Introduction
De nombreux∙ses représentant∙es des professionnel∙les de santé appellent à développer l’engagement et la formation aux enjeux environnementaux (1-3). À l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), comme dans les autres structures de l’enseignement supérieur en Belgique, seule une minorité d’étudiant∙es est formée aux enjeux de la transition et du développement durable (4). Consciente du rôle qu’elle a à jouer, l’UCLouvain a choisi de s’engager dans la transition autour de 3 axes : enseignement, recherche et campus durables (5). Elle déclare ainsi endosser sa responsabilité face aux défis de l’avenir. En termes d’enseignement, l’institution ambitionne de former aux enjeux du développement durable et de la transition (DD&T) afin permettre à chaque étudiant∙e de développer les compétences indispensables pour penser et construire un monde durable. Au-delà de ces engagements de principe, leur mise en œuvre dans les programmes et dans les contenus des cours de médecine peut se révéler être un exercice plus ardu qu’il n’y paraît et qui ne peut se réduire à l’ajout d’une dimension contextuelle. Pour donner de la consistance et de la pertinence à la démarche, il est indispensable de mener une réflexion de fond sur la manière dont les transformations climatiques et environnementales sont intriquées à la pratique de la médecine. Conscient de cet impératif, le Département de médecine générale, accompagné par Louvain Learning Lab, a entamé depuis le mois de juin 2021 un processus de réflexion sur ces défis. Cette démarche a principalement conduit à deux initiatives. La première a été l’organisation d’un focus group d’expert∙es afin de définir l’intérêt et les éléments fondamentaux à intégrer dans la formation des futurs médecins (article en cours de soumission). Cette première rencontre a permis d’élaborer la seconde initiative : l’organisation d’une session de cours d’une heure et demi dans le cadre du cours de médecine générale (WMDS2110) à destination des étudiant∙es de la première année de Master. La session abordait aussi bien l’impact du secteur de la santé sur l’environnement que l’impact de l’environnement sur la santé. L’article que nous proposons a pour objectif de partager les résultats de l’évaluation de cette session par les étudiant∙es et leur perception des enjeux de DD&T dans le cadre de leur formation et dans leur futur rôle de médecin face à ceux-ci.
Méthodologie
Recrutement
L’évaluation a été proposée à tous les étudiant∙es de Master 1 présent∙es lors du cours donné le 26/10/2022. 316 étudiant∙es sont inscrit∙es au cours WMDS2110.
Récolte des données
Le questionnaire a été déposé en ligne et l’accès proposé par QRcode lors de la séance du 26 octobre 2022, soit juste après le séminaire. Une version « papier » était à disposition des étudiant∙es qui auraient préféré cette modalité de réponse. L’anonymat et la participation libre ont été garantis.
Questionnaire
Le questionnaire conçu pour l’enquête s’est inspiré de deux bases d’items : le questionnaire d’évaluation des enseignements par les étudiant∙es de l’UCLouvain et le questionnaire publié dans le rapport final des Shifters* (4). Une première version a été proposée et ajustée par l’équipe enseignante. Le questionnaire final était composé de 14 items pour lesquels les étudiant∙es devaient se prononcer sur une échelle de Lickert à 5 niveaux (de pas du tout d’accord à tout à fait d’accord). Trois questions ouvertes demandaient de préciser certaines réponses et une question à choix multiples visait à cibler leur projet d’orientation professionnelle.
Parmi les 14 items, quatre sondaient l’appréciation générale du cours, trois ciblaient la pertinence des questions environnementales pour la pratique future, les sept derniers items étaient issus du rapport des Shifters et visaient à explorer les dimensions d’éco-anxiété et d’urgence climatique (3 items) et la perception du rôle que pourrait ou devrait jouer l’enseignement∙e au regard de ces enjeux (4 items).
* Les Shifters est une association française « loi 1901 » (ASBL), créée en 2014 pour apporter un soutien bénévole au centre de réflexion The Shift Project qui œuvre à la décarbonation de l’économie. Initialement conçu comme une structure permettant d’accueillir toute personne souhaitant aider le Shift par un travail de recherche, de relais ou de soutien, les Shifters réalisent de plus en plus de travaux indépendants mais toujours avec un objectif : contribuer efficacement à la sortie des énergies fossiles à l’échelle française et européenne.
