Introduction
Les pancréatites aiguës restent majoritairement d’origine alcoolique ou biliaire. Après exclusion de ces causes, des étiologies plus rares sont recherchées telles qu’une origine obstructive non lithiasique, dysmétabolique (hypertriglycéridémie, hypercalcémie), infectieuse, médicamenteuse, ischémique ou encore génétique. Les pancréatites auto-immunes (PAI) restent souvent méconnues. Celles se manifestent le plus souvent de façon chronique. Les PAI de types 1 et 2 sont deux formes anatomo-pathologiques distinctes liées à des profils cliniques différents (1). La pancréatite auto-immune de type 1 est suspectée sur base de l’imagerie (imagerie en coupe et écho-endoscopie), du dosage sérique de l’IgG4 et de la rémission par corticothérapie. La pancréatite auto-immune de type 1 entre dans le cadre de la maladie systémique à IgG4, caractérisée par l’atteinte de plusieurs organes par le même infiltrat fibro-inflammatoire confirmé par les critères histologiques (2). La pancréatite auto-immune de type 2 est, au contraire, limitée au pancréas, touche souvent des patients plus jeunes, ne possède pas de marqueur diagnostique sérique spécifique et présente généralement une évolution favorable sans corticothérapie. À travers une courte description d’un cas clinique atypique, nous aborderons la démarche diagnostique de la PAI 1 ainsi que sa prise en charge.
Vignette clinique
Nous rapportons le cas d’un patient de 47 ans admis aux urgences pour un malaise associé à une douleur abdominale intense et diffuse, une anurie de 48 heures et des vomissements incoercibles durant depuis 1 semaine. Le patient ne prend aucun médicament et n'a pas d'antécédents alcool-tabagiques. L’examen clinique à l’admission montre une tachycardie, une hypertension artérielle sans signes de choc et une sensibilité abdominale diffuse avec absence de péristaltisme. La biologie sanguine à l’admission montre une élévation de la lipasémie à 220 UI/L (x2,8N), une créatininémie à 5.8 mg/dl (x5N), une majoration des LDH à 713 UI/L (x1.5N), une CRP à 13 mg/dl avec une hyperleucytose importante à 29 000 GB/mm3.
Le CT Scan abdominal à l’admission, sans produit de contraste à cause de l’insuffisance rénale aigue, confirme une pancréatite sévère de catégorie E dont l’étiologie est alors toujours inconnue. Le scanner montre une tuméfaction globale pancréatique. Il n’y a pas de dilatation des voies biliaires et aucun calcul n’est visualisé. L’absence de dilatation du canal pancréatique principale exclut également une obstruction tumorale. Les échographies abdominales répétées réduisent la probabilité d’une origine lithiasique non détectée
Devant l’aggravation clinique du patient (majoration de la lipasémie et de la CRP) et l’ensemble du bilan négatif, une cause auto-immune est suspectée par le gastro-entérologue. Le dosage sérique de l’Ig4 est majoré à 2 851 mg/dl (x21N), soit un taux remarquablement élevé confirmant une pancréatite auto-immune de type 1 (PAI).
Le bilan complémentaire par imagerie comprend une écho-endoscopie. Les images endoscopiques obtenues montrent une ductite, un aspect d’angiocholite associé à un parenchyme pancréatique hypo-échogène appuyant le diagnostic de PAI. Il n’y a pas d’adénopathies ni de lésions suspectes de néoplasie. Elles confirment l’absence de lithiase vésiculaire ou cholédocienne.
