PRINCIPES DE BASE
Le faisceau à rayons X est polychromatique et composé par des photons comportant une large gamme d’énergies. L’image «polychromatique» visualisée au CT conventionnel est générée par l’utilisation du spectre complet des énergies photoniques au kilovoltage sélectionné par l’opérateur (par exemple 80-140 kVp) (figure 1). Le terme TDM à double énergie fait référence à la TDM qui utilise deux spectres d’énergie ; on l’appelle également de façon courante TDM spectrale (figure 2). En pratique clinique, ces deux spectres sont générés soit par deux tubes délivrant des rayons X d’énergie différente (kVp), soit un seul tube à rayons X oscillant de façon rapide à deux énergies différentes ou un seul tube à rayons X avec une double couche de détecteurs sensibles à des énergies différentes. La discrimination entre les différents matériaux est basée sur les coefficients d’absorption différents dans deux bandes d’énergie du spectre RX.
La TDM avec double couche de détecteurs “système sandwich” (IQON, Philips Healthcare, Cleveland, OH) est équipée d’un seul tube à rayons X. Les détecteurs sont composés d’une double couche: la couche supérieure est sensible aux bas kVp et la couche la plus profonde aux hauts kVp. Ce système permet donc en délivrant un faisceau à rayons X de 120 kVp d’obtenir une décomposition des images à 80 kVp et 140 kVp. Le grand avantage de cette technique, outre le fait de n’utiliser qu’un seul tube à rayons X, permet une imagerie simultanée, sans décalage temporel des échantillons d’images pour différentes énergies. Le système permet également d’obtenir une imagerie spectrale de façon rétrospective càd que les données sont présentes chez tout patient du moment que l’acquisition ait été effectuée à 120 kVp.
En faisant l’acquisition d’images du même objet à différentes énergies (habituellement à 80kVp et 140 kVp), la TDM spectrale est non seulement capable de restituer la structure anatomique de l’objet imagé (TDM conventionnelle) mais également d’approcher la composition d’un élément contenu dans l’objet (TDM spectrale). Chaque matériau présente une réponse spectrale (variation du coefficient d’absorption) qui lui est propre en fonction de l’énergie. C’est ainsi que deux matériaux avec un coefficient d’absorption linéaire proche dans une bande d’énergie du spectre RX, peuvent être complètement différenciés l’un de l’autre en effectuant les mesures dans deux bandes d’énergie. [1]
Il n’y a pas de différence fondamentale dans le positionnement du patient, la programmation de l’acquisition. Le choix des paramètres variera en fonction des protocoles spécifiques et de la technologie double énergie utilisée. Ainsi chez Philips Healthcare, la technologie à double couche de détecteurs impose l’utilisation d’une acquisition à 120 kVp pour pouvoir scinder le faisceau rayons X en différentes énergies. L’utilisation d’une TDM spectrale permet de réduire la quantité de produit de contraste [2] de façon significative en raison de l’atténuation plus importante des rayons X à basse énergie.
POST-TRAITEMENT
Les images acquises par le CT spectral peuvent être décomposées en différents types d’images (figure 3) : les images CT conventionnelles et les images synthétiques virtuelles de type monochromatiques (de 40KeV à 200 KeV). Des images dites matériau-spécifiques peuvent également être produites et montrent alors la distribution et la concentration d’un matériau donnée au sein d’un tissu en fonction de son nombre atomique (Z effectif). Il est ainsi possible de quantifier le nombre de mg d’iode par mL au sein d’une structure définie (par ex. concentration d’iode apparaissant sous forme d’une cartographie en couleur en fonction de la concentration en iode). Il est de plus possible grâce à l’utilisation de logiciels de soustraction de retirer de l’image un matériau spécifique. Il est dès lors aisé de créer une image virtuelle sans contraste qui a l’avantage de pouvoir simuler une image à laquelle on aurait retiré la densité d’iode et pouvoir ainsi calculer de manière artificielle le degré de rehaussement d’une structure. Cette technique permet donc de réduire la dose d’irradiation au patient en évitant l’acquisition sans contraste.
Les images de type monochromatiques sont utiles pour optimaliser le rehaussement de structures vasculaires contenant de l’iode (en privilégiant des bas KeV) ou diminuer des artefacts de durcissement de faisceau (en privilégiant les hauts KeV) [2].
