Mécanismes d’action et propriétés
Le mécanisme d’action de la kétamine est complexe. Il est surtout lié à un puissant antagonisme non compétitif du récepteur N-méthyl-D-aspartate (NMDA) du glutamate. La kétamine agit aussi comme agoniste des récepteurs opioïdes, stimule le système sympathique et inhibe la recapture de catécholamines. Le blocage des récepteurs NMDA interfère avec la transmission vers le cerveau des informations issues des zones périphériques. A dose élevée, on observe un état de dissociation : le patient continue de respirer de façon spontanée avec des voies aériennes protégées et un statut hémodynamique stable, tout en ne percevant aucun stimulus externe et sans possibilité d’interagir avec ce qui l’entoure. Cet état est intéressant lors de réalisation d’actes douloureux, chez l’adulte ou l’enfant (1). Ces propriétés hypnotiques, analgésiques et amnésiques associées à son profil de sécurité intéressant (tableaux 1 et 2) expliquent son utilisation croissante en médecine d’urgence (tableaux 3 et 4).
De plus, la suppression de certaines contre-indications historiques à présent démenties (majoration de la pression intracrânienne et intraoculaire ainsi que certaines maladies psychiatriques) et une meilleure maîtrise de l’administration réduisant les effets secondaires (injection lente et à doses adaptées) élargissent ses champs d’application en neurologie (traumatisme crânien, épilepsie) mais aussi en algologie et en psychiatrie, notamment pour la dépression. Une réaction déplaisante au réveil a également limité son utilisation mais cet effet secondaire, non décrit en pédiatrie, peut se gérer par une petite dose de benzodiazépines (non systématique). La schizophrénie et l’âge inférieur à 3 mois demeurent des contre-indications absolues (2). La kétamine peut être administrée via de nombreuses voies : les voies intraveineuse (IV) et intramusculaire (IM) sont les plus rapides mais les voies intranasale (IN), orale et rectale sont également possibles (3). Des protocoles locaux doivent être établis pour bien préciser les conditions d’administration (voie et posologie), de surveillance (matériel et monitorage essentiels) ainsi que les conditions de sortie.
De l’analgésie à la dissociation complète : un effet lié à la dose
A petite dose (0,1-0,3 mg/kg), la kétamine a peu d’effet sur la perception ou l’émotion mais son effet antalgique est puissant (4). Elle peut être administrée en perfusion lente de 10 minutes (afin d’en diminuer les effets secondaires) ou en continu (5).
A une dose un peu supérieure (0,2-0,5 mg/kg) apparaissent des distorsions de la perception mais le patient reste conscient et peut répondre aux commandes, tout en étant halluciné et défoncé. C’est la dose récréative, recherchée par les toxicomanes (1).
Une dissociation partielle (0,4-0,8 mg/kg) laisse un certain degré de conscience mais le patient est incapable d’interagir, ce qui peut lui occasionner un état de stress important qu’il convient d’éviter.
Une dose dissociative (> 1 mg/kg) isole complètement le patient des stimuli externes et rend impossible toute interaction, ce qui facilite une procédure douloureuse ou une intubation trachéale. Un nystagmus reste souvent présent. A la différence d’autres hypnotiques, le patient peut sembler éveillé mais est inconscient et n’en gardera aucun souvenir grâce à l’effet amnésique (2).
Ces quatre stades (tableau 5) sont un continuum avec d’importants chevauchements entre les doses. Les effets sont consistants pour une dose antalgique faible (< 0,1 mg/kg) ou dissociative élevée (> 2 mg/kg). Entre ces deux extrêmes, l’état n’est pas prévisible. Lorsque la dissociation est atteinte, l’augmentation de la dose ne va pas rendre le patient plus « dissocié » mais va simplement prolonger la durée d’action de la kétamine. La dose administrée sera donc choisie en fonction du but souhaité.
Analgésie et coanalgésie
La douleur est le motif principal de consultation aux urgences. La morphine est actuellement le traitement de référence pour les douleurs aiguës sévères. Son utilisation connaît cependant de nombreuses limites, essentiellement à cause de ses effets secondaires respiratoires, hémodynamiques, sédatifs et du risque d’addiction, fléau majeur en particulier aux Etats-Unis. De plus, des phénomènes d’hyperalgésie et de tolérance sont décrits lors d’utilisation de morphine à haute dose ou de façon itérative. L’ensemble de ces éléments explique l’intérêt d’une stratégie antalgique qui limite le recours aux opiacés (6).