La biopsie péri-papillaire à la recherche d’un infiltrat lymphoplasmocytaire IgG4+ à l’immunohistochimie s’est révélée non concluante sur base du seul tissu duodénal prélevé sans tissu pancréatique obtenu. En somme, les explorations montrent un taux sérique anormalement élevé d’IgG4, associées à des images morphologiques typiques des pancréatites auto-immunes. Aucun argument pour une origine néoplasique n’est retenu. La corticothérapie est débutée, avec amélioration clinique rapide et évolution progressive vers une atrophie pancréatique typique
L’insuffisance rénale aigue présente à l’admission ne s’améliore pas après hyperhydratation. Cependant dès l’installation de la corticothérapie, on note une évolution favorable de la fonction rénale ce qui laisse suspecter la présence d’une atteinte rénale de l’IgG4-Related systemic disease (IgG4-RSD). 3 mois après le début de l’affection on observe une normalisation de l’imagerie pancréatique. L’évolution clinique et biologique est favorable, justifiant une surveillance simple du patient avec contrôles réguliers.
Discussion
Bilan étiologique face à une pancréatite aigüe (PA)
Alcoolisme chronique (40%)
Maladie lithiasique (40%) : une origine biliaire doit être évoquée systématiquement et en premier lieu. Elle sera suspectée sur base du contexte clinique et biologique, particulièrement en présence de lithiase, de signes de cholécystite ou de dilatations des voies biliaires. Néanmoins le diagnostic de microlithiase pourrait être responsable de nombreuses PA dites idiopathiques, dont le diagnostic est posé à distance.
Maladies infectieuses : de nombreux virus, bactéries et parasites peuvent causer une PA. Citons le campylobacter jejuni, la leptospirose, les ascaris, le coxsacki virus, l’entérovirus, le CMV, l’EBV, le HIV et les oreillons. Ces causes peuvent être évoquées devant un contexte fébrile ou des signes d’infections (anamnèse, éosinophilie, manifestations systémiques). Le bilan s’appuiera sur les sérologies sanguines.
Pancréatites non alcooliques et non biliaires (non A non B) : les causes de pancréatites non A non B représentent environ 20% des cas de pancréatite aiguë dans les pays occidentaux. Elles sont généralement liées à des processus inflammatoires chroniques d’origines diverses : obstructive, dysmétabolique (hypercalcémie et hypertriglycéridémie), génétiques ou par atteinte auto-immunitaire, isolée ou systémique. Les pancréatites aigues d’origine médicamenteuse sont peu répandues et souvent bénignes. Des listes détaillées de médicaments responsables sont disponibles dans la littérature.
Profil clinique de la PAI de type 1
La PAI 1 est très fréquent en Asie, (>90% des séries japonaises), et représente moins de 20% des séries occidentales (2). Il s’agit d’une pathologie rare, mais probablement très sous-diagnostiquée. L’âge du diagnostic se situe classiquement entre 50 et 70 ans. Il existe une prédominance du sexe masculin (2). Les atteintes cliniques varient : ictère par compression de la voie biliaire principale rétro pancréatique, forme pseudo-tumorale, pancréatite aiguë –rare-, diabète ou insuffisance pancréatique exocrine (2). Les atteintes extra-pancréatiques isolées ou associées sont multiples, synchrones ou espacées dans le temps. Le cas rapporté est atypique de par sa présentation aigue et très sévère, alors que les pancréatites auto-immunes sont souvent chroniques. Néanmoins la forte élévation de l’IgG4 sérique (x20N) est totalement compatible avec une atteinte systémique à IgG4.
Démarche diagnostique de la PAI de type 1
Le diagnostic certain repose sur 5 critères : les critères d’imagerie pancréatique parenchymateuse et canalaire, les critères sérologiques de l’IgG4, l’atteinte d’autre organes, les critères d’histologie pancréatique et la réponse à la corticothérapie. Les 5 critères ICDC (International Consensus Diagnostic Criteria for Autoimmune pancreatitis) détaillés ont été établis en 2011 par l’association internationale de pancréatologie (3) (Tableau 1).