Analyse
Les réponses ont été traitées par le logiciel d’évaluation Evasys puis analysées au moyen du logiciel SPSS. Lors de l’analyse, pour une meilleure clarté des résultats, les réponses ont été regroupées en trois groupes : « d’accord », « neutre », « pas d’accord ». Des pourcentages ont été utilisés pour décrire les résultats. Les réponses qualitatives ont été regroupées par thématique.
Résultats
137 étudiant∙es (43.4%) ont répondu à l’évaluation.
Evaluation des enseignements
Cette séance introductive a été appréciée (62%) et jugée pertinente (85.4%). Les étudiant∙es perçoivent l’apport de cette séance dans leur formation (78.7%). Cependant, les attentes par rapport à ce cours restent floues (36.5%). Les étudiant∙es souhaiteraient approfondir la matière (78.8%). 66.4% des étudiant∙es perçoivent les implications pour la pratique future. La moitié des étudiant∙es considère ces questions environnementales comme prioritaires dans leur futur rôle de soignant∙e (55.5%).
À la question ouverte relative à la pertinence du cours, les étudiant·es étaient invités à donner quelques éléments d’explication. La grande majorité d’entre eux/elles pensent que le cours est très important au regard des enjeux environnementaux actuels. Ils/elles ont le sentiment que c’est un sujet pertinent dans leur cursus et certain∙es énoncent un soulagement que ces thématiques soient abordées dans leur formation : « Je suis heureuse qu’on ait enfin ce genre de message dans nos études ». Quelques-un∙es évoquent un ressenti de culpabilité, d’impuissance ou de fatalisme face aux changements climatiques et à leurs impacts. Une seule personne mentionne qu’elle n’y voit pas d’intérêt dans le cadre de sa formation. Plusieurs évaluations associent cette thématique à une pratique « moderne » de la médecine ou à une « médecine du futur ». Néanmoins, un grand nombre d’étudiant∙es mentionnent qu’il est difficile de cerner à quoi les informations données correspondent dans leur pratique concrète de médecin. Ils/elles auraient besoin à la fois d’exemples concrets mais aussi de solutions à mettre en œuvre dans leur vie professionnelle. Les modalités pratiques du cours sont également abordées dans les évaluations. La densité de la matière serait trop élevée par rapport au temps qui y est consacré. Une suggestion propose donc d’y consacrer l’ensemble d’un cours. La nature de la matière présentée encourage plusieurs étudiant∙es à proposer le format d’un séminaire plutôt qu’un cours ex-cathedra. Un séminaire obligatoire sans évaluation finale serait plus adéquat, selon eux/elles. Le moment où le cours intervient dans le cursus est également discuté : le cours viendrait trop tôt, trop tard ou devrait constituer un cours présent tout au long des études.
La seconde question ouverte devait permettre de sonder si les étudiant∙es avaient déjà été en contact avec les notions évoquées dans le cadre d’autres cours de leur formation en médecine. La très grande majorité des étudiant∙es déclarent que les notions n’ont pas ou très peu été abordées dans d’autres cours. Les cours qui auraient évoqué les notions relatives à la santé environnementale et au développement durable sont les suivants : des cours de système respiratoire concernant les pollutions intérieures et extérieures, des cours de cardiologie à propos de l’impact de la pollution sur les pathologies cardio-vasculaires, les cours d’endocrinologie, de pneumologie et de santé publique. L’idée de réduire la prescription inutile d’examens semble avoir été abordée dans les cours mais essentiellement pour des raisons économiques et non pas pour des raisons écologiques.