La kétamine est un antagoniste du récepteur NMDA. Ce récepteur potentialise le stimulus douloureux, jouant un rôle dans la sensibilisation centrale à la douleur. La kétamine crée une dissociation entre le stimulus douloureux et la capacité du cerveau à le reconnaître (indifférence à la douleur). Elle a également une action directe sur les récepteurs opioïdes qui explique ses effets anti-hyperalgiques lorsqu’elle est associée à la morphine en analgésie multimodale. Cette action directe est cependant marginale pour l’effet antalgique immédiat et la naloxone n’antagonise pas son effet (1).
Grâce à ces mécanismes d’action, l’utilisation de la kétamine s’est étendue à la gestion de la douleur aiguë aux urgences comme en préhospitalier. Elle peut faciliter les procédures douloureuses aux urgences, en particulier dans la population pédiatrique, chez le brûlé et chez le polytraumatisé hypotendu. En association à la morphine, la kétamine permet un meilleur effet antalgique et une épargne morphinique. Utilisée seule, elle montre une efficacité équivalente, plus rapide mais de durée plus courte (4, 6).
La morphine reste classiquement le médicament de première ligne pour une douleur aiguë aux urgences mais la kétamine doit être envisagée si la morphine est inefficace (patient sous méthadone, naltrexone ou sous opiacés en chronique avec un phénomène de tolérance), si une dose importante de morphine a déjà été administrée ou si elle est non souhaitable (crainte de ses effets secondaires, insuffisance rénale, hypotension artérielle). La kétamine peut aussi être utilisée pour les douleurs neuropathiques chroniques rebelles et en médecine palliative (3).
La dose antalgique IV conseillée est de 0,15-0,3 mg/kg. Une approche efficace est d’administrer 0,3 mg/kg IV en 15 minutes, ce qui réduit les effets secondaires de 40% et ne nécessite pas de monitorage (4). L’injection d’une dose plus importante ou une administration plus rapide peuvent augmenter les effets secondaires. Avec ce schéma d’administration, les effets secondaires sont le plus souvent brefs et bien tolérés. A noter qu’aucune des études actuelles sur cette utilisation de la kétamine n’inclut de patient de plus de 65 ans et que les différents protocoles d’administration varient très fort d’une étude à l’autre (5).
La voie IN présente l’avantage d’être facile d’accès et d’éviter la mise en place d’une voie veineuse périphérique. Une dose de kétamine IN de 0,75-1,5 mg/kg permet une analgésie efficace, rapide et bien tolérée tout en nécessitant peu de surveillance cardiorespiratoire. Cependant, en comparaison avec un opiacé IN et bien que sa sécurité paraisse plus grande, la kétamine IN semble avoir une action moins rapide et moins longue avec davantage d’effets secondaires, notamment des brûlures nasales et pharyngées. Cette voie d’administration étudiée principalement dans les populations pédiatriques est de plus en plus utilisée dans les services d’urgences adultes et présente un intérêt particulier en préhospitalier (7, 8).
Sédation procédurale
Dans un service d’urgence, de nombreuses procédures, brèves mais douloureuses, nécessitent une sédation procédurale. La kétamine est un médicament de choix grâce à l’état de dissociation qu’elle est capable d’induire. L’urgentiste peut alors effectuer dans de bonnes conditions des actes douloureux (réduction de luxation ou fracture, drainage d’abcès, suture complexe, etc.) chez l’adulte comme chez l’enfant (2).
La kétamine est le plus souvent administrée par voie IV, à doses dissociatives de 1,5-2 mg/kg chez l’enfant et de 1 mg/kg chez l’adulte, en 60 secondes, ce qui diminue le risque d’apnée transitoire, offrant une durée d’action comprise entre 10-20 minutes. En cas de procédure plus longue ou de sédation insuffisante, des doses supplémentaires de 0,5-1 mg/kg peuvent être administrées. La prémédication par midazolam est inutile chez l’enfant et optionnelle chez l’adulte ; elle peut réduire les effets dysphoriques (bien qu’ils soient rarement cliniquement significatifs) mais prolonge la durée de la sédation. En cas d’anxiété majeure, elle peut être injectée à la dose de 0,03 mg/kg. Chez l’enfant, l’ajout d’ondansétron (0,15 mg/kg, 4 mg maximum) réduit significativement l’incidence des vomissements. La voie IM peut aussi être utilisée chez l’enfant, à une dose de 4-5 mg/kg (2). De même, des protocoles de kétamine IN sont fréquents en pédiatrie, à la dose de 6 mg/kg en dose unique (100 mg maximum), permettant une sédation après 5-8 minutes pour une durée de 35-45 minutes.
