INTRODUCTION
La faiblesse musculaire est une plainte fréquente mais non-spécifique. Bien que rare, la paralysie périodique hypokaliémique est à considérer dans le diagnostic différentiel des faiblesses musculaires aigües.
CAS CLINIQUE
N., garcon caucasien âgé de 13 ans, se présente aux urgences pour perte de force des quatre membres survenue au réveil, avec incapacité de s’assoir ou de se lever. La symptomatologie est brutale, le patient s’étant levé pour aller uriner durant la nuit sans aucune difficulté.
Il ne présente pas d’autres plaintes si ce n’est une sensation de nausées et deux vomissements dans la matinée. Il ne se plaint d’aucun trouble sphinctérien. Il n’y a pas de notion de traumatisme.
Il y a environ un mois, N. s’était plaint d’une parésie du membre supérieur droit, qui a cependant bien évolué après deux semaines de repos sportif et sans autre traitement. N. pratique régulièrement du tennis. Il n’avait cependant plus fait de sport depuis 10 jours au moment de sa prise en charge aux urgences.
Il n’y a pas de point d’appel infectieux hormis une rhinite il y a six semaines. Il n’y a pas de notion de piqûre de tique. On note un régime alimentaire très riche en glucides (pizzas, frites, chips) la semaine précédant l’apparition du symptôme, avec ingestion d’un paquet de bonbons la veille. N. n’a pas consommé de conserves ni d’alcool. Il n’a pris ni médicament ni toxique.
Ses antécédents médicaux sont sans particularité hormis une convulsion hyperthermique à l’âge d’un an ainsi qu’une acné pour laquelle il a été traité par Minocycline pendant 6 semaines jusqu’à la semaine précédant l’apparition des symptômes actuels.
D’un point de vue familial, on ne relève pas d’histoire de paralysie périodique connue. À noter que la grand-mère maternelle de Noah présente une hypothyroïdie.
L’examen clinique montre un patient conscient avec des paramètres cardio-respiratoires normaux et stables; N. est afébrile. Sa force musculaire est estimée à 3/5 aux membres inférieurs ainsi qu’au membre supérieur gauche, et à 2/5 au membre supérieur droit. Le déficit est plus marqué en proximal qu’en distal. Les réflexes ostéo-tendineux sont présents. Les nerfs crâniens sont intacts et la sensibilité est normale. Les muscles respiratoires ne sont pas atteints. Le reste de l’examen systématique est sans particularité.
La biologie montre une formule sanguine rassurante et une normoglycémie. L’ionogramme montre une hypokaliémie à 1,9 mmol/L (N : 3,5-5,5) et un bicarbonate à 17.3 mmol/L (N : 22-29), avec une natrémie et une chlorémie normales. Les CK sont normales. Il n’y a pas d’insuffisance rénale et les enzymes hépatiques sont normaux. La CRP est indosable. La toxicologie sanguine est négative.
Le contrôle de l’ionogramme confirme l’hypokaliémie profonde à 2,1 mmol/L avec un taux de bicarbonate à 18 mmol/L ; la calcémie, phosphorémie et magnésémie sont normales. Le bilan thyroidien s’avère normal.
Le spot urinaire exclut une perte rénale de potassium.
Le monitoring cardiaque au scope ne montre pas d’arythmie. L’ECG n’a malheureusement pas été réalisé.
Du KCl est administré IV à raison de 60 mEq. L’amélioration des symptômes cliniques confirme le diagnostic de paralysie périodique hypokaliémique. La kaliémie reste cependant basse jusqu’à l’arrêt de la perfusion glucosée, qui avait été mise dans le contexte de vomissements.
Des compléments de KCl sous forme orale sont instaurés à raison de 2g 3x/jour. L’ionogramme de contrôle réalisé huit heures plus tard montre une normalisation franche de la kaliémie à 4,8 mmol/L. Une analyse génétique à la recherche d’une mutation des gènes SNC4A et CACLN1A3 est demandée.
Du KCl à libération prolongée (Kaleorid) est prescrit au patient à sa sortie d’hospitalisation à raison d’1g/jour, ainsi qu’un régime hypoglucidique, pauvre en sel et la recommandation de poursuivre une activité physique régulière.
DISCUSSION
1. La paralysie périodique hypokaliémique
La paralysie périodique (PP) hypokaliémique, aussi appelée maladie de Westphal, est une cause rare de tétraparésie, avec une prévalence estimée à 1/100.000 (1). Sa transmission est autosomique dominante, avec cependant une pénétrance incomplète notamment chez les femmes, ce qui explique que cette pathologie soit plus fréquemment masculine (2). Différentes mutations sont mises en causes, la plus fréquente (70%) étant une mutation dans le gène CACNL1A3, codant pour la sous-unité alpha des canaux calciques des muscles squelettiques. Une mutation dans le gène SCN4A, codant pour les canaux sodiques des muscles squelettiques, peut également en être responsable. La pénétrance est dans ce cas plus complète (3).
