Techniques chirurgicales (figure 1)
Les techniques sont souvent classées en restrictives et malabsorptives, ces dernières étant souvent plus efficaces sur la perte de poids. La technique de l’anneau gastrique ajustable par voie laparoscopique n’est quasiment plus utilisée. Elle a cédé la place à deux techniques, d’une part la dérivation ou « bypass » gastrique avec une anse de Roux montée en Y et d’autre part, la gastrectomie longitudinale ou « sleeve » gastrectomie. Dans le bypass gastrique, l’estomac est réduit à une petite poche de 30 ml qui est directement anastomosée à une anse du jéjunum proximal, « bypassant » ainsi l’estomac, le duodénum et une petite portion du jéjunum (75 cm à partir de l’angle de Treitz). L’anse bilio-pancréatique est anastomosée à l’intestin pour délimiter une anse alimentaire d’une longueur de 150 cm depuis l’anastomose gastro-jéjunale. Il s’agit d’une intervention mixte, mais surtout restrictive. La perte de poids, qui est de l’ordre de 50 % de l’excès de poids avec l’anneau, atteint ici environ 75% de l’excès pondéral.
Dans la gastrectomie longitudinale, une grande partie de l’estomac est réséquée pour transformer le réservoir en un tube ou une manche. Il s’agit d’une intervention purement restrictive. Bien que son efficacité sur le poids soit moindre en comparaison du « bypass », la « sleeve » doit son essor à la simplicité du geste chirurgical, à un faible taux de complications et de carences, et à la conservation du pylore qui limite le risque de dumping. Le « bypass » gastrique et la « sleeve » gastrectomie représentent de loin la majorité des interventions bariatriques réalisées en Belgique. D’autres interventions très malabsorptives ont été développées comme par exemple la dérivation biliopancréatique, mais elles restent relativement peu pratiquées.
Effet sur le contrôle de la glycémie
L’effet bénéfique de la chirurgie bariatrique sur l’équilibre glycémique a d’abord été mis en évidence dans une méta-analyse comprenant pas moins de 621 études et 135 246 patients, dont 23 % de diabétiques type 2 (1). L’âge moyen des patients était de 40 ans et l’IMC (indice de masse corporelle) moyen de 48 kg/m2. Après chirurgie, la perte de poids obtenue était de 56% de l’excès de poids et la rémission du diabète sucré était observée dans 78% des cas. Ces résultats étaient maintenus au moins deux ans. Cette méta-analyse présente cependant certaines limitations. Dans certaines études, les critères de diabète sucré étaient mal précisés. La durée et surtout la sévérité du diabète sucré (HbA1c, type de traitement, ...) n’étaient pas toujours connues. Enfin, il s’agissait le plus souvent d’études rétrospectives non randomisées. Depuis lors, plusieurs études prospectives randomisées ont montré que la chirurgie bariatrique, en particulier le « bypass » gastrique, améliore l’équilibre glycémique (HbA1c), réduit le recours aux médications antidiabétiques, et induit dans certains cas la rémission diabète sucré définie par une HbA1c < 6.5 % pendant > 1 an sans médications hypoglycémiantes (2, 3). Une analyse groupée (ARMMS-T2D) de toutes les études prospectives randomisées réalisées chez les diabétiques (256 patients avec un âge moyen de 50 ± 8,3 ans, IMC 36,5 ± 3,6 kg/m2 et durée du diabète 8,8 ± 5,7 ans) montre une rémission du diabète chez 37.5 % à 3 ans contre 2.6 % avec un traitement médical. Le pourcentage de patients utilisant des médicaments pour contrôler la glycémie, mais également l’hypertension et la dyslipidémie est réduit après la chirurgie bariatrique (4).