Plusieurs études se sont intéressées à l’utilisation de « kétofol », une association de kétamine et propofol, pour la sédation procédurale en salle d’urgence. Celles-ci se basent sur une synergie entre les deux molécules, permettant de réduire les effets secondaires grâce à une diminution des doses respectives et de leurs effets antagonistes : diminution de l’hypotension et de la dépression respiratoire induite par le propofol grâce à l’augmentation de catécholamines circulantes provoquées par la kétamine, diminution des vomissements et de l’agitation causées par la kétamine grâce aux propriétés antiémétiques et anxiolytiques du propofol (9). Les avantages semblent réels mais minimes et la complexité de la réalisation du mélange, avec possibilité d’erreurs, freine l’attrait pour ce type de sédation.
Intubation en séquence rapide (ISR)
L’étomidate, largement utilisé comme agent d’induction, assure une stabilité hémodynamique. Cependant, la survenue d’une insuffisance surrénalienne potentiellement délétère chez le patient hypotendu, septique ou traumatisé tend à le discréditer de plus en plus, en faveur de la kétamine. La kétamine stimule le système sympathique, ce qui en fait un bon choix en cas d’instabilité hémodynamique, bien que des hypotensions artérielles restent possibles lors d’une ISR par kétamine en cas de déplétion en catécholamines. (10) Pour ces patients en état de choc, la dose est classiquement diminuée de moitié. Enfin, le problème des phénomènes de réémergence ne se pose pas, le maintien de la sédation étant assuré par d’autres agents hypnotiques pour une période bien supérieure à la durée d’action de la kétamine (1). Ses actions analgésique et amnésique ainsi qu’une sédation assez longue s’ajoutent aux avantages. La dose est de 2-3 mg/kg en IV directe.
Intubation avec la kétamine, alternative à l’ISR
Intubation en séquence retardée : la kétamine permet la préoxygénation chez un patient non-coopérant
L’hypoxémie durant la phase d’apnée de l’ISR augmente significativement la morbidité et la mortalité du geste. Une préoxygénation correcte permet de réduire ce risque. L’agitation du patient (hypoxémique, intoxiqué, douloureux, anxieux, …) peut rendre impossible cette phase de préoxygénation. Une dose préalable de kétamine permet de sédater le patient et de contrôler l’oxygénation (selon le protocole local) avant d’administrer de façon retardée les curares et de réaliser l’intubation dans de meilleures conditions. Il s’agit en fait d’une sédation procédurale pour laquelle la préoxygénation est la procédure à réaliser, avec maintien des réflexes respiratoires et de protection des voies aériennes (11).
Dans le protocole proposé par Weingart et al., la kétamine est administrée à dose dissociative et idéalement titrée : 0,5 mg/kg IV en injection lente pour éviter les apnées, à renouveler une à deux fois si nécessaire. Une fois sédaté, le patient est positionné et oxygéné par lunettes nasales (15 l/min) ou si nécessaire en VNI (en mode CPAP avec une PEP de 5 à 15 cmH2O) ou au ballon, jusqu’à obtenir une saturation en oxygène égale ou proche de 100 %. Un apport d’oxygène à haute concentration est poursuivi durant 3 minutes supplémentaires afin d’obtenir une dénitrogénation alvéolaire adéquate, avant d’injecter le curare et procéder à l’intubation. Cette technique transforme une situation à haut risque en une situation bien contrôlée (12). Les complications de cette procédure sont celles habituellement décrites dans la ventilation non invasive et l’intubation, associées aux effets secondaires des médicaments employés. Bien que l’intubation à séquence retardée soit intellectuellement attirante avec des premières études encourageantes, son bénéfice a actuellement des niveaux de preuve et d’expérience faibles.
La kétamine seule pour faciliter l’intubation chez un patient en respiration spontanée
Certains proposent la kétamine comme une alternative à l’intubation vigile chez un patient avec critères d’intubation difficile (obésité, limitation des mouvements du cou, tumeur oro-pharyngée, etc.) et chez qui l’urgence du geste à réaliser empêche l’appel de l’anesthésiste et la réalisation d’une intubation par fibroscopie. Cette technique est aussi parfois proposée pour un patient incapable de supporter même une courte période d’apnée. La dose proposée est de 1-1,5 mg/kg IV administrée en minimum 60 secondes pour éviter l’apnée (11). Ces techniques restent très risquées et ne peuvent être utilisées que par un médecin chevronné dans l’art de l’intubation. La kétamine seule n’offre pas toujours des conditions suffisantes pour permettre la laryngoscopie. Le risque de vomissements et d’inhalation est réel et doit être anticipé. Un laryngospasme peut empêcher l’intubation et un agent paralysant doit être préparé et immédiatement disponible.