Enfin la troisième question ouverte interrogeait les souhaits d’approfondissement des connaissances dans le domaine de la santé environnementale et du développement durable. La demande d’approfondissement concerne de nombreux domaines. Certains mentionnent d’ailleurs que toutes les dimensions devraient être développées. Une grande partie des étudiant∙es demandent que les perturbateurs endocriniens soient davantage abordés par des explications détaillées sur la physiopathologie et sur les alternatives. Le second sujet à développer concerne la gestion des ressources et la réduction des déchets dans le cadre de la pratique médicale, que ce soit en cabinet ou en milieu hospitalier. Il s’agit de limiter le matériel à usage unique, agir sur la consommation excessive de plastiques, envisager des déplacements plus écologiques. Un troisième pôle de développement thématique envisagé est la communication avec le/la patient∙e autour de ces enjeux environnementaux : quels conseils donner au/à la patient∙e ? Quelles sont ses attentes en termes d’information de la part du médecin ? Comment le/la convaincre de réduire ou de se passer de médicaments dans certaines situations ? D’autres demandes d’apprentissage résident dans les notions de « santé globale » et des interdépendances. Il s’agirait d’intégrer les perturbations engendrées par les systèmes de santé sur la faune, la flore et les milieux marins. Dans cette approche, les étudiant∙es évoquent un besoin d’information sur la pollution engendrée par la production de médicaments, sur les conséquences des pratiques alimentaires tels que les régimes carnivores autant sur la santé que sur l’environnement. Enfin, la résistance aux antibiotiques est également mentionnée dans une perspective de santé élargie. Dans les réponses quant aux approfondissements souhaités, des attentes apparaissent afin de répondre à ces problématiques environnementales. Il s’agit de demandes sur des éléments concrets, les actions à mettre en place, les alternatives durables pour moins polluer, identifier des solutions pratiques, les outils disponibles, les actions de prévention possibles. Une réponse évoque l’éco-anxiété que cela peut susciter et pose la crainte de devenir « climato-anxieux » face à ces enjeux. Certaines évaluations soulèvent des questionnements de fond : quelles possibilités de changements dans le corps médical ? Sur quoi agir ? Comment pratiquer une médecine plus écologique ? Faudrait-il apprendre une médecine sans prescription de médicament ? Ces éléments dévoilent un questionnement sur les représentations de la pratique médicale, de la santé et du rôle du médecin.
Questions issues du rapport des Shifters (4)
84.7% des étudiant∙es en médecine se disent inquiet·es par rapport au changement climatique. 83.9% pensent que les politiques mises en œuvre sont insuffisantes. 73.7% jugent les citoyen∙nes insuffisamment informé∙es. 82.5% jugent l’éducation comme un outil prioritaire face au changement climatique. 48.9% pensent que des modules de formation aux questions climatiques sont un atout pour la recherche d’emploi. 67.9% disent que les universités doivent dispenser des modules de formation. 40.9% estiment que la possibilité de suivre des enseignements sur le changement climatique pourrait être un élément de choix d’une université.
Discussion
L’évaluation de ce cours d’une heure trente montre que les étudiant∙es sont intéressé∙es par ces enjeux et que les universités belges ont la responsabilité de dispenser ces formations. Bien que conscient∙es de l’implication dans leur future profession, les étudiant∙es sont démuni∙es face à l’ampleur de la situation. Ils/Elles souhaiteraient avoir outils concrets et une pédagogie plus adaptée pour aborder ces problèmes.
La responsabilité sociale du médecin comme moteur d’engagement pour le développement durable et la transition ?
L’importance de la formation dans les enjeux de développement durable et de la santé environnementale a été soulevée par les étudiant∙es et par de nombreux organismes professionnels. Cela fait partie de la responsabilité sociale des facultés de médecine définie par l’OMS par « l’obligation d’orienter la formation qu’elles donnent, les recherches qu’elles poursuivent et les services qu’elles dispensent, vers les principaux problèmes de santé de la communauté, région ou/et nation qu’elles ont comme mandat de servir ». Les problématiques environnementales sont reconnues comme un enjeu majeur, la commission sur la santé et le changement climatique du Lancet soulignant même que « lutter contre le changement climatique pourrait être la plus grande opportunité du XXIe siècle en matière de santé mondiale » (6). Or, les Shifters ont rédigé un rapport sur l’état de l’enseignement supérieur par rapport à ces problématiques (4). Ce rapport reprend une enquête auprès de 600 étudiant∙es de l’enseignement supérieur. Les mêmes tendances se retrouvent entre les étudiant∙es de l’enquête et les étudiant∙es de Master 1 en médecine de l’UCLouvain concernant le niveau d’inquiétude (82% versus 84.7%), leur sentiment face aux politiques mises en œuvre (85% versus 83.9%) et l’utilité de l’éducation (82% versus 82.5%). Cependant, 73.7% des étudiant∙es de Master 1 jugent les citoyen∙nes insuffisamment informé∙es