Introduction
Grâce à l’apport de nouvelles technologies, l’anesthésie reste en perpétuelle évolution, et ce, afin de gagner en efficacité, en sécurité et en confort pour le patient. Les appareils d’échographie, à titre d’exemple, ne cessent d’être toujours plus performants, plus maniables, et peuvent offrir des images de très grande qualité facilitant ainsi la mise en place des accès veineux et artériels et la réalisation de blocs nerveux. Une technologie, déjà bien connue dans le monde des jeux vidéo, est actuellement devenue très populaire dans le milieu médical: la réalité virtuelle.
Initialement développée pour ses valeurs récréatives, et ensuite largement utilisée par les militaires dans des simulations en aviation (1), sa miniaturisation et sa démocratisation lui a permis de prendre sa forme actuelle avec de nombreuses applications dans le monde médical, notamment dans la gestion de la douleur, la réadaptation physique et le traitement des troubles psychiatriques (2).
Pourquoi utiliser la réalité virtuelle en peri-opératoire ?
Un des défis en anesthésiologie est de rendre le séjour hospitalier du patient le plus agréable possible et de prévenir les complications postopératoires éventuelles. Cela ne peut se faire que par la gestion de son anxiété périopératoire et par le contrôle optimal de son analgésie postopératoire.
L’utilisation de la réalité virtuelle (RV) en anesthésie n’en est qu’à ses balbutiements alors que plusieurs études ont déjà prouvé son potentiel dans la prise en charge de la douleur et de l’anxiété lors de traitement des plaies chez les grands brûlés, lors de la chimiothérapie, ou encore lors d’interventions dentaires et médicales de routine (3). Bien que la gestion de la douleur postopératoire a très largement progressé ces dernières années, des améliorations doivent être encore réalisées. Actuellement, le traitement de la douleur aiguë repose sur des schémas pharmacologiques comprenant le paracétamol, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les opioïdes, la kétamine et la gabapentine ou la prégabaline. Ceux-ci peuvent être combinés à des anesthésiques locaux lors de la réalisation de blocs nerveux périphériques ou centraux. La réalité virtuelle s’inscrit comme une nouvelle stratégie de traitement en tant qu’option de complément voire de remplacement pour soulager davantage la douleur.
Matériel utilisé pour une session de RV
La RV permet une immersion complète dans un environnement artificiel en trois dimensions. Le dispositif se compose d’un vidéo-casque, associé à un smartphone ou relié à un ordinateur, d’écouteurs et éventuellement d’une manette de jeu ou d’un joystick (Figure 1). Le casque possède des capteurs pouvant suivre les mouvements de la tête de l’utilisateur afin de donner l’illusion de mouvement dans l’espace virtuel. Le système plonge le patient dans un univers irréel et donne par conséquent un sentiment de réelle immersion grâce aux stimuli visuels et auditifs (4).
Mécanisme d’action de la RV
La capacité de la RV à réduire la douleur est principalement attribuée à une distraction active. En effet, la sensation de douleur exige de l’attention, et la capacité d’attention de l’être humain est limitée. Si celle-ci peut être divertie, le patient aura une réaction plus lente aux signaux de douleur émergents.
L’utilisation de mécanismes de distraction dans le but de réduire la douleur n’est pas nouveau. Cependant, la réalité virtuelle semble être beaucoup plus efficace comparée aux techniques traditionnelles de par son caractère hautement immersif. La disposition du casque empêche à l’utilisateur toute interaction en dehors de l’environnement virtuel, limitant ainsi les signaux visuels et auditifs non désirés. D’autre part, la RV peut donner un sentiment de présence, elle confère l’impression de faire partie intégrante au monde virtuel, ceci renforçant encore l’expérience immersive. Cette immersion/présence demande au sujet sous RV beaucoup d’attention, aboutissant à travers cette distraction active optimalisée à une diminution de la douleur ressentie (5).
L’utilisation d’un vidéo-casque « high tech » avec un nombre de pixels élevés participe également à l’amplification de l’immersion et, par conséquent, à un effet analgésique plus important (6, 7).
La douleur est détectée par des récepteurs nociceptifs situés un peu partout dans le corps. Ceux-ci transmettent les signaux de la douleur au système nerveux central par les fibres A-d et C. De nombreux analgésiques agissent en interrompant les voies des fibres C et influencent ainsi la façon dont les humains ressentent la douleur. La réalité virtuelle n’interrompt pas les signaux de la douleur, mais agit directement et indirectement sur la perception et le signalement de la douleur par l’intermédiaire de l’attention, de l’émotion, de la concentration, de la mémoire et d’autres sens (par exemple, l’auditif et le visuel) (8).
En utilisant l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, des études ont montré, chez des patients utilisant la RV lors d’exposition à un stimulus douloureux, une réduction de plus de 50% dans l’activité cérébrale reliée à la douleur dans cinq zones du cerveau dont la substance grise périaqueducale, le gyrus cingulaire antérieur et le cortex orbito-frontal (8).
Basé sur les connaissances actuelles en neurobiologie de la douleur, Gold et al. soutiennent l’hypothèse que la réalité virtuelle agirait par l’intermédiaire du gyrus cingulaire antérieur afin de détourner l’attention de la douleur et produire en définitive un effet analgésique (8).