Asthme gravissime
La kétamine a des effets bronchodilatateurs par la réduction de libération de monoxyde d’azote (NO) et de cytokines ainsi que par l'augmentation des catécholamines endogènes. Elle diminue la résistance des voies aériennes et améliore la compliance pulmonaire. La kétamine peut être utilisée dans les situations d’asthme aigu grave et réfractaire. Les doses utilisées varient fortement selon les études, avec des bolus IV de 0,1-2 mg/kg. Son rôle sédatif permet de réduire l’anxiété et l’agitation qui peuvent exacerber la tachypnée et le travail respiratoire. Elle peut être adéquatement utilisée lors de l’intubation de ces patients en détresse majeure (13). Des études larges et prospectives manquent cependant avant de recommander de façon formelle son utilisation dans cette indication.
La kétamine et la psychiatrie
Agitation et delirium
Aux urgences comme en préhospitalier, les patients agités et violents devant être sédatés (par sécurité ou par nécessité pour le bilan médical) sont fréquents. Une contention physique unique présente des risques de lésions et de traumatisme psychologique. Des protocoles de sédation existent tel que l’utilisation d’halopéridol associé ou non à une benzodiazépine et permettent de solutionner la majorité des cas. Les risques associés à l’utilisation de ces médicaments sont bien connus des urgentistes (gestion des voies aériennes, dépression respiratoire, QT prolongé). Le problème principal est souvent lié au délai d’action important ou à la consommation d’autres substances (14).
La kétamine, grâce à son délai d’action court et au maintien de la ventilation spontanée, devient une médication également recommandée. Elle est réservée plus spécifiquement à deux groupes de patients agités :
- les patients violents représentant un danger majeur pour eux-mêmes, les autres patients et les soignants ;
- les patients pour lesquels on pense à une condition médicale dangereuse associée à un risque majeur pour le patient par impossibilité d’évaluation et de prise en charge. Les étiologies potentielles sont une hypoglycémie, une encéphalite, une hypoxie, une intoxication. Ces patients en délire agité peuvent développer de l’hyperthermie, une acidose, une rhabdomyolyse, des lésions traumatiques, voire des crises d’épilepsie, un coma et même un décès. Le diagnostic causal ne pourra être porté qu’après la sédation et le bilan (15).
Dans cette indication la kétamine est administrée à dose sédative, soit 1-2 mg/kg IV ou 4-6 mg/kg IM (délai d’action en 4-6 minutes, durée d’action de 20-40 minutes, sur deux sites d’injection si nécessaire) avec les conditions de surveillance suffisantes. Cette dose doit bien sûr être réduite en cas d’administration concomitante d’un autre sédatif (14, 15).
Face à cette situation spécifique, les contre-indications deviennent relatives et sont gérées ultérieurement, par exemple par une sédation prolongée en cas d’état schizophrénique ou par une surveillance et une gestion de la tension artérielle en cas de prise de cocaïne.
Sevrage éthylique
La physiopathologie du sevrage en alcool est complexe. Les deux neurotransmetteurs impliqués sont l’acide γ-aminobutyrique (GABA, inhibiteur) et le glutamate (excitateur) qui agit via les récepteurs NMDA. Les benzodiazépines, pierre angulaire du traitement, sont orientées sur le GABA. La kétamine est utile par ses propriétés antagonistes du récepteur NMDA. Des études, non contrôlées, montrent un effet positif de doses faibles, en bolus ou perfusion, de l’ordre de 0,1-0,3 mg/kg. La kétamine peut être utilisée lorsque des doses importantes de benzodiazépines n’ont pas permis un contrôle du sevrage (1).
Dépression avec idées suicidaires
La kétamine connaît un engouement phénoménal pour cette nouvelle indication et le marché potentiel est énorme. En effet, pour les 30 % de patients dépressifs ou en état de stress post-traumatique résistants aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, il reste peu d’alternatives efficaces. Aux Etats-Unis, des «ketamine clinics» sont apparues alors qu’un spray à base de kétamine est maintenant disponible et reconnu par la Food and Drug Administration. Ce médicament semblerait être efficace rapidement (quelques heures), même si l’effet est temporaire (16). En France, le médicament est également présent mais la Haute Autorité de Santé juge son utilité faible. Les doses utilisées sont peu importantes et sont souvent administrées en perfusions d’environ 40 minutes, répétées au cours de plusieurs semaines. La forme IN est évidemment plus pratique mais serait moins efficace et pose le risque d’une dépendance à cette drogue. Aux Etats-Unis, le médicament n’est accessible que pour des patients bénéficiant déjà d’un traitement optimal depuis une durée suffisante sans amélioration. Il doit être administré au cabinet d’un médecin certifié (17, 18).