contre 65% des étudiant∙es dans l’enquête. Le fait que l’évaluation suive directement le cours où de nombreuses nouvelles informations viennent d’être données pourrait expliquer en partie le fait que les étudiant∙es ressentent un manque d’information et, en extrapolant, qu’ils supposent que c’est également le cas de la plupart des citoyen∙es. Cependant alors que des étudiant∙es soulèvent l’importance d’enseigner ces enjeux, l’évaluation montre que seulement 67.9% des étudiant∙es de Master 1 pensent que les universités doivent dispenser des modules de formation contre 87% des étudiant∙es dans l’enquête des Shifters. Le rôle du médecin face à ces problématiques et sa responsabilité sociale face à ces enjeux ne sont probablement pas suffisamment clairs. En effet, seulement 48.9% pensent que des modules de formation aux questions climatiques sont un atout pour la recherche d’emploi contre 60% des étudiant∙es dans l’enquête des Shitfters. A noter que seulement 40.9% (versus 49%) estiment que la possibilité de suivre des enseignements sur le changement climatique pourrait être un élément de choix d’une université. Bien que de nombreuses institutions appellent les médecins à s’engager dans la défense des droits des patient·es et la santé, notamment en s’impliquant dans la communauté, la politique ou le plaidoyer collectif, peu de médecins arrivent réellement à le faire. Une étude aux Etats-Unis montre pourtant que les étudiant∙es en médecine semblent conscient∙es que cela fait partie de leur responsabilité (7). Elle révèle par exemple qu’ils/elles sont nombreux·ses à s’impliquer dans des organisations médicales. Ils/Elles sont également convaincu·es que leur action a un effet sur la santé de leur patient∙e. La plupart planifient d’endosser leur leadership de médecin dans les politiques de santé. Si cela relève peut-être d’une forme d’idéalisme avant de connaître la réalité du terrain, il est légitime de se questionner sur la représentation chez les étudiant·es belges de l’implication et de la responsabilité du médecin dans la société. Cela soulève la question du rôle de l’enseignement universitaire dans la construction de la responsabilité sociale des futurs médecins et du soutien à la profession pour endosser ce rôle de plaidoyer. Les études montrent que la motivation pour le choix de la médecine générale comme spécialisation est renforcée chez ceux/celles qui aspirent à une orientation communautaire de leur pratique et désirent un engagement sociétal marqué (8-10). La médecine générale semble donc singulièrement associée à une implication sociétale. Mais cette responsabilité pourrait être endossée par tou∙tes les professionnel∙les de santé. Ce constat implique que les enseignant∙es eux/elles-mêmes incarnent des modèles de rôle inspirants et que les étudiant∙es soient sensibilisé∙es à l’importance du plaidoyer et de l’engagement dès la vie étudiante.
Enseigner la complexité et la pluralité : quelles pistes pédagogiques ?
L’enseignement du développement durable a été longtemps conçu comme un enseignement de connaissances en matière environnementale, cantonné aux disciplines plus à même de fournir ces contenus spécifiques. Or il est aujourd’hui clair que cette approche est insuffisante et que le caractère complexe et systémique des enjeux de développement durable convoque les apports de chaque discipline et impose une collaboration entre elles mais également au-delà des murs de l’université (11), (12). Dans les profonds changements qui s’amorcent dans le monde de l’enseignement supérieur, quel est le rôle d’un∙e enseignant∙e en médecine, quelle est sa part de responsabilité ? Sur le plan des savoirs, chaque enseignant∙e est invité∙e à revisiter sa discipline, à en faire une relecture de manière à valoriser ou à développer davantage les contenus, compétences, perspectives et valeurs liés à la durabilité (13). La question à se poser est « Quelles sont les connaissances scientifiques, les outils, les attitudes, les visions possibles… dont auront besoin les futurs médecins pour faire face aux enjeux de durabilité ? ». Sur le plan de l’inter et de la trans disciplinarité, les disciplines se sont développées parfois au détriment d’une vision holistique de l’être humain et de sa place dans l’éco-système. L’ouverture à d’autres disciplines, à des pratiques issues du terrain ou d’autres cultures, favorise le développement de la capacité à appréhender la complexité dans une pluralité de regards. Enfin, sur le plan des approches pédagogiques, selon Sipos et al., les pédagogies les plus à même d’induire la profonde transformation que nécessite une éducation au développement durable sont les approches pédagogiques qui engagent à la fois la tête (la dimension cognitive, l’esprit critique, les systèmes de pensées), les mains (la dimension expérientielle et les savoirs pratiques) et le cœur (les valeurs, les affects, la collaboration, l’ancrage communautaire) (13). Parmi ces pédagogies on retrouve le « Service learning », l’apprentissage par problème, l’apprentissage expérientiel, etc. (13)
Diversifier et décloisonner les savoirs en médecine
Quels savoirs sont attendus et que nous disent ces attentes de la perception des enjeux de développement durable et de transition dans la formation en médecine ?