L’imagerie dispose d’une place importante dans la suspicion de PAI 1. Le signe parenchymateux typique est le gros pancréas « saucisse » (tête du pancréas > 3cm, queue du pancréas > 2 cm d’épaisseur) avec prise de contraste retardée. L’existence d’un anneau périphérique hypodense ou hypointense sous-capsulaire est quasi pathognomonique (3,4).
Les signes écho-endoscopiques typiques évocateurs de la PAI sont la ductite caractérisée par une sténose du canal pancréatique principale sans dilatation en amont, la cholangite définie par un épaississement de la voie biliaire principale, l’œdème hypoéchogène péri-glandulaire pancréatique et l’hétérogénéité du parenchyme pancréatique hypoéchogène (3,4).
Le prélèvement guidé par écho-endoscopie est essentiel pour le diagnostic différentiel avec l’adénocarcinome pancréatique en cas de suspicion de PAI de présentation focale pseudo-tumorale (dilatation du CPP < 5mm en amont de la masse ou autres signes d’alarmes). L’aiguille de 22G standard ne donne que rarement le diagnostic histologique (critères 1H ou 2H) (4,5). Les nouvelles aiguilles capables de fournir des fragments pancréatiques pour étude histopathologique (20G coupante, 19G, 22G coupante) permettraient d’améliorer le diagnostic histologique de PAI (4).
Suspicion de maladie systémique à IgG4+
La PAI de type 1 peut être associée à une atteinte multi-organique dans le cadre d’une maladie systémique à IgG4, contrairement à la PAI de type 2 (ducto-centrique idiopathique) le plus souvent isolée ou uniquement associée à une maladie intestinale chronique (Rectocolite ulcéro-hémorragique ou Crohn). La maladie systémique à IgG4 est caractérisée par la présence d’une ou plusieurs atteintes fibro-inflammatoires d’organes définies au niveau histologique par une infiltration lympho-plasmocytaire IgG4+, le plus souvent associée à une élévation sérique des IgG4. De nombreux atteintes extra-pancréatiques sont décrites (Figure 3). La liste des manifestations est encore en augmentation dans la littérature (6).
La néphrite tubulo-interstitielle associée aux IgG4 est l’atteinte d’organe la plus fréquente après la pancréatite. Elle est le plus souvent retrouvée chez des patients avec une élévation particulièrement importante des IgG4 sériques. Sa manifestation clinique peut être une hématurie, une protéinurie généralement tubulaire ou une insuffisance rénale d’aggravation progressive (7). L’imagerie par scanner ou IRM peut révéler une pseudotumeur inflammatoire, des lésions rénales éventuellement bilatérales ou des hypodensités multiples. La preuve du diagnostic d’IgG4-RSD par biopsie d’un organe affecté reste essentielle dans la plupart des cas, sauf certaines PAI caractéristiques remplissant les autres critères typiques.
Prise en charge de la maladie systémique à IgG4
Il n’existe pas de critères validés pour le diagnostic de maladie systémique à IgG4 en raison de la rareté et de la grande hétérogénéité des cas. Au niveau biologique, les principales anomalies retrouvées dans la littérature sont une hypergammaglobulinémie chez 80% des patients et une élévation des Ig4 sériques > 135 mg/dl. Pour le diagnostic de PAI 1, ce seuil discriminant présente une sensibilité de 75% (1). Au-delà de 270 mg/dl (critère ICDC de niveau 1), la spécificité est de 99%. Le taux d’IgG4 est significativement plus élevé chez les patients développant plusieurs atteintes d’organes (6). Le taux d’IgG4 décroissant significativement après traitement, il peut être utilisé comme marqueur pour monitorer la réponse thérapeutique et l’activité de la maladie (3). Il existe néanmoins des formes cliniques séronégatives (2). En 2015, le consensus d’experts réunis pour le symposium IgG4-RSD établissait que l’évaluation la plus fiable de l’affection était basée sur une approche reprenant l’entièreté de l’histoire clinique, un examen clinique rigoureux, des tests biologiques spécifiques et des études radiologiques adaptées. La confirmation diagnostique par biopsie d’un organe atteint est fortement recommandée pour l’exclusion de malignité ou d’autres atteintes mimant la pathologie (7).