Les études sont cependant peu nombreuses, avec des résultats discutables et sont fort liées à l’industrie pharmaceutique. L’avenir dira si l’engouement pour ce traitement est justifié et s’il deviendra une nouvelle indication de la kétamine aux urgences.
La kétamine et le cerveau
État de mal épileptique réfractaire (EME)
Les urgentistes sont amenés à prendre en charge des patients en EME. On parle d’EME réfractaire si cet état de mal ne répond pas aux deux premières lignes de traitement (40 % des EME). Il y a urgence à stopper l’activité épileptique afin de préserver les fonctions corticales et diminuer la morbi-mortalité. Grâce à son effet antagoniste du glutamate, la kétamine offre une alternative thérapeutique intéressante. Elle est déjà utilisée aux soins intensifs lorsque les autres anesthésiques ont échoué mais pourrait être introduite plus précocement en troisième ligne, tant chez l’adulte que chez l’enfant. La dose de charge serait de 2-3 mg/kg IV, suivie d’une perfusion pouvant aller jusqu’à 10 mg/kg/h, en fonction de la réponse à l’électroencéphalogramme. Toutefois, les posologies et le délai d’administration optimaux doivent être définis. A nouveau, ces données encourageantes sont basées sur une littérature encore trop peu étoffée. D’autres études, avec une meilleure méthodologie, doivent être menées avant de modifier les recommandations actuelles (19).
Traumatisme crânien et effets neuroprotecteurs
Pendant longtemps, la kétamine a été contre-indiquée dans le traumatisme crânien. Des études de faible niveau de preuve, réalisées dans les années 70, suggéraient un effet délétère de la kétamine en cas de traumatisme crânien avec une majoration de la souffrance cérébrale, ce qui n’a pas été démontré dans les études plus récentes. Au contraire, certaines suggèrent même que la kétamine pourrait avoir des effets bénéfiques dans ce contexte. Elle inhiberait les dépolarisations neuronales à propagation corticale observées dans les lésions cérébrales aiguës et associées à un mauvais pronostic neurologique, en augmentant la pression artérielle moyenne et donc la pression de perfusion cérébrale sans majorer la consommation en oxygène ni réduire le métabolisme du glucose au niveau cérébral (20).
La eskétamine
La kétamine est un mélange de deux énantiomères (R et S). Le dérivé S est la eskétamine. Il semblerait que cette substance ait quelques avantages par rapport à la kétamine : élimination plus rapide, moins d’effets secondaires de type dysphorie et plus active. Elle est surtout plus chère et plus intéressante à commercialiser. Le spray nasal destiné à la dépression est à base de eskétamine (16). Les formes IV disponibles de kétamine tendent également à être progressivement remplacées par cette nouvelle forme. La eskétamine étant globalement deux fois plus puissante, les doses mentionnées dans ce texte doivent être divisées par deux.
Conclusion
La kétamine est une drogue bien connue des urgentistes qui l’emploient au quotidien, tant en salle d’urgence qu’en préhospitalier, pour la sédation procédurale et l’intubation en séquence rapide. Son champ d’application en médecine d’urgence s’élargit progressivement avec de nouvelles indications dans la gestion de la douleur, de la dépression, du sevrage et de l’agitation.
Le profil sécuritaire de cette drogue est particulièrement intéressant mais il est essentiel que le médecin urgentiste maîtrise son utilisation ainsi que les différentes doses recommandées et qu’il dispose de tout le matériel nécessaire pour surveiller le patient afin de pouvoir réagir aux éventuelles complications.
Recommandations pratiques
Bien que l’utilisation de la kétamine en médecine d’urgence soit actuellement limitée à la sédation procédurale et à l’intubation en séquence rapide, ses propriétés en font une alternative intéressante pour l’analgésie et l’agitation sévère. Elle peut par ailleurs être administrée dans le traumatisme crânien.
Affiliations
1. EpiCURA site Hornu, service des urgences, B-7301 Hornu
Correspondance
Dr. Jean-Marie Jacques
EpiCURA site Hornu
Service des urgences
Route de Mons 63
B-7301 Hornu
jean-marie.jacques@epicura.be
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