Au niveau de la deuxième image, nous observons des images obtenues virtuellement sans contraste. En effectuant des mesures à l’aide d’une région d’intérêt (ROI), il est possible d’obtenir le rehaussement du nodule même si l’acquisition a été effectuée d’emblée avec injection intraveineuse de produit de contraste. Au niveau de la 3ème image, seules les structures contenant de l’iode sont représentées. Des mesures de contenu d’iode peuvent également être effectuées en plaçant un ROI dans la structure à étudier. La 4ème image restitue les différentes structures en fonction de la valeur des nombres atomiques de ses composants. Une échelle est placée à droite afin d’indiquer au lecteur la valeur relative des couleurs. Il est intéressant de noter que la caractérisation de nodules pulmonaires grâce à cette technologie spectrale est prometteuse car une approche quantitative est possible. Une importante proportion de patients admis au x urgences présentent des nodules pulmonaires de nature indéterminée sur leur CT scanner thoracique. Il est probable que cette nouvelle technologie puisse aider à déterminer leur caractère bénin ou malin de ces nodules de façon non invasive.
QUELQUES APPLICATIONS CLINIQUES INTÉRESSANTES EN SITUATION D’URGENCE
L’embolie pulmonaire Aiguë
Le diagnostic d’embolie pulmonaire au CT scanner repose sur la démonstration d’un caillot endoluminal. Les performances la TDM conventionnelle pour détecter cette pathologie sont élevées lorsque l’obstruction se situe au niveau proximal. Cette performance décroit de manière significative lorsqu’on s’intéresse à des artères de plus petit calibre, à l’étage sous-segmentaire. La TDM spectrale grâce à ses possibilités d’imager de façon spécifique la répartition de l’iode au sein du volume scanné (figure 4) est capable de démontrer de façon performante des anomalies de perfusion [4] et améliorer la détection des embolies pulmonaires périphériques.
Les affections abdominales aiguës du patient adulte
Le recours au CT scanner est très fréquent dans la prise en charge de patients avec une affection abdominale aiguë ou dans le cadre de traumatismes avec un impact abdominal. Dans de nombreuses situations cliniques, il est nécessaire de réaliser des acquisitions d’abord sans et ensuite avec injection IV d’iode. Dans d’autres situations, une seule acquisition est faite avec une injection d’emblée. La modalité CT en double couche est prometteuse parce que la mise à disposition d’images « virtuellement » sans contraste expliquée plus haut va nous offrir la possibilité de supprimer cette phase dite « à blanc » ou bien de la générer quand on se rend compte de son utilité rétrospectivement [5]. Ceci a une valeur importante pour mieux déceler la souffrance de la paroi intestinale aiguë, ou « ischémie », observée en cas d’occlusion mécanique de l’intestin, dans le cadre d’un infarctus mésentérique ou encore d’une colite ischémique. Dans ce cadre particulier et fréquemment observé en urgence, le rôle du scanner s’est en effet imposé pour permettre de reconnaître ces anomalies, avant même que les signes biologiques ne soient suggestifs. L’apport du CT spectral est donc un atout supplémentaire pour mieux voir plus précocement ces troubles de la perfusion de la paroi intestinale. L’identification plus précoce des défauts de perfusion d’autres viscères est rendue possible par le CT spectral, tels que la nécrose de la paroi vésiculaire en cas de cholécystite gangréneuse (figure 5), en cas d’infarctus spléniques ou rénaux segmentaires, en cas d’œdème du pancréas en cas de pancréatite aiguë, d’ischémie hépatique chez le patient en défaillance multisystémique. De même, les discontinuités des parois intestinales apparaissent plus nettement, telles qu’en cas de déhiscence d’une suture digestive ou de perforation digestive spontanée (ulcères gastro-duodénaux, perforation sigmoïdienne sur terrain diverticulaire, déhiscence de suture digestive post-opératoire). L’application du CT en double énergie aide aussi à mieux caractériser la nature des calculs chez les patients admis pour une crise de colique néphrétique, entre autre les calculs d’acide urique [6].
Affiliations
Correspondance
Références
- Patino M, Prochowski A, Agrawal Md et al. Material separation using dual-energy CT: current and emerging aplications. Radiographics 2016; 36:1087-1105.
ouvrir dans Pubmed - Machida H, Tanaka I, Fukui R et al. Dual-energy spectral CT: various clinical vascular applications. Radiographics 2016; 36:1215-1232.
ouvrir dans Pubmed - Zhang Lj, Zhao Ye, Wu Sy et al. Pulmonary embolism detection with dual-energy CT: experimental study of dual-source CT in rabbits. Radiology 2009; 252(1): 61-70.
ouvrir dans Pubmed - Wu Hw, Cheng Jj, Li Jy et al. Pulmonary embolism detection and characterization through quantitative iodine-based material decomposition images with spectral computed tomography imaging. Invest radiol 2012; 47(1):85-91.
ouvrir dans Pubmed - Im AL, Lee YH, Bang DH et al. Dual energy CT in patients with acute abdomen; is it possible for virtual non-enhanced images to replace true non-enhanced images? Emerg Radiol 2013; 20(6):475-483.
ouvrir dans Pubmed - Lestra T, Mulé S, Millet I et al. Applications of dual energy computed tomography in abdominal imaging. Diagn Interv Imaging 2016; 97(6):593-603.
'ouvrir dans Pubmed