La PP hypokaliémique se manifeste dans la première ou deuxième décennie de vie, avec des épisodes de faiblesse musculaire généralisée durant de quelques heures à quelques jours, et espacés souvent de plusieurs mois. Les muscles respiratoires ne sont pas ou peu atteints et la mortalité est rare (4).
Les symptômes sont précipités par un régime riche en glucides, le jeûne, le stress et le repos après l’effort et se manifestent en général quelques heures après le facteur déclenchant. En effet, le pic insulinique suivant l’ingestion de glucides induit un shift intracellulaire de potassium, résultant en une hypokaliémie. Les catécholamines majorent l’activité de la pompe Na-K-ATPase, expliquant les épisodes survenant au stress, lors d’un jeûne ou après un effort ; l’activité adrénergique est plus élevée le matin, ce qui explique la survenue d’épisodes au réveil. A noter qu’entre les épidodes aigüs la kaliémie se normalise. Il n’y a généralement pas d’autre perturbation ionique (5). Le taux de créatine kinase sérique est normal (tel que dans le cas clinique décrit ici) voire augmenté (tel que le cas clinique décrit par Stapleton (6).
Il n’y a en général pas de douleur musculaire associée. Une hypo- ou aréflexie est souvent présente, mais la présence de réflexes ostéo-tendineux n’exclut pas le diagnostic. L’EMG, lorsqu’il est réalisé, peut montrer une diminution de l’amplitude du potentiel d’action musculaire, voire un silence électrique, selon la sévérité de l’atteinte (4,7).
Les patients souffrant de PP hypokaliémique peuvent développer à long-terme une myopathie proximale, de sévérité variable.
Le diagnostic de paralysie périodique hypokaliémique est clinique et biologique, mais peut être confirmé par une analyse génétique. A noter que l’analyse génétique a une très bonne spécificité mais une mauvaise sensibilité, dans la mesure où d’autres mutations, non encore identifiées, pourraient être en cause ; un testing génétique négatif n’exclut donc pas la pathologie (6,7). Un monitoring cardiaque est également indiqué afin d’exclure une arythmie cardiaque sur hypokaliémie. La réalisation d’un ECG permet d’exclure un QT long, suggestif d’un syndrome d’Andersen (voir section 3.2).
Bien que de nombreuses mutations génétiques puissent être à l’origine de cette pathologie, les mutations les plus fréquentes à rechercher sont celles dans les gènes CACNL1A3 et SCN4A. À noter que dans un tiers des cas, la pathologie survient suite à une mutation de novo (6) : l’histoire familiale n’est donc pas toujours relevante. En cas de doute, un test de provocation (par exercice physique, ingestion de glucose, administration d’insuline ou d’ACTH) peut être réalisé. Un bilan thyroidien doit être réalisé en cas de paralysie périodique hypokaliémique afin d’exclure une PP thyrotoxique, dont les symptômes sont similaires mais dont la prise en charge est différente.
2. Autres causes de paralysies périodiques
La PP thyrotoxique peut faire suite plusieurs anomalies génétiques distinctes, la plus fréquemment retrouvée étant la mutation du gène codant pour le canal potassique Kir2.6, dont la transcription est régulée par l’hormone thyroidienne (8). Toutes les étiologies d’hyperthyroidie peuvent entrainer une hypokaliémie. On note une incidence plus élevée de PP thyrotoxique chez les hommes asiatiques; la PP thyrotoxique est peu fréquente parmi la population pédiatrique (5,9). Les symptômes cliniques de l’hyperhyroidie associée facilitent le diagnostic.
La PP hyperkaliémique est une autre canalopathie concernant la protéine SCN4A des canaux calciques du muscle squelettique et causant une symptomatologie semblable à la PP hypokaliémique. L’ionogramme lors d’un épisode aigü permet de différencier ces deux entités. Les épisodes de faiblesse musculaire sont plus fréquents dans la PP hyperkaliémique ; les deux sexes sont également atteints, contrairement à la PP hypokalémique, dont la pénétrance est moins importante et qui concerne plus souvent les hommes que les femmes.
Le syndrome d’Andersen-Tawil est caractérisé par la triade de paralysie périodique, QT long avec arythmies cardiaques ventriculaires et dysmorphie (petite taille, scoliose, clinodactylie, brachydactylie, hypertélorisme, micrognathie, anomalies dentaires). Une mutation au niveau du gène KCNJ2, codant pour la sous-unité alpha du canal potassique cardiaque et musculaire Kir2.1, est mise en évidence dans 60% des cas. Les épisodes de paralysie peuvent être associées aussi bien à des hyper-, des hypo-, qu’à des normokaliémies.