Application de la RV pour la prise en charge de la douleur et de l’anxiété
L’utilisation de la RV dans le but de diminuer la douleur et l’anxiété a été le plus largement étudiée dans le traitement des brûlures et la réadaptation physique chez les grands brûlés, adultes comme enfants (9, 10-16). En effet, les soins quotidiens chez ces patients étant extrêmement douloureux, le traitement pharmacologique analgésique peut être rapidement dépassé, ne fournissant plus un soulagement adéquat et efficace au patient. De plus, le phénomène d’accoutumance, associé à l’émergence des effets secondaires des opioïdes, peuvent rendre la situation encore plus compliquée. Hoffman et al., Das et al., Sharar et al., Carrougher et al. ont tous étudié l’efficacité la RV chez ces patients avec de très bons résultats quant au niveau de la douleur, de l’anxiété et du temps consacré à la pensée même d’avoir mal. Hoffman et al. a examiné l’utilisation de l’analgésie pharmacologique seule par rapport à la RV en plus de l’analgésie au cours de la thérapie physique chez des patients âgés de 9 à 40 ans. Les patients du groupe RV ont rapporté des scores de douleurs inférieurs (diminution de 35 à 50% de la douleur perçue) et une amplitude de mouvement accrue. Cette évaluation par les sujets se fondait sur trois cotes subjectives de douleur (cognitive, affective et sensorielle) en fonction d’une échelle d’évaluation graphique allant de 0 à 10, suivie par quatre questions subjectives portant sur le divertissement vécu et sur le réalisme de la RV.
Patterson et al. ont été les premiers à utiliser la technologie de la réalité virtuelle à des fins d’hypnose (17) en utilisant une application de réalité virtuelle, «Snow World», développée par Hoffman, permettant aux utilisateurs de naviguer dans un canyon glacé en 3D tout en lançant des boules de neige sur des bonhommes de neige, des igloos, des robots et des pingouins. Ces patients ont signalé des niveaux inférieurs de douleur et d’anxiété.
La RV a été également étudiée dans le domaine de l’oncologie, notamment pédiatrique, afin réduire la douleur, l’inconfort et l’anxiété lors de procédures telles que les chimiothérapies, les ponctions lombaires et les perfusions de cathéter à chambre implantable (port-à-cath) avec de très bons résultats (18-22).
Son utilisation lors de nombreuses procédures médicales de routine, telles que les prélèvements sanguins, les insertions de cathéter, les vaccinations, les soins dentaires, les anesthésies locorégionales mais encore comme anxiolyse préopératoire semblent également prouver son efficacité (4, 14, 23-25, 29).
Bien que des preuves tangibles soutenant l’efficacité de la réalité virtuelle dans la gestion de la douleur aigue affluent, son utilisation potentielle dans le domaine de la douleur chronique est actuellement encore en cours d’investigation. Quelques études semblent pourtant prometteuses (14, 26-28). Hoffman et al. ont notamment étudié l’intérêt de la RV au cours de séances de thérapie physique répétées chez les grands brûlés. Les résultats démontraient des scores de douleur significativement plus faibles, de l’ordre de 30 à 35%, lorsque les patients étaient en immersion dans la réalité virtuelle. De plus, cet effet analgésique ne semblait pas perdre en intensité après plusieurs séances. Ces résultats prometteurs doivent bien entendu encore faire l’objet d’études ultérieures.
Par ailleurs, son utilisation est actuellement à l’étude en pré-opératoire de sédation pour ponction d’ovocytes dans le cadre de la fécondation in-vitro. En effet, il existe une association entre le stress et l’infertilité et l’hypnose a déjà fait ses preuves dans le domaine avec une nette diminution de la détresse émotionnelle lors de la procédure et des taux de grossesse augmentés. Dans cette étude prospective randomisée en double aveugle, les patientes bénéficient d’une séance de RV, avec ou sans hypnose, avant la procédure de ponction d’ovocytes réalisée sous sédation. Les résultats préliminaires sont encourageants avec une diminution considérable de l’anxiété chez ces femmes et un meilleur taux de grossesse biologique (30).
La RV est aussi utilisée et étudiée en tant que sédation/ relaxation préopératoire en anesthésie orthopédique, lors de la réalisation de bloc nerveux périphériques. Ses avantages et son efficacité notamment en anesthésiologie dans la gestion de la douleur et de l’anxiété l’amèneront certainement à être davantage exploitée et étudiée.
Conclusion
Autrefois considérée comme un équipement de divertissement, la réalité virtuelle suscite désormais l’intérêts des neuroscientifiques, des chercheurs et des cliniciens notamment dans le traitement de la douleur.
Des preuves solides existent corroborant l’utilisation de la réalité virtuelle comme mécanisme de distraction capable de réduire la douleur aiguë. Elle pourrait permettre aux sujets de se plonger dans un monde irréel lors de procédures douloureuses, de diminuer leur attention sur ces stimuli nociceptifs et à terme de diminuer leur besoin en analgésiques.
Il est également démontré que la qualité technique de la réalité virtuelle et le degré d’immersion engendré étaient directement corrélés à la quantité d’analgésie fournie.
Bien qu’il existe un grand nombre de preuves soutenant la distraction en tant que mécanisme par lequel la réalité virtuelle peut entraîner un soulagement de la douleur, des études se sont récemment concentrées sur d’autres mécanismes par lesquelles la réalité virtuelle pourrait interférer avec le système nerveux central dans la création, l’interprétation et la gestion de la douleur.
La technologie de la réalité virtuelle offre une grande flexibilité permettant la création de mondes virtuels uniquement limités par la créativité de ces concepteurs. Les perspectives d’avenir de cette technologie seront notamment d’étudier et de rechercher les différents types d’environnements virtuels les plus efficaces en fonction des différentes populations cliniques. A terme, il devrait être possible de proposer un monde virtuel personnalisé, prenant en compte les caractéristiques individuelles du patient, telles que le sexe, l’âge, les intérêts socioculturels et personnels afin d’en augmenter l’effet analgésique recherché.
Affiliations
Cliniques universitaires Saint-Luc, Service d’anesthésiologie, B-1200 Bruxelles
Correspondance
Pr. Fabienne Roelants
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’anesthésiologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
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