Deux jours après un drame survenu sur un terrain de basket, le Los Angeles Times titrait un 06 mars 1990 : « Hank Gathers, une star qui brillait sur et en-dehors des terrains ». (1).
Ce fameux Gathers, dossard 44, haut de plus de deux mètres, fut élu tout comme un certain B. Russell plusieurs années avant lui (le plus titré de l’histoire de la NBA) le meilleur joueur du USC Trojans men’s basket program aux USA. À vingt-trois ans, Hank s’est effondré inanimé sur un terrain lors d’une compétition. Il fut déclaré mort après une heure et quarante minutes de réanimation intense mais infructueuse pour le ramener à la vie. Diagnostic : mort subite (cardiaque), et …inattendue selon son entourage. Inattendue, peut-être pas. Ce jeune garçon était cardiaque et avait déjà présenté des syncopes. Il était traité par de l’Inderal (propranolol) alors qu’il souffrait de tachycardies, vraisemblablement ventriculaires. L’effet « néfaste » du bétabloquant sur ses capacités physiques avait conduit le jeune homme à réduire puis stopper son traitement. L’autopsie révèlera de fait l’absence de propranolol dans son sang mais surtout la présence d’une myocardite au stade séquellaire.(2).
Sa mort subite cardiaque (MSC) n’est donc plus inexpliquée et révèle la composition même de cet événement dramatique qui a bien entendu profondément marqué les esprits outre-Atlantique : substrat (maladie cardiaque connue), trigger (effort physique) et dans son cas non compliance médicamenteuse. Fallait-il toutefois le laisser poursuivre sa carrière professionnelle ? Il avait « la chance » d’avoir été dépisté comme « positif » pour une maladie cardiaque. Les enjeux, e.a. financiers, ont peut-être dépassé les raisons qui auraient dû pousser le patient à freiner sa carrière. L’histoire ne le dit pas et ce n’est que pure spéculation. Toutefois après sa mort, la famille intentra un procès pour les dommages financiers occasionnés.
Les années passent, et l’actualité continue à foisonner de cas similaires survenant lors de compétitions sportives : F. Muamba, M. Foe, et bien d’autres.
Pourquoi ? Une partie de la réponse est dans l’éditorial de Nick Peters, correspondant au Los Angeles Times qui écrivait en parlant de Gathers : “All he wanted to do was play basketball. He probably knew the risk involved, but he was on a mission and wasn’t going to be denied”. Ceci rejoint la pensée de Pierre de Coubertin (fondateur du Comité International Olympique /C.I.O.) qui disait au siècle passé : ‘Le sport et l’olympisme doivent être le domaine de l’effort et de la liberté de l’excès’. Cette notion d’excès fait référence au danger, au risque et est donc en totale opposition avec la notion de santé véhiculée par la pratique sportive. Une médaille olympique portant le nom du fondateur du C.I.O est par ailleurs donnée à l’athlète considéré e.a. comme le plus… combatif. Malheureusement, pour certains la recherche effrénée de performances va jusqu’à l’excès et domine aujourd’hui la compétition sportive.
L’American College of Cardiology (ACC) définit la MSC comme un décès non traumatique, soudain, d’origine cardiaque, survenant alors qu’au-moins 6 heures auparavant le patient était considéré comme étant en bonne santé « apparente » (3). Un traumatisme cardiaque, une pneumonie qui conduisent à une défaillance cardiaque et au décès ne sont donc pas des MSC.
L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) définit la MSC comme un événement brutal survenant dans l’heure qui suit le début de premiers symptômes (rapportés par des témoins présents) ou survenant dans les 24 heures (absence de témoins) alors que le patient avait été vu sans aucunes plaintes particulières (4). La MSC est liée au sport lorsqu’elle est non traumatique, et survient durant la pratique d’un sport d’intensité modérée ou élevée ou au maximum dans l’heure qui suit l’arrêt de l’activité physique (5). Quel que soit l’âge, le niveau physique, le type de sport, on parlera de sportif lorsque l’on s’adresse à quelqu’un qui pratique régulièrement une activité physique. C’est la majorité donc des personnes dites physiquement actives. Toutefois cette définition du « sportif » passe par quelques précisions : si le sport est pour la majorité une manière de garder la forme, pour d’autres il s’agit d’un enjeu. Ainsi, la définition de l’athlète, concerne tout d’abord un sportif de haut niveau qui participe à une ou plusieurs compétitions par an (sport généralement intensif ou modéré) afin d’améliorer ses performances. Les professionnels font donc partie de cette catégorie comme certains amateurs très entraînés. La notion de sport intensif implique la présence de contraintes cardio-vasculaires parfois importantes qui peuvent conduire à développer des complications lors de la pratique du sport (VTT, foot, jogging). À l’inverse, le billard qui n’exerce que peu d'effets dynamiques sur le cœur ne représente donc qu'une activité physique légère pour le système cardiovasculaire.
