : néphrite interstitielle aiguë immuno-allergique à bas bruit (les grandes études susnommées ne comportent pas de résultats de biopsie rénale) ou autre(s) mécanismes ? Il n’y a pas de réponse à ce jour en l’absence de modèles expérimentaux.
Quoi qu’il en soit, il paraît sage, au vu de ces données, de conseiller l’arrêt des IPP chez tous les patients chez qui l’indication d’un traitement chronique par IPP est fragile voire inexistante La sagesse veut d’ailleurs que ce conseil s’applique à tous les médicaments et pas seulement les IPP. Mais il semble bien que cela représente la très grande majorité des patients sous IPP. La maladie du reflux gastro-œsophagien concerne approximativement 28% de la population générale, mais vu son intensité et son caractère fluctuant elle ne justifie certainement pas un traitement continu chez tous (7). De plus, les mesures hygiéno-diététiques, telle la perte de poids chez les patients en surpoids, améliorent les symptômes de bon nombre de patients. En outre, on observe de façon de plus en plus fréquente une escalade de dose qui ne se justifie que dans des cas tout à fait exceptionnels. Il parait à ce titre utile de rappeler que le reflux gastro-œsophagien, répond habituellement très bien aux doses standard de ce type de traitement. En cas de résistance au traitement, une révision du diagnostic vers une dyspepsie fonctionnelle est vraisemblablement nécessaire. Cette dernière affection ne répond pas aux IPP. Rappelons aussi que si le diagnostic de maladie du reflux gastro-œsophagien est établi de façon indiscutable, il existe une alternative thérapeutique non-médicamenteuse : l’intervention chirurgicale anti-reflux.
Une autre indication de traitement par IPP au long cours est la prévention des ulcères gastro-duodénaux lors d’une prise chronique d’AINS. Ici aussi doit se poser la question de la pertinence de ces traitements au long cours.
Enfin, il paraît prudent de suivre la fonction rénale des patients sous IPP, au minimum annuellement, et en cas d’apparition ou aggravation d’une insuffisance rénale, de ne pas hésiter à référer le patient au néphrologue pour discuter une biopsie rénale.
Au total, comme pour tout médicament, une réévaluation du rapport bénéfices/inconvénients est importante lors de la poursuite au long cours d’un traitement par IPP. Certaines indications sont formelles et chez ces patients les IPP ont un impact majeur sur la qualité de vie. Dans ces cas-là, la vigilance est de mise. En cas de doute, un arrêt du traitement suivi d’une réévaluation symptomatique une fois la période de rebond de la sécrétion acide passée, permettra de mesurer l’effet réel du bénéfice des IPP.
Références
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