La lecture des attentes d’approfondissement dévoile une vision des savoirs et des connaissances relativement conventionnelles de la médecine : des savoirs scientifiques validés (les alternatives efficaces et validées, connaissances sur les perturbateurs endocriniens), des savoirs pratiques et techniques (comment mieux gérer les ressources du cabinet ?), des savoirs communicationnels (comment en parler au/à la patient·e ?). Cela questionne la diversité des savoirs qui sont produits et transmis en médecine, en particulier dans le domaine de la médecine « environnementale ».
En effet face aux problèmes engendrés par les changements climatiques et environnementaux, les étudiant∙es demandent des « solutions à mettre en place », reflétant la prédominance d’une pensée solutionniste. Pour pouvoir répondre à ces besoins, il semble pourtant nécessaire d’introduire des clés de compréhension des problèmes de développement durable et de transition grâce à la pensée complexe (14,15) et aux approches inter et transdisciplinaires (15-19).
La démarche scientifique s’est en effet échinée à segmenter pour rationaliser, à hyper-fragmenter ses savoirs dans l’approche des problèmes rencontrés par l’humain. La manière dont se sont transmis les savoirs dans la formation des étudiant∙es n’est que le reflet de cette vision segmentée du savoir.
Or, les problématiques des changements climatiques et de la transition sont caractérisées par un très haut degré de complexité et d’hyper-intrication de leurs causes et conséquences. Cela rend ces problèmes extrêmement difficiles à penser, à étudier et par conséquent à résoudre. Ils mêlent des acteurs et actrices varié·es et des aspects différents, appréhendables uniquement en mêlant des connaissances techniques, scientifiques, mais aussi politiques, sociales, culturelles etc. Les savoirs qui pourraient être utiles à la médecine générale afin de mieux cerner la complexité et par conséquent envisager des modes d’actions pratiques devraient donc refléter ces multiples dimensions. La formation en médecine doit aujourd’hui recréer du lien et penser les interdépendances.
L’approche « one health » ou « santé planétaire » est particulièrement propice à un ajustement de ce cadre épistémologique de la médecine. En effet, en reconnaissant l’interdépendance de la santé individuelle avec la santé globale, elle rétablit un lien qui a été progressivement affaibli, voire rompu, dans le développement des connaissances scientifiques de l’humain. Cette vision de la santé humaine qui fait exister la santé de l’environnement appelle l’intervention de savoirs issus d’autres disciplines, au-delà de la médecine mais aussi à des savoirs « ordinaires » et expérientiels.
Si certaines connaissances scientifiques spécifiques peuvent être transmises sur l’un ou l’autre aspect des transformations environnementales, les connaissances dans les transformations en cours sont et resteront en partie lacunaires. Les connaissances sur les impacts des changements climatiques ou encore les effets des perturbations sur la bio-diversité et des perturbateurs endocriniens sont jalonnées d’incertitudes. Or, la difficulté est qu’il n’est pas possible d’attendre d’avoir des certitudes scientifiques pour commencer à agir et mettre en œuvre des changements dans la pratique de la médecine générale. Pour avancer dans ces situations d’incertitude, certains chercheur·euses soutiennent la création de collectifs d’acteurs et d’actrices varié·es et aux savoirs diversifiés (20). Il s’agit de décloisonner les disciplines mais aussi de reconnaître les dimensions éminemment politiques, sociales et culturelles de ces problématiques et des manières de construire des réponses dans des contextes d’incertitude (20).