Plusieurs facteurs prédictifs de la rémission du diabète sucré en réponse à la chirurgie bariatrique ont été identifiés (Tableau 1). Ceux-ci ont été intégrés dans un index de prédiction de rémission du diabète sucré appelé AdDia-Rem (5, 6). Plus récemment, d’autres facteurs associés à la rémission du diabète ont été identifiés, comme la présence d’une stéatose hépatique (7) et un phénotype de diabète sévèrement insulino-résistant (8). À l’inverse, la présence d’une altération de la fonction rénale (9) et l’absence de certaines espèces bactériennes dans le microbiote intestinal (10) sont associées à une plus faible probabilité de rémission. La durée de la rémission du diabète sucré induite par la chirurgie est mal connue (11). Dans l’étude rétrospective de Arterburn (12), la durée médiane de rémission est de 8.3 années. Le taux de récidive du diabète sucré après « bypass » est de 35% cinq ans après la rémission. La récidive du diabète sucré apparaît souvent liée à la reprise de poids et est plus fréquente si le patient bénéficiait au préalable d’une insulinothérapie. La chirurgie bariatrique peut non seulement induire la rémission du diabète sucré, mais elle peut aussi le prévenir. Ainsi, dans l’étude SOS, chez les patients indemnes de diabète lors de l’intervention, la chirurgie bariatrique réduisait l’incidence de diabète sucré de 8 fois à 2 ans et de 3.5 fois à 10 ans dans le groupe chirurgical par rapport au groupe médical (13, 14).
La chirurgie bariatrique va imposer une adaptation du traitement anti-diabétique. Ainsi, la posologie des médications à risque d’hypoglycémie en particulier l’insuline et les sulfonylurées doit souvent rapidement être réduite. La metformine peut être réintroduite une fois passée la période postopératoire immédiate. Il n’y a pas de contre-indication à poursuivre si nécessaire les analogues du GLP-1 et les DPP4i ou gliptines. Par contre, la prudence s’impose avec les sGLT2i ou gliflozines vu le risque de déshydratation et d’acidocétose euglycémique. Le traitement sera adapté sur base du monitoring régulier de la glycémie capillaire et non de l’HbA1c vu l’amélioration parfois brutale de la glycémie. L’attitude thérapeutique à terme sera dictée par HbA1c de départ et celle visée selon les objectifs habituels. L’insulinothérapie ne sera jamais interrompue en cas de diabète sucré de type 1.
Impact sur les complications du diabète sucré et la mortalité
Outre l’amélioration de l’équilibre glycémique, la chirurgie bariatrique améliore le contrôle de l’hypertension artérielle et des dyslipidémies, en particulier l’hypertrigly-céridémie avec HDL-C bas. Elle améliore donc l’ensemble des paramètres du syndrome métabolique. Il n’est donc guère étonnant qu’elle réduise aussi l’incidence des complications macro- et micro-vasculaires liées au diabète sucré (15-17) dans des études de cohorte. Les événements tant coronariens que cérébro-vasculaires sont réduits après chirurgie bariatrique. De façon rassurante, l’amélioration rapide de l’équilibre glycémique ne semble pas induire ou aggraver la rétinopathie diabétique (18). L’impact de la chirurgie bariatrique sur la néphropathie a été moins étudié. Cependant, en cas de rémission du diabète sucré, l’albuminurie régresse (19). Le déclin de la filtration glomérulaire est atténué après « bypass » (17). La stéatose hépatique et le syndrome d’apnées du sommeil bénéficient aussi largement de ce type de chirurgie. Au-delà de la régression des comorbidités, la chirurgie bariatrique réduit également la mortalité. Ceci a été démontré de façon rétrospective dans plusieurs études dans la population globale (20) mais aussi chez les sujets diabétiques (21). Aucune de ces études n’étaient cependant randomisées.
Bypass ou sleeve ?