L’incidence de mort subite cardiaque (MSC) dans la population générale est estimée aux USA entre 184,000 à 400,000/an (6-9). Au-delà de 35 ans, ce risque de MSC est de 1/1000 personne par an, alors que chez les sujets plus jeunes ce risque est d’environ 0.3 à 3.6/ 100.000 personnes. Les sujets concernés par la MSC sont donc avant tout des sujets d’âge mûr (avant tout des hommes), présentant des problèmes cardiaques. L’infarctus du myocarde est d'ailleurs le plus souvent la cause du décès (10-15).
Chez les athlètes, le risque de MSC est difficile à apprécier. Dans le Minnesota, la prévalence de MSC lors de compétitions sportives organisées dans les écoles (individus d’âge entre 13 et 19 ans, moyenne de 16 ans) était très faible de l’ordre de 0.35/100.000 participants par an, ce qui se rapproche des statistiques rapportées dans une autre publication de 1995 (14-15).
Les auteurs s’accordent par ailleurs pour dire que les risques des garçons est double : 1/133000 garçon par an, et de 1/769.000 fille par an (15). En Europe, selon une étude italienne, l’incidence annuelle de décès serait estimée aux alentours de 3.6/100.000 (sujets âgés entre 14 et 35 ans) (16-18).
Plus au nord en Europe, le risque de décès de sujets athlétiques est estimé entre 0.9 et 1.21/100.000 (5,17).
Aux USA, la MSC représente environ 15% des décès des athlètes, largement derrière les traumatismes, les overdoses. L’arythmie fatale est dans plus de 85% des cas une tachycardie ventriculaire rapide ou une fibrillation ventriculaire (FV). À l’inverse de la syncope, dans la MSC, seule une réaction prompte de témoins et la mise en route de la chaine de survie (appel 112, massage cardiaque, utilisation d’un défibrillateur automatique externe) permet de sauver la victime. Dans la population générale, la MSC survenant généralement à domicile, et en dehors de témoins, l’issue est donc généralement fatale. Cette problématique concerne également les sportifs qui s’entraînent seuls en pleine nature.
Dans certains cas, le trouble du rythme est mécaniquement produit par un choc violent sur la poitrine (« commotio cordis »), qui libère son énergie durant la période vulnérable cardiaque (proche du sommet de l’onde T) et déclenche une FV. Certains sports sont donc à risque de commotio cordis : baseball, hockey e.a.
Les décès d’origine cardiaque surviennent le plus souvent lors de sports collectifs, comme le foot ou le basket. Les sports les plus impliqués dans les cas de MSC dépendent des pays concernés ainsi que de la popularité du sport dans ces régions. Ainsi aux USA, le basket, le football, le jogging sont les premiers sports dans lesquels on recense le plus de victimes ; en Europe, le foot, le vélo sont parmi les sports les plus pratiqués et sont donc statistiquement plus « à risque ». On note également des disparités ethniques. Ainsi aux USA, le plus grand nombre de victimes est à déplorer parmi la population noire, essentiellement masculine.
Les causes cardiaques sont clairement dépendantes de l’âge de la victime. Il faut donc « partager » les sportifs selon deux catégories d’âge : les ≥ 35 ans, et les jeunes de 12-34 ans. En effet, si les causes cardiaques de mort subite sont nombreuses, il est établi que dès l’âge de 35 ans, la cause principale de décès soudain est la présence d’une coronaropathie (athérosclérose), affection quasiment absente chez les plus jeunes athlètes. Dès 35 ans, et comme mentionné plus haut, l’incidence de MSC s’accroît rapidement, en parallèle des affections cardiaques qui touchent la population générale. On mentionnera également dans cette tranche d’âge la cardiomyopathie hypertrophique (5%), ou le prolapsus mitral (5%). Dans environ 5% des cas, le bilan reste toutefois négatif, et aucune explication probante ne permet d’élucider le mystère qui entoure le décès de l’athlète.
