Introduction
La crise sanitaire nous oblige à repenser les soins de santé. Effectivement, l’accessibilité aux soins a été rudement mise à l’épreuve. Faisons malheureusement le pari que d’autres épidémies et pandémies virales vont suivre.
Les annulations et reports des prestations vont indubitablement impacter les résultats en matière de complications et de survie. Certaines prédictions sont effrayantes. En oncologie on s’attend à une réduction relative de la survie estimée entre 5 à 10%. Les patients diabétiques ont, eux aussi, été bannis des institutions. Le monde des soins a basculé en urgence vers la téléconsultation (1).
Même sans COVID, la nouvelle ère est caractérisée par une augmentation significative de la demande de soins (expliquée par le vieillissement de la population et la plus longue durée de vie des patients diabétiques traités). Les changements climatiques impactent également la santé humaine. L’incidence du diabète de type I (DM1), par exemple, est en nette augmentation (3 à 4 % sur la dernière décade) (2,3). Pour le diabète de type II (DM2) on parle d’une réelle épidémie de « diabésité » (mot contracté de diabète et obésité). On connait bien entendu le rôle de la prédisposition génétique et l’impact de nos habitudes de vie. On ne peut négliger les facteurs épigénétiques, transmis de génération à génération par l’influence précoce de l’environnement sur la vie intra-utérine (4).
Depuis quelques années, la technologie prend une place prépondérante en diabétologie. On y évoque souvent la place de l’intelligence artificielle (IA). Elle peut transformer la gestion du diabète dans quatre domaines: le screening automatique de la rétine, l’aide aux décisions cliniques et thérapeutiques, la stratification prédictive des risques, et les aides personnalisées pour les patients (5). Ce que l’on vise, c’est une nette amélioration de la prise en charge, une réduction significative des complications et un contrôle des coûts.
Le screening automatique de la présence d’altérations micro-vasculaires
Les modifications micro-vasculaires sont à l’origine de plusieurs types de complications. Pour évaluer ces changements micro-vasculaires, on essaie d’éviter, autant que possible, les moyens invasifs (biopsie) (pour la néphropathie, par exemple, suivi régulier de la micro albuminurie et du débit de filtration glomérulaire). Les ophtalmologues pratiquent ainsi l’examen du fond de l’œil. Ils distinguent deux formes d’anomalies : non proliférative (stade précoce ; œdème de la macula, et ischémie), et proliférative (stade tardif ; phénomène de néo-vascularisation avec éventuellement saignements, formation de tissus cicatriciels et décollement de la rétine). L’IA est parfaite pour l’analyse automatique de l’image. Elle permet mieux que l’humain de détecter les anomalies, et « voit » un certain nombre de détails que nous n’arrivons même pas à distinguer.
Google, comme d’autres géants de la nouvelle technologie, est actif dans ce domaine. Chez Google on utilise « Deepmind » pour analyser automatiquement les images rétiniennes. Ils ont comparé l’IA d’abord avec les experts, ensuite avec les spécialistes et, in fine, avec les généralistes. Le constat est sans appel : l’IA fait mieux que l’humain, et le fait surtout plus rapidement. L’académie des ophtalmologues aux USA considère cette approche comme incontournable (6). En plus, l’IA permet sur base de l’image de grouper les patients en différentes cohortes (l’âge par décade, le genre, l’hypertension à 10 mmHg près, le tabagisme, et la préexistence d’une pathologie cardiovasculaire) (7). La FDA, a donné son feu vert pour le déploiement hospitalier, mais aussi pour l’utilisation en médecine générale. L’association des diabétologues américains (ADA), considère cette technique comme un standard en matière de screening et de suivi.
L’aide à la décision : l’avènement de la boucle fermée
Les systèmes de mesure en continu du taux de glycémie (CGM) produisent énormément de données, qui rendent « la boucle fermée » quasiment obligatoire. Plusieurs types existent déjà, et ont démontré faisabilité et supériorité par rapport au traitement insulinique conventionnel.
La boucle fermée est constituée d’une pompe à insuline « intelligente » qui s’arrête automatiquement en cas d’hypoglycémie, couplée à un dispositif de mesure en continu. L’efficacité d’un tel dispositif a été démontré dans des essais randomisés. Le but à atteindre est de maintenir le patient dans une zone thérapeutique, avec une glycémie qui varie entre 70 à 180 mg par décilitre (3.9 à 10 mmol par litre). D’autres paramètres ont également été suivis (par exemple, l’hémoglobine glyquée (HbA1c) à 26 semaines). Le résultat, après 6 mois d’application, est en faveur du système en boucle fermée avec fonction de suspension (8).
En France, un système en boucle fermée hybride a été testé. Le dispositif est auto-apprenant. Il est constitué d’un capteur de glucose interstitiel, d’une pompe miniaturisée adhésive contenant de l’insuline, et d’un terminal électronique avec l’algorithme basé sur de l’apprentissage automatique (nourri par les informations du capteur, et ceux du patient concernant repas et activité physique). A nouveau le résultat est meilleur que dans le groupe contrôle (9). Dans la foulée, l’équipe démontre que le temps passé en hyperglycémie est moindre pour les patients qui ont profité d’un diner gastronomique, ou qui se sont fortement alimenté après un exercice physique (10).