Les études randomisées les plus récentes montrent que le « bypass » induit la rémission du diabète plus souvent que la « sleeve » mais moins souvent que la dérivation biliopancréatique (4, 17, 22, 23). Ces différences pourraient s’expliquer par une perte de poids plus importante obtenue avec la dérivation biliopancréatique et moindre avec la sleeve. Même si le taux d’HbA1c atteint est semblable avec le « bypass » et la « sleeve » dans certaines études, le recours aux antidiabétiques est moindre après « bypass » (25%) qu’après la « sleeve » (45%) (22). En particulier, l’abandon de l’insulinothérapie est plus fréquent après « bypass » qu’après « sleeve » (24). En outre, le risque de récidive est plus élevé après « sleeve » qu’après « bypass » (42 % vs 33%)(25). Tous ces éléments suggèrent que le « bypass » est probablement l’intervention de choix chez le patient diabétique de type 2, même si le risque de complications est en général plus élevé qu’après la « sleeve » (17).
Mécanismes de l’effet anti-diabétique
Le diabète sucré de type 2 résulte essentiellement d’une altération progressive de la sécrétion d’insuline par la cellule B dans un contexte de résistance à l’insuline. L’amélioration voire la rémission du diabète sucré ne peut donc être obtenue que par le biais d’une augmentation de la sensibilité à l’insuline et/ou de la sécrétion d’insuline. L’amélioration de la sensibilité à l’insuline après chirurgie bariatrique est bien établie, que le sujet soit diabétique ou non et quel que soit le type d’intervention chirurgicale (26). Elle est proportionnelle à la perte de poids (27). La chirurgie bariatrique induit également une amélioration de la fonction de la cellule B chez les sujets diabétiques (28, 29). Pour certains, elle est modeste (30) et pour d’autres elle serait le facteur prédictif le plus important dans la rémission du diabète sucré (31).
Plusieurs mécanismes contribuent potentiellement à l’amélioration de l’homéostasie glucidique induite par la chirurgie bariatrique. Le mécanisme probablement le plus précoce est la réduction de l’apport calorique tandis que le mécanisme le plus important à long terme est la perte de poids elle-même (26, 32). Néanmoins, ces deux mécanismes n’expliquent probablement pas à eux seuls la rémission du diabète sucré (33). De nombreux mécanismes sont suspectés jouer un rôle dans l’amélioration du contrôle glycémique après chirurgie bariatrique (Tableau 2). Cependant, il est incontestable que la perte de poids joue directement ou indirectement un rôle majeur dans l’amélioration de la glycémie. En effet, pour une intervention donnée, le taux de rémission est proportionnel à l’ampleur de la perte de poids (34). La récidive est souvent favorisée par la reprise de poids. Enfin, certaines études montrent que la perte de poids peut rendre compte à elle seule de tous les bénéfices de la chirurgie bariatrique sur l’homéostasie glucidique. Ainsi, une perte de poids de 18% améliore la glycémie, la sécrétion d’insuline et la sensibilité à l’insuline du foie, du muscle et du tissu adipeux de façon similaire, qu’elle ait été obtenue par un régime hypocalorique, un anneau gastrique ou un « bypass » gastrique (27, 35-37). Le fait que ces différentes modalités thérapeutiques aboutissent au même résultat ne permet cependant pas de conclure que les mécanismes impliqués sont identiques.
