En cette seconde vague du coronavirus, cette illustre estampe japonaise est plus que jamais d’actualité.
Regardez-la comme un enfant à qui on présente un merveilleux dessin.
Une vague tel un tsunami fatidique s’élève, s’impose à des êtres embarqués dans des sillons de vie contraignants, leur rappelant que la nature peut à sa guise œuvrer sans raison apparente, laissant au second plan l’essentiel, la spiritualité éternelle symbolisée par les neiges lointaines du Fuji. C’est interpellant, et comme déjà signalé, c’est l’une des fonctions de l’art. D’autant que l’artiste est un maître.
Katsushika Hokusai (1760-1849), surnommé « le fou du dessin », connu sous plus de 120 pseudonymes différents est non seulement un génie de l’art japonais mais un des pères fondateurs du modernisme. Son influence est visible dans l’impressionnisme et l’Art nouveau. Il a fasciné de grands peintres et artistes comme Claude Monet, Paul Gauguin, Vincent Van Gogh (la nuit étoilée), Berthe Morisot. La « Vague » a incité Gustave Courbet à étudier les formes des vagues dans plus de 60 tableaux.
Claude Debussy (1862-1918) en a reproduit le motif sur la couverture de sa partition « LA MER ».
On estime que Hokusai a réalisé, tout au long de sa vie, 30 000 œuvres qui appartiennent au mouvement ukiyo-e, « images d’un monde éphémère et flottant », illusion providentielle dans un monde mortel avec ses plaisirs hédoniques, parfois très érotiques (comme l’œuvre intitulée le rêve de la femme du pêcheur).
Hokusai a aussi peint une série de carnets à croquis qui sera l’une des principales inspirations de la bande dessinée japonaise actuelle, les manga. C’est à la fin de sa vie que Hokusai a réalisé ses plus belles œuvres. « Sous la vague au large de Kanagawa », dessinée à l’âge de 70 ans, est devenu un must de l’art japonais.
La grande Vague de Kanagawa (1830/1831) plus connue sous le nom « La Vague » fait partie de la série des trente-six vues du Mont Fuji. La signature du Maître est, pour les experts, reprise dans l’encart situé en haut à gauche. Cette gravure sur bois de cerisier (choisi pour sa dureté), mesure 26 cm de hauteur et 38 cm de largeur. Cette estampe est une présentation paysage , disposée horizontalement.
Elle symbolise la force indescriptible de la nature et la faiblesse des êtres humains.
Au premier plan, on peut voir 2 vagues « bleues et blanches », l’une avec ses griffes d’écume, occupant la moitié de la composition, mesurant plus de 10 mètres et prête à engloutir sa proie et l’autre plus petite emportant avec elle trois barques remplies de pêcheurs. Ces bateaux étaient destinés à approvisionner la baie d’Edo (ancien Tokyo) en marchandises. Emportés dans le courant, ces pêcheurs se laissent chahuter mais aucun signe ne suggère qu’ils vont chavirer et se noyer.
À l’arrière -plan se trouve le Mont Fuji, réduit par l’effet de perspective, et qui surgit d’un fond gris foncé, au-dessus duquel se dégage un ciel rose et jaune.
Pour les Japonais, le Mont Fuji, symbole du Japon moderne, est un endroit sacré, un lieu de retraite bouddhiste, de repos. Haut de 3776 mètres, point culminant du Japon, il apparait minuscule et impuissant. Mais il est là. Les 2 grandes masses qui occupent l’image peuvent faire penser, au symbole du ying et du yang.
Complémentaires, ils représentent les 2 extrêmes d’un tout et coexistent ensemble. En effet, les forces de tout ce qui existe dans l’univers sont en mouvement constant et chacune des forces se transforme progressivement en l’autre.
L’opposition complémentaire du ying et du yang se traduit aussi au niveau des couleurs : le bleu de Prusse s’oppose au jaune rosé de l’arrière- plan, qui en est la couleur complémentaire. Le magnifique pigment bleu foncé appelé « bleu de Prusse » était à l’époque un nouveau matériau, importé d’Europe, meilleur marché que l’indigo naturel.
Le bleu de Prusse et l’indigo traditionnel ont été utilisés dans « la Grande vague » pour créer de subtils dégradés dans la composition.
Les estampes japonaises diffusées commercialement n’étaient pas réalisées par un artiste travaillant seul, mais par une équipe dont chaque membre occupait un rôle spécifique. Elles sont imprimées en quelques centaines d’exemplaires, à partir de planche de bois, gravées à partir du dessin de l’artiste. Plusieurs exemplaires sont conservés dans des collections du monde entier (MoMA de New-York, British Museum de Londres, collection Claude Monet à Giverny, musée Guimet etc…). La couleur de chaque exemplaire, qui se dégrade rapidement à la lumière, varie d’un exemplaire à l’autre.
Cette estampe a souvent été imitée, parodiée et transformée en logos abstraits et stylisés pour des entreprises et des marques.
Ce n’est pas pour rien que « LA VAGUE » fut mis en exergue lors du Tsunami au Japon en 2011 et que le Musée du Cinquantenaire à Bruxelles, qui possède un exemplaire, fait découvrir au grand public cette estampe les 28 et 29 décembre 2020 afin de finir malgré tout l’année 2020 en beauté.
Mais j’allais oublier…. Illusion angoissante du dessin qui évoque le destin pour qui manque l’espoir. L’espoir est là, au loin, serein…. regardez bien….