Le traitement de référence de l’Ig4-RSD est la corticothérapie. Tous les patients avec une forme active et symptomatique doivent être traités. L’évolution pouvant être spectaculaire après quelques jours de traitement, la corticosensibilité fait donc partie des critères diagnostiques de la PAI. Les résultats morphologiques obtenus après corticothérapie sont la restitution ad integrum de la glande pancréatique dans 65% des cas et une atrophie parenchymateuse et/ou des anomalies canalaires définitives dans 35% des cas (6).
Le dernier consensus international de 2016 a introduit un algorithme de traitement pour la pancréatite auto-immune de type 1 (Figure 4).
Il recommande une dose initiale de prednisone de 0.6 -1.0mg/lg/jour pendant une durée de 2 à 4 semaines (niveau de preuve A) (8). Cette dose initiale recommandée est identique pour la maladie systémique à IgG4 selon le consensus de 2015 (9). Une dose minimale de 20mg/jour est souvent nécessaire pour induire une rémission (niveau B). Après l’induction de la corticothérapie à haute dose, le schéma dégressif proposé est une diminution de 5 à 10mg/jour chaque 1 à 2 semaine jusqu’à la dose de 20 mg/jour suivi d’une diminution de 5mg toutes deux semaines (niveau B). Un autre mode de traitement acceptable est une dose de 40 mg/jour pendant 4 semaines suivie d’une baisse par palier de 5mg/semaine jusqu’à l’arrêt. La durée totale du traitement de rémission devrait durer généralement 12 semaines (niveau de preuve A).
Les rechutes de PAI de type 1 sont fréquentes. Le caractère diffus de l’atteinte pancréatique, la forte élévation de l’IgG4 sérique et une atteinte initiale de plus de deux organes sont considérés comme des facteurs de risque de rechute (8). La surveillance est clinique (ictère, douleurs), biologique (tests hépatiques, glycémie, lipasémie inutile) et par imagerie en coupe (IRM). Le taux d’IgG4 s’il était élevé est contrôle à 1 mois, 2 mois, 3 mois et 6 mois puis tous les 6 mois. L’imagerie peut être contrôlée à 2 semaines, 3 mois et 6 mois (4).
En cas de première rechute, les immunosuppresseurs en association avec une corticothérapie à dose d’induction sont le plus souvent utilisés (4).
Recommandations pratiques
La pancréatite auto-immune de type 1 est une cause rare de pancréatite non-alcoolique non-biliaire, surtout chez les hommes entre 50 et 70 ans, présentant typiquement un ictère ou des douleurs pancréatiques.
Au niveau des examens complémentaires, un gros pancréas « en saucisse » révélé à l’imagerie est quasi pathognomonique et l’élévation du taux sérique des IgG4 > 135 mg/dl augmente significativement la conviction clinique.
Il faut également rechercher les atteintes extra-pancréatiques sur le plan clinique et radiologique, qui sont d’autres voies d’entrées dans la maladie systémique à IgG4.
Le traitement de référence est la corticothérapie, qui devrait être proposé comme test thérapeutique chez les patients présentant des répercussions cliniques ou biologiques.
Il est important d’exclure au préalable une pathologique néoplasique.
Affiliations
1 Biologie clinique, Université catholique de Louvain, B-1200 Bruxelles
2 Département de Biochimie médicale, Cliniques Saint-Pierre, B-1340 Ottignies
3 Service de Gastro-entérologie, CHR, B-7000 Mons
4 Service d’Endocrino-diabétologie, CHR,B-7000 Mons
Correspondance
Dr. Rhita Bennis
Université Catholique de Louvain
Département de Biologie clinique
rhita.bennis@uclouvain.be
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