Les dispositifs de CGM sont de moins en moins encombrants et invasifs. On voit des dispositifs incorporés dans des montres (K’Watch : micro-pointes dans l’espace interstitiel), où un système capable de « renifler » la présence d’un diabète (à incorporer dans Apple Watch). Certains smartphones sont dotés d’un dispositif qui permet d’enregistrer des ECG (Samsung Galaxy Watch3 Smartwatch). Il a été démontré que l’analyse automatique de l’ECG permet de prédire la survenue d’hypoglycémie (sur base de tachycardie ou allongement de l’espace QT corrigé). L’avantage, bien entendu, c’est que ces dispositifs fonctionnent également la nuit (11).
Stratification des risques dans la population
Il existe de plus en plus d’applications pour calculer et prédire les risques de santé. Il y a pléthore d’exemples, particulièrement dans le monde de l’oncologie. Ces calculateurs de risque peuvent jouer un rôle éducatif, en améliorant la « Health Literacy » (la compréhension de la maladie), et l’observance thérapeutique individuelle. L’épidémie de « diabésité », est devenu une priorité en santé publique. Plusieurs calculateurs de risque individuel sont à disposition (exemples : le produit finlandais FINDRISC et le produit anglais « Type 2 diabetes : know your risk »). Ils utilisent des questionnaires, complétés par la mesure de certains paramètres fournis par le patient (l’indice de masse corporelle et le contour de la taille). L’IA vient en aide pour transformer ce flux de données multiples, variées et fiables) en information utile, et calcule ce risque individuel.
Pour augmenter la quantité, la variabilité et la qualité des données pour affiner l’algorithme, on pense évidemment au smartphone. La caméra embarquée, permet par exemple de quantifier les aliments ingérés (12). L’application estime le poids des aliments, la constitution (glucides, protéines et graisses) et la quantité d’énergie contenue dans le repas. Le smartphone peut aussi servir de biomarqueur (13). La photo pléthysmographie (PPG) embarquée permet de déterminer les effets du diabète sur la vascularisation. La lumière flash du téléphone illumine le bout du doigt. L’application enregistre les changements de couleurs qui y ont lieu à chaque battement cardiaque. On a donc la fréquence cardiaque et sa variabilité temporelle. Les caractéristiques des ondes PPG sont corrélées avec les changements vasculaires (changements endothéliaux et athérosclérose micro-vasculaire). Les données, qui proviennent de dizaines de milliers de personnes, alimentent un réseau neuronal profond (DNN), qui fournit le risque du diabète, et en prédit l’évolution. Le modèle est encore meilleur quand d’autres paramètres sont fournis tels que l’âge, et l’indice de masse corporelle.
Aides personnalisées pour le patient
Il faut à tout prix maintenir un lien entre le soignant et le soigné, même pendant un confinement. La société toulousaine Iriade a mis en ligne CoviDiab, un programme personnalisé de télé-suivi et télé-coaching. Le NHS anglais (National Health Service) étend son offre d’avis digital destiné aux patients souffrant de DM2. Aux USA, l’assureur UnitedHealth crée sa propre application pour 230’000 personnes touchées par DM2, sur 27 états. Elle est accompagnée par un CGM et un capteur d’activité et propose du coaching personnalisé. Le programme de UnitedHealth est non seulement gratuit pour ses clients, mais ceux qui y participent sont récompensés pour leurs efforts.
L’éducation nutritive est primordiale dans le diabète. Les possibilités de traçage de la nutrition sur les trois plateformes à disposition (iTunes de Apple, Android® Google Play et Microsoft Windows) ont été publiées. Cette revue a pour but de conseiller les soignants afin de prescrire celle qui est la plus adaptée au patient (14). La plupart répondent à l’attente, mais il serait utile d’en mesurer objectivement l’impact, en y associant des dispositifs de CGM connectés. Une méta-analyse a été conduite il y a déjà quelques années regroupant 21 études randomisées pour un total de 1’550 patients (15). Pour le DM1, il semble bien que des applications mobiles améliorent le contrôle de la glycémie, même si l’hétérogénéité des conclusions entre les études est importante. Pour le DM2, les études sont à nouveau très hétérogènes. L’intensité de l’accompagnement par les soignants se fait sentir sur le résultat final. La réduction moyenne du HbA1c fluctue en fonction de la fréquence du coaching. Ceci illustre clairement qu’il y a un potentiel technologique exploitable, mais la relation entre le soignant et le soigné reste primordiale.
Conclusions
La crise sanitaire et le confinement mettent l’accent sur la nécessité d’instaurer des moyens efficaces, de suivi à distance. Les patients chroniques comme le diabète, n’ont plus eu accès aux soins. La technologie rend cette connexion possible. Elle ouvre largement la porte à la récolte de multiples informations diverses, et ce de façon continue. Ce flux ininterrompu de données requiert de l’IA pour automatiser la transformation en information utile, afin d’adapter le traitement en temps réel. Le diabète est probablement un exemple pour lequel l’apport des nouvelles technologies a été poussé jusqu’au bout de la logique qui aboutit au concept de boucle fermée. Ce qu’il manque aujourd’hui ce sont plus les études qui démontrent l’impact économique.
Affiliations
1. Professeur, Chef du Service de Radiothérapie, Centre Hospitalier Universitaire de Liège, CHU Sart Tilman 4000 Liège, Belgique, pcoucke@chuliege.be
2. Chef de Clinique, Département de Médecine Interne, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Rue du Bugnon, Lausanne, VD, Suisse, christophe.coucke@chuv.ch
Correspondance
Pr. Philippe COUCKE
CHU Liège
Service de Radiothérapie
Avenue Hippocrate 1
B-4000-Liège Belgique
Téléphone : +3243667949
pcoucke@chuliege.be
Références
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À lire les références: 1, 7, 8, 11,12