Complications de la chirurgie bariatrique
Selon les données les plus récentes (38), la mortalité périopératoire de la chirurgie bariatrique est de 0.2 %. Ce taux de mortalité est équivalent à celui de la cholécystectomie. Les complications sont observées dans 5 à 10 voire 15% des cas (39). Le risque dépend fortement du profil de risque du patient, mais surtout de l’expérience du chirurgien et du volume de chirurgie dans l’hôpital. Il semble accru par la présence du diabète sucré (40). Le risque de complications est plus élevé si le patient est de sexe masculin, âgé de plus de 45 ans, présente un IMC au-delà de 45 kg/m2, une hypertension artérielle, un syndrome d’apnées du sommeil, une histoire de thrombo-embolie et d’altération fonctionnelle (41). Il faut distinguer les complications à court terme (< 30 jours) et à long terme (> 30 jours). À court terme, les complications les plus fréquentes sont les vomissements et les intolérances alimentaires. Avec le « bypass », les complications principales sont représentées par les hémorragies et les fistules. Dans tous les cas, les patients sont à risque de thrombo-embolie. À long terme, les complications les plus fréquentes avec le bypass sont surtout l’ulcère marginal, la sténose anastomotique et l’occlusion sur hernie interne. Comme avec toute perte de poids importante et rapide, il existe un risque accru de lithiase biliaire. Les complications digestives les plus fréquentes sont le dumping syndrome (avec le « bypass ») et le reflux gastro-oesophagien (avec la « sleeve »). Les déficiences nutritionnelles (protéines, fer, vit. B12, acide folique, calcium, vitamines liposolubles) sont plus rares avec la sleeve qu’avec le bypass. Une supplémentation de micronutriments est dès lors souvent nécessaire (42). La chirurgie bariatrique expose à un risque accru de fractures osseuses par ostéoporose. Par contre, le risque de cancer notamment digestif n’est pas augmenté.
Sélections des candidats
Le patient diabétique « idéal » pour la chirurgie bariatrique est un sujet jeune (< 65 ans), hautement motivé, avec une obésité de classe 2 au minimum (IMC ≥ 35 kg/m2), atteint d’un diabète sucré de type 2 d’une durée d’évolution modérée (5-10 ans maximum), avec d’autres stigmates de syndrome métabolique et qui échoue à réduire son poids significativement ou dont l’équilibre glycémique reste insuffisant malgré un traitement non-insulinique optimal. La présence d’une cardiopathie sévère, d’une néphropathie avancée, d’un trouble du comportement alimentaire, d’un problème d’éthylisme, d’une affection psychiatrique non-contrôlée, ainsi que le manque de soutien social, de motivation ou de compréhension des risques et bénéfices de la procédure devraient par contre décourager le recours à ce type de chirurgie (43).
Questions en suspens
Malgré de nombreuses avancées, plusieurs questions restent non résolues (Tableau 3). Néanmoins, la chirurgie bariatrique doit dès à présent être intégrée dans l’arsenal thérapeutique du diabète sucré de type 2. C’est probablement la raison pour laquelle, l’« American Diabetes Association » l’a incluse depuis 2009 dans les recommandations pour la prise en charge du diabète sucré de type 2. Malgré ces recommandations, cette modalité de traitement du diabète reste largement sous-utilisée : moins de 1% des patients diabétiques éligibles y auraient recours (44).
Conclusions
L’efficacité de la chirurgie bariatrique sur l’excès de poids et ses complications, en particulier le diabète sucré de type 2, est actuellement bien établie. L’amélioration de l’équilibre glycémique est surtout marquée avec les interventions qui court-circuitent certains segments du tube digestif et qui engendrent une perte de poids importante. Ces interventions améliorent toujours la sensibilité à l’insuline et probablement aussi sa sécrétion. À côté de la réduction des ingestats et de la perte de poids, d’autres mécanismes semblent également contribuer à la rémission du diabète sucré induite par la chirurgie bariatrique. La rémission ne peut être observée que si la masse des cellules B fonctionnelles est suffisante, soit probablement à un stade précoce de l’évolution de la maladie. Le bénéfice de la chirurgie bariatrique s’étend à la plupart des co-morbidités du syndrome métabolique. Il n’est donc guère étonnant qu’à long terme cette chirurgie soit associée à une réduction de la mortalité, notamment d’origine cardiovasculaire. Sur base de ces éléments, le recours à la chirurgie bariatrique doit clairement s’intégrer dans la stratégie du traitement du diabète sucré de type 2 chez les sujets obèses dont l’IMC dépasse 35 kg/m2.
Correspondance
Pr. Jean-Paul THISSEN
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Endocrinologie et Nutrition
Avenue Hippocrate 10
Pôle Endocrinologie, Diabète et Nutrition, IREC, UCLouvain
B-1200 Bruxelles, Belgique
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