3. Diagnostic différentiel des affections causant une faiblesse musculaire aigüe ou subaigüe
D’autres pathologies causent également un tableau de faiblesse musculaire généralisée ou systématisée aigüe ou subaigüe et sont illustrées dans le tableau 1.
4. Autres causes d’hypokaliémie
L’hypokaliémie mise en évidence peut être secondaire à un autre phénomène. De façon générale, l’hypokaliémie peut s’expliquer par trois phénomènes :
- diminution des apports (malnutrition, anorexie)
- transfert du potassium vers le compartiment intracellulaire
- Plusieurs facteurs induisent un shift intracellulaire de potassium. Le mécanisme primaire d’hypokaliémie dans la PP hypokaliémique est une perturbation des flux ioniques transmembranaires, liés à une mutation dans les gènes codant pour les canaux calciques ou sodiques. D’autres facteurs peuvent également entrainer une hypokaliémie, et seront donc des facteurs aggravants en cas de PP hypokaliémique. L’alcalose notamment entrainera une excrétion d’ions hydrogène H+ en contrepartie d’une entrée de potassium dans la cellule. L’insuline ainsi que les agonistes beta2-adrénergiques stimulent l’activité de la pompe Na+-K+-ATPase.
- majoration des pertes de potassium.
- Les pertes de potassium dans une population pédiatrique sont le plus fréquemment extra-rénales : diarrhées, vomissements, malabsorption ou encore pertes cutanées (10).
Au niveau urinaire, la sécrétion de potassium au niveau tubulaire distal est couplée à une réabsorption de sodium et fait donc suite à des apports hydrosodés importants (diurétiques, ions non réabsorbables tels que le mannitol ou le bicarbonate en cas d’alcalose métabolique, apports intraveineux trop importants) ou encore à une activité minéralocorticoide majorée, vraie ou indirecte: hypovolémie, adénome sécrétant de l’aldostérone, syndrome de Cushing, syndrome de Liddle. Certains médicaments néphrotoxiques et le syndrome de Gittelman sont des causes plus rares de pertes urinaires de potassium (10).
5. Attitude thérapeutique
La crise de PP hypokaliémique se traite par administration de 0.5 à 1 mEq/kg de chlorure de potassium, de préférence per os. Une amélioration clinique est attendue endéans la demi-heure suivante. Dans le cas contraire, un supplément de 0.3 mEq/kg est conseillé (7). Un monitoring de la kaliémie est essentiel en cas d’administration de plus de 100 mEq de potassium, afin de vérifier l’absence d’hyperkaliémie rebond qui peut survenir après l’épisode aigü (retour du potassium dans le compartiment extracellulaire).
Il est important d’identifier les facteurs déclenchants d’une crise afin de les éviter ou de prévoir une prophylaxie (suppléments potassiques PO) en cas d’exposition. Ces facteurs varient d’une personne à l’autre, mais les plus communs sont le repos après un exercise physique intense et un régime riche en glucides.
L’usage de certains diurétiques diminue la fréquence et l’intensité des crises à long terme (11). L’acétazolamide contribuerait d’apres les études de Tricarico (12,13) à l’activation calcium-dépendante des canaux potassiques des muscles squelettiques, réduisant ainsi l’intensité des épisodes de paralysie en particulier chez les patients atteints d’une mutation affectant les canaux calciques. Les diurétiques d’épargne potassique comme la spironolactone constituent une alternative au traitement par inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (7).
CONCLUSION
La paralysie périodique hypokaliémique est à considérer dans le diagnostic différentiel d’une faiblesse musculaire aigüe. Bien qu’ayant un caractère familial de par sa transmission autosomique dominante, une mutation sporadique peut en être la cause. Le diagnostic est posé sur base d’une hypokaliémie non expliquée par des causes secondaires, et après exclusion d’une hyperthyroidie. L’analyse génétique confirme le diagnostic.
RECOMMANDATIONS PRATIQUES
- Il convient d’exclure prioritairement d’autres affections neurologiques aigües, telles qu’un accident vasculaire, afin d’instaurer un traitement adéquat.
- Le bilan de faiblesse musculaire doit toujours comprendre la réalisation d’un ionogramme
- Si une hypokaliémie est mise en évidence, il est important d’exclure des causes secondaires d’hypokaliémie avant d’évoquer le diagnostic de paralysie périodique hypokaliémique.
AFFILIATIONS
1. Pédiatrie générale, Clinique Saint-Pierre, Ottignies, Belgique
2. Neuropédiatrie, Clinique Saint-Pierre, Ottignies, Belgique
CORRESPONDANCE
Dr. Elise Osterheld
Cliniques Saint-Pierre
Avenue Reine Fabiola 9
B-1340 Ottignies
eliseosterheld@gmail.com
RÉFÉRENCES
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