C’est pourquoi les approches inter et surtout transdisciplinaires pourraient ainsi constituer des atouts majeurs dans la transformation des manières de penser la légitimité des savoirs et introduire une ouverture et une plus grande intégration des enjeux environnementaux dans la pratique de la médecine générale.
Articuler la médecine générale avec des enjeux environnementaux invite le/la futur∙e médecin et ses enseignant∙es à une posture éthique et réflexive. La réflexivité, d’après Giddens, est « l’examen et la révision constantes des pratiques sociales, à la lumière des informations nouvelles concernant ces pratiques mêmes, ce qui altère ainsi constitutivement leur caractère » (21). Accepter de reconnaître que la médecine générale est porteuse de valeurs (22) et susciter un dialogue autour d’elles ouvre la voie à une identification professionnelle et à ses formes d’engagement et de responsabilité dans la société.
Forces et faiblesses
Il s’agit de la première édition de cette séance. L’importance du présentéisme au cours a été remarquée (et remarquable). Est-ce en lien avec la thématique ? Il n’y a pas de mesure avant la séance donc il n’est pas possible de déterminer si les réponses notamment en termes d’éco-anxiété et de point de vue sur l’urgence climatique ont évolués suite à la séance. De même, à chaque étape, il y a eu des facteurs d’assimilation et d’interprétation. En effet, cette séance a été établie à partir d’un focus groupe d’expert·es ayant donné son avis sur la formation des médecins aux problématiques environnementales. L’enseignante, avec les contraintes d’enseignements qui lui étaient imposées, a adapté la forme et le contenu. Enfin les étudiant·es ont eux/elles-mêmes interprété la matière donnée en fonction de leurs connaissances, expériences et vécus. Néanmoins, cet article permet d’apporter une pierre à l’édifice en formation du projet « UCL en transition ».
Conclusions
Enseigner les enjeux du développement durable et la transition est une évidence soutenue par de nombreux organismes internationaux. Le défi reste à développer les programmes. Cet article montre que les étudiant·es sont réceptif·ves et en demande de formation sur les problématiques environnementales. Cela renforce la nécessité de sensibiliser les étudiant·es à leur responsabilité sociale en santé et leur rôle dans le plaidoyer. Cependant, ils/elles soulignent l’importance d’aborder ces enjeux plus tôt dans l’enseignement et progressivement. Ils/Elles soulèvent également la nécessité d’avoir une pédagogie plus adaptée et innovante.
Recommandations pratiques
- S’inscrire dans une approche appréciative pour mobiliser toutes les disciplines en invitant chaque enseignant·e à révéler ou renforcer les liens existants entre son cours et les enjeux de développement durable.
- Travailler en équipe programme pour identifier les connaissances scientifiques, les compétences et les valeurs dont auront besoin les futurs médecins pour faire face à la complexité des enjeux de durabilité.
- Créer des ponts entre les disciplines et avec les acteurs et les actrices de la société afin d’ouvrir les perspectives et les visions de monde.
- Rendre l’étudiant·e acteur/actrice de son apprentissage en mobilisant sa tête (connaissances, esprit critique, etc.), ses mains (expérience et savoir pratique) et son cœur (émotion, collaboration, participation).
- Endosser au niveau institutionnel (au sein de l’université et des départements eux-mêmes) et professionnel (au niveau de l’enseignement et de la pratique) sa responsabilité en termes d’enjeux environnementaux.
Affiliations
1. Médecin Généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, Faculté de médecine et médecine dentaire – UCLouvain, B-1200 Woluwe-Saint-Lambert, Belgique
2. Conseillère pédagogique au Louvain Learning Lab (UCLouvain), B- 1348 Ottignies-Louvain-la-Neuve
3. Anthropologue (PhD), Centre Académique de Médecine Générale, Faculté de médecine et médecine dentaire – UCLouvain
Correspondance
Dre Ségolène de Rouffignac
Centre Académique de Médecine Générale
Faculté de médecine et médecine dentaire – UCLouvain
Avenue Hippocrate, 57 bte B1.57.02
B-1200 Woluwe-Saint-Lambert, Belgique
segolene.derouffignac@uclouvain.be
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