Avant 35 ans, les causes les plus fréquentes sont les affections génétiques touchant soit l’architecture cardiaque et donc dépistables lors d’investigations morphologiques (cardiopathie hypertrophique (CMPH), dysplasie arythmogène du ventricule droit) soit certains canaux ioniques trans-membranaires cardiaques responsables de l’activité électrique du cœur (channelopathies). Dans ce cas, le cœur apparaît morphologiquement normal, et seule la conduction électrique est perturbée. D’autres anomalies non génétiques, acquises ou congénitales exposent également le sujet au risque de MSC comme l’implantation anormale des artères coronaires, la sténose aortique, la dissection aortique, la myocardite, la cardiomyopathie dilatée, le syndrome de Wolf-Parkinson-White, le prolapsus mitral, etc. (19-23). Le dopage tout comme l’abus de stupéfiants, est difficile à apprécier mais touche probablement toutes les catégories de sportif.
La problématique du dépistage des sujets à risque revient régulièrement sur la table. Si aucun test ne peut anticiper les cas de MSC avec une sensibilité et spécificité suffisante que pour devenir la référence en la matière, la perspicacité toutefois du médecin, associée à certains tests clés, et la conduite raisonnée du sportif permettent de réduire le risque statistique mais sans l’éliminer totalement. De nombreuses publications établies par les différentes sociétés savantes américaines ou européennes ont proposés des recommandations en la matière.
Un exemple est donné par un document disponible sur internet et qui fut rédigé en 2004, lors d’une conférence de consensus sous l’égide du C.I.O et de l’ESC (Société Européenne de Cardiologie). Ce document suggère l’utilisation d’un arbre décisionnel pour réaliser le screening des sportifs (http://www.olympic.org/documents/reports/en/en_report_886.PDF).
Le dépistage passe d’abord par la réalisation d’un questionnaire et d’un examen clinique complet. Le questionnaire comprend de nombreuses données anamnestiques et personnelles (familiales). Cette première étape afficherait toutefois une sensibilité basse de ±0.44 et spécificité de valeur intermédiaire de ±0.76. Lorsque l’examinateur le juge nécessaire, il peut proposer de pousser les investigations plus loin, comme la réalisation d’un ECG (après le début de la puberté). L’ECG est recommandé d’emblée par l’ESC, mais réfuté aux USA. Les arguments généralement avancés pour ne pas ‘screener’ tous les athlètes avec un ECG sont e.a. le fait que certaines affections létales n’ont aucune traduction électrocardiographique (implantation anormale des coronaires), que l’aspect ECG peut varier dans le temps, que certains ECG du jeunes peuvent mimer les anomalies génétiques, et enfin que la valeur du test dépend de la compétence de celui qui lit le tracé. De plus ne négligeons pas le coût financier, qui à l’échelle individuelle est raisonnable mais devient prohibitif s’il est appliqué à la masse des gens qui pratiquent du sport. En ce qui concerne la sensibilité et la spécificité de ce test, on peut les estimer raisonnablement aux environs de 75% et 95% (dépendant du type de pathologie recherchée). Certaines affections sont particulièrement ‘diagnosticables’ lors de la réalisation d’un ECG : le Wolf-Parkinson-White, la CMPH, le long QT, le syndrome de Brugada, etc.
La mort subite cardiaque du sportif, et particulièrement du jeune (<35 ans) reste exceptionnelle mais émotionnellement dramatique, particulièrement lorsqu’elle est médiatisée. Les sujets de plus de 35 ans sont les plus à risque, particulièrement les hommes qui cumulent un ou plusieurs facteurs de risque. Il est incertain et dangereux d’affirmer que le dépistage systématique des sportifs permet d’identifier tous les sujets à risque. Autoriser un athlète à poursuivre sa carrière passe toutefois par des prérequis : une bonne anamnèse, un examen clinique complet, des investigations complémentaires si jugés nécessaires (ECG, Holter, test d’effort, échographie cardiaque, IRM, cathétérisme, étude électropysiologique). Il faut toutefois garder à l’esprit qu’aucun test n’est ni totalement spécifique ou sensible, et donc que le risque de faux positifs (éloigner du sport un individu normal) et faux négatifs (potentiellement une prochaine victime) restent bien présents.
http://articles.latimes.com/print/1990-03-06/sports/sp-2118_1_hank-gathers
http://www.nytimes.com/1990/03/16/sports/no-trace-of-heart-medication-in....
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Pr. Christophe Scavée
Université catholique de Louvain
Cliniques universitaires Saint-Luc
Responsable de l’Unité de Rythmologie Pathologie cardiovasculaire
Avenue Hippocrate 10 B-1200 Bruxelles
Tel : 02.764.2888
christophe.scavee@uclouvain.be